Si c’est bien dans la Bible que l’on doit chercher les plus parfaites paraboles, lesquelles permettent d’évaluer toutes les autres, cette forme de composition se retrouve fréquemment dans la littérature orientale. C’est pourquoi il nous faut dire quelques mots sur les paraboles antérieures à Jésus-Christ, à savoir les paraboles de la tradition juive, qui ne lui ont d’ailleurs pas pour autant servi de modèles, et les paraboles postérieures à Jésus-Christ, imitées des siennes, à savoir les paraboles chez les premiers écrivains chrétiens.
Certains ont voulu nier que l’enseignement parabolique ait été une méthode courante de la tradition juive, de peur que la gloire et l’originalité de Jésus en soit ici diminuée ; un tel souci, aussi déplacé que celui qui prétend effacer toute trace de législation en Egypte avant Moïse, est complètement inutile. Religion universelle le Christianisme, ne se plie pas à ce qui lui est étranger, mais il rassemble en un seul faisceau lumineux les rayons de vérité éparpillés dans le monde. Le Seigneur Jésus lui-même, rendit accessible son enseignement à ses concitoyens, en citant leurs proverbes, en usant du vocabulaire théologique de leurs écoles, lorsqu’il convenait aux révélations qu’il apportait. Par exemple, les Juifs appelait le nouveau converti « une nouvelle création », son entrée dans le judaïsme était « une nouvelle naissance », bien que ces termes ne correspondaient qu’à un changement tout extérieur ; mais il appartenait à Christ de les reprendre, pour les élever plus haut, jusqu’au niveau du royaume des cieux. Aussi ne fait-il aucun doute que les paraboles étaient monnaie courante dans la pédagogie des rabbins : rien que les formules d’introduction du discours parabolique sont semblables à celles des Evangiles (A quoi comparerons-nous… ? etc.) Qu’importe, la gloire et la suprématie de Christ n’a pas consisté dans une nouveauté de forme, mais d’esprit.
Pour éclairer les lecteurs désirant savoir à quoi ressemblaient les paraboles juives, je citerai non les pires, comme font certains commentateurs, désireux de les différencier, mais au contraire les meilleures que j’ai pu trouver.
Notamment celle-ci, inventée pour répondre à la question : Pourquoi les hommes pieux meurent-ils souvent jeunes ? « A quoi cela est-il semblable ? A un roi qui, se promenant dans son jardin, aperçoit des roses encore en boutons, mais déjà ineffablement parfumées. Il se dit en lui-même : Si ces fleurs répandent une aussi douce odeur tandis qu’elles ne sont qu’en bourgeons, que donneront-elles une fois épanouies ? Quelque temps plus tard, le roi vient à nouveau dans son jardin, dans l’espoir de découvrir les roses ouvertes, et se délecter de leur arôme ; mais arrivé à la place, il les trouve pâles, fanées, inodores. Il s’écrie à regret : Si seulement je les avais cueillies quand elles étaient encore tendres et odorantes, j’aurais pu encore m’en réjouir, mais à présent elles ne me procurent aucune joie. L’année suivante, le roi marchant dans son jardin, trouve à nouveau ses roses en boutons qui embaument. Il appelle ses serviteurs et leur commande : cueillez ces fleurs, que je puisse en joui avant qu’elles ne se flétrissent, comme elles firent l’an passé. »
La parabole suivante, bien qu’ingénieuse, est un bon échantillon de la propre justice des pharisiens : « Un homme avait trois amis. Sommé de comparaître devant le roi, il était dans l’angoisse et se cherchait un avocat. Le premier ami, sur lequel il comptait le plus, refusa de l’accompagner. Le second voulait bien aller avec lui jusque devant la porte du roi, mais il ne dirait pas un mot en sa faveur. Le troisième, sur lequel il comptait le moins, vint avec lui, et plaida si bien sa cause que notre homme fut acquitté. Ainsi tout homme a trois amis, lorsque la mort le convoque devant Dieu, le grand Juge : le premier, qu’il estime tant, c’est son argent, qui ne fera pas un pas avec lui ; le second, ce sont les relations et la famille, qui l’accompagneront jusqu’à la tombe, mais pas plus loin ; le troisième, celui dont il ne faisait pas grand cas, c’est la Loi et les bonnes œuvres, qui paraissant à son côté devant le roi, le feront échapper à la condamnation. »
En voici une plus noble, dérivée de la parole : « Par Ta lumière nous verrons la lumière. » « Un homme voyageant de nuit alluma sa torche ; mais elle s’éteignit. Il la rallume ; elle s’éteint encore ; et ainsi de suite un certain nombre de fois. Il s’écrie alors : Combien de temps me fatiguerai-je encore par mes propres efforts ? Autant attendre le lever du soleil ; et alors je poursuivrai ma route. Pareillement, les Israélites furent opprimés en Egypte, et délivrés par Moïse et Aaron. Ensuite, ce fut au tour des Babyloniens de les tyranniser ; à celui de Chananiah, de Misael et d’Azariah de les sauver. Mais l’oppression recommença avec les Grecs ; Mattathias Maccabée et ses fils les délivrèrent. Nous sommes fatigués de cette continuelle alternance de servitudes suivies de délivrances. Nous n’attendons plus d’être sauvés par un homme, mais par le Dieu saint, qui est béni éternellement. »
Une autre, assez plaisante, met en scène un renard, qui observant des poissons sautant dans tous les sens pour échapper au filet tiré le long du fleuve, leur conseille de sauter plutôt sur la terre ferme, pour se mettre à l’abri. Un Rabbin emploie cette parabole à propos des rois gréco-syriens menaçant de mort les juifs qui persévéraient dans leur Loi ; des amis leur conseillaient plutôt d’abandonner la Loi. Le Rabbin répond : « Semblables aux poissons, nous sommes en danger dans le fleuve ; toutefois tant que nous continuons à obéir à Dieu, nous restons dans notre propre élément ; mais si pour échapper à la menace, nous sortons de notre élément, nous périrons à coup sûr. »
Une autre, bien douce, explique pourquoi un prosélyte est plus tendrement chéri du Seigneur qu’un Lévite même. Le nouveau converti est comparé à une chèvre sauvage née dans le désert, et qui se joint volontairement au troupeau du berger ; elle lui est plus spéciale que les autres chèvres qui sont avec lui depuis toujours.
A côté de ces historiettes il en existe une multitude de si courtes, qu’il convient de parler de similitudes plutôt que de paraboles. Par exemple, celle qui nous exhorte à avoir l’esprit concentré lorsqu’on prie : « Si un homme se présente avec une requête devant le roi, mais plutôt que de lui adresser sa supplique, se tourne vers le voisin, et converse avec ce dernier, le roi n’en sera-t-il pas très offensé ? » Dans une similitude la mort est comparée à une porte, par laquelle tous les membres de la cour du roi, sans distinction, doivent passer ; il est ajouté qu’ensuite, le roi donnera à chacun des demeures différentes, selon leurs dignités respectives.
Sauf quelques autres, nous avons fait le tour des paraboles juives qui soutiennent une certaine ressemblance avec celles du Nouveau Testament. Cependant il apparaît évident qu’il ne s’agit là que d’un rapprochement superficiel, sans véritable fond commun, contrairement à ce qui est souvent prétendu. Plusieurs ont supposé que le Seigneur aurait remanié ces histoires pour les adpater à son message ; d’autres, au contraire, que ces paraboles judaïques seraient apparues bien plus tard, par emprunt et imitation du Nouveau Testament. Mais sans entrer dans ces considérations, il est inévitable que des illustrations provenant d’un même milieu culturel portent entre elles un air de ressemblance extérieure, tandis que leurs leçons morales ne sont pas obligatoirement identiques. Par exemple sur le verset Ecclésiaste 12.7 (« L’esprit retourne à Dieu qui l’a donné »), les rabbins ont forgé ceci : « Dieu est comme un roi qui a distribué des vêtements de prix à ses serviteurs. Ceux qui étaient sages les ont pliés et rangés soigneusement dans leur garde-robe ; mais les fous s’en sont revêtus pour se livrer à leurs occupations ordinaires. Au bout d’un certain temps le roi réclame les vêtements qu’il a prêtés. Les sages les lui retournent, aussi immaculés qu’au début ; mais les fous ne peuvent qu’en produire de sales et de souillés. Le roi dit avec satisfaction aux serviteurs sages : gardez ces vêtements pour vous, et allez en paix. Mais il est en colère contre les serviteurs insensés : Que leurs vêtements soient lavés, et que ces serviteurs-là soient jetés en prison ! Ainsi agira Dieu vis-à-vis des corps et des âmes, au moment du jugement, selon que chacun en aura pris soin. » Que l’on compare maintenant cette histoire avec la parabole de Jésus, sur le mariage du fils du Roi. On relève bien sûr des points communs : un roi, des subalternes, des habits précieux ; mais hormis cette question de décor, la parabole de Jésus est incomparablement supérieure, en pertinence et en sérieux, à celle du Talmud, où le roi capricieux donne et reprend selon son humeur.
Parmi les pères de l’Eglise certains ont délibérément cherché à construire des paraboles, pour imiter la méthode de Jésus. Il s’en trouve dans le Pasteur d’Hermas ; tout son troisième livre est parabolique. Ephraem le Syrien en a quelques-unes assez bizarres, du moins dans leur traduction latine. Origène en imagine une belle comme introduction de son commentaire sur l’épître aux Romains, où il compare Paul à un intendant des trésors du Roi. Deux sont connues de François d’Assises, assez insipides toutefois ; celles de Jean de Damas les surpassent de beaucoup dans son Barlaam et Josaphat. Quant aux illustrations rencontrées dans les écrits de Bernard, ce sont plutôt des allégories que des paraboles. En réalité, si les paraboles sont peu nombreuses dans les écrits exégétiques des anciens commentateurs chrétiens, ils en usaient beaucoup plus dans leurs sermons et homélies. Augustin et Chrysostome notamment, en produisaient couramment d’une belle richesse et d’une grande diversité.