Que ces grands zélateurs des lois et des usages paternels me disent maintenant s’ils les ont respectés tous ; s’ils les ont toujours observés scrupuleusement ; s’ils n’ont pas entièrement aboli les règlements les plus sages et les plus nécessaires pour la pureté des mœurs. Que sont devenues ces lois somptuaires, ces lois si sévères contre le faste et l’ambition, qui fixaient à une somme modique la dépense d’un repas, qui défendaient d’y servir plus d’une volaille, encore n’était-il pas permis de l’engraisser ; qui chassaient du sénat un patricien possesseur de dix livres d’argent, comme coupable d’une ambition démesurée ; qui renversaient des théâtres à peine élevés, comme n’étant propres qu’à corrompre les mœurs ; qui ne souffraient pas qu’on usurpât impunément les marques des dignités et de la naissance ? Aujourd’hui je vois donner des repas nommés centenaires, parce qu’ils coûtent cent mille sesterces. Je vois l’argent des mines converti en vaisselle, je ne dis pas pour l’usage des sénateurs, mais des affranchis, mais des esclaves qui n’ont rompu leurs chaînes que d’hier. Je vois qu’on multiplie les théâtres, qu’on les abrite contre les injures de l’air. Et sans doute, c’est pour garantir du froid ces délicats et voluptueux spectateurs, que les Lacédémoniens inventèrent leurs manteaux.
Je vois les dames romaines parées comme les courtisanes et confondues avec elles. Ces antiques coutumes qui protégeaient la modestie et la tempérance sont abolies. Autrefois les femmes ne portaient point d’or, à l’exception de l’anneau nuptial que l’époux leur avait mis au doigt et donné pour gage. L’usage du vin leur était si rigoureusement interdit, que des parents condamnèrent à mourir de faim une femme, pour avoir rompu les sceaux d’un cellier. Sous Romulus, Mécénius tua impunément sa femme, qui n’avait fait que goûter du vin. Voilà pourquoi elles étaient obligées d’embrasser leurs proches, afin qu’on pût juger par leur souffle si elles en avaient bu. Qu’est devenue cette antique félicité du mariage, si bien fondée sur la pureté des mœurs que, pendant près de six cents ans, aucune maison n’offrit l’exemple du divorce ? Aujourd’hui, chez les femmes, l’or surcharge tout le corps, le vin éloigne d’elles tout embrassement. Le divorce est comme le fruit et le vœu du mariage. Vous qui vous vantez de tant de respect pour la divinité, vous avez aboli les sages règlements de vos pères sur le culte des dieux. Les consuls, conformément au décret du sénat, avaient chassé Bacchus et ses mystères, non-seulement de Rome, mais de toute l’Italie. Sérapis et Isis, Harpocrate avec son dieu à tête de chien, ne se sont-ils pas vus repoussés du Capitole, c’est-à-dire chassés du palais des dieux, par les consuls Pison et Sabi-nus ? Ceux-ci ne les ont-ils pas bannis de l’empire, après avoir renversé leurs autels, voulant ainsi arrêter les vaines et infâmes superstitions ? et cependant ces consuls n’étaient pas chrétiens ! Pour vous, vous avez rétabli ces divinités, vous les avez environnées du plus grand éclat. Où est la religion ? Où est le respect dû aux ancêtres ? Par l’habillement, le genre de vie, l’éducation, le sentiment, le langage même, vous désavouez vos ancêtres. Vous nous vantez sans cesse les mœurs antiques, et rien n’est plus nouveau que votre manière de vivre. Il est facile de le voir, en vous éloignant des sages institutions de vos pères, vous retenez et vous gardez ce qu’il faudrait rejeter, et vous rejetez ce qu’il faudrait conserver. Tout en paraissant protéger avec la plus grande fidélité les traditions anciennes, je veux dire le respect pour les dieux, pour ces dieux, grande erreur des premiers temps ; tout en relevant les autels de Sérapis devenu romain, tout en consacrant vos fureurs à Bacchus, désormais divinité de l’Italie, vous êtes coupables de toutes les transgressions dont vous faites un crime aux Chrétiens ; vous négligez, vous outragez, vous détruisez le culte de vos propres divinités, et cela au mépris de l’autorité des ancêtres. Je vous le prouverai quand il sera temps ; mais, en attendant, je vais répondre à cette calomnie qui nous impute des crimes secrets, et je me préparerai la voie à des justifications plus éclatantes.