Contre Marcion

LIVRE I

Chapitre VI

Jusqu’ici nous avons raisonné dans l’hypothèse que Marcion établissait deux divinités égales. Car tel est le terrain sur lequel nous nous sommes placé, lorsque vengeur de l’unité divine, nous écartions toute ressemblance, toute parité avec l’être souverainement grand. En démontrant que deux dieux ne peuvent être égaux, en vertu même de l’idée qui s’attache à l’être souverainement grand, nous avons prouvé suffisamment qu’il n’en peut exister deux ; mais telle n’est pas la doctrine du sectaire, il crée deux dieux dissemblables, l’un juge sévère, cruel, ami des combats ; l’autre doux, ami de la paix, bon et excellent.

Examinons également la question sous un autre point de vue. La disparité peut-elle supposer deux dieux si la parité les exclut ? Ici encore, nous invoquerons pour appui la même règle que nous adoptions pour l’être souverainement grand. La divinité repose sur ce fondement inébranlable. En effet, resserrant Marcion dans le cercle qu’il a tracé, et nous armant de ses aveux, il n’a pas plus tôt accordé au créateur la divinité, que nous sommes autorisé à lui répondre : Tes oppositions et ta diversité sont, une chimère. Point de différence entre deux êtres que tu reconnais pour dieux à titre égal. Sans doute des hommes peuvent différer entre eux avec le même nom et la même forme ; il n’en va pas de même de Dieu. On ne peut ni l’appeler ni le croire Dieu s’il n’est pas l’être souverain. Or, puisque le sectaire est contraint de reconnaître la souveraine grandeur dans celui auquel il accorde la divinité, je ne puis admettre qu’il retranche quelque chose à la grandeur souveraine en la soumettant à une autre grandeur semblable. Pour Dieu se soumettre, c’est s’anéantir. Or, est-il d’un dieu d’anéantir sa majesté souveraine ? La divinité peut-elle diminuer et déchoir dans le Dieu créateur ? La suprême grandeur courra les mêmes risques dans le dieu prééminent de Marcion : il sera capable de s’abdiquer aussi bien que le nôtre. Pourquoi cela ? c’est que deux dieux, ayant été une fois proclamés souverainement grands, il résulte de toute nécessité que l’un ne sera ni plus puissant, ni plus faible, ni plus éminent, ni plus abaissé que l’autre. A l’œuvre donc, Marcion, refuse la divinité à ton dieu cruel ; refuse la suprême grandeur à celui que tu abaisses. En proclamant dieux et le nôtre et le lien, tu as proclamé deux êtres souverainement grands. Tu ne retrancheras rien à l’un, tu n’ajouteras rien à l’autre. En reconnaissant la divinité, tu as nié la diversité.

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