Il n’y a pas de distinction… Devant Dieu, il n’y a point de partialité.
« Ah ! s’exclamait un vieux pasteur, le bon sens est un bon meuble ». Et il avait raison car il devrait trôner en bonne place dans chaque foyer. Hélas ! Tous les parents n’ont pas de bon sens quand ils croient sage et stimulant de donner en exemple le frère (ou la sœur) soumis, pieux, ordré et sur-doué, à l’enfant difficile aux petits moyens. Les car- nets de notes ramenés à la maison n’ont pas tous la même teneur, et pour cause ! N’est-ce pas maladresse et flagrante injustice que de comparer les siens et d’exiger de tous des résultats identiques ? Si l’un des vôtres peine sur un exercice de grammaire ou récolte de mauvaises notes en « maths », le bousculez-vous en désignant sa sœur ?
— Regarde Françoise ! Elle, au moins, recueille des « très bien » et ne traîne pas comme toi sur sa copie. Elle résout des problèmes autrement difficiles et plus vite. Pourtant, elle est plus jeune ! Tu n’as pas honte, espèce de paresseux !
Prends de la graine sur ta sœur et secoue-toi donc, bon à rien !
En désignant la « sur-douée », vous découragez sûrement celui qui ne l’est pas. Il serait cruel et injuste de donner en exemple à votre garçon chétif de nature, un homme bâti en athlète, habitué à déplacer de lourdes charges !
— Comment ? Tu n’arrives pas à soulever ce colis ? Incapable ! Fais donc des efforts et prends modèle sur cet homme : il porte sans se plaindre d’énormes sacs de farine autrement lourds …
Est-ce la faute de Paul s’il n’a pas les compétences de Jacques ? Le premier a certainement des qualifications qui font défaut à son ami, et c’est tant mieux. Personne n’est habile en tout. Trop de professeurs s’emportent contre les derniers de la classe accusés de paresse ou de mauvaise volonté alors qu’ils sont souvent et tout simplement allergiques à la matière enseignée. Je vous le demande, chacun est-il à l’aise dans l’électronique ou la mécanique ? Sont-ils nombreux les littéraires jonglant sans effort avec les formules chimiques ou logarithmiques ? Les as en géométrie le sont-ils nécessairement en musique, en peinture ou en latin ? La réponse est facile.
Plutôt que d’accabler les faibles et les démunis, ne serait-il pas plus honnête et positif de chercher à savoir pourquoi nous nous irritons contre eux ?
Peut-être bousculons-nous Josette parce que ses faibles progrès nous déçoivent et nous humilient. Nous serions si fiers de parler autour de nous de notre « brillante » fille, couverte de lauriers, toujours en tête de la classe. Il en rejaillirait sur nous quelque gloire dont nous pourrions nous rengorger.
Peut-être appartenons-nous à la catégorie des sur-doués, exaspérés ou déçus de ne pas retrouver dans notre descendance le même brio, la même facilité à apprendre, les succès qui furent jadis les nôtres. Le génie ne s’hérite pas nécessairement.
Peut-être oublions-nous que le fils accusé de nonchalance traverse une période de la vie où l’être humain, physiologiquement perturbé, incline justement à l’indolence.
L’amour est indulgent. Il tient à discerner les limites de l’autre afin de le mieux comprendre sans courir le risque de l’accabler sans raison ou d’attendre de lui plus qu’il n’est en mesure de donner. Que l’abus de nos exigences ne l’amène pas à jeter le manche après la cognée en disant : « De toutes manières je n’y arriverai pas. C’est inutile ».
Votre fille est-elle nulle en « maths » ? Acceptez le fait sans vous indigner,, Ne prétendez pas en faire un as en quelques semaines, à coup de leçons particulières infligées à forte dose. Il serait infiniment plus sage de l’encourager lors d’un entretien décontracté favorable au dialogue : « Il faut en convenir, les maths ne sont pas ton fort mais tu excelles en philo. Puisque tu as des lacunes en géométrie, il te faudra y consacrer plus de temps, serrer les dents en te disant : « Je veux y arriver ». Je t’aiderai dans la mesure du possible, et si je suis dépassé à mon tour, nous demanderons à ton frère de venir à ton secours. Accroche-toi sans désespérer, surtout au début … et tu seras bientôt étonnée de mieux comprendre ».
Et si votre fille enregistre de mauvaises notes alors qu’elle a fait de sérieux efforts pour rattraper son retard, ne la gourmandez pas mais luttez avec elle, sans vous apitoyer outre mesure si vous l’entendez gémir ou parler d’abandon.
Dans la famille ou l’église comme dans la société, devraient à se manifester tous les dons. Il y a les professeurs, les écrivains, les médecins mais aussi les techniciens, les bricoleurs, les couturières, les boulangers … Il n’y a pas de sots métiers et l’on a trop fait croire aux jeunes qu’il fallait sortir de l’université chargé de diplômes pour être un homme valable. Comme si les travailleurs manuels étaient des êtres déficients à peine capables de glisser un bulletin de vote dans l’urne municipale. Non ! Dieu n’a pas qualifié les hommes pour qu’ils se dominent ou se dénigrent. Il a distribué des dons pour le bien de l’ensemble (« pour l’utilité commune », 1 Corinthiens 12.7). Il importe donc d’être utile au prochain. C’est pourquoi, si votre fille ne peut décrocher son « bac », n’en faites pas un drame pourvu qu’elle se soit montrée sérieuse dans ses études.
Si les dons sont divers, les caractères ne le sont pas moins. Rémi est-il turbulent, horripilant au possible ?
N’allez pas lui dire :
— Regarde Martine. C’est une gentille petite, sage et obéissante. Elle au moins aime ses parents et ne leur fait pas de peine comme toi … !
Vos propos creuseraient un fossé entre vos enfants. Martine se prendrait au sérieux et se croirait autorisée à mépriser ou à juger son frère. Tout autant que Rémi elle n’est pas sans commettre le mal. Elle a donc besoin d’être corrigée dans d’autres domaines malgré son extérieur agréable. Voilà tout !
Enfin, sur le plan spirituel, même recommandation et même prudence : ne comparez pas les vôtres. Si Monique manifeste sa joie de suivre le Seigneur, ne répétez pas à Bertrand jusqu’ici insensible :
— Rebelle, vois ta sœur : elle a fait le bon choix depuis longtemps déjà. Elle est heureuse maintenant et fait plaisir au Seigneur. Quand Il reviendra pour chercher ceux qui lui appartiennent, tu resteras avec les impies pour le jugement tandis que ta sœur sera dans le ciel …
Pas de cela ! N’auréolez pas la « petite chrétienne », l’orgueil spirituel l’envahirait pour son plus grand malheur. Elle aussi, malgré sa belle expérience a besoin d’être « revue et corrigée » jour après jour. Elle aussi a ses chutes et ses égarements tout aussi lamentables, elle aussi a besoin de se courber devant Dieu. Si elle est une grâciée, elle n’est pas sans reproches, comme son frère.
Acceptez les vôtres tels qu’ils sont, avec indulgence et patience, sans prétendre vouloir les changer en quelques minutes et surtout, sans monter en épingle les dons et les qualités de l’un d’entre eux. Ne donnez pas à l’enfant réputé, modèle une « belle robe » comme le fit jadis Jacob à Joseph pour le plus grand malheur de sa famille entière (1) : vous connaîtriez les difficultés du patriarche. Accordez plutôt du temps, beaucoup de temps, à l’enfant difficile ; essayez de le rejoindre là où il se trouve pour l’amener avec patience à changer de route.
(1) voir Genèse, chap. 37.
LES PARENTS S’INTERROGENT