Biographie de Robert Murray Mac-Cheyne

VI
Derniers jours de son ministère

Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et de consommer son œuvre.

(Jean 4.34)

1.

L’été de 1842 fut pour Mac-Cheyne une époque de souffrances : outre de nombreuses attaques de sa maladie et de sévères épreuves personnelles, il eut à résister aux rudes assauts de tentations diverses. Que pourrions-nous faire de mieux ici que de le laisser lui-même nous dévoiler ses douleurs ?– « 17 juillet. Je suis exposé à de violentes tentations et n’ai aucune espérance, si ce n’est celle d’un vermisseau s’appuyant sur le bras de Jésus. » — 4 août. Souvent, bien souvent, j’aurais été heureux de déloger pour être avec Christ. Je suis maintenant beaucoup mieux dans mon corps et dans mon esprit, car je jouis de la présence de mon Bien-Aimé, dont l’absence est ma mort. » — Dans le courant du même mois : « Depuis notre dernière rencontre j’ai traversé des eaux profondes, corporellement et spirituellement. » Il était persuadé que peu d’hommes avaient autant que lui à lutter dans l’homme intérieur. Et qui racontera ces guerres cruelles ?

C’est dans ces circonstances qu’il fut invité à faire partie d’une société de ministres écossais qui devaient visiter le nord de l’Angleterre, sans autre dessein que celui d’y annoncer la bonne nouvelle. Le plan en avait été conçu par un chrétien qui a fait beaucoup pour Christ pendant sa vie. Quand la proposition parvint à Mac-Cheyne, il était au plus fort de la fournaise. Il s’en ouvrit franchement au frère qui lui avait écrit, M. Purves de Jedburg, dont la réponse fut un baume pour son âme… « Je souffre avec vous, lui écrit celui-ci, de vos infirmités actuelles, et vous savez, pour votre consolation, qu’il est encore un frère qui les sent comme vous. Dans toutes nos détresses il est en détresse. Nous pouvons dire qu’il est le cœur commun à tout son peuple, car son peuple forme un seul corps, et les souffrances du membre le plus éloigné et le plus infime sont senties et portées par Lui. Consolons-nous ; égayons-nous ; bien plus, rassasions-nous en Lui comme le font, particulièrement dans l’affliction, des frères entre eux. C’est une bénédiction de lui ressembler en tout, même par la souffrance. Il existe une grande lacune chez tous les chrétiens qui n’ont pas souffert. Parmi les fleurs il en est qui doivent être brisées et froissées avant de répandre leur parfum. Toutes les blessures de Jésus-Christ en répandent de précieux, et c’est ce que fait aussi chacune des douleurs du chrétien. Recommandez-moi à un frère froissé, à un roseau brisé, tel que le Fils de l’homme. L’Homme de douleurs n’est jamais éloigné de lui. Toutes les souffrances ont pour moi quelque chose de doux et de sacré : elles rappellent si bien l’Homme de douleurs ! » C’est ainsi que Mac-Cheyne souffrait et qu’il était consolé. Il répondit, en acceptant l’invitation et ajouta : « Souvenez-vous spécialement de moi qui suis quelquefois pesamment chargé. Mon cœur est rempli de péché, mais Jésus vit. »

Ils partirent donc pour l’Angleterre. La société se composait, outre lui, de MM. Purves, Somerville d’Anderston, Cumming de Dumbarney, et Bonar de Kelso. La principale station fut New-Castle, où M. Burns avait travaillé peu auparavant et où il avait trouvé « une ville s’adonnant entièrement à l’impiété, ville où les forteresses de Satan étaient hautes et solides, sa garnison vaillante et nombreuse, et où tous les efforts de l’homme paraissaient devoir être comme une flèche lancée contre une tour d’airain. » Mais ceux qui y allaient savaient que l’Esprit de Dieu est tout-puissant et qu’il peut arracher sa proie à celui qui est fort.

Ils prêchèrent en plein air et dans les chapelles appartenant aux presbytériens et aux méthodistes wesleyens. Les défenseurs de la cause du dimanche s’étaient surtout préparés à accueillir Mac-Cheyne, dont le traité sur le jour du Seigneur avait été abondamment répandu et béni. Beaucoup de personnes furent attirées aux prédications des ministres écossais ; d’intéressantes réunions se formèrent sur la place du marché, et il y a tout lieu de croire qu’un grand nombre d’auditeurs en reçurent des impressions sérieuses. Un frère de New-Castle a décrit le dernier discours de Mac-Cheyne comme particulièrement émouvant. C’était le soir, en plein air ; la lune brillait doucement, et les étoiles resplendissaient dans l’azur des cieux. Plus de mille auditeurs se pressaient autour de Mac-Cheyne, qui continua le service jusqu’à dix heures sans qu’aucun se fût éloigné. Il avait pris pour sujet : « Le grand trône blanc, Apocalypse 20.11 ; » en terminant, il leur dit : « qu’ils ne se verraient plus jamais jusqu’au moment où tous se rencontreraient ensemble devant le tribunal de Christ, mais que les cieux qui les couvraient, la lune qui brillait sur eux, et la vieille église près de laquelle ils étaient, témoignaient qu’il avait placé devant eux la vie et la mort. — Quelques âmes auront lieu de se réjouir de cette soirée pendant toute l’éternitéa.

a – Plus tard il développa le même sujet, avec non moins de succès, dans les prairies de Dundee. C’était également en plein air et la pluie tombait par torrents ; néanmoins une foule compacte l’écouta jusqu’à la fin.

Ses prédications à Gilsland ne furent pas non plus sans résultat, et il eut de bonnes raisons pour louer Dieu de l’avoir conduit à revenir à Dundee par le Dumfriesshire. Il rejoignit son troupeau au commencement de septembre, rempli de paix et de joie. « Je suis revenu beaucoup plus fort, je dirai même tout à fait bien. En chemin je crois avoir gagné pour mon salaire quelques âmes. Je désire vivement une plus grande mesure de grâce et de sainteté personnelle, comme aussi de devenir plus utile. »

Les couchers du soleil furent particulièrement beaux cet automne-là. A peine laissa-t-il passer un jour sans se délecter, après dîner, à admirer les splendeurs de l’Occident : parfois il profitait de l’occasion pour parler du Soleil de justice, ou de la joie des anges en sa présence, ou de la position bénie de ceux dont le soleil ne peut plus descendre à l’horizon ; et son cœur se répandait ainsi jusqu’à ce que son visage en resplendît de bonheur. Fortifié dans son corps, et avec le sentiment de la présence de Jésus dans son âme, il passa un hiver plein de douceur et de joie. Il avait conscience de son adoption, et était doux et humble de cœur précisément à cause de cette assurance pleine et entière que Jéhovah était son Dieu et son Père. Et quand, dans ses prières, il prononçait le nom de « Père Saint » ses auditeurs étaient souvent frappés de l’expression d’amour et de solennité que prenaient ces mots en passant par ses lèvres.

Le troupeau de Saint-Pierre commença pourtant à murmurer de ses absences, lorsqu’on novembre il le quitta de nouveau pendant dix jours pour aller à Londres aider M. Hamilton (pasteur de la chapelle presbytérienne d’Écosse), dans la distribution de la Cène. C’était son désir de gagner des âmes qui le poussait ainsi de lieu en lieu ; désir fortifié par une conviction croissante que Dieu l’appelait plutôt à l’évangélisation qu’au pastoral. Cette visite à Londres lui fut en grande bénédiction, et l’avancement dans la sainteté qu’il en retira fut visible. Pendant le temps qu’il passa auprès de M. Hamilton, il lut dans le culte de famille le cantique de Salomon, qu’il commenta avec une grâce et un goût poétique peu communs, mais en exprimant plus rarement qu’à l’ordinaire son amour pour la personne du Sauveur. Les affections sanctifiées de son âme et la profonde connaissance de la charité de Jésus qu’il manifesta alors paraissent avoir beaucoup touché ses amis.

Invité pendant son séjour à Londres à passer par Kelso en retournant dans sa paroisse, il répondit :

Londres, 5 novembre 1842.

      « Mon cher Horace,

Nos amis d’ici ne veulent absolument me laisser partir que vendredi matin, de telle sorte que je n’aurai que juste le temps d’atteindre Dundee avant dimanche. Je me trouve ainsi privé de la joie de vous voir et d’adresser quelques paroles à votre cher troupeau. Oh ! si mon âme pouvait être formée de nouveau ; si j’étais réellement appelé une seconde fois et rempli du Saint-Esprit pour ne plus parler que de Jésus et de son amour ! Je crains de n’être jamais dans ce monde tel que je le désire. J’ai prêché trois fois ici ; quelques larmes ont été répandues. Oh ! si Dieu daignait m’accorder une de ces semaines de Whitefield à Londres, pendant lesquelles il recevait jusqu’à mille lettres ? Le même Jésus règne, le même Esprit est toujours puissant ! Pourquoi n’agit-il pas davantage ? Est-ce notre faute ? Est-ce nous qui empêchons ces rosées célestes de descendre ? Tout à vous jusque dans la gloire.

p. s. Nous nous verrons, si Dieu le permet, à la Convocation. »

2.

Cette Convocation mémorable se réunit à Edimbourg le 17 novembre. Il s’y trouvait cinq cents ministres venus de toutes les parties de l’Écosse. Les empiétements du pouvoir civil sur les prérogatives de Christ, seul Chef reconnu par notre Église, le peu d’égards des assemblées législatives de notre pays pour toutes les remontrances de l’Église, avaient enfin amené une crise. Depuis les jours de la réformation, l’Église d’Écosse n’avait cessé de maintenir que ses relations avec l’État n’impliquaient pas l’abandon de la plus petite partie de cette indépendance avec laquelle elle devait demeurer libre de régler toute affaire spirituelle, et que permettre au pouvoir civil de la contrôler dans sa doctrine, sa discipline ou tout autre acte spirituel, serait de sa part trahir indignement son Seigneur et son Roi. Les délibérations de la Convocation durèrent pendant huit jours, on en connaît les immenses résultats : ce fut le pas décisif vers la fondation de l’Église libre d’Écosse.

Mac-Cheyne assista à toutes les séances de cette assemblée solennelle. Toutes les matières qui y furent traitées l’intéressèrent vivement ; les discussions l’éclairèrent beaucoup sur le vrai chemin du devoir, et il signa toutes les résolutions, pleinement convaincu, avec le reste de l’assemblée, que nous devions abandonner toute relation avec l’État si notre « Pétition des droits de l’Église » était repoussée. Ces huit jours furent remarquables par l’union et l’esprit de prière qui se manifestèrent. De temps en temps, les séances étaient suspendues jusqu’à ce que les frères eussent demandé conseil au Seigneur par la prière ; et aucun de ceux qui étaient présents n’oubliera jamais la solennité touchante avec laquelle Mac-Cheyne se fit une fois l’interprète de nos besoins devant le Seigneur.

Il avait pour l’Érastianismeb une horreur décidée. Un jour qu’on lui posait la question : « S’il était du devoir de l’Église de refuser l’imposition des mains à ceux qui soutenaient cette doctrine ? » il répondit de suite : « Assurément, et quelles que soient leurs autres qualifications ! » — Il était presbytérien jusqu’au fond du cœur, mais en maintenant la nécessité d’abolir le patronage laïque, parce que : « 1° On n’en trouve aucune trace dans la Parole de Dieu. 2° Cela annule le devoir d’éprouver les esprits. 3° C’est un empiétement sur la souveraineté de Christ ; on s’interpose par là entre Lui et son peuple, en disant : Je veux placer les étoiles (Apocalypse 1.20). » Mais l’indépendance absolue de l’Église dans toutes les choses spirituelles avait en lui un champion bien plus décidé encore. Il y voyait avec raison une question vitale, et un jour que, dans une réunion publique, il prévoyait qu’il y aurait une séparation dans l’Église d’Écosse, si ce droit lui était refusé, il ajouta : « 1° Que ce serait à déplorer pour plusieurs motifs ; ainsi à cause des souffrances des serviteurs fidèles de Dieu, de la dégradation de ceux qui demeureraient en arrière, de l’éloignement de l’aristocratie, de la perdition des impies et du péché de la nation. Mais : 2° Que ce serait fort à désirer pour d’autres raisons, par exemple : la souveraineté de Christ en serait mieux connue et comprise ; la vérité se répandrait dans les paroisses mortes, et les ministres fidèles en seraient purifiés. — Et lorsque le 7 mars de l’année suivante, la cause de l’Église fut définitivement plaidée devant la Chambre des Communes, il écrit : « Nuit mémorable dans le Parlement anglais. Le Roi Jésus se présente encore une fois à la barre d’un tribunal terrestre, et ils ne le reconnaissent point ! »

b – Césareo-papisme ou suprématie de l’État sur l’Église.

Un des membres du même presbytère que Mac-Cheyne nous a raconté de lui une anecdote intéressante. Les deux frères revenaient ensemble de la Convocation à Dundee, s’entretenant de ce qu’ils devraient faire si la séparation avait lieu et qu’ils fussent dispersés. M. Stewart dit savoir assez de gaélic pour pouvoir prêcher dans cette langue, et qu’il irait annoncer l’Évangile aux montagnards du Canada, s’il le fallait. — « Quant à moi, repartit Mac-Cheyne, je pense aller auprès de ces milliers de criminels transportés au delà des mers, car personne n’a souci de leur âme. »

3.

A dater de ce moment, nous ne retrouvons plus parmi ses papiers qu’un petit nombre d’écrits qui aient trait à son ministère. L’une des dernières notes de son journal est datée du 25 décembre : — Aujourd’hui j’ai imposé les mains à quatre anciens et admis un cinquième. Tous seront, j’en ai la confiance, une bénédiction pour cette ville quand je n’y serai plus. Prêché avec beaucoup de joie sur 1 Timothée 5.17 : — « Que les anciens qui président bien, etc. » — Après le sermon et la prière, je leur ai adressé les questions d’usage, puis la congrégation a chanté debout pendant que je descendais de chaire et leur imposais les mains ; enfin j’ai prié, et tandis que les anciens se tendaient la main d’association, je suis remonté en chaire pour leur expliquer, à eux et à la congrégation, la nature de leurs devoirs réciproques. Toute la cérémonie a été solennelle. »

Les dernières lignes de son journal, en date du 6 janvier 1843, font encore mention de quelques cas de réveil : « Appris qu’une âme réveillée a trouvé le repos, un vrai repos, je l’espère. Deux nouveaux cas de réveil ; l’un et l’autre aussi entiers que touchants. Au moment même où je commençais à m’abandonner au découragement, Dieu me donne des signes de sa présence. »

Ici nous le voyons parler de découragement, parce que depuis quelques mois ou quelques semaines l’œuvre de conversion semblait arrêtée. S’il eut tort d’oublier le passé si promptement et avec si peu de raison, ce trait de son ministère n’en est pas moins digne d’attention. Il avait une telle conviction que tout ministre fidèle peut être assuré de voir des âmes converties par son moyen, que lorsqu’il n’y en avait pas, il commençait à craindre que quelque péché secret n’eût irrité le Seigneur et contristé le Saint-Esprit. Et n’en doit-il pas être ainsi de chacun de nous ? Lorsque nous ne voyons pas de pécheurs aller à Jésus, ne devrions-nous pas soupçonner, ou que nous ne vivons pas près de Dieu, ou que notre message n’est pas, pour le fond aussi bien que pour la forme, la véritable expression de la bonne nouvelle ? Dieu peut, il est vrai, nous cacher bien des choses qu’il accomplit par notre moyen, mais il est certain aussi que si nous sommes fidèles, il nous montre quelques sceaux de notre ministère, afin que la conscience de notre vocation nous maintienne dans le sérieux et dans la crainte, et nous pousse à travailler avec une ardeur croissante. Ne devrait-on pas pouvoir inscrire au-dessus de la porte de tous nos bâtiments de culte et d’écoles : « Or grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Christ, et qui manifeste par nous l’odeur de sa connaissance en tous lieux ? » (2 Corinthiens 2.14)

Un de ses manuscrits de cette époque contient les lignes suivantes : « Pendant que je marchais dans les champs, je me suis senti oppressé, et presque accablé par la pensée que bientôt chacun des membres de mon troupeau serait en enfer ou au ciel. Oh ! que je désirerais avoir une voix pareille au tonnerre, afin que tous pussent l’entendre, ou que mon corps fût de fer et que je pusse les visiter un à un pour leur dire : Sauve ta vie ! Ah ! pécheurs, que vous savez peu combien je crains que vous ne m’accusiez d’être la cause de votre condamnation ! »

Jamais il n’était satisfait de ses progrès personnels dans la sanctification. En outre, il était toujours disposé à accueillir et à suivre toute suggestion propre à le rendre plus utile. A la fin de sa vie, il avait l’habitude de chanter un psaume ou un hymne chaque jour après son dîner. C’était souvent : « Le Seigneur est mon Berger, etc., » ou « Puissions-nous être devant l’Agneau, etc. ; » quelquefois l’hymne : « Que ne puis-je marcher plus près de mon Dieu, etc. ; » d’autres fois le psaume : « Oh ! qui me donnerait des ailes de colombe, etc. » — Un de ses amis, parlant de lui, disait : « Je le compare souvent au bouleau, cet arbre si gracieux, dont les branches flexibles et les feuilles d’un vert si doux, réfléchissent les rayons du soleil. La chute des feuilles est la même pour l’arbre et pour l’homme : — aujourd’hui vertes, demain disparues ; — sans se flétrir, ni sécher. »

Nous nous souvenons qu’un serviteur de Dieu d’une grande expérience disait que si la popularité est un danger auquel peu de ministres échappent, un piège bien plus subtil, encore plus dangereux, c’est d’avoir une réputation de sainteté. Il n’est que trop possible de porter jusque dans l’accomplissement des dévotions secrètes le désir anxieux de se faire un nom par sa sainteté.

[Le docteur Owen l’a dit avec une vérité et une force effrayante : « Si un pasteur veut tomber en paix dans l’abîme des ténèbres, il n’a qu’à rechercher une réputation de piété, prêcher avec zèle et travailler à rendre ses auditeurs meilleurs que lui-même, tout en négligeant de s’humilier sérieusement devant Dieu et de marcher devant lui en sainteté de vie manifeste, et il sera certain d’atteindre son but. »]

Si jamais quelqu’un a été exposé à cette tentation, ce fut Mac-Cheyne. Et cependant il est sûr que jusqu’au dernier moment il découvrit les embûches de Satan et les tendances décevantes de son propre cœur, et leur résista avec succès. Deux choses semblent l’avoir préoccupé sans cesse et par-dessus toutes les autres : la poursuite de sa sanctification et les efforts les plus ardents pour le salut des âmes.

4.

C’est à cette époque que, désireux de se rendre compte de son état spirituel, il écrivit, ensuite d’un examen de conscience, le détail de ce qui devait être amendé ou changé en lui. Nous donnons ce morceau tout entier. On ne peut qu’être frappé de la profondeur et de la parfaite droiture avec lesquelles Mac-Cheyne se juge lui-même et découvre ses déviations de la loi de Dieu. Ah ! que n’apprenons-nous tous du même Esprit à sonder ainsi nos cœurs. Ce n’est que quand nous voyons jusqu’au fond de notre misère et de notre incapacité, quand nous découvrons les mille formes de la corruption de nos cœurs, que nous nous plaçons réellement aux pieds de Jésus, comme ses disciples, et le recevons avec joie comme notre tout. Dans de pareils moments, nous pouvons dire avec saint Ignace : « Ce n’est que de ce moment que je commence à être un disciple. »

Mac-Cheyne a intitulé cet écrit « Réforme, » et le commence en ces termes :

« Il est du devoir des ministres de notre temps de commencer la réforme de la religion et des mœurs par eux-mêmes, leur famille, etc., en confessant leurs péchés passés, et en priant avec sérieux pour obtenir direction, grâce et ferme détermination contre toute espèce de mal ; Malachie 3.3 : « Il nettoiera les fils de Lévi. » — Quand les ministres sont réduits pour un temps à l’inaction, c’est probablement dans ce but. »

A. réforme personnelle.

« Je suis persuadé que je serai d’autant plus heureux dans ce monde, que j’agirai d’autant plus efficacement pour la gloire de Dieu et le bien des hommes, et que je recevrai une récompense d’autant plus riche dans l’éternité, que je saurai mieux tenir ma conscience toujours lavée dans le sang de Christ, être toujours rempli du Saint-Esprit, et travailler à ressembler à Christ, autant qu’il est possible à un pécheur racheté d’y parvenir sur cette terre.

Je suis convaincu que si jamais qui que ce soit, ou mon propre cœur, contredit ces vérités, si quelqu’un cherche à me faire croire qu’il n’est pas dans l’intérêt de mon bonheur présent et éternel, de la gloire de Dieu et de mon utilité dans le monde, de maintenir ma conscience purifiée dans le sang de Christ, d’être complètement rempli du Saint-Esprit, et pleinement conforme à l’image de Jésus en toutes choses, cette voix est la voix du démon, de l’ennemi de Dieu, de l’ennemi de mon âme et de tout bien, de la plus folle, la plus méchante et la plus misérable de toutes les créatures. Voir Proverbes 9.17 : « Les eaux dérobées sont douces. »

Pour maintenir en moi une conscience pure, je suis convaincu que je dois confesser davantage mes péchés. Je pense que je dois les confesser à l’instant même où j’en vois le mal ; que je sois en compagnie, dans mon cabinet, ou même en chaire, mon âme doit jeter un regard d’horreur sur le péché, dès qu’il se montre en moi. Si je poursuis le cours de mes devoirs sans confesser le mal, je marche avec une conscience chargée et j’ajoute péché à péché. Je pense qu’à certains moments de la journée, dans mes meilleurs moments, je dois confesser solennellement les péchés des heures précédentes et chercher à en obtenir entière rémission.

Je m’aperçois que le démon fait souvent usage de la confession d’un péché pour ranimer et renouveler le péché même que je confesse, de telle sorte que je suis effrayé de m’y arrêter. Il faut que j’interroge là-dessus des chrétiens expérimentés. Pour le moment, je pense que je dois lutter contre ce terrible abus de la confession, au moyen duquel Satan cherche à m’en détourner. Je dois employer tous les moyens possibles pour mieux connaître l’abomination de mes péchés. Je dois me regarder comme un enfant d’Adam, condamné comme participant à une nature opposée à Dieu dès le ventre de ma mère, Psaumes 51, comme ayant un cœur rempli de toute malice, qui a souillé chacune de mes pensées, de mes paroles et de mes actes, durant ma vie entière. Je dois confesser fréquemment les péchés de ma jeunesse, comme le faisaient David et Paul ; confesser les péchés qui ont précédé ma conversion et ceux qui l’ont suivie ; mes péchés commis contre la lumière et la connaissance, contre l’amour et la grâce, contre le Père, contre le Fils et contre le Saint-Esprit. Je dois les considérer à la lumière de la Loi divine, à la lumière de la face de Dieu, à la lumière de la croix et à la lumière du jugement dernier, en vue de l’enfer et de l’éternité. Je dois examiner mes rêveries, mes pensées flottantes ; mes prédilections ; ceux de mes actes qui reviennent fréquemment ; mes habitudes de pensée, de sentiment, de parole et d’action ; les calomnies de mes ennemis ; les reproches de mes amis, et même leurs railleries ; afin de découvrir clairement les traces de mon péché dominant, et de le confesser. Il faut que j’aie un jour de jeûne déterminé pour la confession de mes péchés ; une fois par mois, par exemple. Je dois prendre note d’un certain nombre de passages de l’Écriture, qui me fassent ressouvenir du péché. Je dois profiter de toutes mes afflictions corporelles, de mes épreuves domestiques, des dispensations de la Providence envers moi, envers ma maison, ma paroisse, mon église, mon pays, les regardant comme des appels de Dieu à confesser mes péchés. Les péchés et les afflictions de mon prochain doivent aussi me faire rentrer en moi-même. Le dimanche soir, surtout lorsque j’ai pris la Cène, je dois être particulièrement soigneux de confesser mes péchés dans les choses saintes. Je dois confesser les péchés de mes confessions, leurs imperfections, leurs intentions souillées, leurs tendances pharisaïques, etc., etc., et regarder à Christ comme ayant confessé mes péchés parfaitement dans son propre sacrifice.

Je dois aller à Christ pour obtenir le pardon de chaque péché. Quand je lave mon corps, je n’en néglige aucune partie, je le nettoie entièrement. Serais-je moins soigneux de mon âme ? Je dois contempler les meurtrissures qui ont brisé le corps de Jésus pour chacun de mes péchés. Je dois considérer l’angoisse inexprimable qui remplit l’âme de Jésus, comme équivalente à l’éternité de misère que méritent mes péchés, et chacun d’eux en particulier. Je dois voir dans le sang répandu par Christ une rançon infiniment supérieure à tous mes péchés. Quoique Christ n’ait pas souffert plus que ne le demandait une justice infinie, cependant il ne pouvait souffrir, si peu que ce fût, sans payer à Dieu une rançon d’un prix infini.

Lorsque j’ai péché, je sens une répugnance immédiate à aller à Christ. J’ai honte d’y aller. Il me semble que cela ne peut me faire aucun bien ; que ce serait faire de Christ un serviteur du péché, et comme aller en sortant du bourbier des pourceaux me revêtir de la plus belle robe (Luc ch. 15)… et mille autres excuses ; mais je suis convaincu qu’elles sont toutes des mensonges, venant de l’enfer seul. Jean indique une tout autre voie : « Si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père (1 Jean 2.1) ; » Jérémie 3.1 ; et il est mille autres passages qui montrent la futilité de ces prétextes. Je suis assuré qu’il n’y a pour moi ni paix ni sûreté contre des chutes toujours plus graves, autrement qu’en allant tout droit au Seigneur Jésus après le péché. C’est le chemin marqué de Dieu pour arriver au repos et à la sainteté. Pour le monde et le cœur aveuglé, c’est folie ; mais là est le chemin.

Aucun de mes péchés ne doit être tenu pour si petit qu’il n’ait besoin d’être immédiatement lavé dans le sang de Christ. Si je ne conserve pas une conscience délicate (1 Timothée 1.19) je fais naufrage quant à la foi. Je ne dois jamais croire mes péchés trop grands, trop aggravés, trop présomptueux, — non pas même ceux que j’ai commis à genoux, ou en prêchant, ou à côté d’un lit de mort, ou pendant une maladie dangereuse, — pour qu’ils doivent m’empêcher d’aller à Christ. Le poids de mes péchés devrait produire le même effet que celui d’une horloge : plus il est lourd, plus elle va vite.

Il faut non seulement que je me lave dans le sang de Christ, mais encore que je me revête de sa parfaite obéissance. Pour chaque péché d’omission, je puis trouver en Jésus, toute prête pour moi, une obéissance divinement parfaite. Pour chaque péché de commission, j’y trouverai non seulement une meurtrissure ou une blessure, mais encore le parfait accomplissement de la loi que j’ai violée, de telle sorte que par Christ cette loi est glorifiée, ses malédictions plus qu’effacées ; ses exigences plus que satisfaites.

Souvent la doctrine que Christ a fait toutes choses pour nous me paraît triviale, bien connue, n’ayant plus rien de neuf, et je suis tenté de la délaisser pour quelque autre doctrine biblique plus attrayante. Cela encore est du démon, un infernal mensonge. Christ pour nous est toujours nouveau, toujours glorieux. « Les inscrutables richesses de Christ ! » objet infini de contemplation : le seul qui convienne à notre âme coupable. Je devrais avoir un certain nombre de passages tels que Ésaïe ch. 45, Romains ch. 3, toujours prêts à conduire à Christ, sans retard, mon âme aveuglée.

Pour être rempli du Saint-Esprit, je suis persuadé que je dois étudier davantage ma faiblesse personnelle. Je dois méditer fréquemment des portions de l’Écriture telles que Romains ch. 7, Jean ch. 15, pour me convaincre que je ne suis qu’un misérable ver de terre, sans aucune force.

Je suis tenté de croire que je suis maintenant un chrétien affermi, que j’ai surmonté depuis si longtemps telle ou telle convoitise, que les dispositions chrétiennes opposées sont tellement devenues comme une seconde nature en moi, que je n’ai rien à redouter ; que je puis m’aventurer très près de la tentation, plus près que d’autres hommes. C’est encore un mensonge de Satan. Je pourrais avec tout autant de vérité parler de poudre à canon, acquérant par l’habitude le pouvoir de résister au feu, et devenant à l’épreuve des étincelles. Aussi longtemps que la poudre est humide, elle résistera effectivement aux étincelles ; sèche, elle fera explosion au premier attouchement. Aussi longtemps que l’Esprit habite mon cœur, il me fait mourir au péché, de telle façon que si la tentation se présente à moi sans que j’y sois pour rien, je puis compter sur Dieu pour me la faire surmonter. Mais quand le Saint-Esprit s’éloigne de moi, je deviens semblable à la poudre devant le feu. Oh ! que j’en aie le sentiment intime et permanent !

Je suis tenté de croire qu’il est des péchés pour lesquels je n’ai aucun goût naturel, tels que la boisson immodérée, les paroles profanes, etc., etc., et qu’ainsi je n’ai pas même à redouter de tentation à cet égard. C’est un mensonge, un mensonge rempli d’orgueil et de présomption. Les germes de tous les péchés sont dans mon cœur, et d’autant plus dangereux peut-être que je ne les y vois pas.

Je dois prier et travailler à obtenir le sentiment le plus profond qui ait jamais été donné à un pécheur, de ma faiblesse et de ma misère absolues. Je suis impuissant devant chacune des convoitises qui a été ou sera jamais dans le cœur humain. Je suis un ver, une brute, devant Dieu. Je tremble souvent en pensant combien cela est vrai. Il me semble quelquefois qu’il n’y aurait pas de sécurité pour moi à renoncer à toute idée de ma force propre ; qu’il serait dangereux pour moi de reconnaître (selon la vérité) que je n’ai absolument rien en moi qui puisse me garder des péchés les plus grossiers et les plus honteux. C’est aussi une tromperie de Satan. Mon unique sécurité est de connaître, de sentir et de confesser mon incapacité, afin de me reposer sur le bras du Tout-Puissant. Tous les jours je voudrais que le péché eût été arraché de mon cœur. Je dis : Pourquoi Dieu a-t-il laissé en moi les racines de l’impureté, de l’orgueil, de la colère, etc. Il hait le péché et je le hais aussi ; pourquoi ne m’en a-t-il pas entièrement délivré ? Je connais à ces questions bien des réponses qui satisfont mon jugement, et cependant je ne me sens pas satisfait. Cela est mauvais. Il est juste que je sois las du péché en lui-même, mais non pas que je regimbe contre le « bon combat de la foi » auquel je suis appelé… Les chutes de ceux qui professent de croire me font trembler. J’ai été quelquefois détourné de la prière et terriblement accablé, lorsque j’ai été témoin de leurs chutes ou que j’en ai entendu parler. Cela encore est mauvais. Il est juste que je tremble, et que par chaque péché des fidèles j’apprenne à mieux connaître ma propre incapacité, mais j’en devrais être conduit d’autant plus à Christ. Si j’étais plus profondément convaincu de mon entière impuissance, je crois que je serais moins alarmé à la vue des chutes des autres chrétiens. Entre les péchés, je dois examiner quels sont ceux auxquels je suis le plus incapable de. résister ; où la passion devient semblable à un tourbillon et moi à un brin de paille. Aucune figure ne saurait donner l’idée de mon manque absolu de force pour résister au torrent du péché. Je dois méditer davantage sur la toute-puissance de Christ. (Hébreux 7.25.) C’est pourquoi aussi il peut sauver pour toujours ceux qui s’approchent de Dieu par lui, étant toujours vivant pour intercéder pour eux. (1 Thessaloniciens 5.23) Or le Dieu de paix vous veuille sanctifier entièrement et faire que votre esprit entier, et l’âme et le corps, soient conservés sans reproche en la venue de notre Seigneur Jésus-Christ.(Romains 6.14) Car le péché n’aura point d’empire sur vous, parce que vous n’êtes pas sous la loi, mais sous la grâce. (Romains 5.9-10) Beaucoup plutôt donc, étant justifiés par son sang, serons-nous sauvés de la colère par lui. Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, beaucoup plutôt étant déjà réconciliés serons-nous sauvés par sa vie. Il faudrait que ces passages fussent constamment devant mes yeux… L’écharde de Paul (2 Corinthiens ch. 12) a été l’expérience de la majeure partie de mon existence. Je devrais m’en souvenir continuellement. Il y a pour chercher à se délivrer du péché beaucoup de moyens auxiliaires qui ne devraient pas être négligés : ainsi le mariage (1 Corinthiens 7.2), la fuite (1 Timothée 6.11 ; 1 Corinthiens 6.18), la vigilance et la prière (Matthieu 26.41), la Parole Il est écrit, il est écrit. C’est ainsi que Christ s’est défendu (Matthieu ch. 4)… Mais le grand moyen est de me jeter entre les bras de Christ, comme un enfant sans force, et de le supplier de me remplir du Saint-Esprit : La victoire qui surmonte le monde, c’est notre foi. (1 Jean 5.4-5) O l’admirable parole !

Je dois étudier davantage Christ comme un Sauveur vivant, — comme un Berger qui porte ses agneaux dans ses bras (Ésaïe 40.11), comme un Roi qui règne sur les âmes qu’il a rachetées, et en elles, comme un guerrier qui combat ceux qui me combattent, Psaumes 35, comme celui qui s’est engagé à me faire surmonter toutes les tentations et toutes les épreuves, quelque impossible que cela soit à la chair et au sang.

Je suis fréquemment tenté de dire : Comment cet homme peut-il nous sauver ? Comment Christ dans les cieux peut-il me délivrer des convoitises que je sens se déchaîner on moi avec violence, des filets par lesquels je me sens enserré ? — Là encore est le père du mensonge. Il peut sauver parfaitement. (Hébreux 7.25)

Il faut que je contemple Christ comme intercesseur. Il pria davantage pour Pierre, qui devait être plus rudement tenté. Je suis sur son pectoral. Si j’entendais Jésus priant pour moi dans la chambre voisine, je ne craindrais pas un million d’ennemis. Et cependant la distance ne fait aucune différence. Il prie pour moi.

Je dois chercher à mieux connaître le Consolateur, sa divinité, son amour, sa toute-puissance. J’ai fait l’expérience que rien ne me sanctifie comme de méditer sur le Consolateur d’après Jean 14.16. Et pourtant combien je le fais rarement ! Satan m’en détourne. Je suis fréquemment comme ces hommes qui disaient : Nous n’avions pas même ouï dire qu’il y eût un Saint-Esprit (Actes 19.2). »

Je ne dois jamais oublier que mon corps est le temple de Dieu. Cette pensée seule devrait me faire trembler. 1 Corinthiens ch. 6… Je ne dois jamais oublier que le péché contriste le Saint-Esprit, l’afflige et l’éteint. Si je veux être rempli de l’Esprit, je sens que je dois lire la Bible davantage, prier davantage, veiller davantage.

Pour arriver à une entière ressemblance avec Christ, je dois chercher à en sentir l’immense bonheur. Je suis convaincu que le bonheur de Dieu est inséparablement lié à sa sainteté. La sainteté et le bonheur sont comme la lumière et la chaleur. Dieu ne connut jamais aucun des plaisirs du péché.

Christ avait un corps pareil au mien, et cependant il n’a jamais goûté les plaisirs du péché : les rachetés n’en goûteront aucun durant toute l’éternité, et cependant leur bonheur sera complet. Le mien serait au comble, si je pouvais dès ce moment leur ressembler entièrement. Chaque péché emporte une partie de ma joie la plus excellente. Le diable essaie nuit et jour de me le faire oublier ou de m’en faire douter. Il me dit : Pourquoi ne jouirais-tu pas de ce plaisir aussi bien que David et Salomon ? Tu n’en arriverais pas moins au ciel aussi bien qu’eux. Je suis certain que c’est un mensonge, et que mon vrai bonheur serait de ne plus pécher.

Je ne dois jamais différer de rompre avec le péché. C’est toujours le temps de Dieu. Je me suis hâté, et n’ai point différé (Psaumes 119.60). Je ne dois pas épargner mes péchés par le fait que je ne les ai regardés longtemps que comme des infirmités, et parce que d’autres me considéreront comme insensé de tout vouloir changer à la fois. Quelle misérable tromperie de Satan !

Dès que je vois du péché en moi à quelque égard que ce soit, mon âme doit se soulever tout entière contre lui, usant de tous les moyens scripturaires de le mortifier, comme la lecture de la Parole, des prières spéciales pour obtenir l’Esprit, le jeûne, la vigilance.

Je dois noter avec soin les occasions où je suis tombé, afin de les éviter autant que le péché lui-même.

Satan me pousse fréquemment à m’approcher de la tentation autant que je le peux sans commettre de péché. C’est effrayant ; c’est tenter Dieu et contrister l’Esprit saint. C’est une ruse infernalement profonde de Satan.

Il faut que je fuie toutes les tentations, selon ce qui est recommandé, Proverb.4.15 : Détourne-t-en, ne passe point par là ; éloigne-t-en et passe outre.… Je dois constamment répandre tout mon cœur devant Dieu, priant pour obtenir une ressemblance avec Christ, pour que la Loi tout entière soit gravée dans mon cœur… Je dois donner mon cœur à Dieu avec énergie et sérieux, remettre mon tout entre ses bras éternels, conformément à la prière du Psaume 31 : Je remets mon esprit en ta main, le suppliant de ne pas permettre qu’aucune iniquité, connue ou secrète, domine sur moi, et de me remplir, dans tous les temps, jusqu’à la mort, de chacune des grâces qui sont en Christ, en me les accordant au degré le plus élevé qu’il soit possible à un pécheur racheté de les obtenir.

Je dois souvent méditer sur le ciel, comme sur un séjour de sainteté, dont tous les habitants sont saints, où la joie est une sainte joie, l’œuvre un saint travail, de telle sorte que sans sainteté personnelle je ne pourrais jamais y participer… Je dois éviter jusqu’à l’apparence du mal. Dieu me le recommande, et je trouve d’ailleurs que Satan a une habileté singulière à conduire au péché par ce qui n’en a que l’apparence.

Je m’aperçois que parler de certains péchés souille mon âme et m’induit en tentation ; et je vois que Dieu défend aux saints, Éphésiens 5.12 : « même de dire les choses qui se font en secret. » Il faut que j’évite cela.

 » Eve, Hacan, David sont tous tombés par la convoitise des yeux. Je dois faire accord avec les miens, et dire sans cesse, Psaumes 119.37 : — Détourne mes yeux, afin qu’ils ne regardent pas à la vanité. Satan rend les inconvertis sourds à la voix de l’Évangile. Il faut que je demande d’être rendu par le Saint-Esprit sourd à tout ce qui pourrait me tenter au péché.

Voici l’une des occasions les plus fréquentes pour moi d’être amené en tentation : — Je me dis qu’il est de mon devoir, comme pasteur, d’écouter ceci, de regarder cela, de parler de telle chose. Jusque-là c’est bien ; et pourtant je suis sûr que Satan a sa part dans ce raisonnement. Il faut que je demande à Dieu de me montrer jusqu’à quel point cela peut être bon pour mon ministère ; et quand cela devient nuisible à mon âme, afin que je me tienne sur mes gardes.

Je suis persuadé que rien ne prospère en mon âme, à moins qu’il n’y ait croissance ; 2 Pierre 3.18 : Croissez dans la grâce. Luc 17.5 : Augmente-nous la foi. Philippiens 3.14 : Oubliant les choses qui sont derrière nous, et tendant avec effort… Je suis convaincu que je dois demander à Dieu et aux hommes de quelle grâce chrétienne je manque, et comment je pourrais devenir plus semblable à Christ. Je dois lutter pour obtenir plus de pureté, plus d’humilité, plus de douceur, plus de patience dans l’affliction, plus d’amour. Rends-moi pareil à Christ en toutes choses ! Telle devrait être ma prière continuelle. Remplis-moi du Saint-Esprit ! »

5.

B. réforme dans la prière secrète.

« Je ne dois jamais omettre aucune partie de la prière : ni la confession, ni l’adoration, ni l’action de grâces, ni la requête, ni l’intercession.

Je trouve en moi une tendance effrayante à omettre la confession ; cela vient de l’imperfection de ma connaissance de Dieu et de sa loi, de la légèreté avec laquelle je considère mon cœur et mes péchés passés. Il faut y résister. Je vois aussi que je suis toujours porté à omettre l’adoration ; quand j’oublie à qui je m’adresse, que je me précipite étourdiment en présence de Jéhovah, sans me souvenir de son nom et de son caractère auguste, lorsque j’ai peu de souci de sa gloire et peu d’admiration pour ses merveilles. — Où sont les sages ? — Mon cœur est aussi fort enclin à omettre l’action de grâces. Et pourtant elle est spécialement recommandée (Philippiens 4.6). Souvent, lorsque mon cœur est égoïste, indifférent au salut d’autrui, je néglige l’intercession. Et cependant elle est tout à fait selon l’esprit du Grand Avocat qui porte Israël continuellement sur son cœur.

Peut-être n’est-il pas nécessaire que chaque prière contienne tout cela, mais il est certain que aucun jour ne doit s’écouler sans qu’un moment ait été consacré à chacune de ces parties du culte privé.

Je dois prier avant d’avoir vu qui que ce soit. Souvent, lorsque je me réveille tard, ou que je reçois quelqu’un de bonne heure, vient le culte de famille, puis le déjeuner, les visites du matin, et onze heures ou midi arrivent sans que j’aie encore pu commencer mes dévotions secrètes. C’est un système misérable et antiscripturaire. Christ se levait avant jour et se retirait dans un lieu désert. David dit (Psaumes 68.1 ; 5.3) : Je te cherche dès le point du jour ; au matin tu entendras ma voix. Marie-Madeleine vint au sépulcre tandis qu’il faisait encore obscur. Sans dévotions secrètes, les prières de famille perdent beaucoup de leur puissance et de leur douceur, et je ne puis faire aucun bien à ceux qui viennent à moi. La conscience se sent coupable, l’âme est affamée et la lampe sans huile. Puis lorsque vient le moment de la prière secrète, souvent l’âme n’y est plus disposée. Je sens qu’il vaut beaucoup mieux commencer toujours la journée avec Dieu, voir sa face tout premièrement, m’approcher de lui, avant de m’approcher d’aucun autre. Lorsque je suis réveillé, je suis encore avec toi.

Quand j’ai dormi trop longtemps, ou que je dois partir de bonne heure pour un voyage, et que mon temps est abrégé d’une manière ou d’une autre, il vaut mieux que je m’habille à la hâte pour passer quelques minutes seul avec Dieu, que de prendre mon parti de ne pas prier.

Mais, en général, il vaut mieux passer au moins une heure seul avec Dieu avant d’entreprendre quoi que ce soit d’autre. En même temps, je dois prendre garde de ne point calculer ma communion avec Dieu par heures et par minutes, ou par le temps passé dans la solitude. Il m’est arrivé de lire ma Bible attentivement, et d’être pendant des heures à genoux, avec peu ou point de communion avec Dieu ; et mes moments de solitude ont été fréquemment ceux de mes plus grandes tentations.

Quant à l’intercession, je dois prier chaque jour en faveur de ma famille, de mes connaissances, de mes parents et de mes amis ; et aussi en faveur de mon troupeau : des croyants, des réveillés, des insouciants ; des malades et des malheureux ; des pauvres et des riches ; des anciens, des instituteurs des écoles du dimanche ; des enfants, des distributeurs de traités : — afin que tous les moyens de faire du bien soient bénis, la prédication et l’enseignement du dimanche, les visites aux malades, celles qu’on fait de maison en maison, les jours de communion, les dispensations de la Providence de Dieu. Chaque jour je dois intercéder brièvement pour toute notre ville, pour l’Église d’Écosse, pour tous les ministres fidèles, pour les congrégations privées de pasteur, pour les étudiants en théologie, etc. ; je dois prier pour de chers frères par leur nom ; pour les missionnaires auprès des Juifs et des païens, et je dois pour cela lire régulièrement les nouvelles des missions et me tenir au courant de ce qui se passe dans tout le monde. Avoir la carte devant moi m’aiguillonnerait dans la prière. Il faut que je suive un ordre dans mes prières, et que j’inscrive sur la carte les noms des missionnaires. Je dois embrasser tous ces sujets dans mes intercessions le matin et le soir du samedi, de sept à huit heures. Peut-être devrais-je les diviser en différentes parties pour les divers jours de la semaine, mais sans jamais oublier de plaider chaque jour en faveur de ma famille et de mon troupeau. Je dois prier pour toutes choses (Philippiens ch. 4). — Ne vous inquiétez de rien, mais en toutes choses… faites connaître vos demandes à Dieu par des prières et des supplications… Souvent après avoir reçu une lettre où l’on me demandait une prédication, ou quelque autre chose, je me surprends y répondant avant d’avoir demandé au Seigneur de me diriger. Plus souvent encore quelqu’un me visite et me demande quelque chose, sans que je cherche immédiatement la direction du Seigneur. Ou bien je vais à la hâte faire une visite à un malade, en négligeant de demander cette bénédiction qui peut seule amener quelque résultat utile. Je suis persuadé que je ne dois jamais rien entreprendre sans prier, et, si possible, sans prière secrète et spéciale.

En lisant l’histoire de l’Église d’Écosse, je vois combien ses souffrances et ses épreuves sont provenues de son zèle pour le salut des âmes et pour la gloire de Christ. Je dois prier beaucoup plus pour notre Église, mentionnant nos principaux ministres par leur nom ; prier davantage encore pour être moi-même bien conduit dans le vrai chemin, et enseigné à suivre Christ sans me détourner ni à droite, ni à gauche. Bien des questions difficiles pourraient surgir auxquelles je ne suis point entièrement préparé. Dans les moments de calme, je dois prier beaucoup plus, afin d’être conduit droitement lorsque viendront les jours d’épreuve.

Je dois passer les meilleures heures de la journée en communion avec Dieu. C’est mon occupation la plus noble et la plus fructueuse, et elle ne doit pas être reléguée dans quelque coin. Le matin, de six heures à huit, est le temps où les interruptions sont le moins à craindre, et doit y être consacré si je puis éviter l’assoupissement. Après déjeuner, je pourrais encore consacrer un instant à l’intercession. C’est après le goûter qu’est ma meilleure heure, et je dois, autant que possible, la dédier solennellement à Dieu.

 » Je ne dois pas abandonner la bonne vieille habitude de prier avant de me coucher, mais il faut que je me tienne en garde contre le sommeil. Le meilleur remède serait de bien réfléchir à ce que je dois demander. Lorsque je me réveille pendant la nuit, je devrais me lever et prier, ainsi que le faisaient David et John Welsh.

Je dois lire chaque jour au moins trois chapitres de la Bible en particulier.

Le dimanche matin je dois parcourir tous les chapitres lus dans la semaine et surtout les passages marqués. Je dois avoir une suite de lectures régulières dans trois endroits différents des Écritures et en lire en même temps les parties qui se rapportent à l’expérience du jour, etc. »

Il est évident qu’il n’a pas terminé cet écrit ; maintenant il connaît comme il a été connu.

6.

Vers la fin de son ministère, il devint particulièrement soigneux d’éviter tout ce qui pouvait favoriser les tendances de son troupeau à faire de leur pasteur une idole, car beaucoup l’aimaient et le révéraient sans donner aucune preuve d’amour pour Christ. Cela lui était souvent très pénible. Il est bon, à la vérité, qu’un troupeau soit pénétré d’affection pour son pasteur, 2 Corinthiens 9.14 ; mais de là à l’abus il n’y a qu’un pas. Aussi disait-il souvent : « Les ministres ne sont que des poteaux ; c’est au serpent d’airain qu’il faut regarder. »

L’état de sa santé ne lui permettait plus de travailler à son œuvre, en allant de maison en maison ; mais il pouvait vaquer encore à la prédication et à l’évangélisation, bien moins pénible en général. Quelques parties de ses fonctions pastorales souffraient nécessairement de cet état de choses ; aussi lorsque le Conseil lui offrit un aide, l’accepta-t-il avec empressement. M. Gatherer, choisi en cette qualité, l’aida fidèlement pendant les derniers jours de son ministère et jusqu’à la fin.

Au commencement de l’année 1843, il publia son « Pain quotidien. » C’est un plan de lecture de la Bible arrangé de telle manière qu’on puisse la lire en entier dans le cours d’une année. Il cherchait constamment à amener son troupeau à méditer beaucoup la Parole écrite, sans en négliger aucune partie. Sa dernière publication a pour titre : — « Encore un lis recueilli. » C’est la vie de James Laing, petit garçon de son troupeau amené de bonne heure à Christ, et qui entra bientôt après dans la gloire.

Il visita Collace au milieu de janvier 1843, et y prêcha sur 1 Corinthiens 9.27 : « Un réprouvé. » Ce sermon fut tellement saisissant, qu’un des auditeurs ne put s’empêcher de le comparer aux sons d’une des trompettes qui réveilleront les morts. Le jour suivant il se rendit à Lintrathen, où le troupeau en masse quitta son travail au milieu du jour pour l’entendre prêcher. Pendant tout ce mois il soupira ardemment après la gloire céleste. Ses lettres contiennent fréquemment des expressions comme celles-ci : « Je dis souvent au Seigneur : Rends-moi aussi saint que le peut être un pécheur pardonné ! Souvent, bien souvent je désirerais de déloger pour être avec Christ, de monter au sommet du Pisgah, de jeter de là un dernier regard sur l’Église d’ici-bas, puis de rendre mon corps à la poudre pour être avec le Seigneur. Ah ! ce serait beaucoup meilleur. Je ne m’attends pas à vivre longtemps. Un jour ou l’autre, bientôt peut-être, je puis être appelé subitement, et c’est pourquoi je parle avec hardiesse ! » Du reste il était depuis longtemps persuadé que sa carrière serait courte. Ses auditeurs habituels se souviennent avec quelle fréquence revenaient des pensées pareilles à celles qui servent de conclusion à l’un de ses discours : — « Des changements se préparent ; tous ces yeux maintenant fixés sur moi seront bientôt obscurcis par la mort. Un autre berger paîtra ce troupeau, un autre chantre conduira le chant, un autre troupeau remplira cette enceinte. »

Dans le commencement de février, le Comité de convocation l’envoya visiter, conjointement avec M. Alexandre de Kirkaldy, les districts de Deer et d’Ellon, dont l’état le faisait gémir, car depuis des générations le modératisme y dominait sans contestation. Ce fut sa dernière course d’évangélisation ; exemple vivant d’une de ses propres observations : « L’huile des lampes du temple, disait-il, se consume en donnant de la lumière, et c’est ce que nous devrions faire aussi. »

« Il se mit en route, dit l’un de ses amis qui le vit au moment où il quittait la ville, aussi heureux et serein que l’était le ciel dans cette splendide matinée. » Pendant trois semaines il prêcha, ou parla dans des réunions, en vingt-quatre lieux différents, et souvent plus d’une fois dans le même lieu. L’impression fut grande dans tout le district. Une personne qui visita ces contrées un mois après la mort de Mac-Cheyne, assurait que la sympathie pour les épreuves de notre Église s’y était éveillée en bien des endroits, et, ce qui vaut beaucoup mieux, qu’une grande soif de la pure Parole de Dieu avait été excitée. La sainteté si éminente de la vie et de la conversation de Mac-Cheyne, relevée encore par la solennité de sa prédication, émurent profondément un grand nombre de personnes. On aimait à parler de lui. Dans une petite ville où il avait annoncé une réunion, un grand concours de peuple s’assembla, résolu de le chasser à coups de pierre dès qu’il aurait commencé de parler. Mais il n’eut pas plus tôt ouvert la bouche, que son maintien, son regard, ses paroles les clouèrent tous à leur place, et qu’ils l’écoutèrent jusqu’au bout avec un sérieux intense. Avant son départ, ces mêmes gens qui avaient voulu le lapider, l’entourèrent pour le supplier de prolonger son séjour au milieu d’eux, et de leur prêcher encore. Un homme qui lui avait jeté de la boue fondit en larmes plus tard en apprenant sa mort. Le 14 février, il écrivit à M. Gatherer : « J’ai eu une excellente occasion de prêcher à Aberdeen, et à Peterhead notre réunion a eu un succès réel. J’ai trouvé dans le ministre de Saint-Fergus l’homme que vous m’aviez dépeint. Nous avons présidé une réunion solennelle dans son église. A Strichen nous nous sommes réunis dans la chapelle des indépendants. Vendredi soir nous avons eu deux réunions délicieuses, l’une dans un moulin de Crichie, l’autre dans l’église de Clola. Les auditeurs étaient visiblement impressionnés ; quelques-uns pleuraient. Le samedi soir, nous nous réunîmes dans une grange de Brucklay. Dimanche je prêchai le matin à New-Deer, et l’après-midi à Fraserburgh, deux assemblées intéressantes. Le soir nouvelle réunion dans l’église de Pitsligo. Nous espérons être demain à Aberdour, puis nous quitterons ce presbytère pour celui d’Ellon. Le temps a été délicieux jusqu’ici. Aujourd’hui la neige commence à tomber. Mais Dieu est avec nous, et il nous conduira jusqu’à la fin. Je suis tout à fait bien, quoique un peu fatigué parfois. » — Le 24 du même mois il écrit à un ami : « Ce jour est le premier où nous nous reposons depuis que nous avons quitté la maison, aussi suis-je presque accablé par la fatigue. Ne soyez pas oisif ; cherchez à augmenter toutes les connaissances utiles que vous avez acquises. Vous savez combien je suis ennemi de la paresse. »

Jamais on ne sentit plus vivement que dans ce voyage combien Dieu était avec lui. Le Seigneur semblait vraiment montrer en lui le sens du passage : Jean 7.38 : « De son ventre couleront des fleuves d’eaux vives. » Même quand il gardait le silence, son intime communion avec Dieu faisait impression sur ses entours. Le cachet constant de sainteté dont sa vie était empreinte fut un appel à la conscience de bien des personnes.

7.

De retour au milieu de son bien-aimé troupeau, le 1er mars, en bonne santé, mais extrêmement fatigué, il raconta le lendemain soir, à la réunion de prières habituelle, les choses qu’il avait vues et entendues dans son voyage. Pendant les douze jours suivants il fit beaucoup de visites aux membres de son troupeau, utilisant, selon son habitude, les plus petits moments. Cependant les fatigues incessantes de son voyage l’avaient beaucoup affaibli, et le laissaient d’autant plus exposé aux atteintes de la fièvre typhoïde, qui ravageait alors sa paroisse, que l’état de sa santé ne l’empêcha pas de visiter la plupart de ceux qui en étaient malades.

Le dimanche 5 mars il prêcha trois fois. Deux jours plus tard il écrit à son père : « Toutes mes affaires domestiques marchent comme un paisible courant d’eau, et, je l’espère, non sans en avoir les influences fertilisantes. Rien n’est profitable comme l’autel domestique lorsqu’on y cherche sa provision journalière de nourriture spirituelle. » Jusqu’au dernier moment nous voyons croître son âme. Son culte de famille ne cesse d’être plein de vie et de joie jusqu’à la fin. L’accent même avec lequel il lisait la Parole aurait pu rappeler un homme cherchant de l’or dans le sable, et montrant avec joie tous les lingots qu’il trouve.

Le dimanche, 12 mars, il prêcha le matin sur Hébreux 9.15, et l’après-midi sur Romains 9.22-23, avec plus de solennité encore qu’à l’ordinaire. La souveraineté de Dieu semblait le préoccuper surtout à cette époque, car ce jour-là et dans des occasions précédentes il y revint fréquemment et avec beaucoup de chaleur. Ce furent ses dernières prédications dans l’église de Saint-Pierre. Le soir il descendit à Broughty-Ferry, où il prêcha sur Ésaïe 60.1 : « Lève-toi, sois illuminée, car ta lumière est venue et la gloire de l’Éternel s’est levée sur toi. » Dès le commencement de son ministère à Dundee, Dieu lui avait donné des âmes pour son salaire, et il paraît que ce discours, le dernier qu’il devait adresser en public à des pécheurs, fut encore béni pour le salut de quelques âmes ; moins cependant, semble-t-il, par la sagesse des paroles que par la sainteté dont il portait l’empreinte. Quelques jours plus tard il lui fut adressé un billet qui parvint pendant sa maladie, et qu’on retrouva après sa mort encore cacheté. Voici quel en était le contenu : « J’espère que vous voudrez bien pardonner à un étranger la liberté qu’il prend de vous adresser ces lignes. Je vous ai entendu prêcher dimanche soir, et il a plu à Dieu de bénir votre discours pour mon âme. Je fus frappé, non pas tant de vos paroles que de votre manière de les prononcer. Je trouvai en vous un parfum de sainteté que je n’avais jamais remarqué chez personne. Une des expressions de votre prière me saisit puissamment. C’était : Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que nous t’aimons. Ah ! Monsieur, que ne donnerais-je pas pour pouvoir dire aussi à mon Sauveur : « Tu sais que je t’aime ! »

Le lendemain soir il y eut dans le temple de Saint-Pierre une réunion pour organiser avec son troupeau la collecte en faveur de l’Église libre ; — car la séparation était désormais inévitable.

[Mac-Cheyne ne vit pas la fondation de l’Église libre, mais toute sa vie et les sympathies qu’il exprima è plusieurs reprises ne laissent aucun doute sur le parti qu’il aurait pris dans cette question s’il avait vécu quelques mois encore. Mous renvoyons ceux de nos lecteurs que cela pourra intéresser à l’ouvrage déjà mentionné de Merle d’Aubigné : Trois siècles de lutte en Écosse. (Trad).]

Il parla avec beaucoup de ferveur ; mais à l’issue de la réunion les frissons le saisirent. Le lendemain matin il se sentit malade ; néanmoins il sortit encore l’après-midi pour bénir le mariage de deux membres de son troupeau. Il paraît toutefois qu’il prévit déjà une maladie sérieuse, car en revenant chez lui il passa chez son médecin pour lui dire de ne pas tarder à venir le voir, et prit divers arrangements relatifs à son œuvre pastorale. Il pensait avoir été atteint par la contagion de la fièvre régnante ; ce n’était que trop vrai. Ce soir-là il se coucha sur ce lit qu’il ne devait plus quitter vivant. Il parla peu, mais laissa entrevoir qu’il ne se faisait aucune illusion sur son danger.

Le mercredi il dit qu’il avait cru ne jamais voir le matin, tellement il se sentait brisé de cette nuit sans sommeil. Puis il ajouta aussitôt : « Quoi, nous recevrions de Dieu les biens, et nous n’en recevrions pas les maux (Job 2.10) ? » Il paraissait fort abattu dans son âme, et répétait fréquemment des passages tels que ceux-ci : « Ma vigueur s’est changée en une sécheresse d’été ; Quand je me suis tu, mes os se sont consumés ; et aussi quand je n’ai fait que rugir tout le jour (Psaumes 32.3-4). » Ce ne fut qu’avec difficulté qu’il parvint à échanger quelques paroles avec son aide, M. Gatherer. Dans l’après-midi M. Miller de Wallacetown le trouva souffrant de violentes douleurs à la tête. Dans le cours de la conversation, ils en vinrent à parler du Psaume 126. Arrivés au verset 6, Mac-Cheyne dit à M. Miller qu’il voulait lui en indiquer une division. « 1. Qu’est-ce qui est semé ? Une semence précieuse. — 2. La manière de la semer, « va ton chemin en pleurant. » Il appuya sur le mot « pleurant, » et ajouta : « Les ministres devraient aller leur chemin en tout temps. » — 3. Le fruit, « reviendra certainement avec chant de triomphe. » M. Miller insista sur la certitude de la moisson ; à quoi Mac-Cheyne répondit : « Oui, sans aucun doute. » Après avoir prié avec lui, M. Miller lui répéta Matthieu 11.28 : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. » Le malade joignit les mains avec une grande ferveur. Son état empirant, le médecin interdit les visites. Une ou deux fois il demanda à me voir, et on l’entendit murmurer le mot de « Smyrne, » comme si sa fièvre actuelle lui rappelait sa maladie passée. A ce moment pas la moindre rumeur n’était encore venue m’apprendre le danger qu’il courait.

Il continua, le jour suivant, à être de plus en plus abattu de corps et d’esprit, jusqu’à l’heure à peu près où son troupeau s’assemblait pour la réunion de prières du soir. Il demanda alors d’être laissé seul pendant une demi-heure, et, lorsque son domestique rentra dans la chambre, il s’écria joyeusement : « Mon âme s’est échappée comme un oiseau des rets de l’oiseleur ; le filet est rompu et je suis délivré. » Pendant qu’il prononçait ces mots sa physionomie respirait la paix. A partir de ce moment il fut constamment heureux. Plus tard dans la soirée, lorsqu’il prit un léger repas, il rendit grâces de ce qu’il lui avait été donné de la force dans les moments de faiblesse, de la lumière dans les temps d’obscurité, de la joie à l’heure de la douleur, « de la consolation dans toute notre tribulation, afin que par la consolation dont il était lui-même consolé de Dieu il pût consoler ceux qui sont en quelque tribulation que ce soit. 2 Corinthiens 1.4 »

Le dimanche un ami lui exprimait son regret de le voir hors d’état de prêcher comme à l’ordinaire, il répondit : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos voies, dit le Seigneur ; » puis, après une pause, il ajouta : « Je prêche le sermon que Dieu voulait que je prêchasse. »

Le mardi, sa sœur lui lut plusieurs hymnes. Les derniers mots qu’il entendit ; les derniers du moins qu’il parût comprendre, étaient ceux de l’hymne de Cowper : « Quelquefois la lumière surprend le chrétien chantant. » C’est alors que commença le délire.

Un jour il se tourna vers son garde-malade et lui dit : « Prenez garde à ce passage : Soyez fermes, inébranlables, vous appliquant toujours de plus en plus à l’œuvre du Seigneur 1 Corinthiens 15.58 ; » puis il appuya avec beaucoup d’animation sur la fin du verset : — « sachant que votre travail ne vous sera pas inutile auprès du Seigneur. » Une autre fois il se crut au milieu de ses frères, dans le ministère, car il s’écria : — « Je n’ai pas grande idée du gouvernement des cours ecclésiastiques ; non, je le hais ; mais je vous dirai ce que j’aime, la fidélité envers Dieu et une vie sainte. » Sa voix, faible jusqu’alors, redevint très forte et on l’entendit souvent parler à son troupeau ou prier pour lui. — « Réveillez-vous tandis qu’il en est temps, sinon vous vous réveillerez, à votre éternelle confusion, dans des tourments qui ne cesseront point. Bientôt peut-être vous me perdrez, mais cela ne sauvera pas vos âmes. » Puis il s’écriait : « Cette paroisse, ô Seigneur, ce peuple, cette ville entière ! » Et ensuite comme s’il priait pour les saints : « Fais-le toi-même, Seigneur, pour ton faible serviteur. Père saint, garde, pour l’amour de ton nom, tous ceux que tu m’as donnés ! »

C’est ainsi qu’il continua d’être en délire jusqu’au samedi matin, 25 mars, priant ou prêchant presque continuellement, et paraissant très heureux. Ce matin-là, son médecin le docteur Gibson étant présent, il se leva tout à coup sur son séant, étendit ses mains comme s’il voulait donner la bénédiction, et retomba, sans gémissement, ni soupir, mais avec un léger tressaillement des lèvres… Son âme était entrée dans son repos.

8.

Comme Mac-Cheyne était assez fréquemment malade, ce ne fut que bien peu de jours avant sa mort que l’on commença généralement à concevoir des craintes sérieuses sur son état ; aussi la catastrophe nous surprit-elle comme un coup de foudre. La nouvelle m’en parvint dans l’après-midi, tandis que je me préparais aux prédications du lendemain. Je me hâtai de descendre à Dundee, poussé par un sentiment irrésistible et sachant à peine pourquoi j’y allais. La plus grande partie du troupeau s’était rassemblée spontanément dans l’Église ; et j’y fus témoin de scènes de désolation telles que l’Écosse n’en a pas vu beaucoup de pareilles. C’était comme le deuil qu’on menait pour le roi Josias. Il y avait là des centaines de personnes ; une foule se pressait dans la partie inférieure du temple, et chacun était incapable de contenir la violence de son chagrin. Tous les cœurs semblaient déborder de douleur ; aussi entendait-on de bien loin les gémissements et les pleurs. Le Seigneur venait de frapper rudement ce troupeau qu’il avait si hautement favorisé, et en cette journée il gravait profondément dans leurs âmes toutes les choses que ce fidèle serviteur avait dites dans les jours de son beau ministère.

Partout où arrivait la nouvelle de ce départ, une profonde tristesse se répandait dans les cœurs. Jamais peut-être la mort d’un homme dont l’unique occupation fut de prêcher l’Évangile, n’a été plus vivement sentie par les enfants de Dieu en Écosse. Beaucoup de nos frères presbytériens d’Irlande en furent également frappés au cœur. Lui-même il disait souvent : « Vivez de manière à être regretté ! » et aucun de ceux qui ont vu les pleurs répandus sur cette tombe ouverte, ne peut douter qu’il n’ait le premier appliqué cette maxime à sa vie. Il n’avait pas plus de vingt-neuf ans quand Dieu le prit à lui.

Le jour des funérailles toutes les affaires furent suspendues dans la paroisse. Les fenêtres et les rues, depuis la maison de deuil au cimetière, étaient encombrées de ceux qui sentaient qu’un prince en Israël venait de tomber, et plus d’un cœur endurci fut saisi d’une secrète alarme en contemplant ce spectacle solennel.

On peut voir la tombe de Mac-Cheyne près de l’angle nord-ouest du cimetière de Saint-Pierre. Il s’en est allé « aux montagnes de myrrhe et aux jardins d’encens, jusqu’à ce que le vent du jour souffle et que les ombres s’enfuient. » Son œuvre était achevée. Son Père céleste n’avait plus pour lui ni plante à arroser, ni vigne à cultiver ; et son Sauveur qui avait pour lui un si grand amour l’attendait pour lui dire : « C’est bien, bon et fidèle serviteur ; entre dans la joie de ton Seigneur. »

9.

Que nous crie cette voix ? Le coup qui nous a frappés est-il un châtiment ou un appel d’amour ? « Sa voix est par la mer, et ses sentiers dans les grandes eaux, et néanmoins ses traces n’ont point été connues (Psaumes 77.19). » Il est une chose toutefois que nous pouvons voir clairement : c’est que rien n’était plus propre que cette mort prématurée à graver pour toujours dans notre souvenir la vie et l’exemple de l’ami qui nous a devancés. L’envie a pu s’attacher à lui pendant qu’il vivait ; elle a disparu avec lui. S’il fût demeuré plus longtemps, bien des grâces peut-être auxquelles sa jeunesse prêtait un attrait particulier, se seraient amoindries ou perdues ; elles ne peuvent plus s’altérer désormais. Il semble que le Seigneur ait voulu cueillir cette fleur avant qu’aucun de ses parfums se fût perdu et dans tout l’éclat de sa brillante parure.

Certes, le troupeau de saint Pierre a pu s’affliger, car il a eu ses jours de visitation. Un instrument puissant entre les mains du Seigneur lui a été retiré. Et que feront dans le grand jour de la rétribution ceux qui ne se convertirent point à sa voix : « Oh ! si du moins en cette tienne journée, tu eusses connu, toi aussi, les choses qui regardent ta paix ! »

Plus d’une fois l’Écosse a eu le bonheur (comme dans les jours de Durham) d’être assez favorisée par la bonté du Seigneur pour avoir au milieu d’elle des hommes dont la perte a été profondément et universellement sentie, des témoins de Christ qui avaient vu la face du Roi, et qui lui rendirent témoignage. Nous ne pouvons les rappeler par nos pleurs, mais ne crierons-nous pas à Celui en qui est la plénitude de l’Esprit, qu’avant la venue du Seigneur il suscite des hommes pareils à Enoch ou à Paul, qui atteignent plus près de la stature de l’homme parfait, et qui rendent témoignage avec plus de puissance devant toutes les nations. Ne se préparerait-il point, ainsi que l’espérait habituellement celui qui nous a quittés, « de meilleurs ministres pour l’Écosse qu’aucun de ceux qui ont jusqu’à présent été suscités ? »

Ministres de Christ, le Seigneur ne nous appelle-t-il pas tout particulièrement ? Il en est trop parmi nous qui peuvent s’appliquer les paroles adressées à l’ange de l’église d’Éphèse, Apocalypse 2.2-5 : Nous avons « les œuvres, et le travail, et l’attente patiente, et nous ne pouvons supporter les méchants, et nous avons supporté des maux et pris de la peine pour son nom, et nous ne nous sommes point lassés ; » mais nous manquons de la ferveur « du premier amour. » Combien il est rare que nous entendions parler d’une nouvelle abondance de sainteté répandue des lieux célestes, Éphésiens 1.3 ; de nouvelles grâces apparaissant parmi les saints et les ministres vivants ! Nous nous contentons de notre ancienne mesure, comme si les canaux des cieux ne se devaient jamais rouvrir. Peu d’entre nous sondent les profondeurs de l’abîme, et le nombre est petit de ceux qui entrent jamais dans les cabinets de la maison de David.

Cependant un homme a vécu au milieu de nous, qui, avant d’avoir atteint l’âge où les sacrificateurs en Israël entraient dans leur charge, habita au pied du trône de grâce comme si c’eût été sa demeure, prêcha les réalités de la vie éternelle avec une entière conviction, et passa ses nuits et ses jours à soupirer sans relâche après la sainteté pour lui-même et après le salut pour les pécheurs. Avant de nous quitter, il reçut du Seigneur des centaines d’âmes pour sa récompense ; et en lui nous avons vu tout ce que peut faire un homme qui veut marcher toujours plus fidèlement en la présence du Seigneur, annoncer avec toujours plus de discernement et de force les insondables richesses de Christ, et parler avec toujours plus de hardiesse pour son Dieu. Nous parlons beaucoup des ministres infidèles, tandis que notre infidélité à nous-mêmes est effrayante. Ne sommes-nous jamais saisi de la crainte d’entendre éternellement les cris d’angoisse d’âmes que nous aurons entraînées à la perdition par notre manque de sainteté personnelle, et nos défectuosités dans la prédication de Jésus-Christ crucifié ? Notre Seigneur est à la porte. En bien peu de temps notre œuvre sera terminée. — « Réveille-toi, réveille-toi, bras du Seigneur, comme dans les jours passés, » jusqu’à ce que chacun de tes ministres ait la volonté de communiquer au troupeau dont le Saint-Esprit l’a fait surveillant, non seulement l’Évangile de Dieu, mais sa propre âme. Et plût à Dieu que chacun de ceux qui, dans tes pâturages, nourrit et guide tes brebis et tes agneaux, pût regarder à toi et te dire : — « Seigneur, tu connais toutes choses ! tu sais que je t’aime. »

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