Appliquant à l’institution théocratique le procédé d’interprétation allégorique dont saint Paul use dans l’histoire d’Agar (Galates 4.22-26), nous dirons que le caractère transitoire de l’institution théocratique était impliqué déjà dans les circonstances de ses origines. Ce n’est pas en Canaan, dans la Terre-Sainte, dans l’ancienne patrie des patriarches et dans la future patrie du Messie, que Dieu fonda cette alliance avec son peuple, mais au pied du Sinaï, dans le désert stérile et inhabitable, sur la route d’Egypte en Canaan. Ce n’est pas là, au milieu des éclairs et des tonnerres, que le Dieu de la grâce devait prononcer le mot suprême de l’histoire (cf. Hébreux 12.18-25).
Cette présomption se trouve confirmée par l’examen des faits eux-mêmes.
De l’insuffisance précédemment constatée de chacun des deux éléments principaux dont se composait l’institution théocratique, l’élément constitutif ou législatif et l’élément restitutif ou propitiatoire, résultait évidemment l’imperfection et l’insuffisance de l’ensemble. Le sachant et le voulant, la loi contenait des éléments qui la dépassaient et préparaient sa future péremption.
Mais c’est par la stricte observation de la circoncision et de la loi elle-même que l’Israélite fidèle devait finalement mourir à la loi et à la circoncision : ἐγὼ γὰρ διὰ νόμου νόμῳ ἀπέθανον (Galates 2.19 ; cf. Galates 5.2 ; Philippiens 3.5-8). Telle la goutte d’eau infiltrée dans la roche, et qui en se congelant fera tôt ou tard sauter la masse.
« Si la loi et les sacrifices, a écrit Pascal, sont la vérité, il faut qu’ils plaisent à Dieu et qu’ils ne déplaisent point. S’ils sont figures, il faut qu’ils plaisent et déplaisent. Il est dit que la loi sera changée, que le sacrifice sera changé, qu’ils seront sans roi, sans prince et sans sacrifices, qu’il sera fait une nouvelle alliance, que la loi sera renouvelée, que les préceptes qu’ils ont reçus ne sont pas bons, que leurs sacrifices sont abominations, que Dieu n’en a point demandé.
Il est dit au contraire que la loi durera éternellement, que cette alliance sera éternelle, que le sacrifice sera éternel, que le sceptre ne sortira jamais d’avec eux, puisqu’il ne doit point en sortir que le Roi éternel n’arrive. Tous ces passages marquent-ils que ce soit réalité ? Non. Marquent-ils aussi que ce soit figure ? Non ; mais que c’est réalité ou figure. Mais les premiers excluant la réalité, marquent que ce n’est que figure.
Tous ces passages ensemble ne peuvent être dits de la réalité ; tous peuvent être dits de la figure. Donc ils ne sont pas dits de la réalité, mais de la figuref. »
f – Pensées. Des figuratifs.
Mais rien ne périt dans les économies divines sans être remplacé par quelque chose de meilleur, ni n’apparaît qui n’ait sa raison d’être, fût-elle passagère. Enserrée entre les deux périodes de la promesse, l’institution légale se démontrait à la fois nécessaire et transitoire ; légitime à son heure, insuffisante pour la suite des temps.
C’est ainsi qu’entre l’économie patriarcale, qui n’accordait à l’homme que des promesses temporelles et spirituelles, et l’économie évangélique qui lui apporte l’accomplissement spirituel et le bien temporel de surcroît, il a convenu à la pédagogie divine d’instituer un régime qui offrit à l’homme l’accomplissement des promesses temporelles comme types et figures (σκιὰν ἔχων ὁ νόμος τῶν μελλόντων, Hébreux 10.1) des biens spirituels.
Et c’est encore une fois une chose admirable et digne de toute notre attention que l’acte fondamental de la nationalité israélite ait été une législation, c’est-à-dire un fait moral et tendant à la moralité, et non pas une conquête ou toute autre manifestation de la force brutale ; que le personnage glorieux à cette époque primitive ait été Moïse, l’homme de la parole, plutôt que Josué, l’homme du glaive. Cette relation entre les deux faits, le don de la loi et la conquête de Canaan, et entre ces deux personnages, Moïse et Josué, suffirait déjà à nous révéler le caractère propre et surnaturel de l’histoire d’Israël.