Il a appris l'obéissance par les choses qu'il a souffertes (Hébr. 5.8).
Sundar Singh seul peut savoir tout ce qu'il a eu à endurer pour son Maître au cours de ses années de ministère. Il admet qu'il manqua fréquemment de nourriture convenable, se trouvant réduit aux baies et autres produits de la jungle et, plus d'une fois, chassé des villages, il a dû passer la nuit sous un arbre ou dans quelque anfractuosité du sol. La plupart des contrées qu'il a évangélisées ne comportent guère pareil genre de vie, et il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il ait dû parfois partager son misérable gîte avec un serpent ou une bête sauvage.
Dans un village du district de Thoria, on se conduisit si mal à son égard qu'il passa toutes ses nuits dans la jungle. Au soir d'une journée particulièrement décourageante, la nuit étant fort noire, le sâdhou trouva une caverne, où il déploya sa couverture et s'endormit. A son réveil, au petit jour, il aperçut un énorme léopard endormi à côté de lui. A moitié paralysé d'effroi, il se glissa dehors et ne réfléchit qu'alors à la bonté de Dieu qui avait veillé sur lui pendant son sommeil. « Jamais encore, assure-t-il, une bête sauvage ne m'a fait de mal. »
Une autre fois, expulsé d'un village, il méditait, assis sur un rocher voisin d'une caverne. Absorbé dans sa contemplation, il n'aperçut pas d'abord une panthère noire qui le guettait furtivement, non loin de là. Effrayé, mais se confiant en Dieu, il se leva tranquillement et s'en alla comme si de rien n'était. Il arriva sain et sauf au village où, quand on sut à quel danger il avait échappé, on le proclama un très saint homme, cette même panthère ayant dévoré plusieurs personnes ; on vint alors écouter son message. Ainsi Sundar, lui aussi, « rendit grâces à Dieu et reprit courage ».
Un bon nombre de sâdhous étaient réunis un matin sur les rives du Gange à un endroit nommé Rishi Kesch. Il y avait là une foule d'autres baigneurs et notre sâdhou, debout au milieu d'eux, son Testament à la main, prêchait l'Évangile. Les uns écoutaient avec un bienveillant intérêt, tandis que d'autres se moquaient. Soudain un homme ramassa une poignée de sable et la jeta dans les yeux de Sundar Singh, à la grande indignation d'un assistant qui le livra à un agent de police. Pendant ce temps, Sundar Singh descendait au bord de l'eau pour se laver les yeux. A son retour, il demanda la grâce du coupable et se remit à prêcher. Surpris du procédé, cet homme se jeta à ses pieds pour implorer son pardon. Il exprima le désir d'entendre plus à fond les choses enseignées par le sâdhou, se mit à chercher avidement la vérité et accompagna plus tard Sundar Singh dans sa tournée, apprenant humblement de lui l'histoire de la rédemption.
Dans les premiers temps de son ministère itinérant, Sundar Singh arriva un soir dans un village appelé Doliwala. La journée avait été rude, la marche prolongée, et le sâdhou arrivait épuisé et affamé. Tout en arpentant la rue, il demandait un gîte, mais dès qu'on apprenait qu'il était chrétien, on s'empressait de le chasser. Il tombait une pluie abondante et glacée. A demi-mort de fatigue, Sundar se réfugia dans une hutte en ruine composée de deux pièces, sans portes ni fenêtres. Il y était du moins à l'abri de la pluie et, rendant grâces à Dieu, il étendit sa couverture dans l'endroit le plus sec et s'efforça d'oublier sa faim en dormant.
Il ne se réveilla qu'à l'aube frissonnante, dont la faible clarté lui fit voir à son côté un objet noir enroulé dans sa couverture : c'était un gros cobra qui était venu se réchauffer contre lui. Le sâdhou sortit d'abord prestement de la hutte, laissant dormir le serpent. Puis, réflexion faite, il rentra, saisit un pan de la couverture, la secoua de façon à la débarrasser du dangereux reptile, qui s'en fut paresseusement dans un coin. Soulagé et reconnaissant envers le Dieu des délivrances, Sundar Singh put alors emporter sa couverture et reprendre son labeur.
Un distingué Arya Samaj raconte qu'un jour, en descendant d'une montagne, il rencontra un jeune sâdhou. Curieux de voir ce qu'il allait faire, il se posta dans un endroit d'où il pouvait suivre ses mouvements. Il le vit arriver au village, s'asseoir sur un billot, essuyer son visage en sueur et entonner un cantique chrétien. La foule ne tarda pas à se former autour de lui, mais, comprenant qu'il parlait de l'amour de Christ, elle commença bientôt à s'exciter contre lui. Un homme s'avança soudain et lui asséna un coup si violent qu'il le jeta à terre en le meurtrissant à la joue et à la main. Sans mot dire, le sâdhou se releva, pansa la main meurtrie et se mit à prier pour ses ennemis et à leur parler de l'amour et du pardon de Christ, tandis que le sang ruisselait sur son visage.
En racontant cet incident, ce personnage ajoute qu'à cette vue il se sentit lui-même « retiré du puits du mépris et amené à la source de vie ».
Quant à celui qui avait frappé le sâdhou, il se mit plus tard en quête de lui, espérant pouvoir être baptisé par « cette main meurtrie », mais, n'ayant pu le retrouver, il se fit baptiser néanmoins, gardant l'espoir de le retrouver un jour.
Quand tu pries..., prie ton Père qui est dans le secret (Matth. 6.6). Quand tu jeûnes.... ne montre pas aux hommes que tu jeûnes, mais à ton père qui est dans le lieu secret (Matth. 6.17, 18).
Vers la fin de 1912, Sundar Singh se rendit au Bengale, où on lui proposa de l'envoyer au Canada comme missionnaire parmi les Sikhs de ce pays lointain. Il était disposé à entreprendre cette tâche ; mais il se trouva qu'aucun Hindou ne pouvait alors obtenir l'autorisation d'aller au Canada, de sorte qu'il fallut abandonner le projet.
Il partit donc de Calcutta dans la direction de Bombay, pour retourner de là dans le Nord. Depuis son baptême, il nourrissait deux grands désirs : l'un était, comme nous l'avons dit, de visiter la Palestine et les lieux où notre Sauveur vécut et travailla ; l'autre d'imiter Jésus en jeûnant 40 jours et 40 nuits ; il espérait, par ce moyen, recevoir de nouvelles lumières spirituelles.
Nous avons vu qu'en 1908, à Bombay, il dut renoncer au voyage en Palestine. Quatre ans plus tard, après la proposition d'une visite au Canada, le sâdhou reprit son idée de retraite dans la prière et le jeûne, afin de se mettre en communion plus intime avec Dieu, et de le mieux servir.
A cette époque, il fit la connaissance d'un médecin catholique franciscain, le Dr Swift ; ils voyagèrent ensemble vers le Nord et discutèrent l'idée de ce jeûne. Le docteur s'efforça de le dissuader, persuadé qu'il en mourrait, puis, voyant le sâdhou décidé malgré tout, il lui demanda l'adresse de ses principaux amis, afin de les tenir au courant. Après quoi ils se séparèrent, le docteur dans l'intention d'entrer dans une congrégation catholique et le sâdhou décidé à chercher une retraite pour s'adonner à ce jeûne et à la prière. Sundar Singh s'enfonça seul au loin dans la jungle, entre Hardwar et Dehra-Dun, afin d'avoir son tête-à-tête avec Dieu.
Les jours, les semaines se passaient et nul ne savait plus rien de lui. A la fin de la seconde semaine, l'ami catholique, persuadé qu'il était mort quelque part dans la jungle, télégraphia la nouvelle à ses amis, auxquels, à mesure que le temps passait, elle paraissait plus vraisemblable. Des articles nécrologiques parurent dans divers journaux ; on célébra un service funèbre ; on fit même une collecte pour une plaque commémorative, que l'on plaça dans l'église de Simla.
Pendant ce temps, le sâdhou restait dans la jungle sans manger, s'affaiblissant de jour en jour. Sachant ce qui pouvait lui arriver et en prévision de l'augmentation de sa faiblesse, il s'était muni de quarante pierres, et chaque jour il en laissait tomber une ; mais bientôt sa faiblesse fut telle qu'il fut incapable de compter les jours. Il perdit la vue et l'ouïe, resta couché en extase, conscient de ce qui se passait autour de lui, mais incapable de donner le plus petit signe de vie. Quand ses forces physiques furent absolument épuisées, il se sentit l'esprit vivifié, et alors sa dépendance absolue de Dieu et d'autres vérités spirituelles importantes lui furent révélées, chassant à tout jamais les doutes qui avaient pu l'assaillir.
Il fut trouvé dans cet état par des coupeurs de bambous qui, à la vue de sa robe couleur safran, le soulevèrent dans sa couverture et l'emportèrent à Rishi Kesh et de là à Dehra Dun. On le transporta,ensuite en voiture à Annfield.
Ses amis chrétiens ne le reconnurent pas, tant ses traits étaient changés, mais ils virent son nom dans son Nouveau Testament. Ils le soignèrent et le ramenèrent à la vie, de telle façon qu'en mars il put reprendre ses voyages ; à Simla il apprit l'histoire de sa mort supposée.
Cette terrible expérience procura au sâdhou les lumières spirituelles qu'il en avait attendues. Quoiqu'il n'ait pas pu compter les jours et que certainement le jeûne n'ait pas duré 40 jours, ces clartés nouvelles avaient failli lui coûter la vie.
Christ sera glorifié dans mon corps... soit par ma vie, soit par ma mort (Phil. I.20).
Une fois remis des suites de son jeûne, Sundar Singh retourna passer l'été de 1913 au Thibet et la saison froide dans le Nord de l'Inde. Au commencement de l'année suivante, il se trouvait de nouveau au Bengale, et il arriva dans le Sikkim en se rendant à Darjeeling. Les petits états indigènes frontières, dont les principaux sont le Népaul, Sikkim et Bhutan, ont des principes autochtones et ne sont pas moins opposés au christianisme que le Thibet. Les populations croupissent dans les superstitions et l'ignorance, et toute prédication d'une religion étrangère est strictement interdite dans certains territoires.
En 1914, notre sâdhou pénétra dans le Népaul, sachant qu'il risquait sa vie. Il put toutefois, pendant un temps, en dépit de l'opposition et des menaces, aller de lieu en lieu, proclamant la bonne nouvelle, mais arrivé à Ilom, il fut bientôt averti qu'il eût à cesser de prêcher s'il ne voulait pas aller au devant d'un malheur.
On lança un mandat d'arrêt contre lui et, tandis qu'il prêchait, il fut empoigné et jeté en prison, en compagnie de voleurs et de meurtriers. Quelle occasion de plaider pour son Maître ! Bientôt, il parle à ses malheureux co-détenus de la puissance de Christ pour changer les cœurs et pour donner la paix aux consciences jusque dans les sombres murs d'une prison. Un bon nombre d'entre eux acceptèrent Christ, ce qui transforma ces jours d'affliction en jours de bénédictions, aussi bien pour le sâdhou que pour ses compagnons d'infortune.
Le bruit de ces conversions étant parvenu en haut lieu, Sundar Singh fut transféré sur la place du marché, pour y subir une aggravation de peine. On le dépouilla de ses vêtements et on le contraignit à s'asseoir sur le sol nu ; puis on lui mit les pieds et les mains dans des ceps, soit dans des planches dressées et percées de trous, et il fut condamné à rester dans cette posture douloureuse toute la journée et la nuit suivante. Pour ajouter à ses tortures, on appliqua sur son corps nu une quantité de sangsues, qui se mirent aussitôt à l'œuvre.
Aujourd'hui encore, il porte les marques de ce supplice et il pourrait bien dire : « Je porte sur mon corps les marques de Jésus. » (Gal. 6.17.) Une foule railleuse l'entourait, sans que personne lui offrît une goutte d'eau pour le soulager. En nous parlant de cette expérience, Sundar Singh ajoutait : « Je ne sais comment cela s'est fait, mais j'avais le cœur si plein de joie que je ne pouvais m'empêcher de chanter et de prêcher. »
Le supplice dura toute la nuit ; d'heure en heure la faiblesse allait croissant, à mesure que le sang s'en allait. Cependant, le matin venu, le malheureux vivait encore. A la vue de son visage si paisible, ses persécuteurs furent saisis d'une terreur superstitieuse et, persuadés qu'il possédait quelque pouvoir mystérieux, ils le débarrassèrent de ses entraves et lui rendirent la liberté. Il était tellement affaibli qu'il tomba sans connaissance ; ce ne fut qu'au bout d'un certain temps et après plusieurs vaines tentatives, qu'il parvint à se traîner loin de ces lieux.
Il y avait là quelques croyants rattachés secrètement à la mission des sanyasis (dont il sera question plus loin). Ils recueillirent avec bonté leur frère en détresse et prirent soin de lui jusqu'à ce qu'il eût recouvré ses forces.
On trouvera, dans un chapitre subséquent, un récit fait par le sâdhou lui-même de ses jours de prison à Ilom. Comme on peut s'y attendre de sa part, il attribue sa grande joie, dans ses moments d'angoisse, à la présence et à la communion de l'Ami divin qui ne fait jamais défaut.
A Srinagar, dans le Garhwal, il lui arriva quelque chose de bien inattendu. Il savait qu'il était périlleux d'y parler de Christ. Or, un jour qu'il prêchait hors des murs, quelques jeunes gens le mirent au défi d'oser répéter sa prédication dans la ville. Il se sentit poussé à relever le défi et, pénétrant dans les rues de la ville, il alla reprendre sa prédication sur la place du marché. A cette vue, quelques auditeurs coururent avertir le « pandit » de l'endroit, dans l'espoir qu'il saurait fermer la bouche à ce prédicateur de l'erreur.
Le pandit, en effet, vint droit à Sundar Singh mais, devant tout le monde, il lui mit ses deux index dans la bouche en disant : « Je fais cela pour montrer que nous sommes frères et non pas adversaires, comme vous le supposez, car tous deux nous croyons en Jésus-Christ comme Sauveur. » Ce fut comme une décharge électrique dans la foule et, quelques instants après, les opposants du sâdhou avaient tous disparu. Il eut alors lui-même un des plus heureux moments de sa vie. En s'entretenant avec cet excellent homme, il apprit que ce pandit ne prolongeait son séjour dans cette localité enténébrée que pour y apporter quelque lumière. Il avait déjà, par la grâce de Dieu, gagné seize âmes, et il comptait poursuivre son œuvre aussi longtemps que Dieu le lui permettrait.
Obligé de traverser souvent des régions sauvages et inhospitalières, Sundar Singh fait parfois des expériences extraordinaires. C'est ainsi que dans les épaisses forêts de Bhulera, repaire favori des voleurs et des assassins, quatre hommes l'arrêtèrent soudain et l'un d'eux se précipita sur lui, son couteau nu à la main. Incapable de se défendre, il crut sa dernière heure venue et baissa la tête pour recevoir le coup. Pris par surprise, le manant hésita, puis finit par demander au sâdhou de lui donner tout ce qu'il avait. Il le fouilla, mais ne trouvant pas d'argent, il se borna à lui prendre sa couverture et à le laisser aller.
Reconnaissant d'avoir la vie sauve, Sundar Singh poursuivait sa route lorsqu'il s'entendit rappelé. « Cette fois, pensa-t-il, c'est la mort ! » Il rebroussa chemin néanmoins et le bandit lui demanda qui il était et ce qu'il enseignait. Sundar répondit qu'il était un sâdhou chrétien et, ouvrant son Testament, il lui lut l'histoire du mauvais riche et de Lazare. L'autre l'écoutait attentivement ; quand le sâdhou lui demanda ce qu'il en pensait, il répondit que cette fin du riche le terrifiait et ajouta : « Si un péché aussi insignifiant est puni pareillement, quel sera le châtiment de plus grands pécheurs ? » Le sâdhou ne manqua pas de mettre à profit l'occasion, et comme il découvrait à son interlocuteur les richesses de la grâce divine, celui-ci en eut le cœur profondément remué. Pleurant et sanglotant, il fit l'aveu de sa misérable vie de péché. Puis il emmena Sundar Singh dans sa caverne, lui apprêta un repas et le pressa de manger. Après un nouvel entretien et une courte prière, ils se retirèrent tous deux pour la nuit.
De grand matin, le ci-devant bandit réveilla Sundar et l'emmena à une autre caverne pleine d'horribles ossements humains. Les lui montrant en pleurant tout haut – « Voilà mes crimes, fit-il ; dites, est-ce qu'il y a encore de l'espoir pour un homme tel que moi ? » Touché de cette détresse morale et de ce repentir, le sâdhou lui parla du brigand pardonné sur la croix, puis ils s'agenouillèrent et le malheureux fit en sanglotant sa confession à Dieu.
Il entra aussitôt dans le chemin étroit, et ils se rendirent ensemble à Labcha, dans le Sakkum, où il fut confié aux missionnaires et bientôt baptisé. Ses trois camarades abandonnèrent aussi leurs mauvaises voies pour gagner leur vie honorablement.