Cependant comme le démon et la prudence humaine cherchent en tous lieux à nous ravir cette sainte foi, par laquelle nous croyons que Christ a porté la peine de nos péchés, et que son précieux sang nous a réconciliés avec Dieu, il faut que le chrétien ait toujours des armes prêtes pour se défendre contre cette puissante tentation, qui cherche à priver l’âme de sa vie. Parmi ces armes, je juge que les plus efficaces sont : la prière, l’usage fréquent de la sainte communion et le souvenir de notre baptême et de notre élection.
Dans nos prières, disons comme le père du lunatique (Marc 9.24) : « Seigneur, subviens à notre incrédulité ; » et comme les apôtres (Luc 17.5) : « Seigneur, augmente-nous la foi. » Et s’il règne en nous un constant désir de croître en foi, en espérance et en charité, nous apprendrons à prier sans cesse comme saint Paul nous l’ordonne (1 Thessaloniciens 5.17) ; car la prière n’est autre chose qu’un fervent désir, qui a sa source en Dieu.
Par le souvenir de notre baptême, nous nous confirmons dans la paix avec Dieu. Saint Pierre dit que l’arche de Noé fut une figure du baptême (1 Pierre 3.21) ; si donc Noé, croyant à la promesse de Dieu, se sauva dans l’arche devant le déluge ; de même, par la foi, nous nous sauvons dans le baptême de la colère de Dieu. Cette foi est fondée sur la Parole de Christ (Marc 16.16) : « Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé. » Et cela avec pleine raison, car dans le baptême nous nous revêtons de Christ, comme l’affirme saint Paul (Galates 3.17) ; et par conséquent nous sommes faits participants de sa justice et de tous ses biens. Ce précieux vêtement couvre les péchés que nous commettons par notre faiblesse ; ils ne nous sont point imputés de Dieu, et comme dit saint Paul (Romains 4.6), c’est à nous que s’adresse cette béatitude du psalmiste : « Bienheureux ceux dont les iniquités ont été pardonnées et dont les péchés ont été couverts ! Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’aura point compté le péché. » (Psaumes 32.1-2)
Mais que le chrétien se garde de voir dans cette parole une licence de péché ; car cette doctrine n’appartient point à celui qui, s’honorant du nom de chrétien, confesse Christ par ses paroles, et le renie par ses œuvres ; mais elle regarde tous les vrais chrétiens qui, bien que combattant énergiquement contre la chair, contre le monde et contre le diable, tombent cependant tous les jours, et sont forcés de dire continuellement : Pardonnez-nous nos péchés. C’est à ceux-là que nous parlons pour les consoler et les soutenir, afin qu’ils ne tombent pas dans le désespoir ; comme si le sang de Christ ne nous lavait pas de tout péché, comme s’il n’était pas l’avocat et la propitiation de tous ses membres.
Toutes les fois donc que nous serons tentés de douter de la rémission de nos péchés et que notre conscience commencera à en être troublée, recourons immédiatement, revêtus de foi, au précieux sang de Jésus-Christ, versé pour nous sur l’autel de la croix, et distribué aux fidèles dans la dernière cène, sous le voile du saint sacrement. Ce sacrement, institué par Christ pour que nous célébrions la mémoire de sa mort, rend à notre conscience angoissée l’assurance de notre réconciliation avec Dieu.
Le Christ béni fit un testament lorsqu’il dit : Ceci est mon corps qui est donné pour vous (Luc 22.19), et ceci est mon sang, le sang du nouveau testament qui est versé pour plusieurs en rémission des péchés. (Matthieu 26.28). Nous savons qu’un testament, comme dit saint Paul (Galates 3.15), bien que d’un homme, étant ratifié, personne ne l’annule ou n’y ajoute, et aucun testament n’est valable avant la mort, mais en cas de mort il est valable. (Hébreux 9.17)
Le testament de Christ, dans lequel il promet la rémission des péchés, la grâce et la bienveillance de sa part et de la part de son Père, dans lequel il lègue la miséricorde et la vie éternelle, ce testament, dis-je, a été rendu valable, Christ l’ayant confirmé par son précieux sang et par sa propre mort. Et c’est pour cela, dit saint Paul (Hébreux 9.15), que Christ est le médiateur d’un testament nouveau, de sorte que la mort intervenant pour le rachat des transgressions contre le premier testament, ceux qui sont appelés reçoivent la promesse de l’héritage éternel. Car où il y a un testament, il est nécessaire que la mort du testateur survienne, puisque c’est en cas de mort qu’un testament est valable, et qu’il n’a jamais de force tant que vit le testateur.
Ainsi par la mort de Christ, nous sommes sûrs et certains que ce testament est valable, dans lequel toutes nos iniquités nous sont remises, et dans lequel nous sommes faits héritiers de la vie éternelle. Et c’est comme signe et comme sceau de cette grâce qu’il nous a laissé ce divin sacrement, lequel, non seulement donne à notre âme une pleine assurance de son salut éternel, mais encore nous rend certains de l’immortalité de notre chair. (Irénée IV, 18.) Car dès à présent notre chair est vivifiée par cette chair immortelle, et devient en quelque sorte participante de son immortalité ; celui qui participe par la foi à cette divine chair, vivra éternellement (Jean 6.51) ; mais quiconque y participe sans cette foi, elle se change pour lui en un poison mortel. Car, de même que la nourriture du corps, lorsqu’elle trouve l’estomac rempli d’humeurs vicieuses, devient elle-même corrompue et nuisible, ainsi en est-il de cette nourriture spirituelle, lorsqu’elle trouve une âme vicieuse et remplie de malice et d’infidélité ; elle la jette dans une plus grande ruine, non par sa faute, mais parce qu’aux impurs et aux infidèles, aucune chose n’est pure, fût-elle même sanctifiée par la bénédiction du Seigneur. Comme le dit saint Paul (1 Corinthiens 11.27) : « Celui qui mangera de ce pain et boira de cette coupe indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur ; il mange et boit sa propre condamnation, ne discernant point le corps du Seigneur. Et celui-là ne discerne pas le corps du Seigneur, qui prend part à la cène du Seigneur sans foi et sans amour. » Ne croyant point que le corps du Seigneur est sa vie et la propitiation pour tous ses péchés, il fait Christ menteur, il foule aux pieds le Fils de Dieu ; il tient pour profane le sang du testament par lequel il a été sanctifié ; il outrage l’Esprit de la grâce. (Hébreux 10.29) Dieu le punira sévèrement de cette infidélité et de cette coupable hypocrisie, car, ne fondant point la confiance de sa justification dans la Passion de Christ, il reçoit néanmoins ce saint sacrement, et professe ainsi qu’il ne met sa confiance en rien autre. Ainsi il s’accuse lui-même, il rend témoignage de sa propre iniquité, et il se condamne à la mort éternelle en refusant la vie éternelle que Dieu lui offre par ce saint sacrement.
Lors donc que le chrétien sent que ses ennemis veulent le surprendre, c’est-à-dire lorsqu’il doute d’avoir réellement la rémission de ses péchés par Christ et la force de vaincre le diable et ses tentations ; lorsque l’accusation de sa conscience pleine de doute le surmonte, de manière qu’il commence à craindre que l’enfer ne l’engloutisse et que la mort, par la colère de Dieu, le vainque et l’anéantisse à jamais ; lors dis-je que le chrétien éprouve ces tourments, qu’il aille avec bon courage et confiance à ce très saint sacrement, qu’il le reçoive avec dévotion, en disant dans son cœur, et en répondant ainsi à ses ennemis : Je confesse que j’ai mérité mille enfers et la mort éternelle par mes péchés, mais ce divin sacrement que je reçois maintenant, me rend sûr et certain de la rémission de toutes mes iniquités et de ma réconciliation avec Dieu. Si je regarde à mes œuvres, il n’y a pas de doute que je ne doive me reconnaître pécheur et condamné, et que jamais ma conscience ne serait tranquille aussi longtemps que je croirais que par mes œuvres mes péchés me seront pardonnés. Mais si je regarde aux promesses et à l’Alliance de Dieu, qui m’assure la rémission des péchés par le sang de Christ, je suis aussi certain d’avoir reçu ce pardon et sa grâce, que je suis certain que Celui qui a fait la promesse et l’Alliance avec nous, ne peut mentir ni tromper. Et cette foi constante me rend juste de la justice de Christ par laquelle je suis sauvé, et par laquelle ma conscience trouve la paix. (Romains 5.1) Christ n’a-t-il pas livré son corps sans péché dans les mains des pécheurs ? N’a-t-il pas répandu son sang pour laver toutes mes iniquités ? Pourquoi donc, ô mon âme, pourquoi t’affliger ? Confie-toi dans le Seigneur qui a tant d’amour pour toi, que, pour te délivrer de la mort éternelle, il a voulu la mort de son Fils unique. Il a pris sur lui notre pauvreté pour nous donner ses richesses ; il s’est chargé de notre infirmité pour nous rendre participants de sa force ; il est devenu mortel pour nous rendre immortels ; il est descendu sur la terre pour que nous puissions monter au ciel ; il s’est fait Fils de l’homme semblable à nous, afin que nous devinssions enfants de Dieu, semblables à Lui. Et maintenant « qui sera celui qui nous accusera ? Dieu est celui qui nous justifie ! Qui est-ce qui nous condamnera ? Christ est celui qui est mort pour nous, bien plus, qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu et qui intercède pour nous. » (Romains 8.34)
« Cesse donc, ô mon âme, les pleurs et les soupirs ! Mon âme, bénis l’Éternel, que tout ce qui est en moi bénisse le nom de sa sainteté. Mon âme, bénis l’Éternel et n’oublie aucun de ses bienfaits. C’est Lui qui pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes infirmités, qui retire ta vie de la fosse, qui te couronne de bonté et de compassion. L’Éternel est pitoyable, miséricordieux, lent à la colère et abondant en grâces. Il ne conteste pas à perpétuité, et il ne garde pas sa colère à toujours. Il ne nous a pas fait selon nos péchés ; il ne nous a pas rendu selon nos iniquités : car autant que les cieux sont élevés par-dessus la terre, autant sa bonté est grande sur ceux qui le craignent. Il a éloigné de nous nos transgressions autant que l’Orient est éloigné de l’Occident. Comme un père est ému de compassion envers ses enfants, le Seigneur a eu compassion de nous, en nous donnant son Fils unique. »
C’est avec une telle foi, avec de telles actions de grâces, avec de telles pensées et d’autres semblables, que nous devons recevoir le sacrement du corps et du sang de notre Seigneur. C’est ainsi que la crainte est bannie de notre âme, que la charité s’augmente, que la foi s’affermit, que la conscience se rassure ; et nos lèvres ne se lasseront jamais de louer Dieu et de lui rendre grâce à toujours pour de si grands bienfaits. C’est là qu’est la force, la puissance et l’unique confiance de notre âme. C’est là le rocher sur lequel la conscience s’appuie : là, elle ne craint plus aucune tempête, pas même les portes de l’enfer, ni la colère de Dieu, ni la loi, ni le péché, ni la mort, ni les démons, ni aucune autre chose.
Et comme c’est dans ce divin sacrement que consiste toute l’essence du culte, quand le chrétien y assiste, il devrait toujours tenir les yeux de son âme, fixés sur la Passion de notre Seigneur, en contemplant d’un côté ce Sauveur en croix, chargé de tous nos péchés, et de l’autre, Dieu qui le châtie, punissant à notre place son Fils unique et bien-aimé. Oh ! que bienheureux est celui qui, fermant les yeux à tous les autres spectacles, ne veut voir ni entendre autre chose que Jésus-Christ crucifié, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance ! Oh ! bienheureux celui qui rassasie toujours son âme d’une aussi divine nourriture, et qui désaltère son cœur de l’amour de Dieu, à une source si précieuse et si salutaire !
Mais avant de terminer cette méditation, je veux encore rappeler à mes lecteurs chrétiens que saint Augustin avait coutume de nommer ce divin sacrement le lien de la charité et le mystère de l’unité, et qu’il dit à ce sujet : « Celui qui reçoit le mystère de l’unité et ne conserve point le lien de paix, ne reçoit point ce mystère pour lui, mais il le reçoit en témoignage contre lui. » Nous devons donc nous rappeler que le Seigneur a institué ce sacrement, non seulement pour nous rendre certains de la rémission des péchés, mais encore pour nous pousser avec force à pratiquer la paix, l’union et la charité fraternelle : car le Seigneur nous fait participer à son corps dans ce sacrement, de telle manière que nous devenons une même chose avec Lui, et Lui avec nous. Lui donc n’ayant qu’un seul corps, duquel nous sommes tous rendus participants, il faut nécessairement que nous tous, par cette participation, devenions un même corps. Cette union nous est préfigurée dans le pain du sacrement : de même qu’il est fait d’une quantité de grains mêlés et confondus de telle sorte qu’on ne saurait plus les distinguer l’un de l’autre ; ainsi nous devons être liés et unis dans une même paix du cœur, une paix que ne puisse plus troubler la moindre division. C’est ce que démontre saint Paul lorsqu’il dit : « La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas la communion du sang de Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas la communion du corps de Christ ? Bien qu’étant plusieurs, nous sommes un seul pain, un seul corps, car nous sommes tous participants de ce seul pain. » (1 Corinthiens 10.16-17)
Quand nous recevons la sainte communion, nous devons donc considérer que nous sommes tous incorporés en Christ, membres d’un même corps, membres, dis-je, de Christ ; de telle sorte que nous, ne pouvons offenser, calomnier ou mépriser un de nos frères, sans qu’en lui nous offensions, calomnions et méprisions Jésus-Christ. Nous ne pouvons être en discorde avec nos frères, sans l’être pareillement avec Christ ; nous ne pouvons aimer Christ, sans l’aimer aussi dans nos frères. Les mêmes soins que nous donnons à notre corps, nous devons aussi les donner à ceux de nos frères, qui sont membres de notre corps. De même qu’aucune des parties de notre corps ne peut souffrir, sans que cette douleur se communique à toutes les autres ; ainsi nous ne devrions pas davantage supporter qu’aucun de nos frères fût dans la douleur, sans nous sentir émus de compassion.
C’est dans ces pensées que nous devons nous préparer à ce saint sacrement, en nourrissant dans notre âme un amour ardent pour le prochain. Car, où y aurait-il un motif plus puissant pour nous exciter à la charité les uns envers les autres, que de voir Christ se donnant lui-même pour nous ? non seulement il nous invite par là à nous donner l’un à l’autre ; mais en se donnant à tous en commun, il fait en sorte que nous soyons tous une même âme en Lui. Nous devons donc désirer et travailler de toute notre force à n’être tous ensemble qu’une seule âme, un seul cœur ; à n’avoir qu’un seul langage, à être les uns avec les autres en communion de pensées, de paroles et d’œuvres. Chaque chrétien doit se rappeler que toutes les fois que nous recevons ce très saint sacrement, nous nous obligeons à tous les devoirs de la charité, de sorte que nous ne devons pas seulement nous garder d’offenser nos frères en aucune manière, mais encore ne point manquer à les secourir dans tous leurs besoins. Si, au contraire, quelques-uns venaient à cette sainte Table du Seigneur divisés et aliénés les uns contre les autres, ils peuvent tenir pour certain qu’ils y participent indignement, et qu’ils se rendent coupables du corps et du sang du Seigneur, mangeant et buvant leur propre condamnation ; car ils ne craignent point de diviser et de déchirer le corps de Christ. Séparés de leurs frères, c’est-à-dire des membres du corps de Christ, par la haine qu’ils leur portent, n’ayant donc aucune part en Christ, ils reçoivent néanmoins la sainte communion, et témoignent ainsi de croire que tout leur salut consiste dans la participation de Christ et dans l’union avec Lui !
Allons donc recevoir ce pain céleste, pour célébrer la mémoire de la Passion du Seigneur, pour soutenir et fortifier par ce souvenir notre foi et notre assurance de la rémission de nos péchés, pour exciter nos âmes et nos lèvres à louer et à proclamer la miséricorde infinie de notre Dieu ; et enfin pour nourrir notre charité mutuelle, et nous la témoigner les uns aux autres par cette intime communion que nous avons tous dans le corps de Jésus-Christ notre Seigneur. Outre la prière, la mémoire de notre baptême et l’usage fréquent de la sainte communion, nous avons encore un remède fort efficace contre les doutes et la crainte qui sont des ennemis de la charité : c’est le souvenir de notre prédestination et de notre élection à la vie éternelle, fondé sur la Parole de Dieu, cette épée de l’Esprit par laquelle (Ephés.6.17) nous pouvons défaire tous nos ennemis.
Réjouissez-vous, dit le Seigneur, de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. (Luc 10.20) Il n’y a pas dans cette vie présente de plus grand sujet d’allégresse, il n’y en a pas qui console plus le chrétien, lorsqu’il est affligé, tenté, ou tombé dans quelque péché, que le souvenir de son élection et l’assurance d’être un de ceux dont le nom est écrit dans le livre de vie (Philippiens 4.3), et qui ont été élus de Dieu pour être conformes à l’image de Christ. (Romains 8.29) O consolation ineffable de celui qui a cette foi, et qui serre continuellement dans son cœur cette délicieuse assurance ! Il sait que Dieu son Père, qui l’a prédestiné à la vie éternelle, le soutiendra toujours et le prendra par la main s’il vient à tomber. (Psaumes 37.24) Il peut toujours se dire à lui-même : Si Dieu m’a élu et prédestiné à la gloire de son Fils, qui pourrait m’en séparer ? Si Dieu est pour nous, dit saint Paul (Romains 8.31), qui sera contre nous ? Or, Dieu a envoyé son Fils bien-aimé, afin d’accomplir en nous cette prédestination, et c’est Lui qui est le plus sûr garant que nous, qui avons accepté la grâce de l’Évangile, sommes au nombre des enfants de Dieu, élus pour la vie éternelle.
Cette sainte prédestination maintient le vrai chrétien dans une permanente joie spirituelle, elle augmente en lui le zèle pour les bonnes œuvres, elle allume en lui un ardent amour pour Dieu, et le rend ennemi du monde et du péché. Qui serait en effet assez orgueilleux et dur pour ne pas être tout embrasé de l’amour divin, lorsqu’il sait que Dieu par sa miséricorde l’a fait son enfant pour toute l’éternité ? Qui serait assez bas, assez lâche, pour ne point regarder comme une vile ordure toutes les délices, tous les honneurs, toutes les richesses du monde, lorsqu’il sait que Dieu l’a fait bourgeois des cieux ?
Mais les vrais enfants de Dieu sont ceux qui adorent Dieu sérieusement en esprit et en vérité, qui reçoivent toutes choses, la prospérité comme l’adversité, de la main de Dieu leur Père, en le louant et lui rendant grâce comme à un père clément, juste et saint dans toutes ses œuvres. Pénétrés de l’amour de leur Dieu et armés de la connaissance de leur prédestination, ils ne craignent ni la mort, ni le péché, ni le diable, ni l’enfer. Ils ne savent ce que c’est que la colère de Dieu, parce qu’ils ne voient en Lui que l’amour et la miséricorde d’un père envers eux. Et s’ils ont des tribulations, ils les acceptent comme une marque de la faveur de leur Dieu, et s’écrient avec saint Paul (Romains 8.35) : « Qui nous séparera de l’amour de Christ ? la tribulation ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée, selon qu’il est écrit : A cause de Toi nous sommes mis à mort tout le jour ; nous avons été estimés comme les brebis de boucherie ? (Psaumes 44.22). Mais en toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés. » (Romains 8.37)
C’est pour cela que saint Jean dit, non sans cause, que les vrais chrétiens savent qu’ils doivent être sauvés et glorifiés, et que dans cette espérance ils se purifient comme Christ est pur. (1 Jean 3.3) Et saint Paul, quand il exhorte ses disciples à une vie pieuse et sainte, a coutume de leur remettre en mémoire leur élection, comme une des choses les plus efficaces pour exciter l’amour de Dieu et le zèle des bonnes œuvres dans les âmes vraiment chrétiennes. Christ lui-même, par le même motif, parlait au peuple de cette sainte prédestination, sachant combien la connaissance de cette vérité est importante pour l’édification des élus.
Il me semble ici entendre quelqu’un me dire : Je conviens que ceux dont le nom est écrit dans les cieux ont raison de vivre dans une joie permanente et de glorifier Dieu par leurs paroles et par leurs œuvres ; mais je ne sais pas si je suis de ce nombre, car je vis dans une crainte permanente, surtout par la connaissance que j’ai de ma grande faiblesse et de mon penchant au péché. Je ne puis pas si bien me défendre contre la violence du mal, que je ne succombe tous les jours à sa puissance. Et lorsqu’à cela s’ajoute si souvent l’affliction sous laquelle je me sens abattu et diverses tribulations dont je suis visité, je vois pour ainsi dire des yeux la colère de Dieu qui me châtie.
Pour répondre à tous tes doutes, mon bien cher frère, je te dirai que tu dois être assuré que ce sont autant de tentations du diable, qui cherche, par tous les moyens, à te ravir ta foi et ta pleine confiance en la bienveillance de Dieu. C’est de cette précieuse assurance que le diable s’efforce de dépouiller l’âme fidèle, car il sait que nul homme n’est vraiment chrétien, s’il ne croit aux paroles de Dieu qui promettent la paix et la rémission de tous ses péchés, à quiconque accepte la grâce de l’Évangile. Je dis que quiconque, en entendant ces promesses de Dieu, ne se persuade pas que Dieu est pour lui un Père miséricordieux et indulgent, et n’attend pas à cause de cela, avec une ferme espérance, l’héritage du royaume céleste, celui-là n’est point véritablement croyant, et se rend complètement indigne de la grâce de Dieu. Saint Paul dit (Hébreux 3.6) que nous sommes la maison de Dieu, si du moins nous tenons ferme jusqu’à la fin l’assurance et le sujet de gloire de l’espérance. Et ailleurs il nous exhorte à ne point rejeter notre assurance, qui a un si grand prix de récompense. (Hébreux 10.35)
C’est pourquoi, bien aimés frères, efforçons-nous avec toute diligence à faire la volonté de Dieu, comme des enfants obéissants, et mettons toutes nos forces à nous garder du péché. Et si néanmoins nous tombons par faiblesse, ne pensons point que nous soyons des vases de colère (Romains 9.22), ou que le Saint-Esprit nous ait abandonnés ; car nous avons notre avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste, qui est la propitiation pour nos péchés. (1 Jean 2.2) Rappelons-nous, mes frères, cette sentence de saint Augustin qui dit qu’aucun saint et aucun juste n’est sans péché, mais que néanmoins ceux qui s’attachent à la sainteté de toutes leurs affections, ne manquent ni de justice, ni de sainteté. C’est pourquoi aussi, si nous sommes dans l’affliction ou dans la tribulation, ne croyons pas que Dieu nous envoie ces épreuves parce qu’il est notre ennemi, mais plutôt croyons qu’il le fait parce qu’il est notre Père miséricordieux. Le Seigneur, dit Salomon (Proverbes 3.12), châtie celui qu’il aime.
Si donc nous avons accepté la grâce de l’Évangile, par laquelle l’homme est adopté de Dieu comme son enfant, nous ne devons plus douter de l’amour et de la bienveillance de Dieu : et si nous savons que la Parole de Dieu et l’imitation de la vie de Christ font notre bonheur, nous devons tenir ferme l’assurance que nous sommes les enfants de Dieu et les temples de l’Esprit-Saint. Car ces choses ne peuvent être l’œuvre de la sagesse humaine, mais elles sont des dons du Saint-Esprit, lequel habite en nous par la foi. Cet Esprit-Saint en nous est comme un sceau qui ratifie et scelle dans nos cœurs les promesses divines, dont il avait auparavant imprimé l’assurance dans notre âme. Ces promesses, il doit leur donner force et réalité en nous, et c’est ce qu’il fait par son Saint-Esprit. « Après avoir cru, dit saint Paul (Éphésiens 1.13), vous avez été scellés par le Saint-Esprit de la promesse qui est l’arrhe de notre héritage. »
C’est ainsi que l’apôtre démontre que le cœur des fidèles est scellé du Saint-Esprit comme d’un sceau, et c’est pour cela qu’il appelle cet Esprit, l’Esprit de la promesse, parce qu’il confirme la promesse de l’Évangile. Or, cette promesse, ainsi que nous l’avons dit plusieurs fois, c’est une bonne nouvelle qui assure la rémission des péchés et la vie éternelle à ceux qui croient qu’en Christ tous leurs péchés ont été expiés. Nous tous, qui croyons en Jésus-Christ, sommes enfants de Dieu, selon la parole de saint Paul (Galates 4.6) : « Parce que nous sommes fils, Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, criant : Abba ! Père ! » Et de même, écrivant aux Romains, il dit (Romains 8.14) : « Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu : car vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage pour être encore dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit d’adoption par lequel nous crions : Abba ! Père ! L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Et si enfants, nous sommes aussi héritiers. »
Il faut remarquer que dans ces deux passages saint Paul parle clairement, non d’une révélation exceptionnelle, mais du témoignage que le Saint-Esprit rend de la même manière à tous ceux qui acceptent la grâce de l’Évangile. Si donc le Saint-Esprit nous rend certains que nous sommes enfants et héritiers de Dieu, pourquoi devrions-nous douter de notre élection ? Dans la même épître, l’apôtre dit : « Ceux que Dieu a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Que dirons-nous donc à ces choses ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? »
Si donc je reconnais clairement que Dieu m’a appelé, me donnant la foi et les effets de la foi, qui sont la paix de la conscience, la mortification de la chair et la vie nouvelle de l’Esprit, qu’il me l’a donnée, dis-je, ou en entier ou seulement en partie, pourquoi devrais-je douter de mon élection en grâce ? Et comme tous les vrais chrétiens, c’est-à-dire ceux qui croient à l’Évangile, reçoivent (nous parlons avec saint Paul : 1 Corinthiens 2.12), non l’esprit de ce monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses qui nous ont été gratuitement données par Dieu ; pouvons-nous après cela nous étonner en apprenant que Dieu nous a de toute éternité donné la vie éternelle ?
Mais il y a des hommes qui prétendent que personne ne doit être assez arrogant pour se glorifier en disant qu’il a l’Esprit de Christ. Ceux qui disent cela, entendent par là que le chrétien se glorifie d’avoir reçu le Saint-Esprit par ses propres mérites, et non par la seule miséricorde de Dieu, et que c’est une présomption de se confesser chrétien ! Comme si l’on pouvait être chrétien sans avoir l’Esprit de Christ ! ou comme si nous pouvions dire à Christ : Seigneur (1 Corinthiens 12.3), ou appeler Dieu notre Père (Romains 8.15), sans être des hypocrites, lorsque le Saint-Esprit ne nous ouvre pas le cœur et la bouche pour prononcer de si précieuses paroles ! Et cependant, ces hommes qui nous tiennent pour orgueilleux parce que nous disons que Dieu nous donne par la foi le Saint-Esprit, non seulement ne nous défendent pas de dire tous les jours notre Père, mais même ils nous l’ordonnent. Qu’on me dise comment il est possible de séparer la foi de l’Esprit-Saint ! N’est-elle pas l’œuvre spéciale du Saint-Esprit ? Si c’est une arrogance de croire que l’Esprit de Christ habite en nous, pourquoi saint Paul recommande-t-il aux Corinthiens (2 Corinthiens 13.5) de s’examiner pour savoir s’ils ont la foi, affirmant qu’ils seront réprouvés s’ils ne connaissent que Christ est en eux ? En vérité, c’est un grand aveuglement d’accuser de présomption les chrétiens qui osent se glorifier de la présence du Saint-Esprit, car sans cette gloire, le Christianisme ne peut subsister. Mais Christ ne saurait mentir, et c’est lui qui a dit (Jean 14.17) : Que son Esprit n’est point connu du monde, et que c’est seulement ceux dans lesquels il habite qui le connaissent.
Que ceux qui nous accusent deviennent donc avant tout de vrais croyants, qu’ils se dépouillent de leur esprit judaïque, qu’ils embrassent en vérité la grâce de l’Évangile, et ils connaîtront que les chrétiens ont l’Esprit-Saint, et qu’ils savent qu’il demeure en eux.
Mais quelqu’un me dira peut-être que le chrétien, sans avoir une révélation particulière, ne peut savoir s’il est dans la grâce de Dieu, et par conséquent doit douter de son élection ; et on pourrait alléguer dans ce sens cette parole de Salomon (Ecclésiaste 9.1) : Que l’homme ne connaît point s’il est digne d’amour ou de haine, et cette autre parole de saint Paul (1 Corinthiens 4.4) : « Je n’ai rien sur ma conscience, mais je ne suis pas pour cela justifié. »
Il me semble avoir prouvé plus haut, par les paroles de l’Écriture sainte, que cette opinion est fausse. Il ne me reste plus qu’à montrer brièvement que ces deux déclarations, sur lesquelles elle est fondée, ne doivent point s’entendre dans ce sens.
Quant à la sentence de Salomon, bien qu’elle ne soit point fidèlement rendue dans la traduction commune, il n’y a cependant pas un homme, quelque borné qu’il soit, qui, en lisant dans le discours de Salomon, ne puisse voir clairement qu’il veut dire : Si quelqu’un, par les événements de cette vie présente, voulait juger qu’il est aimé ou haï de Dieu, il ferait des efforts inutiles : parce que les mêmes accidents arrivent au juste et à l’impie, à celui qui sacrifie et à celui qui ne sacrifie pas, au bon et au pécheur. (Ecclésiaste 9.2) Cela nous prouve que Dieu ne montre pas toujours son amour à ceux auxquels il accorde une prospérité extérieure, et que ce n’est point non plus sa haine qu’il fait sentir à ceux qu’il afflige. Te semble-t-il donc juste, frère bien-aimé, de conclure que l’homme ne saurait être certain de la grâce de Dieu, parce que cette certitude, ne peut se lire dans les incidents variés de la vie, ni dans les choses transitoires et temporelles ? Le même Salomon dit un peu plus haut (Ecclésiaste 3.19) : Que l’on ne peut discerner en quoi consiste la différence entre l’homme et la bête, parce qu’on voit mourir l’homme et la bête de la même manière. Voudrions-nous donc conclure, de cet accident extérieur, que notre conviction de l’immortalité de l’âme n’est fondée que sur des conjectures ? Mais il est superflu de vouloir prouver davantage une chose si claire en elle-même.
Pour ce qui regarde les paroles de saint Paul, nous voyons qu’en parlant de son ministère de l’Évangile, il dit qu’il ne sache point d’y avoir manqué, mais que néanmoins il n’est pas certain d’avoir fait tout ce qui pouvait être son devoir, et mérité ainsi, de la part de Dieu, la louange de la justice, de même qu’un administrateur fidèle et prudent qui, en parlant de son office, n’oserait pas se glorifier, ni affirmer qu’il a parfaitement accompli son devoir et la volonté de son maître, mais qui remettrait à celui-ci tout jugement. Que tel soit le sens des paroles de saint Paul, personne n’en doutera, après avoir lu et considéré avec quelque attention les idées qui précèdent et celles qui suivent.
Je sais bien que quelques interprètes de la parole de saint Paul ont dit que lors même qu’il ne connaissait en lui aucun péché, il ne savait presque pas s’il était juste auprès de Dieu, parce qu’il se rappelait que comme l’affirma David, nul homme ne connaît parfaitement ses péchés. (Psaumes 19.13) Mais ceux qui parlent ainsi ne prennent pas garde à ce fait que saint Paul ne faisait point consister sa justice dans les œuvres, mais dans la foi, et qu’il rejetait toute justification propre, embrassant uniquement la justice que Dieu donne par Christ ; ils ne considèrent point qu’il est très certain d’être justifié, en conservant la pure et parfaite foi chrétienne ; qu’il sait que dans le ciel lui est préparée la couronne de justice (2 Timothée 4.8) ; qu’il est sûr que nulle créature, ni céleste, ni terrestre, ni infernale, n’aura la puissance de le séparer de l’amour de Dieu (Romains 8.39) ; et enfin que son désir est de mourir, pour être avec Christ. (Philippiens 1.23) Toutes ces déclarations auraient été des mensonges, s’il n’eût été certain d’être juste, juste, dis-je, par la foi et non par les œuvres.
Cessons donc, très chers frères, de faire dire à saint Paul ce qu’il n’a jamais pensé, ce qu’il a au contraire toujours combattu avec force en reprenant ceux qui mesuraient la justification par les œuvres et non par la foi en Christ, notre Seigneur.
Mais outre ces deux paroles de Salomon et de saint Paul, on pourrait citer quelques autres passages de l’Écriture sainte, exhortant l’homme à la crainte, ce qui semble en contradiction avec la certitude de l’élection en grâce. Il serait trop long de vouloir expliquer en particulier chacun de ces passages. Je dirai donc en général : que la crainte servile est propre à l’Ancien Testament et que l’amour filial est propre au Nouveau, comme nous le prouvent les paroles de saint Paul lorsqu’il dit aux Romains : « Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage pour être encore dans la crainte : mais vous avez reçu un esprit d’adoption par lequel nous crions Abba ! » (Romains 8.15) Et à Timothée : « Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité, mais de puissance et d’amour. » (2 Timothée 1.7) Cet Esprit, Christ nous l’a donné, selon la promesse faite par la bouche de ses prophètes (Luc 1.70) ; et c’est Lui qui fait que « délivrés de la main de nos ennemis, nous le servons sans crainte en sainteté et en justice devant Lui tous les jours de notre vie. » (Luc 1.74-75).
Ces passages de l’Écriture sainte et beaucoup d’autres semblables nous prouvent évidemment que la crainte pénale et servile ne convient pas au chrétien qui est appelé à la joie spirituelle selon ce que saint Paul démontre clairement aux Romains : en disant que le règne de Dieu est justice, paix et joie par l’Esprit saint ; c’est-à-dire que quiconque entre dans ce règne de la grâce évangélique est justifié par la foi, et par conséquent, jouit de la paix de la conscience qui produit en lui une joie parfaite, spirituelle et sainte. C’est pourquoi le même apôtre exhorte souvent les chrétiens à vivre toujours dans la joie. (1 Thessaloniciens 5.16 ; Philippiens 4.4, etc.) Et saint Pierre dit (1 Pierre 1.6) que ceux qui croient en Christ, alors même qu’ils sont affligés par diverses tentations, se réjouissent d’une joie inexprimable et glorieuse.
Quand donc l’Écriture menace et effraie les chrétiens, il faut remarquer d’abord qu’elle s’adresse à ceux d’entre eux qui abusent de la liberté évangélique, et qui, ne sachant point conserver la dignité d’enfants de Dieu, doivent être traités comme des serviteurs, et tenus dans la crainte, afin qu’ils apprennent à goûter combien le Seigneur est miséricordieux, que la foi obtienne ses effets en eux, et qu’ils acquièrent assez d’amour filial pour être gardés à la hauteur de la vocation chrétienne, et dans l’imitation de Christ.
Lorsque la même Écriture sainte exhorte à la crainte les vrais chrétiens, elle n’entend pas leur faire peur du jugement de la colère de Dieu, comme s’ils pouvaient encore être condamnés. Car, comme nous l’avons déjà dit, ils savent par le témoignage que l’Esprit de Dieu rend à leur esprit, que Dieu les a appelés et élus, et cela par sa seule miséricorde et non par leurs mérites. C’est pourquoi ils ne doutent jamais que la même miséricorde qui les a mis en possession de cette fidélité, ne puisse aussi les y maintenir. Ainsi donc l’Écriture sainte ne nous exhorte pas à la crainte servile, mais à une crainte filiale : c’est-à-dire que, comme des enfants obéissants, nous nous gardions de manquer à la piété chrétienne et de faire aucune chose qui soit contraire à la dignité d’enfants de Dieu, et propre à contrister l’Esprit saint qui demeure en nous. (Éphésiens 4.30) Connaissant la dépravation de notre nature, nous devons toujours être attentifs et vigilants, et ne jamais nous confier en nous-mêmes, car dans notre chair et dans nos âmes habitent les convoitises et les affections mauvaises qui sont les ennemis de l’Esprit, et qui cherchent continuellement à nous surprendre et à nous rendre orgueilleux, ambitieux, avares et sensuels. Telle est la crainte à laquelle l’Écriture sainte exhorte les vrais chrétiens, ceux qui ont déjà goûté combien le Seigneur est bon, et qui s’adonnent avec toute ardeur à l’imitation de Christ. Et dans la même mesure qu’ils dépouillent le vieil homme, ils perdent aussi cette crainte. Mais jamais les fidèles ne doivent se déprendre complètement de cette crainte filiale : elle est en harmonie avec la charité chrétienne, tout autant que la crainte servile lui est opposée.
De ce que nous venons de dire, il résulte que le chrétien pieux n’a point à douter de la rémission de ses péchés, ni de la grâce de Dieu. Néanmoins pour la plus grande satisfaction du lecteur, nous voulons encore citer quelques passages des saints docteurs qui confirment cette vérité.
Saint Hilaire, dans son commentaire sur saint Matthieu au chapitre cinquième, dit que Dieu veut que nous espérions sans aucun des doutes d’un cœur incertain, parce qu’autrement la justification par la foi n’est pas atteinte quand la foi elle-même est dans le doute. D’après saint Hilaire, l’homme ne peut donc point obtenir la rémission de ses péchés s’il ne croit pas fermement qu’il l’obtiendra. Et il a raison ; car celui qui doute est semblable à l’onde de la mer qui est agitée et battue par les vents : que, dans une telle disposition, l’homme ne pense pas pouvoir obtenir aucune chose de Dieu. (Jacques 1.6-7)
Écoutons aussi saint Augustin qui dans son Manuel nous enseigne qu’il faut bannir toute pensée insensée par laquelle nous pourrions nous priver de cette assurance pieuse et sainte. Qu’elles murmurent tant qu’elles voudront, dit-il, les folles pensées, telles que celles-ci : Qui es-tu ? et quelle est cette grande gloire ? et par quels mérites espères-tu l’obtenir ? Je réponds en moi-même avec confiance : Je sais à qui j’ai cru, je sais que par son grand amour Il m’a fait devenir son enfant ; je sais qu’il est véritable dans ses promesses, et puissant pour accomplir ce qu’il a promis et pour faire tout ce qu’il veut. Le nombre immense de mes péchés ne peut me faire peur, quand je pense à la mort du Seigneur : toute mon espérance repose dans sa mort. Sa mort est mon mérite, mon refuge, mon salut, ma vie et ma résurrection. Mon mérite, c’est la miséricorde du Seigneur. Je ne suis pas pauvre en mérite, tant que le Seigneur ne manquera pas de miséricorde. Et si les miséricordes du Seigneur sont en grand nombre, je suis aussi riche en mérites. Plus est grande sa puissance pour sauver, plus aussi ma sécurité est parfaite.
Le même Augustin dit dans un autre endroit, qu’il aurait pu se désespérer à cause de la grandeur de ses péchés et du nombre de ses manquements, si le Verbe ne s’était fait chair. Et il ajoute ces paroles : Toute mon espérance, toute la certitude de ma foi repose sur son précieux sang, qui a été versé pour nous, pour notre salut. En lui je respire. En lui je mets ma confiance, désirant d’aller à toi, ô Père, non avec ma justice propre, mais avec celle de ton Fils Jésus-Christ. Saint Augustin, dans ce passage, montre clairement que le chrétien ne doit point craindre, mais être certain de sa justification, la fondant non dans ses œuvres, mais dans le précieux sang de Christ qui nous lave de tous nos péchés et nous donne la paix avec Dieu.
Saint Bernard, dans son premier sermon sur l’Annonciation du Seigneur, dit : Il ne suffit pas de croire que tu ne peux avoir la rémission des péchés que par la miséricorde de Dieu ; il ne suffit pas de croire que tu ne peux avoir aucun bon désir, ni faire aucune bonne œuvre s’il ne t’est donné de Dieu, ni de croire que tu ne peux mériter la vie éternelle par tes œuvres, si elle ne t’est pas donnée par grâce : toutes ces choses peuvent être regardées comme le fondement et le principe certain de la foi. Mais il est nécessaire, en outre, que tu croies fermement que par lui tes péchés te sont remis. Voilà comment ce saint homme confesse qu’il ne suffit pas de croire en général à la rémission des péchés, mais qu’il faut que tu croies qu’à toi-même tes iniquités te sont pardonnées en Christ. Et la raison en est claire : c’est que, lorsque Dieu te promet la justification par les mérites de Christ, si tu ne crois pas que tu es justifié par ces mérites, tu fais Dieu menteur, et te rends, par conséquent, indigne de sa grâce et de sa miséricorde.
Mais, diras-tu, je crois bien la rémission des péchés et je sais que Dieu est la vérité ; mais je crains de n’être pas digne de tant de grâces. Je te répondrai que la rémission de tes péchés ne serait pas un don et une grâce, mais un dû, si Dieu te l’accordait par le mérite de tes œuvres. Je te répète encore que Dieu te reçoit comme juste, et qu’il ne t’impute point le péché, à cause des mérites de Christ, lesquels te sont donnés et sont devenus tiens par la foi.
Suis donc le juste conseil de saint Bernard ; ne te borne pas à croire en général à la rémission des péchés, mais applique cette croyance à toi-même en particulier. Crois fermement que par Christ toutes tes iniquités te sont pardonnées. De cette manière tu donneras gloire à Dieu, confessant sa miséricorde et sa fidélité, et tu deviendras juste et saint devant Dieu, la justice et la sainteté de Christ t’étant communiquées par cette foi et cette confession.
Maintenant, pour revenir à notre pensée sur la prédestination, je crois que de ce qui a été dit plus haut, il ressort clairement que la certitude de la prédestination ne peut pas nuire aux vrais chrétiens, mais qu’elle leur est de la plus haute importance. Quant aux réprouvés et aux faux chrétiens, il ne me semble point qu’elle puisse leur être nuisible ; car, quelques efforts qu’ils puissent faire pour se croire du nombre des élus, ils ne pourront pourtant jamais le persuader à leur conscience, qui les accusera toujours.
Cependant, il pourrait sembler que cette doctrine de l’élection leur soit en piège, car on les entend dire : Si je suis du nombre des réprouvés, à quoi me servent les bonnes œuvres ? Si, au contraire, je suis un des élus, je serai sauvé sans m’efforcer à faire de bonnes œuvres.
A cela je réponds brièvement, que par ces arguments diaboliques ils ne font qu’augmenter contre eux la colère de Dieu. Car Dieu a révélé la connaissance de la prédestination aux chrétiens, non pour refroidir leur amour et leur zèle pour les bonnes œuvres, mais au contraire, afin de les embraser d’amour et de zèle à faire le bien. C’est pourquoi le vrai chrétien, d’un côté, est assuré qu’il est élu pour la vie éternelle, non point à cause de ses mérites, mais par la grâce de Dieu qui a voulu par l’élection montrer sa miséricorde à notre égard. Et d’un autre côté, il est zélé dans les bonnes œuvres et dans l’imitation de Christ tout comme si son salut dépendait de son activité et de ses efforts propres. Quant à celui qui se laisse refroidir dans les bonnes œuvres par cette doctrine de la prédestination, en disant : Si je suis élu, je serai sauvé sans la peine que me donnent les œuvres, il montre par-là clairement que jusque-là il ne travaillait point par amour pour Dieu, mais par égoïsme ; de sorte que ses œuvres pouvaient paraître bonnes et saintes aux yeux des hommes, tandis qu’aux yeux de Dieu, qui regarde au cœur, elles étaient mauvaises et abominables. Nous pouvons donc conclure que la doctrine de la prédestination est plutôt utile que nuisible aux faux chrétiens eux-mêmes : car elle met à découvert leur hypocrisie, qui, aussi longtemps qu’elle se cache sous le manteau de l’activité extérieure, ne peut être guérie.
Je voudrais que ceux qui disent : Je ne veux point faire de bonnes œuvres, parce que si je suis prédestiné, je serai sauvé sans ce travail, — je voudrais, dis-je, qu’ils m’expliquassent pourquoi, lorsqu’ils sont malades, ils ne disent point aussi : Je ne veux ni médecin, ni médecine, parce que ce que Dieu a décidé de moi, ne peut manquer de m’arriver. Et pourquoi mangent-ils et boivent-ils ? pourquoi travaillent-ils la terre, plantent-ils la vigne, et font-ils avec tant d’ardeur toutes les choses qui sont nécessaires à la vie de leur corps ? Pourquoi ne disent-ils pas aussi bien : Toutes ces fatigues et ces travaux sont superflus, car ce qui a été prévu et décidé de Dieu, quant à la vie et la mort, ne peut manquer d’arriver. Si donc la providence de Dieu ne les rend pas négligents et paresseux pour les choses qui regardent la vie du corps, pourquoi devrait-elle les rendre inactifs et négligents dans ce qui a rapport au perfectionnement de la vie chrétienne, qui est sans aucune comparaison plus noble que celle du corps ?
Nous voyons que ni Jésus-Christ, ni saint Paul ne se sont laissé retenir, par la crainte de scandaliser les réprouvés, de la prédication de la vérité, qui est nécessaire à l’édification des élus ; — comme c’est aussi par amour pour eux que le Fils de Dieu s’étant fait homme, est mort sur la croix. Nous de même, ne devons pas, par la crainte de scandaliser les faux chrétiens, nous laisser arrêter de prêcher cette sainte doctrine aux vrais chrétiens, pour lesquels nous avons vu qu’elle est d’une si grande efficace.
Nous sommes arrivé à la fin de notre travail, dont la principale intention a été de célébrer et de magnifier selon nos faibles forces, le bienfait merveilleux accordé au chrétien par Jésus-Christ crucifié, et de démontrer que la foi seule justifie : c’est-à-dire que Dieu reçoit comme justes tous ceux qui croient véritablement que Jésus-Christ a satisfait pour tous leurs péchés. Mais redisons que comme la lumière est inséparable de la flamme, ainsi les bonnes œuvres ne se peuvent séparer de la foi, quoique celle-ci justifie par elle-même cette très sainte doctrine qui exalte Jésus-Christ en abaissant l’orgueil humain, et qui fut et sera toujours rejetée par les chrétiens animés d’un esprit judaïque. Mais bienheureux celui qui, à l’imitation de saint Paul, se dépouillant de toutes ses justices propres, ne veut d’autre justice que celle de Christ ! Revêtu de cette justice-là, il pourra comparaître avec toute sécurité devant la face de Dieu, et il recevra de lui la bénédiction et l’héritage du ciel et de la terre, en communion avec son Fils unique Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel soit gloire dans toute l’éternité ! Amen !
Sommaire :
- Quatre remèdes contre la défiance :
- La prière.
- Le souvenir du baptême.
- La sainte Cène.
- L’assurance de l’élection.
- Quiconque reçoit l’Évangile a l’assurance de son élection.
- Que les adversités ne sont point un signe de réprobation.
- Que l’homme peut être assuré de la grâce de Dieu.
- Les passages de l’Écriture qui renferment des exhortations à la crainte de Dieu et des menaces, ne sont point contraires à la doctrine de l’élection.
- L’Écriture sainte frappe d’une crainte servile les infidèles, et elle exhorte les vrais chrétiens à une crainte filiale.