Aucun homme ne peut dompter la langue ; c’est un mal qu’on ne peut réprimer ; elle est pleine d’un venin mortel. Par elle nous bénissons Dieu, notre Père et nous maudissons les hommes faits à l’image de Dieu. De la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction. Il ne faut pas qu’il en soit ainsi.
La parole est un don magnifique fait à la nature humaine. C’est une sorte de royauté qui fut conférée à Adam au jour mémorable où, d’après les expressions naïves et sublimes de la Genèse, Dieu fit venir les animaux devant le chef de notre race, afin que « le nom qu’Adam donnerait à tout animal vivant fût son vrai nom ». Sous l’action de l’Esprit, les lèvres du premier homme s’ouvrent et s’animent, comme pour marquer d’un trait nouveau et décisif toute la différence entre l’homme et la brute. Car, comme l’a si bien dit l’éloquent P. Hyacinthe, « tant qu’on n’aura pas éveillé une parole intelligente avec le sourire sur les lèvres épaisses de l’animal, on n’aura pas rapproché les bords du gouffre béant qui sépare à jamais l’être qui pense de celui qui ne pense pas ».
Quel charme que celui de la parole, expression et véhicule de la pensée, lien des sociétés humaines,incessante communication des âmes! Que serait la famille sans ces échanges de tendresse dont la parole est l’interprète, sans ces causeries abandonnées où les saillies de l’esprit et les mouvements du cœur s’épanchent tout naturellement, sans qu’on ait à les surveiller ? Nous savons ce que vaut le don de la parole, nous, parents, qui avons épié anxieusement le jour, l’heure, la minute où, pour la première fois, notre enfant a balbutié le mot magique qui affirme notre paternité. Et comme ils ont senti leur malheur, ceux qui ont vainement attendu ce jour divin, ceux qui, arrêtant leur œil angoissé sur une bouche enfantine, ont enfin constaté qu’elle reste muette, ou qu’elle laisse échapper des sons plus douloureux que le silence même…
Quelle puissance aussi que celle de la parole ! Cette supériorité prédestine presque toujours un homme au commandement ou à quelque haute destinée. Le Pnyx et le Forum ont été le piédestal des orateurs et des hommes d’Etat. Il n’est pas une cause religieuse, patriotique, sociale, qui n’ait trouvé quelque grande parole pour la servir ; je dirai même qu’une cause ne devient populaire que lorsque des âmes ardentes et généreuses la propagent par leurs discours. L’homme prédestiné qui a le pouvoir de communiquer sa flamme intérieure est véritablement un maître et un roi : conceptions de l’esprit, puissance du raisonnement, mouvements de la conscience, émotions de l’âme, sentiments d’amour ou de haine, d’indignation ou de pitié, desseins d’une volonté énergique, il fait passer dans autrui quelque chose de son être moral ; il captive, il persuade, il subjugue, il entraîne les foules, dociles à sa voix, comme cette mer d’épis mûrs et prêts pour la moisson, s’agite, frissonne, s’incline, se relève au souffle des vents.
Vous avez tous subi, mes frères, le charme et la puissance de la parole. Mais vous reconnaissez que si elle est un instrument fécond pour le bien, elle l’est aussi pour le mal. Il en est du monde moral comme du monde matériel ; pas une force de vie qui ne puisse devenir une puissance de destruction. Les eaux de l’Océan mettent en communication les continents et les peuples, transportent d’un hémisphère à l’autre les produits de l’agriculture et de la civilisation ; oui, assurément ; mais ces eaux engloutissent dans leurs abîmes nos fiers navires, avec leurs cargaisons et leurs matelots. Le feu fait marcher nos usines et nos chemins de fer ; mais, souvenir d’humiliation et de douleur, il y a plus d’un quart de siècle, le feu allumé par des mains criminelles, faillit ensevelir notre grand Paris sous des décombres… De même, pour la parole ! Si elle sert les plus nobles causes de la vérité et de la justice, elle peut aussi inspirer les plus horribles forfaits de lèse-humanité. — Le prouver, c’est prouver l’évidence. Qu’est-ce que le christianisme ? Une parole de Dieu, un message de délivrance apporté par le ciel à la terre : « Je vous annonce le sujet d’une grande joie. » — Qu’est-ce que Jésus-Christ ? Le Verbe éternel, la Parole faite chair venue dans le monde pour le réconcilier avec Dieu. — Qu’est-ce que l’Église ? Un fruit de la parole. Avant d’avoir écrit, les apôtres ont parlé et entraîné les foules par leurs discours, sous le souffle du Saint-Esprit. — Qu’est-ce que la Réforme ? Une parole de Dieu redite à la chrétienté pétrifiée dans des rites et des commandements d’hommes, et vivifiée par la proclamation du salut gratuit. — Que sont les Missions ? Encore la parole portée aux peuples de toutes races, à ces millions d’êtres déprimés, abjects, qui dans leur joie de recevoir la Bonne Nouvelle, disent aux missionnaires : Nous vous attendions… — Dans une autre sphère, qu’est-ce que l’éducation ? C’est l’apostolat de la parole par la mère. Après avoir donné à son enfant le lait de son sein et le meilleur de son amour, elle lui ouvre les portes de la science en lui apprenant l’alphabet, et les portes de la foi en illustrant devant sa jeune imagination les récits sublimes de notre vieille Bible. « Les lèvres de la mère sont des livres éloquents, » a dit saint Chrysostome. — Qu’est-ce enfin que l’éducation des peuples ? Elle se fait par des paroles de lumière et de délivrance, chimères aujourd’hui, vérités demain. — « L’utopie est un berceau, » d’après notre grand poète, Victor Hugo. — Affranchissement des communes, abolition de la torture, de la traite des noirs, de l’esclavage, proclamation des droits de l’homme, de la justice, de la liberté, de l’égalité de tous devant la loi, — autant de victoires de la parole domptant les préjugés, illuminant les ténèbres, triomphant des plus formidables oppositions, conquérant enfin l’âme des peuples. — Quant aux égarements de la parole, il serait trop facile, et trop cruel aussi, de les énumérer. Que d’erreurs, d’injustices, de crimes même elle a défendus ! N’a-t-elle pas soutenu tous les fanatismes politiques, religieux, sociaux ? N’a-t-elle pas soulevé, en leur faveur, les masses aveugles et fait verser des flots de sang ?… Pour ne parler que de l’incrédulité, il est telle parole d’un sceptique, d’un railleur, d’un philosophe orgueilleux, qui, frappée comme une médaille, a passé dans le langage usuel. C’est une arme soigneusement gardée dans l’arsenal de la libre pensée ; longtemps, elle meurtrit des âmes d’hommes. Sait-on combien les sophismes d’un Rousseau, d’un Voltaire, passés à l’état d’axiomes, égarent encore un grand nombre de nos contemporains, après avoir laissé leur empreinte néfaste sur plusieurs générations ? « Liberté, disait Mme Roland en montant sur l’échafaud, combien de crimes on a commis en ton nom ! » Parole humaine, pourrions-nous dire aussi, don sublime du Créateur, combien de forfaitures on t’a fait accomplir !
Mais je veux entrer dans un ordre de considérations plus intime. Si nous souscrivons au spirituel apologue du vieil Esope qui disait que « la langue est la meilleure et la pire des choses », si, avec le pratique saint Jacques, nous reconnaissons qu’elle est « un monde d’iniquité » et que de la même bouche ne doivent pas sortir la bénédiction et la malédiction, n’est-il pas urgent d’en étudier l’usage dans notre vie journalière ?
Et d’abord, n’y aurait-il pas tout un sermon à faire sur le mensonge ? Notre vie sociale n’est-elle pas une sorte de mensonge ininterrompu ? La diplomatie ? L’art habile de dissimuler une série d’artifices imaginés pour séduire, et de pièges dressés contre des rivaux, d’ailleurs toujours en éveil. La politique ? des promesses fallacieuses faites au peuple, qu’on sait bien ne pouvoir tenir ; des engagements pris aujourd’hui, reniés demain ; des partis se trompant mutuellement pour s’évincer les uns les autres. Le journalisme ? le plus souvent, une négociation éhontée, dans laquelle le charlatanisme le plus cupide se charge de propager le vrai et le faux, surtout le faux, dans un intérêt de lucre. Est-ce que le monde des affaires est indemne de ces mœurs ? Mais, n’est-il pas tristement avéré qu’il s’est fait un code de morale à son usage, inspiré par l’amour effréné de la richesse et la volonté de la posséder à tout prix ? En sorte que dans ce monde-là, sauf de courageuses exceptions, on devient un homme réputé très habile, très fort, précisément, quand on excelle à déguiser sa pensée, c’est-à-dire, à tromper ses concurrents. O l’admirable champ de bataille pour le mensonge que celui où se donnent une libre carrière les luttes audacieuses de la spéculation moderne !
D’une manière générale, la nation française, légère et frondeuse, traite le mensonge comme une innocente faiblesse qu’elle ne songe guère à se reprocher. Mentir est une manière agréable d’amuser et d’avoir de l’esprit, mentir est aussi un moyen de réussir. Tel met tout à l’étalage, comme dans certains magasins de médiocre valeur, fortune, luxe, relations, pour briller et « jeter de la poudre aux yeux », selon le dicton populaire. Tel autre déguise ses sentiments, renie ses convictions, pour ne point déplaire à une personnalité dont il brigue la faveur. Que sont les relations mondaines, si ce n’est une succession de duplicités où l’art de la politesse consiste à dire ce qu’on ne pense pas ? Quelquefois même, il arrive qu’on exprime les souhaits les plus aimables et qu’on en forme véritablement de détestables au fond du cœur… D’autres fois, on se contente de petites ruses féminines, de flatteries débitées avec grâce, dont pas une n’est sincère. Oh ! bien innocentes, celles-là, dites-vous, et qui ne font de tort à personne… Que nous sommes loin de l’austère morale de l’Evangile, qui ne transige pas avec le mal, qui n’admet pas des catégories dans le péché et pour laquelle le mensonge, frivole ou sérieux, est toujours la trahison de la vérité et l’adultère de la pensée. Aussi, ne puis-je m’empêcher de m’adresser aux chrétiens et de leur dire : « Soyez inflexibles, au point de vue du mensonge, avec vos enfants, avec vos serviteurs ; ne le tolérez, pas chez ceux-ci ; punissez-le avec sévérité chez ceux-là ; donnez à tous l’exemple de la véracité la plus stricte pour protester contre les habitudes de notre nation, qui pratique ce péché avec une légèreté stupéfiante ; montrez à tous que « la probité de l’âme est véritablement une religion ».
Combien de paroles prononcées contre la charité ! Ecoutez, dans les rues, dans les assemblées délibérantes, partout où quelque intérêt est en jeu, les injures, les invectives, les explosions de colère, — ou bien ces paroles plus contenues, mais tout aussi remplies de fiel, qui blessent comme la froide lame d’un stylet. Et quelquefois, cela se termine par un drame, par un crime, le plus souvent par un duel, cette autre forme du crime, mais, ce crime admis par l’opinion, protégé par les lois, absous par les mœurs, et qui revendique l’étrange prétention de personnifier cette chose sacrée : l’honneur… Jusque dans la famille, écoutez, entre des êtres que Dieu avait rapprochés pour se rendre heureux les uns par les autres, entre des pères et des enfants, des frères et des sœurs, des maris et des femmes, écoutez ces observations malveillantes, ces reproches amers, ces longues récriminations ! Ah ! n’en avez-vous jamais prononcé, de ces propos violents ou froidement cruels, qui ont affligé, humilié, blessé jusqu’au fond de l’âme l’un de ceux que vous aviez pour mission d’entourer de tendresse ? Et votre bonheur domestique n’en a-t-il pas été compromis ? Ce bonheur-là est un hôte discret qui fuit le bruit et qui pourrait bien ne pas revenir dans votre demeure.
Si nous avons dit en face à notre prochain des paroles blessantes, n’avons-nous jamais répandu sur lui, par derrière, dans l’ombre, quelque bruit calomnieux ? — Ou, si ce mot de calomnie vous paraît trop gros, écoutez bien : n’avez-vous jamais présenté sous un faux jour, en l’accompagnant de commentaires qui le dénaturent, tel acte que d’autres ont raconté, d’après vous, en grossissant le mal jusqu’à le travestir ? Et cela est devenu, presque, une insidieuse calomnie. Enfin, si vous vous croyez indemnes de cette forfaiture, n’avez-vous jamais ouvert vos lèvres à la médisance ? Laissez-moi ici, mes frères, vous dénoncer un vice qui est vraiment universel. Pénétrez dans les cercles, dans les ateliers, dans les réunions d’hommes cultivés et d’hommes du peuple, partout, c’est le prochain qui défraye les conversations, et ce n’est pas précisément pour en dire du bien ! Que de propos malveillants, de suspicions injustes, de jugements sévères et précipités ! On est armé les uns contre les autres, par intérêt, par jalousie, par orgueil, par ambition, et c’est vraiment l’horrible dicton qui se réalise : « L’homme est un loup pour l’homme. » Dans ces salons brillants où se réunit une société de choix, est-ce mieux ? Les insinuations contre le prochain sont plus délicates, mais aussi, plus perfides. C’est avec une réserve de bon ton qu’on lance tel ou tel bruit — oh ! bien discrètement — mais il n’en fait pas moins son chemin ! En somme, qu’est-ce qu’un salon ? C’est un concert de médisances entre femmes bien élevées, distinguées, qui se croient sincèrement l’élite morale de leur pays et de leur Eglise, qui le sont peut-être ?… Il semble vraiment qu’on ne puisse se réunir que pour dénigrer autrui, que la médisance devienne le sel obligé de tous les propos, et qu’on en soit réduit à relever l’insignifiance, la banalité des conversations par des traits acérés, moins spirituels que méchants, et par l’acre saveur du mal.
Nous ne pouvons passer sous silence une certaine désinvolture dans le langage qui est admise aujourd’hui, et l’un des traits de notre temps. Sait-on tout le mal qu’on peut faire à la jeunesse par le manque de chasteté dans les conversations ? On ne s’est expliqué qu’à demi-mot, il est vrai ; mais cela suffit pour éveiller dans de jeunes, âmes une mauvaise curiosité. On n’a fait qu’une allusion discrète à tel livre corrupteur très lu, très commenté ; mais cela est suggestif et donne le désir de le lire. Ah ! gardons intacte, comme une fleur délicate et fragile, cette sainte ignorance, cette pudeur sacrée de nos jeunes gens qui fait à la fois leur charme et leur sauvegarde. Respectons en eux la virginité de l’esprit qui garantit celle de l’âme, qui se reflète dans leurs yeux et sur leurs fronts comme leur plus belle parure. La chasteté des lèvres prépare et entretient celle des cœurs ; c’est ce que pensaient nos mères, qui avaient à cet égard une austérité et des scrupules que nous ne partageons pas assez aujourd’hui, parce que l’impudeur (pour ne pas dire l’obscénité) du roman et du théâtre nous a tristement familiarisés avec le mal. Elles avaient, ces graves aïeules, une réserve que l’on ne manquerait pas de railler à l’heure où nous sommes ; qui dira cependant qu’elle ne fut pas la force de leur vertu domestique et le ferme appui des principes qu’elles surent inculquer à leur génération ? Ne nous accusez pas, mes sœurs, de chercher à proscrire de vos salons l’aimable gaieté, le charme spirituel et les étincelantes causeries, autrefois une des gloires de la France. Relevez au contraire, vous dirons-nous, cet art merveilleux de la conversation qui se perd de plus en plus dans notre patrie ; vous y réussirez assurément par la culture élevée de votre intelligence, par le charme et la souplesse de votre esprit, surtout par ce sens affiné des choses belles et généreuses qui marque votre supériorité sur le sexe fort ; mais vous ne sauriez y réussir, croyez-le bien, par l’absence de cette délicatesse et de cette noble pudeur qui vous assurent l’influence, chaste royauté seule digne de vous !
Après cette revue de nos défaillances et de nos péchés, souffrez, que je vous recommande la bonne parole. O vous qui faites profession d’être chrétiens, si vous pouviez incarner, pour ainsi dire, la parole écrite dans toute votre personne, dans votre accueil sympathique, dans le son de votre voix, dans le don de votre cœur au cœur qui vous écoute, tout palpitant à côté du vôtre, quel bien vous pourriez faire ! Il suffit quelquefois de la parole d’un enfant pieux, d’une femme même ignorante, mais toute pénétrée de l’amour de Christ, pour faire tomber des montagnes d’objections et convertir un douteur, un incrédule, un pécheur endurci : cela s’est vu souvent dans l’Eglise de Dieu. Une parole discrète et aimante a plus d’une fois amené au Sauveur tel jeune homme qu’un mauvais exemple ou un livre corrupteur avait égaré. Eh bien, semeurs infatigables, ne nous lassons pas de jeter la bonne semence dans ce champ qui s’appelle « le monde » et que tant de chrétiens avant nous ont labouré à la sueur de leurs fronts. — Vous qui connaissez l’Evangile, protestez contre l’injustice et l’iniquité ; opposez-vous à la corruption qui nous envahit de toutes parts : mauvaise littérature, débauche, alcool ; — combattez cet athéisme pratique dont notre peuple se meurt…. Puis, dans la famille, exercez-vous à la bonne parole, par où j’entends la parole de douceur. Elle est bienfaisante et gagne les cœurs ; elle est plus puissante qu’aucun acte généreux qui ne serait pas accompagné de bonté. Il y a en elle un rayonnement plein de charme et une force mystérieuse qui viennent à bout de toutes les résistances de l’orgueil. Il convient de s’en souvenir en éducation. — Dans vos rapports sociaux, soyez indulgents, charitables ; ne consentez jamais à faire à votre prochain une de ces blessures qu’on ne parvient plus à guérir. — En portant des secours généreux aux pauvres, ne négligez jamais de leur dire une parole touchante et fraternelle qui tombe comme un rayon sur leur triste réduit. Pourriez-vous vous représenter la charitable Dorcas distribuant avec dureté et sécheresse de cœur les vêtements qu’elle confectionnait pour les veuves et les orphelins ? Non, sa parole dut être douce à ceux qu’elle allait vêtir. — Si vous rencontrez au coin d’une rue un pauvre mutilé de la vie qui demande l’aumône, laissez-lui comprendre que vous prenez part à sa détresse ; un mot de sympathie, parti de votre cœur, lui fera plus de bien que votre obole ! Et si vous voulez relever de sa chute un être d’abjection, ne l’humiliez pas, car votre mépris pourrait détruire le dernier débris de sa vie morale. Adressez-lui, avec une tendre pitié, la parole de votre Maître : « Je ne te condamne pas : va et ne pèche plus. » O paroles, paroles de charité, de bonté, de divine compassion, descendez du ciel dans nos cœurs et venez vous poser sur nos lèvres ; venez nous apprendre à désarmer, soulager, apaiser, convertir ces milliers de cœurs meurtris et d’âmes révoltées qui emplissent cette fin de siècle…
Je ne puis me séparer de vous, sans vous presser de faire ici votre examen de conscience et de vous poser cette question : Mes paroles ont-elles fait du bien ou du mal ; ont-elles propagé la foi ou l’incrédulité, la vérité ou le mensonge, l’amour ou la haine, la paix ou la colère ? Ne cherchons pas de vains palliatifs en nous disant que l’homme est un composé de bien et de mal et que les mauvaises paroles sont rachetées par les bonnes, Saint Jacques, avec son bon sens supérieur, ne l’entend pas ainsi, lorsqu’il déclare que « d’une même bouche ne peuvent sortir la bénédiction et la malédiction » ; d’ailleurs, la morale des gens du monde confirme son enseignement, car les gens du monde professent pour les faux dévots qui prononcent tantôt des paroles douces, tantôt des paroles amères, une sévérité qui n’est égalée que par son mépris… Non, je vous en prie, ne traitez pas à la légère ces péchés de la langue que Jésus a si sévèrement condamnés ; écoutez-le nous dire : « Les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole vaine qu’ils auront proférée » — à plus forte raison, semble-t-il, de toute parole mauvaise. Et Jésus continue : « Car, par tes paroles, tu seras justifié, et par tes paroles, tu seras condamné. » (Matthieu 12.36-37.) — On raconte que lorsque la Réforme fut établie en Angleterre, moins par l’appui royal d’Henri VIII que par la diffusion des Ecritures, un prédicateur, le pieux Latimer, fut traduit devant une cour de justice comme coupable d’hérésie. A peine eut-il pris la parole pour rendre compte de sa foi, qu’aussitôt, il entendit, derrière la tapisserie, le bruit léger d’une plume qui transcrivait toutes ses réponses. Il a raconté lui-même la secousse qu’il en éprouva intérieurement, et le soin extrême qu’il prit de surveiller les moindres de ses expressions. — Eh bien, avons-nous pensé à cette autre plume mystérieuse qui trace nos paroles, sur les registres éternels ? Image, dites-vous, figure de langage que ce livre d’après lequel nous serons jugés ! Mais, prenez-vous aussi pour des figures de langage le compte à rendre et le jugement du dernier jour ? Ne sont-ils pas formellement affirmés par plusieurs déclarations solennelles des Ecritures ? Or, si la parole humaine est trop souvent légère, menteuse, comme nous l’avons constaté dans ce discours, est-ce que la parole divine n’est pas véritable, authentique, souveraine, irrévocable ? Est-ce que vous admettez qu’elle peut se tromper et nous tromper ?… O mon Dieu, ton jugement nous apparaît là-bas, à la borne redoutable de notre vie terrestre, comme une réalité qui nous accable… Réveillés au bruit de ta justice, nous faisons appel à ton infinie miséricorde manifestée par le don de ton Fils ! Fils éternel, Agneau de Dieu qui ôtes les péchés du monde, couvre-nous du manteau de ta justice, plaide notre cause devant Celui dont les yeux sont trop purs pour voir le mal sans le punir. Dès lors, pardonnés par ta grâce, nous serons convertis ! Tu nous donneras des cœurs nouveaux, tu feras « l’arbre bon » et son « fruit sera bon », comme tu le disais au temps de ta vie terrestre. Nous édifierons nos frères par nos actes comme par nos paroles, et nous glorifierons notre Père céleste. « O Eternel, que les propos de ma bouche et les sentiments de mon cœur te soient agréables ! » (Psaumes 19.15)