Alors la parole de l’Éternel fut adressée à Élie en disant : Lève-toi et t’en va à Sarepta qui est près de Sidon et y demeure. Voici j’ai commandé là à une femme veuve de te nourrir. Il se leva donc et s’en alla à Sarepta ; et comme il fut arrivé à la porte de la ville, voilà une femme veuve était là qui amassait du bois ; et il l’appela et lui dit : Je te prie, prends en ta main une bouchée de pain pour moi. Mais elle répondit : l’Eternel ton Dieu est vivant, que je n’ai aucun gâteau ; je n’ai qu’une poignée de farine dans une cruche et un peu d’huile dans une fiole : et voici, j’amasse deux bûches, puis je m’en irai et je l’apprêterai pour moi et pour mon fils, et nous le mangerons, et après cela nous mourrons.
Et Elie lui dit : ne crains point ; va, fais comme tu dis : mais fais-m’en premièrement un petit gâteau et apporte-le moi, et puis tu en feras pour toi et pour ton fils. Car ainsi a dit l’Eternel, le Dieu d’Israël : la farine qui est dans la cruche ne manquera point, et l’huile qui est dans la fiole ne défaudra point, jusqu’à ce que l’Éternel donne- de la pluie sur la terre. Elle s’en alla donc et fit selon la parole d’Élie, et elle mangea, et lui, et la famille de cette femme pendant plusieurs jours. La farine de la cruche ne manqua point, et l’huile de la fiole ne tarit point, selon la parole que l’Éternel avait proférée par le moyen d’Élie.
C’est une merveilleuse destinée que celle du prophète Elie. Apparaissant tout à coup sur le théâtre de l’histoire, disparaissant de même dans une ascension glorieuse, il passe pour ainsi dire en Israël comme un jugement de Dieu accompagné des plus éclatants prodiges. A sa voix le ciel se ferme, et, devenu d’airain, retient la pluie et l’abondance. A sa voix, le ciel se rouvre et rend la vie aux campagnes desséchées. A sa voix, le feu du ciel descend sur son sacrifice et le consume glorieusement, en présence des prêtres de Bahal confondus. A sa voix, le même feu, messager de la colère de Dieu après avoir été le signe de sa faveur, foudroie les soldats d’Achazia, envoyés pour le saisir. A sa voix, le Jourdain divise ses ondes pour lui livrer passage. A sa voix, le fils de la veuve de Sarepta recouvre la vie. Enfin, après une carrière semée de prodiges, un miracle l’enlève de ce monde en attendant qu’un miracle l’y ramène du fond de l’éternité. Après neuf siècles écoulés, le prophète d’Israël reparaît sur la terre au sein des splendeurs de la Transfiguration, et le Nouveau Testament, jaloux, lui aussi, de raconter sa gloire, ajoute à son histoire le post-scriptum sublime du Thabor.
Mais aujourd’hui, mes frères, Elie ne se montre pas à nous ceint de force et couronné de gloire ; il nous apparaît dans la faiblesse et dans l’opprobre, au sein des angoisses et des humiliations de la pauvreté .
Le voyez-vous, au bord du torrent de Kérith, ne possédant aucune provision ni aucune ressource, et réduit à recevoir jour après jour son pain, comme une aumône de la main de Dieu, par un moyen qui confondra pensée ? Mais de nouvelles épreuves l’attendent. L’eau du ruisseau tarit, les noirs messagers cessent de lui apporter sa nourriture, et la voix de Dieu lui dit : Lève-toi et va-t-en à Sarepta qui est près de Sidon, voici j’ai commandé là à une femme veuve de te nourrir. Quitter cette retraite à laquelle il s’était si bien accoutumé, quitter cette solitude toute peuplée de la présence de son Dieu, s’en aller à l’étranger, et là attendre du secours de la part d’une veuve qui en aurait besoin pour elle-même, quelle épreuve pour sa foi ! Mais il part, soutenu par cette parole du Psalmiste mieux que par le bâton qu’il tient en ses mains : « J’élève mes yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours. Mon secours vient de l’Éternel qui a fait les cieux et la terre. » Le voici sur le territoire de Sidon, le voici aux portes de Sarepta… Mais que sa confiance, même si bien fondée en son cœur sur la parole de Dieu, doit être ébranlée au moment où il aperçoit la pauvre veuve et où celle-ci lui expose son sort ! Sans doute, il se l’était représentée comme peu fortunée, comme indigente même. Mais il n’avait pu se figurer ce degré de misère, exprimé par la femme elle-même dans ce naïf et effrayant langage, qui est comme la résignation du désespoir. « L’Éternel est vivant que je n’ai aucun pain. Je n’ai qu’une poignée de farine dans une cruche et un peu d’huile dans une fiole. Et voici, j’amasse deux bûches, puis je m’en irai et je l’apprêterai pour moi et pour mon fils, et nous le mangerons, et après cela nous mourrons ! »
Quel dénuement, quelle extrémité ! Voir diminuer ses ressources, se dire qu’à telle date, si la crise se prolonge, elles prendront fin… et entrevoir devant soi, au bout de cette sombre avenue où l’on est engagé, ce passant sinistre, cet homme armé sous les traits duquel l’Écriture nous représente la misère, ah ! c’est affreux sans doute : mais il y a du temps, il y a de l’espace, il y a place encore pour une chance heureuse, pour un changement imprévu. Mais, voir ses ressources, définitivement épuisées ; voir la misère non plus à son horizon, mais à sa porte ; voir l’homme armé dans sa propre demeure et sentir sa rude étreinte, dire du morceau de pain qu’on approche de ses lèvres tremblantes, ou qu’on tend à un être qui vous est plus cher que vous-mêmes : c’est le dernier !… Ah ! je renonce à décrire l’horreur de cette agonie, de cette mort anticipée. Et voilà ce qui se passe peut-être, à l’heure où je vous parle, dans quelque faubourg reculé, sous quelque mansarde de notre capitale. Tandis que nous avons pris, nous, notre repas du matin, et que nous retrouverons dans notre demeure bien pourvue le repas du soir, il y a peut-être quelque veuve de Sarepta qui a dit en commençant cette journée : « Voici, j’amasse deux bûches, puis je m’en irai et j’apprêterai un mets grossier pour moi et pour mon fils, et nous le mangerons, et après cela nous mourrons ! »
Ainsi parle à Élie, sans pain, la veuve réduite à son dernier morceau de nourriture. Et c’est là le sort de la femme chargée de le nourrir ! Et c’est de cette association de misères que doit sortir la délivrance ! Encore une fois, quelle épreuve pour la piété d’Élie ! A sa place, que de doutes, que de défiances, que d’alarmes auraient agité nos cœurs, nos cœurs si inquiets, si troublés, dès que la moindre de nos ressources se trouve menacée, dès qu’un point noir se forme dans notre ciel !… Mais lui, si quelque doute s’élève en son âme, il le réprime par la parole de Dieu. « Lève-toi et va-t-en à Sarepta qui est près de Sidon. Voici, j’ai commandé à une femme veuve de te nourrir. » Et encore : « L’Éternel est celui qui fait mourir et qui fait vivre, qui fait descendre au sépulcre et qui en fait remonter. L’Éternel est celui qui appauvrit et qui enrichit, qui élève et qui abaisse : il élève le pauvre de la poudre et tire le misérable de dessus son fumier. » Donc, point de doute, point de crainte. Dieu, qui est l’auteur de sa détresse, saura bien être, quand il lui plaira, l’auteur de sa délivrance. Et, se tournant vers la femme : « Ne crains point, ainsi a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : la farine qui est dans la cruche ne manquera, point, et l’huile qui est dans la fiole ne défaudra point, jusqu’à ce que l’Éternel ait envoyé de la pluie sur la terre. »
Mes frères pauvres, qui pouvez vous trouver dans cette assemblée, recevez instruction. Apprenez que votre indigence, comme celle du prophète, est une dispensation de Dieu.
Sans doute, dans la condition du pauvre, il peut y avoir, il y a souvent de la faute du pauvre : paresse, imprévoyance, inconduite, intempérance, ah ! il faut bien le dire, avant tout, intempérance. Savez-vous ce qu’affirme une plume autoriséea : « Les cabarets absorbent toutes les semaines le tiers des salaires, et il faudrait dire la moitié, si l’on comptait les forces diminuées, la santé compromise, la vie abrégée. » Oh ! mes frères ouvriers, laissez-moi décharger mon cœur devant vous ! Laissez-moi vous dire combien ce cœur souffre, quand je rencontre à chaque pas, dans nos rues, des repaires d’intempérance, et que je les vois toujours remplis ! Laissez-moi vous adresser cet avertissement de Salomon : « Ne regarde point le vin quand il est rouge et quand il brille à travers la coupe, car il mord par derrière comme un serpent, et il pique comme un basilic, » Oui, il mord, sachez-le bien, pauvres, il mord dans la moelle même de votre subsistance et de celle de vos enfants, il mord dans votre dignité d’homme et de créature de Dieu ! — Sans doute, dans la condition du pauvre, il peut y avoir aussi de la faute du riche. Abus des circonstances, usure, oppression, spoliation, spéculations téméraires dans lesquelles on compromet avec sa propre fortune la fortune d’autrui et les économies du pauvre ; maisons bâties sur un gain déshonnête, dont parle l’Écriture, où la pierre criera de la paroi et où les nœuds des poutres s’entre-répondront (Dieu entend cette voix et il s’en souviendra au jour du jugement !) ou tout simplement assistance insuffisante, négligence égoïste, oubli involontaire et pourtant coupable des besoins du malheureux. — Sans doute, encore dans la condition du pauvre, il peut y avoir de la faute de la société. Se préoccupe-t-elle suffisamment du sort des classes laborieuses ? Fait-elle tout ce qu’elle peut pour combattre le paupérisme ? S’inquiète-t-elle assez de ce terrible problème et des questions qui s’y rattachent, de la cherté des loyers et des subsistances, de la proportion entre le travail et les forces de l’homme, entre le travail et le salaire ? Et si, par exemple, comme l’affirme encore l’écrivain généreux que j’ai déjà cité, la modicité du salaire des femmes dans nos grands centres de population, est telle, qu’elles se trouvent plus d’une fois placées entre la misère et le déshonneur, la société a-t-elle fait son devoir, et peut-elle, mieux que Pilate, se laver les mains ? — Sans doute, enfin, il faut remonter pour expliquer la souffrance de la pauvreté, comme toute autre souffrance, au péché, père de la douleur et source de tous maux. Qui dira toute la part qui lui revient, soit dans l’existence même, soit dans les proportions effrayantes des inégalités sociales et dans les sentiments coupables qui de part et d’autre viennent y mêler leur venin ?
a – M. Jules Simon.
Mais, quoiqu’il en soit, ces divers abus sont des fruits de la liberté humaine que Dieu nous a octroyée avec tous ses périls. Quoiqu’il en soit, au delà de toutes les causes secondes, au delà des faits et de leurs conséquences, au delà des fautes dont la responsabilité retombe sur qui de droit, il y a la volonté de Dieu sans laquelle rien ne s’opère. Et dans ce sens on peut dire que la pauvreté est voulue, ou tout au moins permise de Dieu.
Dans combien de circonstances d’ailleurs ne procède-t-elle pas directement de Lui ? N’est-ce pas Dieu qui avait fait en Israël le ciel d’airain et la terre stérile ? N’est-ce pas Dieu qui avait réduit son serviteur Elie à ne posséder rien et à demander son pain aux corbeaux du torrent ou à la veuve de Sarepta ? N’est-ce pas Dieu qui en retirant à celle-ci l’appui de sa vie, l’avait conduite à l’épuisement graduel de ses ressources et avait ainsi préparé ce dénuement extrême qui a fait frémir nos cœurs ?
Pour vous aussi, mes frères pauvres, des événements indépendants de votre volonté, mais voulus de Dieu (car il n’y a pas de hasard) ont pu vous faire ce que vous êtes. — Vous êtes nés dans une famille indigente et non dans une maison aisée. Qu’y pouvez-vous ? la Providence ne l’a-t-elle pas voulu ? — Un ciel d’airain a brûlé vos récoltes, ou les fleuves débordés les ont emportées : des maladies mystérieuses attaquant les animaux ou les plantes ont anéanti le produit de vos champs. — Il s’est fait dans le monde politique une crise qui, de secousse en secousse, est venue jusqu’à vous et vous a enveloppé, victime obscure ou éclatante, dans un désastre ruineux. — L’être qui était votre joie et votre ressource ici-bas vous a été retiré, et tout avec lui ; — une maladie est venue miner votre corps robuste et vous enlever ce travail qui était votre pain ; — une infirmité, votre triste partage dès l’enfance, ne vous a pas laissé les ressources naturelles qui restent au plus pauvre, et vous a voué dès le berceau à une double indigence… Mais, d’où viennent ces lots d’infortune, si ce n’est de Dieu ?
O pauvres, ô malheureux, ô déshérités de ce monde, prononcez-la cette parole, ou plutôt entrez dans cette pensée : cela vient de Dieu ! Cela vient de Dieu ! Pensée, salutaire qui vous rappelle votre absolue dépendance en même temps que l’absolue souveraineté de Dieu, et vous humilie sous sa puissante main !
Cela vient de Dieu ! pensée de paix, car elle vous fait lever les yeux vers le ciel d’où descend toujours quelque calme et quelque soulagement ; elle substitue à la rude main du sort la main d’un Père !
Cela vient de Dieu ! pensée de consolation, car ce qui vient de Dieu n’est pas sans dessein et sans but, et ne peut tendre qu’à une fin, le bien réel et éternel de ses enfants !
Cela vient de Dieu ! pensée d’espérance, car ce qui vient de Dieu peut être, du soir au matin, ôté ou tout au moins allégé, adouci par lui. O pauvre, ne te désespère pas ! Prie, confie-toi, espère ! Serais-tu comme Elie, errant et sans asile, serais-tu comme la veuve à ton dernier morceau de pain, ne crains point, crois seulement, et jette un regard dans la cabane de Sarepta.
Quel doux spectacle s’offre à nos yeux, mes frères, dans cette chétive demeure ! Regardez cette table dressée… Le prophète, la veuve et son fils s’y asseyent ? ensemble et Dieu les rassasie avec la faible portion du jour… Le lendemain se lève… et voici, la fiole se trouve remplie d’huile et la cruche de farine. Un autre jour paraît… et puis un autre… et puis un autre… et l’huile et la farine se renouvellent dans leurs humbles vaisseaux. Ce ne sont point des quantités abondantes, ce ne sont point des provisions pour longtemps amassées, ce ne sont point des mets variés et somptueux, c’est pour chaque jour le strict nécessaire. Mais voyez-vous ces fronts heureux, ces visages sereins ? Entendez-vous le prophète bénir la main invisible qui chaque jour remplit et la cruche et la fiole ; la révéler, cette main céleste, à la femme païenne et à son jeune fils ; leur apprendre à connaître ce Dieu qu’il apprend lui-même à aimer davantage ; et la bénédiction d’en haut, spirituelle et temporelle, descendre d’un même cours sur ce riant foyer, sur ce groupe fidèle…. O pauvre, chaque fois que tu te prendras à désespérer, rappelle-toi cette cabane, cette table, cette cruche, cette fiole… et fais monter ta prière vers le Dieu d’Elie et de la veuve de Sarepta !
A votre tour maintenant, vous qui possédez une part quelconque des biens de ce monde, vous qui êtes à l’abri du besoin, ou entourés des sécurités de l’aisance, ou élevés sur les hauteurs de la fortune, à votre tour de recevoir cette grande leçon : que si la pauvreté vient de Dieu, la richesse aussi vient de lui. Le Seigneur a voulu nous rendre cette origine évidente en se passant ici de tout intermédiaire. La veuve de Sarepta reçoit directement de Dieu, sans autre concours que celui de sa confiance, le pain qu’elle partage avec son hôte. Et nous aussi, malgré les apparences, et à travers la chaîne d’effets et de causes qui s’étend de nous à Dieu, c’est de Lui en réalité que nous recevons les biens modiques ou considérables qui sont entre nos mains.
Pour vous vos champs et vos maisons, dit l’Écriture, sont l’héritage des pères. Mais qui a donné à vos pères ces maisons et ces champs ? Qui a fait échoir vos cordeaux dans des lieux agréables, plutôt que sur le sol aride de la gêne ou de la misère ?
Pour vous, vos heureux instincts, votre esprit pénétrant, vos talents, votre génie ont assuré votre succès. Mais oubliez-vous que celui qui fait luire l’astre dans le ciel est le même qui allume le rayon de l’intelligence humaine ?
Pour vous, votre bras laborieux et infatigable a lentement bâti l’édifice de votre prospérité. Mais qui a donné à votre bras la force ou l’adresse ? Qui vous a créé sain et robuste tandis qu’à vos côtés votre semblable ne traîne qu’un corps maladif ?
Ne savez-vous pas d’ailleurs, hommes de ce siècle, que la première richesse des individus et des peuples est la richesse du sol, qui nous vient directement de Dieu ? Etudiez l’histoire et rappelez vos propres souvenirs. Toutes les fois que Dieu a semblé mettre une restriction à la fécondité de nos campagnes, n’avez-vous pas vu l’inquiétude gagner tous les esprits et la pression de la gêne se faire sentir ou pressentir à tous les foyers, depuis le plus pauvre jusqu’au plus riche ? Et si Dieu ne daignait pas rouvrir sa main après l’avoir un moment fermée, s’il continuait à nous refuser pendant un an, deux ans, trois ans, les récoltes indispensables, s’il se servait de ces mille fléaux qui sont en son pouvoir pour condamner nos champs à une stérilité absolue… que deviendrions-nous ? oui, que deviendrions-nous ? Et à quoi nous serviraient nos inventions, nos découvertes, nos fils électriques et nos chemins de fer, nos cités brillantes, nos monuments splendides et tout l’appareil de notre civilisation, si ce n’est à faire ressortir, comme de pompeux ornements sur un corps ruiné, notre irrémédiable misère ? Ah ! ne l’oubliez point, hommes de ce siècle, à l’origine de toutes vos richesses, il y a la cruche et la fiole de Sarepta ! Des ruisseaux divers, au cours sinueux et prolongé, peuvent alimenter ces réservoirs de la vie, mais à la condition qu’une source première les alimente eux-mêmes. La main de l’homme active et prudente, peut presser la farine dans la cruche et verser l’huile dans la fiole, mais à la condition que la main invisible et souveraine lui transmette (et de jour en jour, et d’heure en heure) ce qu’elle doit répandre. La cruche enfin, au lieu d’être d’argile, peut être d’argent ou d’or, la fiole de verre peut être de cristal ou d’albâtre, étinceler de pierreries, s’épancher sur une table splendide et sous des lambris dorés… mais ce n’en est pas moins le Dieu de la veuve qui a daigné la remplir.
O riche, prononce-la donc à ton tour sur ta richesse, la parole du pauvre sur son indigence : cela vient de Dieu !
Cela vient de Dieu… et ton orgueil s’abaisse et tu reprends devant Dieu l’humble attitude de la créature qui ne peut se glorifier de rien, car il n’est rien qu’elle n’ait reçu !
Cela vient de Dieu… et pour toi aussi le ciel apparaît, il s’entr’ouvre au-dessus de ta tête, et tu vois la main de Dieu sortant de la nue déposer chaque jour sur ta table ton pain quotidien, dont la saveur est doublée par la reconnaissance !
Cela vient de Dieu… et ta conscience réveillée te dit aussitôt que ce que tu as reçu de Dieu, tu dois le lui consacrer !
Le contesteriez-vous, mes frères ? Regarderiez-vous vos biens comme vous appartenant en propre, et comme une possession indépendante dont vous pouvez faire ce que bon vous semble ? Ce serait oublier ce que vous venez de reconnaître, c’est que Dieu les accorde ou les refuse, les augmente ou les diminue à son gré, que par conséquent ils sont à lui et non à vous. Ce serait oublier que l’Ecriture, d’accord avec la conscience et le simple bon sens vous appelle serviteurs et non pas maîtres, administrateurs et non propriétaires ; que d’après son constant langage, vos biens quels qu’ils soient, sont un dépôt qui vous est confié, un talent qui vous est remis pour le service de Dieu. Sans doute vis-à-vis des hommes, vos biens, légitimement acquis, sont à vous, et nul n’a le droit de vous les prendre ou d’en régler l’usage. Mais vis-à-vis de Dieu, il n’en est plus de même : ils sont à lui, vous lui en êtes redevables, et comme David dans cette belle journée où son peuple et lui-même à sa tête versaient pour la construction du temple des flots d’or, d’argent et d’airain, vous devez vous écrier en présentant au Seigneur vos trésors, les produits de vos champs et tout ce qui est à vous : Eternel, toutes ces choses viennent de toi, et les ayant reçues de tes mains, nous te les présentons.
Or le premier hommage, la première offrande que nous devons en faire à Dieu, c’est d’en donner à ceux qui en manquent et que sa Providence jette dans nos bras.
C’est là le dernier enseignement de la touchante histoire que nous méditons. Dieu a fait le pauvre, Dieu a fait le riche, mais il les a faits pour se rencontrer dans la charité. Voyez Élie et la veuve de Sarepta ; Elie sans asile et sans pain, la veuve comparativement riche puisque Dieu lui a donné un asile et assez de pain pour le partager… Ils se rencontrent, Dieu les adresse l’un à l’autre, Dieu les confie l’un à l’autre et sa bénédiction descend sur eux.
Qu’ils se rencontrent donc aussi le riche et le pauvre au sein de notre société qui se réclame du nom de Christ. Qu’ils se rencontrent, au lieu de marcher ici-bas comme sur deux zones parallèles séparées par un abîme : l’une facile et brillante, l’autre aride et sombre ; l’une où tout abonde, l’autre où tout manque ; l’une où la richesse s’étale, oisive, égoïste, et dédaigneuse, l’autre où la misère s’avance, oubliée, méconnue, abaissée ! Oh ! que les deux zones se rapprochent et qu’il s’opère entr’elles l’incessante communication de la charité !
Que le riche et le pauvre se rencontrent par la multiplication de ces institutions salutaires qui tendent à affranchir, à relever celui qui souffre ; à le mettre en état de se suffire à lui-même, à développer en lui le saint amour de la famille, à lui ouvrir les sources de l’instruction, à lui faciliter comme dans la cité ouvrière de Mulhouse, l’accès de la propriété, et à l’intéresser ainsi, au même titre que les classes plus favorisées, à la chose publique !
Que le riche et le pauvre se rencontrent, en attendant des améliorations toujours lentes à venir, par des secours largement et joyeusement donnés chaque fois qu’une nécessité les réclame ; et que cette formule de l’Église apostolique cesse d’être une lettre morte : que votre abondance supplée à leur indigence afin qu’il y ait de l’égalité ! Arrière sans doute cette égalité brutale qui n’est qu’un rêve souillé de sang ! Mais arrière aussi ce parti pris, commode et cruel, d’une disproportion qui doit toujours peser à des cœurs chrétiens ! Arrière la conscience relâchée qui ne se préoccuperait pas de cette intention divine : afin qu’il y ait de l’égalité !
Que le riche et le pauvre se rencontrent non pas seulement dans une assistance suffisante, mais dans cette cordiale sympathie, dans ce mutuel respect, sans lesquels l’assistance abaisse tout ensemble et celui qui donne et celui qui reçoit. Riches, plus de hauteur, plus de dédain, plus de dureté ! Pauvres, plus de jalousie, plus de méfiance, plus de tromperie, plus d’ingratitude !
Que le riche et le pauvre se rencontrent enfin dans la communion de Dieu et de Christ. Là est la profonde et durable unité. Là, s’effacent les distinctions d’un jour. Là, se révèle, au sein d’une même misère et d’un même relèvement, le principe de l’égalité humaine. Là, le riche et le pauvre sentent que la vraie misère est celle d’un cœur éloigné de Dieu, et la vraie richesse celle d’un cœur qui le possède. Là, ils apprennent, pour ne plus l’oublier, que Dieu les a faits l’un pour l’autre et tous les deux pour Lui ! Là, le poignant contraste de Lazare et du mauvais riche n’est plus possible, il s’efface peu à peu des annales humaines pour faire place au consolant tableau d’Élie et de la veuve de Sarepta ! Ce tableau, mes chers frères, vous pouvez et vous voudrez le réaliser aujourd’hui même. Ce temple est la cabane de la veuve. Dieu y rassemble en ce moment ses Elie errants et affamés : il place devant vous vos pauvres, vos malades, vos infirmes, vos veuves, vos orphelins, vos vieillards abandonnés. Nous leur avons dit de la part de Dieu : courage, confiance ! Nous leur avons promis le secours et la délivrance d’Elie… Voulez-vous nous démentir, voulez-vous démentir Dieu lui-même ? Ah ! bien plutôt soyez les témoins de sa fidélité et les instruments de ses miséricordes. C’est par vous que Dieu veut les secourir. Prêtez-vous à ce doux ministère ! Renouvelez, renouvelez la scène de Sarepta ! O vous dont Dieu a fait déborder si libéralement la cruche et la fiole, donnez avec abondance. O vous qui n’avez que le strict nécessaire dans vos humbles vaisseaux, partagez ce nécessaire lui-même avec de plus pauvres que vous, car nul n’est exclu des privilèges de la charité. Donnez avec affection, donnez avec joie à ces malheureux qui s’attendent à vous. Donnez-leur, car ils sont vos concitoyens, vos coreligionnaires, les membres de votre église, vos semblables, vos frères en Adam et en Jésus-Christ… Mais ne sont-ils pas plus encore ? Quel sceau touchant et auguste n’ai-je pas vu empreint sur leur front !…
Ecoutez. Lorsque la veuve de Sarepta vit venir à elle ce voyageur inconnu qui lui demandait un peu d’eau et une bouchée de pain, elle croyait n’avoir devant les yeux qu’un homme humble et pauvre comme elle-même. Quelle fut sa surprise, quel fut son ravissement, lorsqu’elle reconnut en lui un prophète d’Israël, lorsqu’elle apprit qu’elle avait logé un ange de Dieu sans le savoir !…
Mes frères, il y a ici plus qu’un prophète ! Pauvres, qui nous tendez la main, vous vous transfigurez à nos regards ! En vous nous apparaît Celui qui, après avoir vécu sur la terre entouré des pauvres et des petits, a voulu revivre non pas comme nous dans une postérité brillante et honorée aux yeux du monde, mais dans le troupeau gémissant des chétifs, des misérables et des méprisés d’ici-bas ! Oui, nous t’avons reconnu sous ce nouveau voile d’ignominie, sous cette nouvelle couronne de douleur, ô toi divin Jésus, qui as porté toutes nos misères et tous nos péchés ; toi qui as été mis en langueur, frappé, crucifié pour nous ; toi sans qui nous étions tous condamnés, perdus, exclus à jamais de la communion du Père ; et par qui nous sommes tous, si nous voulons croire en toi, pardonnes, adoptés et sauvés à jamais !….
Et c’est toi, ô Dieu-Sauveur, qui daignes nous demander comme pour toi-même une partie de nos biens, non pour payer ce salut gratuit et magnifique à l’égard duquel nous serons éternellement insolvables, mais pour te témoigner, en soulageant nos frères, un peu de notre reconnaissance pour ce don suprême !
O notre Dieu-Sauveur, nous ne te refuserons pas ce que tu nous demandes. Voici nos cœurs, voici nos biens. Ta charité nous presse. Nous voulons t’aimer, te servir dans ces créatures souffrantes qui sont tes représentants. Nous voulons être de ceux qui, sauvés par ta mort et vivant de ta vie, entendront sortir de ta bouche ces ineffables paroles qui feront à elles seules la félicité de tes élus : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez recueilli, j’étais nu et vous m’avez vêtu, j’étais malade et en prison et vous m’avez visité. Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous a été préparé dès la fondation des siècles ! Amen !