L’origine du mal. — La doctrine du péché originel était inconnue avant le Christianisme. — L’auteur du quatrième livre d’Esdras en parle le premier. — Le sentiment du péché. — La prédestination. — La repentance. — La vie morale. — La pauvreté est un mérite aux yeux de Dieu. — La vie future des justes. — L’âme est-elle distincte du corps ? — L’anéantissement des méchants. — La doctrine de la résurrection du corps n’est pas distinguée de celle de l’immortalité de l’âme. — Les Esséniens et les Pharisiens. — L’opinion de Josèphe. — La doctrine chrétienne.
Les questions anthropologiques, telles que l’origine du péché, la liberté humaine et la prescience divine, l’immortalité de l’âme et la résurrection du corps ne semblent pas avoir été résolues avant l’exil. Après le retour de la captivité, les théologiens juifs se les sont posées, les ont discutées, mais nous ne croyons pas que leurs diverses théories aient jamais reçu de consécration officielle. Chacun traitait à sa manière ces graves problèmes, et un certain vague n’a cessé de régner sur leur solution.
Les Juifs du premier siècle avaient une très haute idée de la dignité humaine ; ce qui est d’autant plus remarquable que dans le paganisme il était loin d’en être ainsi. Pour le Juif, l’homme avait été créé à l’image de Dieu ; il lisait ces mots au premier chapitre de sa Thorah. Mais ce sentiment de dignité reposait en grande partie sur l’orgueil, l’invincible orgueil national de l’Israélite, orgueil poussé si loin qu’il refusait de croire que le péché originel ait eu pour lui la moindre conséquence. Son peuple est la nation élue, il est donc à l’abri de la tache originelle. Fils d’Abraham, les Israélites ont été mis à part (Jean 8.33 et suiv.), et c’est le monde païen qui est plongé dans la corruption. Pour se « régénérer » il faut se faire Juif. La conversion au judaïsme est une « nouvelle naissance. » « Nous ne sommes pas pécheurs d’entre les païens, » disaient-ilsa. L’ardeur de la lutte qui s’éleva entre les Judæo-Chrétiens et les Pagano-Chrétiens montre assez combien ce préjugé était enraciné. On comprend alors l’opposition que rencontrait la doctrine du péché originel. Jésus, fils de Sirach, n’en parle que vaguement. Il indique même d’autres origines du malb.
a – Galates 2.15 où saint Paul cite leurs propres paroles. On peut dire qu’il a consacré sa vie à la destruction de ce préjugé.
b – Siracide 10.13. Dieu n’est pas l’auteur du mal, Sira.15.11-17.
Si, à la question πόϑεν κακόν, on ne répondait pas par la solution si clairement indiquée au chap. 3 du premier livre de la Loi, comment y répondait-on ? D’après la théorie des êtres intermédiaires, le monde a été créé par la dernière des émanations divines, par une puissance si faible qu’elle n’a pu le faire meilleur. Telle est la doctrine que les gnostiques exposeront plus tard, et Philon, à Alexandrie, la préparait déjà par ses écrits. Mais, en Palestine, ces idées n’avaient pas encore cours. Le livre d’Énoch nous fournit seul quelques données un peu précises sur le problème de l’origine du péché, Il ne parle nulle part d’un penchant naturel de tout homme vers le mal, d’une influence mauvaise à laquelle il ne peut échapper et qui s’oppose au développement de sa liberté.
[Dans ses développements sur Genèse 3, il se borne à rappeler que l’expulsion du Paradis a été le châtiment de l’homme, et que la mort en a été la conséquence. La stérilité de la femme (98.5), est aussi une conséquence du péché.]
Il partage les hommes en deux grandes classes : les bons et les méchants. Les uns naissent avec une prédisposition naturelle au bien ; les autres au mal. C’est le germe du dualisme qui se développera au second siècle de l’ère chrétienne dans les systèmes gnostiques. Les justes, organisés pour le bonheur, le réalisent avec le secours de Dieu. L’auteur du livre appelle ce secours « l’affermissement des justes. » Il dit que les bons sont « nés dans l’obscurité (cviii, 11). » Cette phrase n’implique pas la doctrine du péché originel et en voici une autre qui la contredit formellement : Les noms des pécheurs sont effacés du livre des saints (cviii, 3). »
[La Sapience enseigne aussi que l’homme a reçu une bonne organisation de la nature, mais il ne peut faire le bien sans le secours divin. L’auteur ajoute : « A cause de leur bonté ils seront arrachés à cette obscurité. » Ce terme l’obscurité ne désigne évidemment pas la corruption originelle, mais la misère humaine.]
Il résulte de là que tous les hommes étaient, dans les prévisions de Dieu, destinés au bien, et que si les pécheurs s’en détournent, c’est librement et pendant leur vie. Ce passage est directement contraire à la doctrine du péché originel d’après laquelle les hommes entrent dans le monde condamnés d’avance pour un péché qu’ils n’ont pas commis.
Le livre des Jubilés, qui parle beaucoup de la tentation et du premier péché, d’Eve et du serpent, ne tire de tout ce récit aucune conséquence. Il ne dit rien de la dépravation morale de l’homme ; à peine mentionne-t-il la mort comme le châtiment du péché.
Le quatrième livre d’Esdras est seul à enseigner la doctrine du péché originel ; mais son auteur écrit certainement sous l’influence des idées qui fermentaient alors dans la jeune société chrétienne. Il prêche le salut par la foi et par les œuvres et les développements dans lesquels il entre rappellent un peu la théologie de l’épître de Jacques, qui était lue autour de lui dans les églises de Palestine.
iv, 30 ; iii, 21. Le passage vii, 46 et suiv. est le plus explicite : « O Adam, qu’as-tu fait ? … O tu quid fecisti Adam ? si enim tu peccasti, non est factus solius tuus casus, sed et nostrum, qui ex te advenimus (v, 48). Cependant il revient ça et là à l’idée que la nation juive est meilleure que les autres. ix, 7. Il y a dans le passage viii, 2, comme une réminiscence du mot de Jésus : « Il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. »
Sauf dans ce livre, écrit trop tard pour ne pas être suspect, le péché originel est ignoré, et la gravité du péché est méconnue. On ne parle que des fautes particulières ; le péché, ou, pour employer le mot des théologiens, la coulpe, n’existe pas pour le Juif.
[Le livre des Jubilés (ch. 26) renferme cependant une expression qu’il faut signaler. L’auteur parle de péchés mortels. Esaü a commis un péché mortel en s’élevant contre son frère. Israël a commis des péchés mortels (ch. 23). Le quatrième livre d’Esdras (ch. 7), dit aussi : « Œuvres de mort » « œuvres mortelles, » « mortifera opera. » On peut rapprocher ces termes de ceux du Nouv. Test. : « Péché qui est à la mort. » 1 Jean 5.16 ; ou « qui ne sera pas pardonné ». Marc 3.29 et parall. Mais nous n’avons point d’autres détails sur ces péchés mortels et ne pouvons rien conclure.]
La question de la prédestination ne semble pas avoir été résolue davantage. L’auteur du livre d’Énoch ne la nie pas absolument. Il parle d’une élection de grâce et d’une consécration des saints par Dieu (xli, 8). Mais, en même temps, il affirme la liberté humaine. Le passage que nous avons cité plus haut (xviii, 3) l’enseigne expressément. Les Pharisiens croyaient sans doute à une sorte de fatalité ; mais ils discutaient beaucoup sans conclure ; ils ne niaient point la liberté humaine ; mais, développant jusqu’au bout l’idée de la Providence, ils croyaient fermement en la prescience divine et se tenaient probablement dans une sorte de juste milieu. Josèphe parle du destin (ἡ εἱμαρμέν) dont l’activité s’exerce aussi sur les œuvres mauvaises. Il est question quelque part de tables célestes sur lesquelles tout est écrit.
Livre des Jubilés (ch. 30 et 39). « Les péchés sont écrits dans les livres qui sont éternellement devant le Seigneur, » et aussi dans « le livre de la perdition. » Cf. Nouv. Test. : « Le livre de vie. » Philippiens 4.3 ; Apocalypse 22.19. Abraham et Lévi sont inscrits comme justes « sur les tables du ciel. » (Livre des Jubilés, ch. 19). Daniel 10.21 se servait déjà d’une expression semblable : « Le livre de la Vérité. » La prédestination est enseignée dans saint Paul, (Romains 9.14 et suiv.) et dans Akiba (Nicolas, op. cit., p. 391). Dans les livres les plus anciens, la liberté morale absolue est au contraire affirmée : (Siracide 17.6 ; 15.14-17). L’auteur réfute l’opinion contraire.
La gravité du péché étant méconnue, la question du salut, au sens tragique de ce mot, ne se posait même pas. « On était justifié par les œuvres de la Loi (Romains 3.20). » La pratique des œuvres occupait une place capitale dans la vie du Juif pieuxc. L’idée du repentir n’était pas inconnue ; nous en parlerons dans notre chapitre sur Jean-Baptisted ; mais on ne trouve pas trace, chez les auteurs de ce temps, du sentiment du péché, au sens chrétien. Le sacrifice de l’agneau immolé chaque jour au temple ne parlait plus à la conscience ; et la lecture de la Loi dans les synagogues était plutôt une occasion de s’enorgueillir que de s’humilier. La morale était tout entière dans l’accomplissement des prescriptions légales. Aimer son prochain n’était pas plus important que s’abstenir de telle nourriture et ne pas dépasser le nombre de pas réglementaire le jour du sabbat. Toute la vie était réglée. Chaque article du code mosaïque entraînait une foule de préceptes secondaires qui passaient pour fort importants. La Loi, par exemple, ordonnait de se reposer le jour du sabbat. On décidait alors que trente-neuf espèces de travaux étaient interdits ce jour-là ; et chacun de ces trente-neuf travaux se subdivisait lui-même en plusieurs autres. Il n’y avait, pour ainsi dire, point d’autre morale que l’observance des traditions mosaïques. Le Talmud, c’est-à-dire la plus fidèle expression des opinions religieuses du Juif orthodoxe, n’est lui-même qu’une longue et minutieuse réglementation de toute la vie.
c – Daniel 1.8 ; Judith 8.6 ; 11.11-13 ; Tobie 12.9 ; 14.11-12.
d – Celui qui a commis une faute contre son prochain doit « se repentir et puis offrir une entière satisfaction à la partie « lésée. » Moïse Schwab : Trad. du traité des Berakhoth, Introd., p. 32.
L’essentiel était de pratiquer très exactement toutes les abstinences, d’observer les jeûnes, de célébrer les fêtes ; et les reproches que Jésus adresse aux Pharisiens montrent bien que rien ne passait, à leur yeux, avant ces pratique extérieurese.
e – Matthieu 5.31-47 ; 9.9-13 ; 15.1-9 ; 23.16-28 ; Marc 2.18, 23-28 ; Luc 11.37, 42 etc., etc.
Parmi les bonnes œuvres, l’aumône était une des plus recherchées ; le livre de Jésus, fils de Sirach, insiste sur son importance (Siracide 3.32), et d’après l’auteur de Tobie elle expie les péchés (Tobie 12.9).
Nous ne serions pas complet si nous ne mentionnions pas aussi une tendance dont le livre d’Énoch s’est fait l’écho et qui nous est révélée dans certains passages du Nouveau Testament. Nous voulons parler de la valeur morale que l’on accordait à la pauvreté.
[Livre d’Énoch, ch. 62, 63, 97, 100, 104 qui renferment de nombreuses malédictions contre les riches. 46.4-8, 99.13-14 Cf. Luc 6.24 ; Jacques 5.1-7. Dans l’Anc. Test., nous trouvons quelque chose de semblable : l’Éternel protège les pauvres. Amos 2.6 ; Psaumes 25.9 ; 37.14-16 ; 69.34.]
Le pauvre passait pour être spécialement aimé de Dieu. Le riche, au contraire, était souvent méprisé. On l’appelait volontiers un « mauvais riche. » Le penchant des hautes classes à pactiser avec l’étranger, avec les Romains, détestés au point de vue politique, ou avec les Grecs, non moins détestés au point de vue religieux, les rendait odieuses aux juifs orthodoxes. Ceux-là étaient pauvres ou, au moins, se faisaient gloire d’aimer les pauvres et de se mettre à leur niveau. Les basses classes seules passaient pour être composées de vrais patriotes, aimés de Dieu ; là étaient les humbles et les pieux ; et par opposition, on disait : les riches sont orgueilleux et impies. Leur luxe était un péché.
Il est bien entendu que le peuple seul était de cet avis et que la foi en l’égalité humaine était inconnue. Le Juif d’abord, qu’il fût riche ou pauvre, se croyait supérieur au reste de l’humanité ; et l’égalité entre les Juifs eux-mêmes n’existait pas. Si dans les basses classes on commençait à penser à la fraternité humaine et à dire que le pauvre valait autant (on disait même valait mieux) que le riche, c’était par réaction contre l’insupportable orgueil des aristocrates et des Saducéens. L’égalité n’était réelle ni devant Dieu, ni devant les hommes. Dans les synagogues, les premières places étaient payées et occupées par les riches ; puis venaient les Juifs pauvres et enfin les prosélytes païens que l’on obligeait à se tenir debout et à la porte,
Il nous reste à parler de l’âme humaine et de la vie à venir. [Nous ne ferons qu’indiquer en passant cette grave question ; il était impossible de la passer sous silence dans notre chapitre anthropologique ; mais nous y reviendrons en détail quand nous traiterons de l’eschatologie juive au premier siècle.] La morale avait-elle une sanction ? et comment le juste recevrait il sa récompense ? Dans les deux derniers siècles avant Jésus-Christ, la foi en une vie future avait eu de nombreux défenseurs ; mais l’opinion contraire avait aussi trouvé les siens. Les uns et les autres s’en étaient référés comme toujours à « la Loi et aux Prophètes. » Le recueil sacré plaçait sur la terre la récompense du juste. Le livre de Tobie la plaça dans le Ciel (Tobie 12.9). Aussi longtemps que l’attente d’un royaume messianique terrestre avait occupé les esprits, la piété avait trouvé dans cette attente une nourriture suffisante, et la vie religieuse et morale du peuple s’était entretenue sans qu’il éprouvât le besoin d’approfondir une question que son code sacré ne résolvait pas. Mais lorsque le matérialisme grec eut fait invasion en Palestine, la piété s’affaiblit. On vit se former le parti Saducéen qui niait le monde invisible et, par conséquent, la spiritualité et l’immortalité de l’âme (Actes 23.8), en se plaçant à un point de vue demi-biblique et demi-spéculatif (Matthieu 22.23). On éprouva le besoin de réagir contre cette tendance et la vie future fut énergiquement affirméef. Il est sans cesse parlé de la récompense éternelle des bons dans les pseudépigraphes et dans les Targoums. Les négations des Saducéens furent presque taxées d’hérésies.
f – Siracide 46.21, à propos de 1 Samuel 27.7 et suiv. ; Siracide 48.5 est plus net encore.
Lorsqu’on songea pour la première fois à la vie future, il ne s’agissait que d’assurer une récompense aux hommes de bien. On ne pensait pas aux « méchants, » et on croyait qu’il n’y aurait point d’avenir pour eux. Plus tard, on changea d’avis : ils auraient aussi leur vie future et y subiraient le châtiment de leurs fautes. L’ancienne opinion subsista néanmoins et toutes deux étaient enseignées au premier siècle. Parfois la vie future des méchants est entièrement passée sous silence ; ailleurs il est expressément dit qu’ils seront anéantis. Les justes seuls, dit le livre d’Énoch, subsistent pour le jugement.
Les Évangiles parlent delà résurrection « des justes. » Luc 14.14. Josèphe aussi : Ant. Jud., xviii, 1, 3, et D. Bell. Jud., ii, 8, 14 ; saint Paul affirme celle de tous « tant des justes que des injustes. » Actes 24.15 ; 2 Maccabées 7.14. Cf. Jean 5.29. Jésus dit que les bons ressusciteront pour la vie, les méchants pour le jugement.
L’assomption d’Isaïe parle du feu qui consumera les impies : « Ils seront comme ils étaient avant leur création (4). » Ailleurs, au contraire, le livre d’Énoch parle du châtiment éternel des méchants. Josèphe l’affirme aussi, et c’était l’opinion générale des Pharisiens.
L’idée de l’entier anéantissement des impies par le feu de l’enfer sera reprise et développée dans les Clémentines (Hom., 3.6) : εἶναι γὰρ εἰς ἀεὶ οὐκέτι δύνανται οἱ εἰς τὸν ἀεὶ καὶ μόνον ἀσεβήσαντες ϑεόν. Cf. Hébreux 10.26 et suiv.
Remarquons de plus que, pour le Juif palestinien, le corps et l’âme étaient étroitement unis. Pour ceux qui croyaient à la vie future, l’homme, après la mort, entrait dans un état provisoire, sur lequel on n’avait point de données. La mort, disait l’Ancien Testament, n’a pas été voulue de Dieu ; elle n’est que le châtiment du péché, qui a eu pour conséquence de corrompre l’homme et de séparer ce que Dieu a fait pour être unis, l’âme et le corps. Cette séparation est un châtiment : l’âme ne vivra donc plus tard que si elle a un corps, et on ne distinguait pas la question de l’immortalité de l’âme de celle de la résurrection du corps. Jésus répond, un jour, aux Saducéens, qui niaient la résurrection, par une preuve de l’immortalité de l’âme (Matthieu 22.32) ; saint Paul raisonne de la même manière (1 Corinthiens 15).
On peut donc résumer ainsi la doctrine généralement reçue : « Les bons auront un corps nouveau et les méchants seront éternellement punis. » En présence de cette doctrine, qui était celle des Pharisiens, s’élevait le matérialisme des Saducéens d’une part, et le spiritualisme gnostique des Esséniens, de l’autre. Ceux-ci, dont nous exposerons les idées dans un chapitre spécial, étaient de véritables sectaires. Ils enseignaient que le corps était la source du mal ; que la mort serait une délivrance. On comprend qu’ils ne pouvaient admettre une résurrection du corps. Le jour de la mort, l’âme est éternellement délivrée des liens terrestres. Au point de vue purement psychologique, l’orthodoxie pharisienne restait plus ou moins hésitante. Tantôt elle disait que l’homme était composé de « l’esprit, l’âme et le corps ; » tantôt que « l’esprit immortel est le principe de vie de l’homme. »
[Τὸ πνεῦμα καὶ ἡ ψυχὴ καὶ τὸ σῶμα, Jos. Ant. Jud., i, 1 ; saint Paul, 1 Thessaloniciens 5.23. Nous ne devons attacher aucune importance à l’assertion de Josèphe, quand il dit (D. Bell. Jud., ii, 8, 14) avoir appris des Pharisiens : « la migration des âmes des bons. » Il faut changer ce terme en celui de résurrection. Mais Josèphe n’aimait pas ce mot. Il ne parle qu’une fois « des saints corps que les âmes des justes revêtiront un jour. » (D. Bell. Jud., iii, 8, 5) parce qu’il ne veut pas émettre une idée purement juive dans un ouvrage destiné au Gentils. Il remplace alors la doctrine de la résurrection par celle de la migration des âmes très répandue dans l’antiquité.]
L’historien Josèphe, auquel nous empruntons ces expressions, appelle encore l’âme : μοῖρα Θεοῦ, une partie de Dieu. Il distingue avec soin l’âme incorruptible du corps corruptible. Il va jusqu’à dire que l’âme souffre dans le corps, parce que le lien qui les retient attachés n’est pas naturel, et qu’elle soupire après la délivrance. D’après ce passage, il aurait dû repousser la résurrection du corps comme les Esséniens. Ces contradictions sont l’image de celles de ses compatriotes. Dans le Nouveau Testament, la continuité de la vie après la mort est aussi enseignée en même temps que la résurrection (Matthieu 22.31 ; 1 Corinthiens 15.29).
Nous l’avons dit, il régnait sur toutes ces questions un manque général de précision dont le christianisme a plus tard hérité. Aujourd’hui, ce vague subsiste encore. Le chrétien pense avec l’Essénien que la mort est une délivrance et que l’âme immortelle va au ciel aussitôt après la mort. A cette foi en l’immortalité de l’âme, il ajoute la foi en la résurrection à venir. L’âme revêtira plus tard un corps glorifié. Il croit, avec le Pharisien, à la résurrection des corps, avec l’Essénien à la délivrance au jour de la mort, et il ne sait pas bien concilier ces deux croyances.
Le chrétien n’a évidemment aucune expérience de ce à quoi peut ressembler la vie après la mort, mais il ne s’en suit pas qu’il soit confus vis-à-vis de la promesse de Jésus-Christ faite à ceux qui se confiaient en lui. Ainsi Paul aspirait à être délivré des souffrances de la vie terrestre pour rejoindre son Seigneur : « Je suis pressé des deux côtés ; j’ai le désir de m’en aller et d’être avec Christ, ce qui de beaucoup est le meilleur ; » (Philippiens 1.23) et d’autre part il était absolument certain qu’à la parousie de Jésus-Christ il revêtirait un corps glorieux : « Car tandis que nous sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés, parce que nous voulons, non pas nous dépouiller, mais nous revêtir, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie… Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Le corps est semé corruptible ; il ressuscite incorruptible ; il est semé méprisable, il ressuscite glorieux ; il est semé infirme, il ressuscite plein de force ; il est semé corps animal, il ressuscite corps spirituel. » (2 Corinthiens 5.4 ; 1 Corinthiens 15.42-44). C’est donc bien en vain que Stapfer tente de jeter le doute dans l’esprit du lecteur sur la joie et la solidité de l’espérance chrétienne. (ThéoTEX)