1. Nous constatons, avant tout, l’existence de deux êtres surnaturels : l’un, au sein même de la nature, l’homme ; l’autre, au-dessus de la nature, Dieu. Ce qui les caractérise l’un et l’autre comme être surnaturels, c’est leur liberté.
Dans la nature, chaque être porte en lui la loi de son évolution. La force que nous appelons chez l’animal volonté, n’est que l’agent de la loi des instincts ; et chez la plante, nous ne rencontrons pas même ce fantôme de liberté. Aussi la notion auguste du devoir est-elle sans application à la vie animale ou végétale. En serait-il de même de l’homme ? Ses décisions ne seraient-elles que le produit, de certaines influences inconscientes qui le déterminent fatalement et sans qu’il s’en rende compte ? On ne peut soutenir cette thèse qu’en consentant à rayer de notre vie tout ce qui en fait la dignité, la noblesse, le caractère vraiment humain. La conscience, qui établit entre le bien et le mal une différence et même une opposition si tranchées, et nous ordonne impérieusement de choisir le premier, sans toutefois nous y contraindre ; la responsabilité morale, ce lourd fardeau, qui est en même temps notre royale couronne, et dont nous chercherions en vain à nous décharger ; le remords, que tous nos efforts ne parviennent pas à réduire au silence, tous ces faits attestent irrécusablement la liberté morale dont nous sommes doués. Réduisez-les à n’être qu’une illusion, vous avez du même coup tué l’homme ; il ne vous reste à sa place qu’une forme de la brute. Sans liberté, ne parlez plus d’obligation morale, de devoir ; ne parlez que de satisfaction, d’assouvissement, d’intérêt, de jouissance.
Si la loi de la nature règne en tyran sur la volonté humaine, l’assassin qui loge une balle dans la tête d’un malheureux n’est ni plus ni moins honnête que sa victime. Car, en tuant, il n’a fait, comme la balle elle-même, qu’obéir à la loi de sa nature : Lincoln et Booth se valent, moralement. Il ne faut plus punir les malfaiteurs, comme s’ils étaient sérieusement coupables ; il faut se borner à les empêcher de nuire, en les privant de la liberté, comme la bête féroce qu’on tient en cage. La législation de nos jours marche déjà dans cette voie.
La conscience humaine n’acceptera jamais à la longue ces arrêts dégradants du matérialisme. Et si elle le faisait momentanément, la société reculerait bientôt devant les conséquences pratiques de tels principes. La voix intime qui, avant chacun de nos actes, nous dit : « Tu es libre de faire ou de ne pas faire, » et qui, après chacun de ces actes, nous crie de nouveau : « Tu es responsable de ce que tu viens de faire, » a beau nous être importune et désagréable, elle persiste, comme expression spontanée et ineffaçable de notre libre essence.
Or, si l’homme est libre, il est supérieur à la nature, où tout se passe en vertu de lois nécessaires ; il est un être en quelque manière surnaturel. Chacun de ces actes, qui, tout motivés qu’ils sont, jaillissent pourtant de sa libre détermination, et tout ce monde de faits dans lequel il est forcé de reconnaître sa propre création personnelle, attestent la souveraineté qu’il exerce sur lui-même et les forces dont il est doué, sa liberté et par conséquent son affranchissement de l’empire aveugle de la nature.
A cet élément surnaturel au sein de la nature, l’homme libre, correspond le surnaturel au-dessus et en dehors de la nature : Dieu.
Les traces d’intelligence et de bonté qui nous frappent à chaque pas dans la création témoignent du Créateur plein de sagesse et de bonté auquel elle doit son origine. Mais le Dieu libre et personnel ne se révèle distinctement que par la présence, au sein de la nature, de l’homme personnel et libre. Il ne peut y avoir dans l’effet plus et mieux que dans la cause. Et si la nature s’élève à l’être libre, comme à son chef-d’œuvre, c’est qu’elle procède de l’être libre, comme de son auteur. Si le Dieu libre n’était pas, l’homme libre ne pourrait pas être. Car, dans ce cas, le monde, n’ayant point été créé, serait éternel ; éternel, il porterait en lui sa loi, loi souveraine, immuable, que rien ne pourrait modifier, parce que rien n’existerait au-dessus d’elle. Or, ce qui serait vrai de l’ensemble, le serait aussi de chaque partie. Tout être, l’homme compris, obéirait fatalement à la loi de l’éternelle nature ; c’en serait fait de la liberté. Chacun le comprend donc : La liberté humaine repose sur l’existence du Dieu libre. Dieu, devoir et liberté, ces trois notions forment une inséparable trinité, révélée immédiatement à la conscience humaine, et dont chaque terme tombe ou subsiste avec les deux autres.
Le monde est l’ouvrage de Dieu ; l’homme est en même temps son image. Dieu a placé l’homme au sommet de la nature, comme le chef-d’œuvre auquel il visait dès le commencement, et comme l’échantillon de sa propre essence. Il l’a fait capable de se déterminer lui-même pour le bien, dans la pleine lumière de sa conscience personnelle, et l’a ainsi élevé à la même sphère d’existence morale dans laquelle il vit lui-même,
Ainsi planent, au-dessus du domaine aveugle de la matière et de ses lois, ces deux êtres surnaturels, l’un relativement surnaturel, qui se dégage graduellement de la nature, comme l’enfant de son berceau ; l’autre absolument surnaturel, qui domine la nature de toute la hauteur de son essence spirituelle. Dès que, semblable à l’enfant qui s’éveille et vient à rencontrer le regard de sa mère, l’homme soulève la tête au-dessus de la nature, et trouve, et reconnaît Dieu, le surnaturel en lui s’élance vers son origine, s’attache au divin surnaturel, et conclut avec lui un indissoluble traité d’union.
2. Ces deux êtres surnaturels, l’homme libre et le Dieu libre, peuvent être en rapport direct l’un avec l’autre ; car ils sont spirituels, et l’esprit peut agir sur l’esprit, aussi bien que le corps sur le corps. Sans doute, l’esprit d’un homme n’agit sur l’esprit d’un autre homme que par l’intermédiaire du corps. Il faut un geste, un regard, une parole qui frappe l’oreille, un signe écrit, exprimant le son, et qui frappe les yeux de celui avec qui nous voulons communiquer. Il faut ces moyens matériels, parce que l’esprit de celui qui veut agir est lié à un corps, et que l’esprit sur lequel il veut agir est enfermé dans une prison de même nature. Mais, dans les communications entre l’esprit infini et l’esprit fini, cette condition n’existe pas.
Le Père des esprits de toute chair, comme l’Ecriture appelle Dieu, le Dieu vivant, peut se mettre en relation directe avec les esprits émanés de Lui. Il peut, sans signe visible, les associer à ses pensées, se révéler à eux ; il peut sans parole matérielle, leur communiquer une impulsion, les diriger.
Et si ce commerce est possible, n’est-il pas vraisemblable qu’il aura lieu en effet ? Dans quel autre but l’esprit infini peut-il avoir créé des esprits finis, que dans celui d’entrer en communication avec eux ? Un père se contente-t-il de donner à manger à ses enfants ? Ne vise-t-il pas à les initier à tous les biens spirituels qu’il possède lui-même ? Et si Dieu est l’Etre absolument libre et si son absolue liberté, dès que nous cherchons à la concevoir d’une manière concrète, prend nom amour, comment n’entrerait-il pas en contact avec chaque esprit créé, dans la mesure de sa capacité, et de manière à élargir graduellement cette mesure, et cela en vue de l’initiation complète qui est le but naturel de son amour dans l’acte de la création ?
C’est ainsi qu’entre ces deux êtres surnaturels ; il y a possibilité et probabilité de communications, et que Dieu a une porte ouverte dans l’histoire du monde, par son action directe sur l’esprit de l’homme, qui est le principal agent de cette histoire. La révélation et l’inspiration sont les deux formes supérieures de ce contact tout spirituel et par conséquent surnaturel.
3. La nature pourra-t-elle jamais être impliquée dans cette relation directe entre Dieu et l’homme et subir de la part de Dieu une action qui rentre dans cette relation entre ces deux êtres surnaturels ? Tout dépend dans cette question du but en vertu duquel la nature existe. Existe-t-elle pour elle-même, forme-t-elle un tout bien fermé, qui a son but en lui-même, le miracle n’a dans ce cas aucune raison d’être, et il est impossible, de concevoir dans quel but Dieu opérerait dans une des parties de ce tout une modification qui ne résulterait pas de ses lois propres.
Mais est-il vrai que la nature ait son but en elle-même ? N’est-il pas évident qu’elle tend à l’homme, que tous les êtres qui la composent forment les degrés d’une échelle dont le sommet prévu et voulu dès le premier échelon était l’homme ? L’expérience ne confirme-t-elle pas ce que la science a constaté : c’est que la nature n’est qu’un moyen, et que l’homme est l’être destiné à en bénéficier ? En exploitant la nature comme il le fait, l’homme répond tellement, à la destination des êtres qui la composent, que plusieurs d’entre eux n’atteignent que par ses soins la perfection dont ils sont susceptibles. Le cheval dressé surpasse de toute manière en perfection le cheval sauvage ; et, chaque jour, nous faisons l’expérience de la supériorité de l’arbre fruitier enté par la main humaine, sur le sauvageon de la forêt.
Pas plus la nature n’a sa cause en elle-même, pas plus elle n’a en elle-même son but. Sa cause, c’est Dieu ; son but, c’est l’homme ; elle-même n’est qu’un moyen pour l’éducation du second par le premier. Serait-il concevable que, dans ces conditions, Dieu eût créé la nature de manière à ne se réserver aucun accès pour agir sur elle et par elle, en vue du but qu’il se propose, l’éducation morale de l’humanité ?
Vous voyez cette machine puissante, qui entraîne tout un convoi de wagons : elle ne fonctionne pas pour elle-même. Cette combinaison de forces variées a été inventée pour le service de ceux qu’elle emporte avec la rapidité de l’éclair. Aussi l’homme s’est-il réservé certains moyens d’agir sur elle, d’en accélérer ou d’en ralentir la marche, et même de la faire avancer où rétrograder à son gré. Autant ce serait là une violence faite à cet être, s’il existait pour lui-même, autant ce procédé est rationnel, dès que cet être n’est qu’un moyen en vue de l’être vivant et libre, l’homme.
Prêtez l’oreille aux flots d’harmonie qui jaillissent de cet orgue. C’est la main de l’artiste qui en fait mouvoir les secrets ressorts. C’est qu’il s’est réservé, en le construisant, un accès jusqu’à l’intérieur de cet instrument et le moyen de 1e pénétrer dans toutes ses parties du souffle dont il veut l’animer. Il y aurait là contradiction avec l’essence de cet être, si cet être n’existait que pour lui-même. Mais cette manière d’agir est logique, s’il existe en vue d’un être supérieur, aux puissances duquel il est destiné à contribuer.
N’en serait-il point de même de la nature, puisqu’elle aussi a son but en dehors d’elle et au dessus d’elle ? L’artiste qui a construit cette vaste machine l’aurait-il entièrement livrée à elle-même ; et ne se serait-il pas réservé les moyens de la faire servir d’une manière variée aux besoins toujours changeants du développement et de l’éducation de l’être libre en vue duquel il l’a créée ?
La nature assurément doit avoir ses lois, sa régularité, sa marche fixe. Elle le doit en raison de sa destination même au service, de l’homme ; si celui-ci se trouvait en face d’une puissance absolument capricieuse et irrégulière dans ses mouvements, comment pourrait-il organiser son travail ? Ignorant si le soleil se lèvera demain, quelle mesure pourrais-je prendre aujourd’hui en vue de la journée qui va suivre,? Si je ne pouvais compter sur la régularité des saisons, comment vaquer aux soins de la terre ? La liberté humaine serait supprimée dans la même mesure, où le caprice régnerait dans la vie de la nature. L’homme ne forme librement ses plans qu’à la condition, de pouvoir compter sur la régularité des lois qui règnent dans la sphère au milieu de laquelle il travaille.
Mais, d’autre part, l’homme est un être moral, et, comme tel, appelé à réaliser le bien. Or la réalisation de cette destination ne saurait être soumise à la régularité des lois physiques ; car, qui dit bien moral, dit liberté. Comme être libre l’homme peut donc tourner le dos à sa destination, et il importe alors que Dieu, qui ramène toujours tout à son but, puisse y faire concourir la nature, ce grand moyen de développement et d’éducation, qu’il a placé entre l’homme, et lui. Cette fonction nouvelle de concourir à la guérison du mal moral ne rentrait pas plus que le mal lui-même dans le but primitif et dans l’organisation normale de la nature. Et voilà comment il peut arriver que, dans le but d’agir sur l’être libre, Dieu opère parfois dans l’état des êtres de la nature des modifications qui ne résultent point de leurs lois propres, mais qui n’anéantissent pas non plus ces lois. La régularité demeure, mais un, agent supérieur travaille de manière à tirer de ces lois, un résultat exceptionnel, et qui n’est pas plutôt apparu qu’il tombe entièrement sous leur empire.
4. Mais par quel moyen la puissance divine peut-elle agir sur la matière pour lui imprimer une modification qui ne résulte pas de ses lois propres ?
Je demanderai ici ce que c’est que la matière, la substance dont sont formés les corps. Lorsqu’on divise un corps, on obtient des parties plus petites, qui peuvent se partager à leur tour en parties plus petites encore, de telle sorte que notre esprit ne peut entrevoir aucune fin à ce travail de décomposition. Cependant, pour mettre un terme à cette divisibilité infinie des corps, on est convenu d’appeler atomes (c’est-à-dire : êtres indivisibles), les corpuscules infiniment petits que l’on suppose ne plus pouvoir être partagés.
Quelle idée devons-nous nous faire de ces atomes ? Personne ne 1es a vus ni touchés. Ils sont néanmoins pour notre esprit une supposition presque nécessaire, si nous admettons la réalité de la matière. Sont-ils matériels ? Mais tout ce qui est matériel est composé de parties, et tout ce qui est composé de parties, si petit soit-il, peut être divisé. Sont-ils immatériels ? Mais comment un assemblage d’êtres immatériels pourra-t-il jamais former un tout matériel, un corps ?
Vous voyez que la nature et l’existence de la matière présentent à tout esprit réfléchi un problème complètement insondé et insondable, un problème bien plus impénétrable que l’existence et l’origine de l’être simple, de l’esprit.
Et l’homme, qui est obligé de confesser son ignorance absolue sur l’essence de la matière, s’arrogerait le droit de trancher du savant dans ce domaine, où tout est obscurité pour lui, et où toute affirmation ne tarde pas à aboutir à une contradiction avec elle-même ! Là où nous ne savons rien, absolument rien, nous nous permettrions de nous écrier : « Impossible, impossible à Dieu même ! » Les savants ont aussi leurs dogmes, et avant de se moquer de ceux de la théologie, ils feraient bien de se défaire des leurs propres, de peur qu’on ne leur dise, comme à cet homme qui voulait ôter le fétu de l’œil de son prochain : « Commence par ôter la poutre qui est dans le tien ! »
La nature est semblable, non point à un sac hermétiquement fermé, mais à un filet ouvert par toutes ses mailles et pénétrable sur toute sa surface. Ces mailles, ce sont ces mystérieux atomes qui constituent l’essence de la nature, et dont nous ne pouvons affirmer raisonnablement ni l’existence matérielle ni l’existence immatérielle. Qui nous dit qu’il n’y ait pas là une porte toujours ouverte à l’action divine ?z Et en effet, est-il concevable que Dieu n’ait été en relation avec ; la nature qu’un seul instant, celui où elle est arrivée à l’existence par un acte de sa volonté, et qu’après cela il se soit retiré de son œuvre, pour n’y plus jamais reparaître ? Cette conception, qui renvoie l’action de Dieu dans un passé absolu, ne tardera pas à trouver cette action superflue, à nier la création, à affirmer l’éternité du monde, et à identifier Dieu avec lui, c’est-à-dire à nier Dieu lui-même. La logique qui unit ces propositions est trop serrée pour que, bon gré mal gré, l’esprit ne finisse pas par y succomber, et la conséquence finale, nous l’avons dite en commençant, c’est la négation de la liberté et de la responsabilité humaines : « Dieu et le monde seraient liés, et l’homme serait librea ! »
z – Nous trouvons chez l’un des plus éminents philosophes et sévères logiciens de l’Allemagne actuelle, Lotze, les lignes suivantes, qui expriment sur le miracle une notion tout à fait conforme à la nôtre. « La puissance qui agit par voie miraculeuse, ne s’oppose pas directement à la loi, de manière à la suspendre ; mais elle modifie premièrement l’état intérieur des choses en vertu de sa connexion intime avec elles ; et par là elle modifie indirectement l’effet de la loi sur les choses, et cela tout en laissant subsister la loi elle-même et en ne cessant de s’en servir. Sans doute le domaine soumis à la nécessité mécanique n’est pas immédiatement accessible à la puissance miraculeuse ; mais la nature intime des choses qui composent ce domaine et obéissent à cette nécessité, n’est nullement le produit de cette nécessité elle-même ; elle résulte uniquement de l’idée créatrice ; et voilà le point qui est comme l’entrée ouverte par laquelle une puissance, agissant au nom de cette idée, peut toujours exercer son action sur les choses… » Mikrokosmus, tome II, pages 52, 53
a – Raphaël Hirsch, Der Pentateuch übersetzt und erlaütert, 2ter Theil : Exodus, page 28.
Si le miracle n’est pas conforme aux lois internes de la nature, il l’est d’autant plus à la loi suprême de ce grand tout qui est de dépendre de Dieu seul et de servir entre ses mains à l’éducation de l’humanité.
Par ces réflexions sur la possibilité du surnaturel, je n’ai voulu que débarrasser, dans l’esprit de mes lecteurs, la voie sur laquelle les faits de l’expérience et de l’histoire pourront pénétrer dans leur conviction. Car on en a tellement barricadé l’entrée, on a crié si haut, quoique sans donner la moindre preuve, que la science du XIXe siècle ne permettait plus de croire au miracle, qu’il fallait chercher à enlever ce préjugé de l’esprit de mes lecteurs, avant de les mettre en face des faits et de l’histoire. J’espère que rien ne les empêchera maintenant d’accorder à ceux-ci un examen impartial.
L’histoire prouve-t-elle la réalité d’événements surnaturels ? Les récits de miracle et d’intervention divine qui nous ont été transmis, n’appartiennent-ils pas à des temps de ténèbres, à des siècles sans critique, où l’on ignorait jusqu’à la notion même de la nature et de ses lois ? Comment se fier à des témoignages dénués de tout contrôle scientifique, surtout quand ils sont en contradiction avec notre propre expérience, qui ne nous a jamais rendus témoins d’aucun miracle ?
1. Le miracle de la résurrection de Jésus-Christ, que nous avons étudié dans nos deux premières conférences, échappe à toutes les objections que nous venons de rappeler. Le siècle d’Auguste et de Tibère, dans lequel apparut Jésus-Christ, est le plus éclairé de l’antiquité. C’était le moment où, sous les coups de la philosophie, croulaient les anciennes superstitions païennesb C’était le temps où Lucrèce écrivait son poème complètement rationaliste sur la nature et identifiait ses lois, comme on le fait aujourd’hui, avec la nature divine. Les Epicuriens cherchaient à rendre compte de la matière par les atomes et la force qui leur est inhérente, comme nos matérialistes actuels ; et les Stoïciens, qui prétendaient trouver dans leur bonté morale la force d’accomplir par eux-mêmes la loi du devoir, sans le secours de Dieu, n’étaient pas bien éloignés de nos chrétiens libéraux. Et c’est dans un pareil temps que la résurrection de Jésus-Christ a été prêchée, et crue dans le monde entier ! Quoi ! C’est alors que toutes les anciennes superstitions s’écroulaient sous les coups de bélier de la raison émancipée, que celle qui répugnait le plus au sentiment des hommes de ce temps c aurait levé la tête et fait la conquête du monde !
b – On ne traite la mythologie comme Ovide le fait dans ses Métamorphoses que lorsqu’on n’y croit plus. On sent bien que Virgile n’a plus foi à ce monde de l’Olympe dans lequel se meut encore si naïvement la foi homérique. Pour Horace, quand il use des conceptions mythologiques, c’est pure affaire de rhétorique.
c – Voir l’accueil fait à la prédication de la résurrection dans le discours de Paul à Athènes. Actes 17.32.
Ce que nous venons de dire de la résurrection, s’applique aux innombrables miracles que le Nouveau Testament attribue au Seigneur lui-même et à ses apôtres. Cette époque n’est point l’obscur crépuscule de l’histoire de l’humanité, mais bien plutôt son plein midid.
d – Voir, sur les miracles de Jésus-Christ, la conférence spéciale sur ce sujet.
2. Ce caractère miraculeux de la vie de Jésus-Christ ressort d’autant plus qu’à côté de sa figure il s’en détache une autre, étroitement liée à la première, mystérieuse comme elle, et qui a peut-être produit sur l’imagination juive contemporaine une impression plus vive et plus générale encore que celle de Jésus. Nous voulons parler de Jean-Baptiste, dont un historien juif de cette époque, Josèphe, nous parle de manière très circonstanciée, tandis qu’il n’a consacré à Jésus qu’un court paragraphe, dont beaucoup de critiques révoquent même en doute (en tout ou en partie) l’authenticité. L’apparition de Jean, par sa ressemblance avec celle des anciens prophètes, par la prédication sombre et menaçante qui l’accompagnait, par la cérémonie du baptême dont il l’appuyait, produisit une sensation immense au sein de tout le peuple juif. Ses disciples se répandirent partout ; il s’en trouvait encore, au temps de saint Paul, en Asie-Mineuree. Le peuple entier était disposé à l’envisager comme le Messief ; et ses adhérents se sont conservés jusqu’à aujourd’hui, en Orient, comme une communauté religieuse distincte, très hostile au christianisme. Et néanmoins, ni ses disciples, ni le peuple, ni Josèphe, ne lui ont attribué un seul fait miraculeux. Le peuple de Pérée, frappé de cette différence entre Jean et Jésus-Christ, fait, dans nos Evangiles, cette remarque : « Jean n’a fait aucun, miracle ; mais tout ce qu’il a dit de celui-ci (Jésus) s’est trouvé véritableg. » Jean-Baptiste lui-même ne s’est nullement arrogé le pouvoir miraculeux, tandis que Jésus se le reconnaît et se l’attribue à chaque mot.
f – Luc 3.15.
g – Jean 10.41.
Les rabbins juifs subséquents ont beau mentionner ce personnage extraordinaire, eux qui, ne pouvant nier les miracles de Jésus, sont réduits à les expliquer par certains talismans qu’il aurait rapportés d’Egypte sous sa peau, au moyen d’une incision habilement pratiquée, il ne leur vient pas à l’esprit de dire rien de semblable sur Jean-Baptiste. En pourrait-il être ainsi si les récits de miracles dans la vie de Jésus n’étaient que l’effet de l’imagination populaire surexcitée ? Si, comme on le prétend, ce siècle-là eût été enclin à couronner les grands hommes de l’auréole du surnaturel, pourquoi ce travail de la superstition se serait-il concentré sur Jésus et sur Jésus seul ? Il faut bien que quelque chose dans sa vie y ait donné lieu. Et que l’on ne dise pas que c’est en passant sur le sol païen que l’histoire de Jésus s’est chargée de ces amplifications légendaires ! L’Evangile de saint Matthieu est purement juif par ses origines, et il renferme tout autant de miracles que les autres. Que l’on ne dise pas non plus que Jésus aura bien eu le pouvoir d’opérer des guérisons extraordinaires par l’influence naturelle d’une âme élevée, d’une volonté forte, sur les nerfs des malades ! Les opérations miraculeuses sur la nature, comme l’apaisement de la tempête et la multiplication des pains, sont à tous égards attestées de la même manière que les guérisons miraculeuses. Nos quatre Evangiles les signalent unanimement, et avec ces mêmes paroles caractéristiques de Jésus, qui donnent un cachet de réalité irrécusable aux miracles de guérison.
Ce contraste entre l’histoire de Jésus et celle de Jean-Baptiste en est un en même temps entre cette histoire et le caractère de tout le temps auquel elle appartient. Les quatre siècles qui ont précédé l’apparition de Jésus sont, d’après les historiens juifs eux-mêmes, un temps dénué de toute manifestation divine, une époque entièrement destituée et de prophètes et de miracles. Et c’est sur ce fond vulgaire et prosaïque que l’histoire dessine tout à coup la figure radieuse de Jésus. Au profond silence du ciel succède la plus sainte révélation, et, à son inactivité apparente, le plus riche déploiement de toutes ses bénédictions et de toutes ses puissances. S’il est vrai qu’il n’y ait pas d’effet sans cause, il faut bien que quelque chose d’exceptionnel ait signalé le passage de cette personnalité sur la terre.
3. Le contraste que je viens de rappeler entre la personne et le siècle de Jésus-Christ, nous conduit à une troisième observation : c’est celle de l’inégale répartition des faits miraculeux dans l’histoire sainte. On se figure généralement que les miracles sont répandus uniformément sur toute l’étendue de cette histoire. C’est une erreur. Vous serez étonnés de l’entendre peut-être, et vous m’en croirez à peine, mais vous pouvez vous-mêmes constater le fait : depuis la création du monde jusqu’à Moïse, c’est-à-dire pendant les vingt-cinq premiers siècles de l’histoire de l’humanité, il n’est pas fait mention d’un seul miracle proprement dit, d’une seule modification opérée sur un être de la nature, par une cause surnaturelle ; car je ne saurais donner ce caractère à la disparition d’Enochh, ou à la mort de la femme de Lot ; les causes secondes ressortent, dans ce second cas, du récit lui-même. Les apparitions de l’Eternel aux patriarches ne sont signalées par aucun prodige. Les premiers miracles proprement dits sont ceux qui accompagnent la vocation de Moïse. C’est alors que Dieu, qui ne s’était manifesté jusqu’alors que comme Elohim, la puissance invisible, qui est au-dessus de la nature, se glorifie aux yeux de son serviteur et de son peuple comme Jéhovah, l’Etre absolu, le maître absolu des êtres.
h – Le récit dit simplement : « Il ne parut plus, » sans préciser la cause de cette disparition, autrement que par ces mots : « Dieu le prit. »
Supposez que les récits de miracles, dans l’Ecriture, fussent le produit de l’imagination des premiers âges, encore plongés dans l’enfance, comment expliquer ces 2500 premières années de l’histoire du monde, complètement dépourvues de faits miraculeux ? N’est-ce pas précisément ces temps, qui correspondent à l’âge mythologique des peuples païens, que les anciennes légendes devraient nous présenter tout remplis de merveilleux ?
Après qu’au temps de Moïse et de son successeur, Josué, la puissance divine s’est déployée dans la nature, le temps des Juges nous offre le spectacle d’un déclin quant à ce genre de manifestation. Nous ne trouvons, pendant cette période, que quelques miracles ; et l’époque de Saül, de David et de Salomon, à laquelle elle aboutit, en est, ou peu s’en faut, complètement dépourvue. Ce temps est cependant le point culminant de l’histoire juive, sa période d’éclat. S’il est une époque qui dût servir de canevas à la broderie miraculeuse c’étaient bien les règnes brillants de David et de Salomon.
Nous dira-t-on : c’était déjà une époque trop historique ; le temps des fables était passé ; la simple prose avait commencé pour Israël ? Soit ! Mais je descends deux siècles, et voici une nouvelle période miraculeuse non moins riche que la première, celle d’Elie et d’Elizée. C’est le temps où les corbeaux nourrissent de viande le prophète, où l’huile se reproduit dans la fiole de la veuve, où un enfant mort reprend la vie sous l’étreinte de l’homme de Dieu, où le feu tombe à sa voix sur le Carmel, du milieu d’un ciel d’azur. Et avec l’époque de David, nous devions avoir passé de la fable à l’histoire !
Objectera-t-on que ces prodiges appartiennent à l’histoire des dix tribus, sur laquelle nous n’avons pas peut-être des renseignements aussi assurés que sur celle du royaume de Juda ? J’y consens ; revenons donc à Jérusalem. Tout un siècle s’est écoulé ; nous sommes au temps d’Ezéchias, au siècle de Sanhérib et de Salmanazar, dans un temps tellement historique, qu’au moyen des découvertes modernes nous connaissons ces rois mieux peut-être, que beaucoup de grands personnages actuels ; et nous voici en face du plus prodigieux, du plus inconcevable de tous les miracles, du mouvement rétrograde de l’ombre de l’aiguille au cadran d’Ezéchias ! C’est le dernier miracle, ou plutôt l’unique, dans toute la période des rois de Juda.
La catastrophe de la ruine de Jérusalem s’accomplit ; la captivité annoncée se réalise. Lorsqu’elle approche de son terme et que le retour se prépare, la puissance miraculeuse éclate une dernière fois en la personne de Daniel, pour disparaître tout de bon, jusqu’à l’apparition de Celui dont la personne toute entière est, selon le nom que lui donne d’avance Esaïe, miracle.
Ainsi, quatre époques saillantes de déploiements de forces surnaturelles : le temps de Moïse et de Josué ; celui d’Elie et d’Elizée ; celui de Daniel ; celui de Jésus et des apôtres. Et dans les intervalles quelques miracles clairsemés, ou absence complète de prodiges. Nous demandons, en face de ces faits : Les miracles seraient-ils ainsi répartis, s’ils n’étaient que le produit de la légende ? Ne les aurait-on pas semés partout indistinctement ? Ne fourmilleraient-ils pas surtout dans les anciens âges, pour diminuer graduellement et disparaître à mesure qu’on entrerait davantage dans les temps historiques ?
4. Mais le trait qui dénote peut-être de la manière la plus frappante la vérité parfaite des récits miraculeux renfermés dans nos saints livres, c’est que ces faits exceptionnels sont pour la plupart en relation avec les péchés de ceux qui en sont les instruments ou les objets. Ce sont les murmures et les révoltes opiniâtres du peuple contre l’Eternel et contre Moïse, son serviteur, qui provoquent la plupart des miracles du désert et spécialement ce châtiment humiliant et terrible des serpents, dont la délivrance est due à l’efficace miraculeuse du serpent d’airain. Le narrateur aurait-il inventé cette conduite du peuple, pour en faire l’occasion du miracle qui doit suivre ? Et s’il l’eût fait, le peuple eût-il accepté cette calomnie contraire à la notoriété publique, pour le plaisir de compter un miracle de plus dans son histoire ? Il est donc impossible que ce récit ne soit qu’un mythe émané de la conscience nationale ou de l’imagination de quelque imposteur.
Le ministère de Moïse commence aussi par un acte d’incrédulité. Il refuse la vocation que Dieu lui adresse au désert, et, s’obstinant dans le sentiment de son impuissance, il dit : « Envoie celui que tu veux envoyer. » Et c’est à cette résistance coupable que se rattachent les deux prodiges de la verge changée en serpent et de la main frappée et guérie de la lèpre, qui ont servi de base à son ministère. Mais ces prodiges mêmes ne parviennent pas à rompre la résistance de Moïse ; il persiste dans son découragement, au point que le récit sacré finit par dire : « Et la colère de l’Eternel s’alluma contre Moïse ! » Et ces deux miracles seraient inventés, inventés par Moïse lui-même ou quelqu’un de ses admirateurs subséquents, pour faire ressortir quoi ? L’incrédulité et l’obstination insurmontables de Moïse !
Un seul fait miraculeux est signalé dans le règne de David : l’apparition de l’ange exterminateur dans l’aire d’Ornan, pour frapper Israël d’une plaie qui fait périr des milliers de personnes en peu de jours. Et à quelle occasion ? Pour châtier l’une des grandes fautes de David, à laquelle l’avait entraîné l’orgueil.
Le repas miraculeux par lequel Elie est fortifié à l’entrée du désert, et la magnifique vision qui lui est accordée en Horeb, sont amenés par une infidélité de sa part, sa fuite devant Jésabel, acte qui est caractérisé ainsi : « Et il s’en alla selon que son cœur lui disait. » C’est à la suite de cette faute que le découragement s’empare de lui, il s’écrie : « Reprends ma vie, je ne suis pas meilleur que mes pères, » et que Dieu, plein de compassion pour son serviteur, s’approche de lui et le relève par une nouvelle révélation. Et l’on se serait complu à imprimer cette tache à la vie du plus illustre des prophètes, pour avoir l’occasion d’inventer les miracles qui s’y rattachent !
En vérité, il faut admettre que le caractère israélite, ou celui des écrivains de cette nation, était étrangement trempé ! Pour la plus grande gloire de Dieu, ils rédigent une histoire fictive, qui est toute à leur honte. Qu’on nous cite un fait analogue dans l’histoire, ancienne ou moderne !
5. Malgré ces raisons, il faut avouer que si les miracles, dans l’histoire israélite, n’étaient que des faits isolés, le doute, un moment surmonté, ne pourrait manquer de renaître bientôt. Pour que ces faits extraordinaires acquièrent à nos yeux une pleine créance, il faut qu’ils reposent sur une base large, permanente et surnaturelle comme eux. Il faut que l’histoire israélite toute entière ait un caractère exceptionnel. Quand j’aurai discerné la chaîne, je croirai que les sommets blanchâtres que j’aperçois à l’horizon sont bien des cimes et non des nuages. Ce postulat est légitime, et ne me paraît pas difficile à satisfaire.
Une révélation extraordinaire est certainement à la base de toute l’histoire israélite. Cette notion du Dieu entièrement distinct du monde, principe et maître absolu de tout être et de son propre être, qui s’exprime dans cette définition : « Je serai celui que je serai, ou que je voudrai êtrei, » elle est le résultat d’une communication surnaturelle, du contact direct entre l’esprit de Dieu et celui de Moïse, non seulement parce qu’elle transcende absolument tout ce à quoi la conscience humaine pouvait s’élever par elle-même, mais parce que celui qui a jeté cette vérité dans le monde et qui en a fait le fondement de la vie de son peuple nous déclare la tenir directement de Dieu, et que la sainteté de son caractère ne nous permet pas de douter de la vérité de son témoignage.
i – Hirsch, Der Pentateuch, 2ter Theil : Exodus, page 27.
Sous l’empire de ce rayon de lumière tombé d’En-haut, Israël, malgré son penchant à l’idolâtrie parfaitement semblable à celui de tous les autres peuples, reçoit dans l’histoire du monde une place exceptionnelle : il devient le porteur du progrès religieux qui doit s’opérer ; et, soutenu dans ce travail, contraire à sa nature, par une main supérieure, il finit par arriver tout entier, et comme nation, à la plus ferme conviction monothéiste.
C’est ce qui le sauve. Bien des peuples de l’Orient ont été exposés comme lui à une violente transmigration sur une terre étrangère. C’était le sort de toutes les petites nations, que broyaient avec fureur les chefs de ces grandes monarchies que la prophétie israélite compare à des bêtes féroces. Mais, de tous ces peuples, il n’a été donné à aucun de fouler de nouveau le sol de sa patrie. Israël, au contraire, porteur de la vérité divine dont il doit être l’apôtre, reçoit la permission exceptionnelle de rentrer dans sa patrie, après soixante-dix années de captivité, et de se reconstituer en corps de nation. Cyrus, vainqueur de Babylone qui avait englouti Israël, force ce monstre à rejeter sur le sable du rivage ce prophète d’entre les peuples, nouveau Jonas. Nul ne peut dire ce qui s’est passé dans l’esprit du jeune conquérant, et ce qui l’a poussé à rendre à Israël sa patrie et ses autels. Mais le fait est là. L’histoire l’atteste. Jérusalem est sortie de ses ruines, qui semblaient éternelles. Pour Israël, cet exil, qui aurait dû être le coup mortel porté à sa nationalité, n’a été que le creuset qui a achevé de la purifier. Il est rentré dans ses montagnes, radicalement guéri de ce penchant à l’idolâtrie contre lequel Dieu avait dû lutter depuis sa vocation en Abraham, pendant 1500 ans.
Une lumière exceptionnelle, un rétablissement exceptionnel, est-ce là tout ? Non ; à cela se joint une aspiration exceptionnelle. Les autres peuples sont tout au présent ; Israël vit dans l’avenir. Une idée fixe, à laquelle il est comme suspendu, le soulève et l’attire incessamment. Une religion supérieure, une nouvelle alliance, doit remplacer un jour la religion présente, l’alliance de Sinaïj. Un second David, descendant du premier, mais supérieur à lui, autant que le seigneur l’est au serviteur, doit partir un jour de Sion pour faire la conquête du monde à la tête d’un peuple de franche volonté, d’une armée de sacrificateurs, vêtus de leur costume sacerdotalk. Il sera, il est vrai, frappé à mort, navré pour les forfaits de l’humanité. Mais quand il aura donné sa vie et intercédé pour les transgresseurs, il la recouvrera, et les intérêts du règne de Dieu prospéreront entre ses mainsl. Ainsi, une religion, une seule dans le monde, s’est déclarée, et cela au temps de sa domination, défectueuse, insuffisante, et, par la bouche de ses prophètes, en a annoncé une meilleure, dirigeant elle-même les regards de ses adhérents vers cette ère supérieure, qui seule réalisera l’idéal. S’il est vrai que l’abnégation de Jean-Baptiste, cédant volontairement le pas à l’après-venant qu’il avait annoncé, ne soit pas un fait explicable psychologiquement, l’abnégation de la religion juive toute entière, invitant Israël à espérer quelque chose de meilleur encore, n’est pas plus explicable par les facteurs religieux purement naturels.
l – Ésaïe chapitre 53.
Nous marchons dans cette histoire de surprise en surprise ; il semble que cette religion juive, en annonçant celle qui doit lui succéder, devrait représenter le peuple choisi comme entrant tout entier et avec empressement dans cette religion de l’avenir. Nullement ! Israël se montrera jusqu’au bout le peuple de col roide. Ses instincts de grandeur terrestre se heurteront à l’humilité de celui qui réalisera ce grand avenir. Un petit nombre seulement se soumettront à lui. Un châtiment d’aveuglement empêchera Israël de le reconnaître, et après soixante-dix semaines d’années qu’aura duré l’histoire de la nation restaurée, le temple sera une seconde fois détruit, et la terre de Canaan frappée tout de bon à la façon de l’interdit. Voilà ce qu’annoncent les prophètesm. Est-ce ainsi qu’un peuple, parlant au nom de ses propres prévisions, a jamais décrit son avenir ?
Enfin, et c’est ici ce qu’il y a de plus étonnant, l’avenir annoncé se réalise. Après 400 ans d’attente, le germe, déposé dans le sol par la main des prophètes, pousse enfin. Un être paraît, qui, dans une vie exceptionnelle, réalise l’idéal de sainteté qui avait plané devant les yeux des prophètes. Repoussé par sa nation, il meurt, puis prolonge ses jours ; et le voilà, faisant la conquête du monde, à la tête de ses rachetés, vêtus d’une sainteté semblable à la sienne. C’est bien le cortège du sacrificateur l’armée de franche volonté, prédits par le psalmiste. Et tandis que Jérusalem croule, le règne de Dieu s’étend sous le sceptre de Jésus, et la connaissance du Dieu vivant, du Dieu d’amour, remplit la terre, comme les eaux de la mer en couvrent le fond. Et ce terme unique ne serait pas le fruit légitime de cet arbre unique ! Il n’y aurait dans cette fin, comparée à ce commencement, qu’une coïncidence accidentelle, un heureux hasard !
Non ; non ! L’historien impartial doit l’avouer le surnaturel coule à pleins bords dans cette histoire, depuis son origine, à travers toutes ses phases, jusqu’à son terme. Vocation exceptionnelle d’Abraham ; monothéisme exceptionnel au sein du peuple issu de lui ; aspiration exceptionnelle à un sublime avenir ; relèvement exceptionnel, après une première grande catastrophe ; apparition finale d’un personnage exceptionnel ; ruine affreusement exceptionnelle de Jérusalem ; et enfin conservation exceptionnelle, jusqu’à nos jours, de ce peuple dispersé au milieu des peuples, et manifestement réservé pour quelque grand rôle encore ; il y a dans cette histoire trop d’exceptions pour qu’elle ne constitue pas elle-même une grande exception dans l’histoire du monde ! Le nom de ce peuple est celui de son Messie : Miracle. Et voilà la base permanente que nous cherchions et sur le fondement de laquelle tous les miracles particuliers de son histoire deviennent naturels.
Avant de quitter ce sujet, la réalité du surnaturel dans l’histoire, je désire présenter une observation relativement à l’idée émise parfois par nos écrivains rationalistes, que la Bible ne peut témoigner en faveur des miracles, parce qu’elle ne possède pas elle-même la notion de la nature et de son admirable système de lois. Que l’on adresse ce reproche aux mythologies païennes, à la Théogonie d’Hésiode, par exemple, je le comprends. Quand on substitue aux forces de la nature les divinités de l’Olympe ou de l’Hadès, les Titans, les Naïades, etc., il est évident que le système de la nature est supprimé, pour faire place à d’inconstants et personnels caprices. Mais que l’on puisse étendre cette imputation à la Bible, ceci suppose une légèreté d’assertion peu explicable. Le refrain du récit de la création n’est-il pas que Dieu fit chaque plante et chaque animal selon leur espèce, de telle sorte que cette espèce portait en elle-même le principe de sa reproduction ? N’y a-t-il pas là la notion d’une loi, et d’une loi de premier ordre ? Car, quel est le fondement des lois de la nature, sinon la distinction et la permanence des espèces ? Et n’est-ce point à la science à retourner aujourd’hui sur ce point à l’école du premier chapitre de la Genèse ?
De même, quand Dieu dit, après le déluge : « Tant que la terre durera, les semailles et les moissons, le froid et le chaud, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point, » est-ce là la devise d’une histoire mythologique ? N’y a-t-il pas là un hommage rendu à la régularité à laquelle est soumise la marche des phénomènes naturels ? Si le déluge est rapporté à Dieu, n’est-il pas parlé en même temps de ses causes naturelles, les bondes des cieux et les fontaines du grand abîme, c’est-à-dire les averses pluviales et l’ascension des eaux de la mer qui ont produit ce grand phénomène ? La Bible reconnaît si bien la loi dans la nature, que le miracle ne mérite son nom, d’après la notion biblique, que par le fait de son contraste exceptionnel avec la loi, puisqu’il n’est ce qu’il doit être, signe de la puissance divine, que comme manifestation exceptionnelle, supérieure à la loi de la nature.
Dans quel but Dieu intervient-il ainsi dans l’histoire du monde, agissant sur l’esprit de l’homme par son esprit, sur la nature par sa volonté toute-puissante ?
Il y a une œuvre de Dieu sur la terre ; œuvre d’éducation et de salut, dont la nature est le moyen, dont l’homme est l’objet, et à laquelle il doit lui-même coopérer. D’un côté, il s’agit de nous conduire au faîte de notre destination, de l’autre côté et en même temps, de nous retirer de l’abîme où nous sommes tombés dès le premier pas sur la voie qui mène à ce faîte. Le monde entier est l’objet de cette œuvre ; Israël est le peuple que Dieu a appelé à en être l’instrument. Le fondement de cette œuvre, c’est la connaissance du Dieu vivant et libre.
C’est sur la révélation de ce Dieu seul vrai que repose la venue de son règne dans les cœurs. « Ton nom soit sanctifié, » disait Jésus, avant de dire : « Ton règne vienne. »
L’homme pourrait bien, par l’étude religieuse de la nature et de lui-même, arriver à pressentir ce Dieu infini et libre. Mais il faudrait pour cela que son cœur et son intelligence, ne fussent pas dominés par la convoitise et l’égoïsme. Tel qu’est l’homme, au lieu de se faire de la nature une échelle pour s’élever à Dieu, il en fait un mur de séparation entre son bienfaiteur et lui. Autant les biens lui importent et l’absorbent, autant celui qui en est l’auteur lui devient indifférent et même incommode. Voilà ce qui oblige Dieu, au moment où il va procéder à l’établissement de son règne ici-bas par la constitution d’Israël, comme nation, à se révéler sous une forme toute nouvelle, par le miracle. Le miracle révèle à l’homme auquel le cours ordinaire de la nature ne parle plus assez haut du tout-puissant Créateur, et qui est tenté de l’identifier avec la nature elle-même, le Dieu dont la volonté et la puissance ne sont liées par aucun état de choses. Ce n’est pas seulement le fait miraculeux, c’est l’ordre naturel lui-même dont le caractère divin est signalé aux yeux des témoins ; car le miracle prouve non seulement que le monde a Dieu pour auteur, mais encore que c’est lui qui le maintient, puisque ce maintien dépend à chaque instant de sa libre volonté. Comme dit l’éminent commentateur juif que nous avons déjà cité : « Révéler l’origine divine de l’ordre naturel des choses, voilà le but du miraclea. » Le miracle, c’est la volonté divine qui reparaît comme telle au milieu d’une nature dont la régularité menaçait de faire oublier ce principe suprême de toute existence.
a – Hirsch, ouvrage cité, page 33.
Voilà pourquoi les miracles commencent ici-bas avec le ministère de Moïse. Ils sont comme l’illustration de cette révélation nouvelle dont Moïse va être le porteur : « Je suis Celui qui Suis. Tu diras aux enfants d’Israël : Je Suis m’a envoyé vers vousb. »
« Je suis apparu comme Dieu Fort à Abraham, à Isaac et à Jacob ; mais je n’ai point été connu d’eux par mon nom de Jéhovahc. » Jéhovah, c’est celui qui est, ou plus exactement qui sera, l’Etre qui seul est, qui a l’être en sa possession, et qui en dispose, dans l’avenir comme dans le présent. Il n’est pas seulement El-Schaddaï, le Dieu Fort, c’est-à-dire le plus puissant des êtres ; Il est absolument parlant l’Etre ; tout ce que nous appelons être, hors de Lui, est néant, et n’a part à l’être que parce qu’Il daigne l’y faire participer. Cette idée sublime, après l’avoir révélée à Moïse par la parole, comme nous venons de l’entendre, Dieu la lui explique par un fait ; et ce fait, c’est le miracle. Que signifie cette verge changée en serpent, et ce serpent en verge, si ce n’est qu’il n’y a pas d’être vis-à-vis de Dieu, que les essences elles-mêmes sont l’effet de sa volonté, et n’ont de consistance que celle qu’Il veut bien leur prêter ; que nul être n’est que ce que Celui qui seul est, le fait être ?
b – Exode 3.14.
c – Exode 6.3.
Que signifie encore cette main de Moïse devenue lépreuse, puis guérie de cette maladie ? La même chose, mais avec application spéciale à la nature humaine, que Dieu peut à volonté perdre ou sauver.
Il y a des paroles qui sont des actes ; il y a des faits qui sont des paroles. Les miracles sont une prédication. Ils témoignent du Dieu libre et vivant. Ils sont le monothéisme en action. Ceux de Josué, ceux d’Elie et d’Elizée n’ont pas d’autre sens. Ils réinstallent en quelque sorte Jéhovah dans la conscience israélite. Cela était indispensable, en face de l’idolâtrie cananéenne, qui n’était que la nature divinisée, aussi bien qu’en face de celle du royaume des dix tribus, qui avait remplacé chez ce peuple le culte de Jéhovah. Là où les oreilles n’entendent plus, il faut que les yeux voient. C’est aux sourds que Dieu parle par le miracle. Et c’est par là qu’Israël lui-même a été maintenu comme peuple monothéiste.
Et quand l’heure de la révélation suprême a sonné ; quand le Dieu créateur veut se faire connaître tout entier, se révéler comme Père, et ajouter à son caractère d’être absolu celui de l’Etre infiniment bon, c’est aussi par les miracles qu’Il parle à ce peuple sourd et de col roide. Une pluie de prodiges bienfaisants et libérateurs tombe des mains de Celui qui est lui-même le don vivant de l’amour divin ; et la révélation est consommée. Le nom du Père est sanctifié sur la terre ; il ne reste plus à chaque individu qu’à le sanctifier pour son propre compte, en le reproduisant vivant en sa personne. Cette dernière œuvre est le miracle du Saint-Esprit ; elle commence avec la consommation en Jésus de l’œuvre historique inaugurée par Moïse. Là où la révélation extérieure finit, est le point où la régénération, l’œuvre intérieure et personnelle, commence.
On demande pourquoi, s’il s’est fait autrefois des miracles, il ne s’en fait plus aujourd’hui. La réponse résulte du fait que nous venons de signaler. Les miracles appartiennent à l’œuvre historique, au développement de la révélation ; ce sont des signes, comme dit l’Ecriture. Or, avec Jésus-Christ, le développement de la révélation est clos ; la révélation n’est que le commentaire de la rédemption ; et la rédemption une fois consommée, la révélation n’a plus qu’à en interpréter les derniers actes ; puis elle se tait, et alors cessent aussi les miracles. Rédemption, révélation, miracle, sont des faits corrélatifs et contemporains.
On nous demande encore ce que nous pensons des miracles du moyen âge, et à quel caractère nous prétendons distinguer les vrais miracles des faux. Depuis la Pentecôte, les miracles réels sont spirituels ; ce sont les opérations intérieures de l’Esprit de Dieu, dans le but de nous éclairer sur les révélations divines, de nous appliquer le salut qui est en Jésus-Christ, et de nous associer à sa sainteté. A la vérité, en raison de la liaison étroite de l’âme et du corps, quand l’esprit de l’homme est ainsi divinement vivifié, il peut exercer parfois sur le corps qui lui sert d’organe, et, par lui, sur des corps étrangers, une merveilleuse puissance. Ce genre de miracle est possible, par conséquent, dans tous les temps de l’Eglise ; il l’a été au moyen âge, comme il l’est encore à cette heure. Ce qui ne paraît plus possible, ce sont les miracles produits par l’action divine sur la nature. L’ère de ces miracles-là a été fermée avec l’œuvre de la révélation, dont ils n’étaient que les auxiliaires.
Il est donc une espèce de miracle que nous pouvons seule désirer et demander encore. Ce sont ceux qui appartiennent à l’ordre spirituel : « Quand l’esprit sera venu, dit Jésus, il me glorifiera en vous ; il prendra de ce qui est à moi, et il vous l’annoncera. » Voilà le miracle qui s’accomplit sur la terre, dans des milliers de cœurs, depuis la Pentecôte, c’est là notre miracle, si j’ose ainsi dire, qui en contient mille particuliers, tout ce que fait l’Esprit pour dévoiler et appliquer à chaque âme Jésus, son œuvre, sa parole, ses souffrances, sa gloire.
Il me semble voir, au point de vue qui nous occupe, l’histoire de l’humanité s’échelonner en trois étages, celui de la nature, celui de l’histoire et celui de l’Eglise ; et c’est en comprenant la succession et l’enchaînement de ces trois périodes, que l’on entrevoit la vraie loi du progrès dans l’humanité.
Et d’abord, dans le travail de la formation de la nature, Dieu vise à l’homme. Ce long et laborieux développement, dont la géologie nous retrace le tableau, n’est que le mystérieux enfantement de l’homme. Les entrailles de la terre contiennent les monuments de ce divin travail. Pendant des milliers de siècles, des êtres toujours nouveaux se sont succédé sur la scène de notre globe ; et leurs restes enfouis ne se découvrent que peu à peu. La loi qui règle la marche de cette succession d’animaux étranges, c’est la tendance incessante vers l’homme. Les êtres perdent de plus en plus leur étrangeté ; ils revêtent, si l’on peut dire ainsi, un caractère toujours plus humain. Dès que l’homme paraît enfin, ce travail cesse ; les espèces animales déjà existantes persistent bien, mais il n’en paraît plus de nouvelles. Ces faits ne s’expliquent que parce que le but de l’œuvre, dès le premier pas, était l’homme, et que ce but est atteint. La première série, d’opérations divines, au sein de la nature, celle qui était destinée à produire l’homme, est close.
Mais l’homme n’est pas plutôt apparu, qu’un nouveau but, plus éloigné, supérieur, se découvre. Le terme du travail précédent, l’être libre, devient le point de départ d’un travail nouveau ; l’ordre moral se superpose à l’ordre physique. L’être libre doit devenir l’être saint, et l’homme créé à l’image de Dieu, réaliser pleinement cette glorieuse ressemblance. Dès ce moment plus de progrès, plus de développement dans la sphère de la nature. Semblable à une roue qui tourne sur elle-même, elle parcourt invariablement le cycle de ses saisons et de ses révolutions. La nature est un être qui ne se déploie que pour se replier sur lui-même ; ce n’est pas une spirale, c’est un cercle. Le progrès a maintenant passé de la nature dans l’histoire, de l’existence aveugle dans l’existence consciente et libre. La nature n’est plus que le sol sur lequel fleurit l’arbre de l’histoire ; et le but de l’histoire, c’est l’homme parfait, l’homme-Dieu.
Pour l’atteindre, Dieu se révèle à l’homme, comme un père à son enfant ; et dès que ce développement est entravé par un acte criminel qui sépare l’homme de Dieu, et le plonge, s’il est abandonné à lui-même, dans une ruine inévitable, l’œuvre d’initiation, commencée, par Dieu, se transforme en œuvre de rédemption. Dieu ne se révèle plus seulement ; il travaille à sauver ; et sa révélation n’est plus que le commentaire de l’œuvre de salut qu’il poursuit envers l’homme, œuvre longue, en un sens, puisqu’elle a duré des siècles, mais courte, si nous la comparons aux myriades d’années qu’a duré le développement de la nature jusqu’à l’homme. La promesse de la victoire de l’humanité sur Satan, au seuil du paradis, en est le commencement. L’apparition de Jésus-Christ en est le terme. C’est à ce second travail divin dont l’histoire est le théâtre, que se rattachent les miracles dont nous venons de nous entretenir. Dans tous les moments décisifs de ce grand travail, ils en sont les auxiliaires. Les miracles sont comme la pédale dans le jeu du grand artiste divin. Par là, Dieu ne corrige pas l’instrument, la nature ; il la fait servir d’une manière extraordinaire aux besoins supérieurs de l’homme.
Cette seconde phase du progrès humanitaire atteint son terme en Jésus, qui est, par rapport au développement historique de l’humanité ce que l’apparition de l’homme a été par rapport au développement de la nature. Comme c’était l’homme que Dieu voulait, en créant et en transformant progressivement la nature, ainsi c’était l’homme tel que nous le contemplons en Jésus, que Dieu voulait en créant et en développant l’homme. Il voulait l’homme saint par la liberté, tout-puissant par la libre soumission.
Mais cet homme, il est unique ; il est seul ; et, ce n’est pas là le but suprême d’un Dieu d’amour. Aussi vrai Jésus est l’homme parfait, l’idée de l’homme réalisée, aussi vrai Dieu ne veut pas un Jésus, il en veut des milliers. Il en veut autant qu’il y a d’hommes. Il veut une humanité de Jésus, la reproduction de ce type parfait et glorieux dans chaque croyant, par la puissance du Saint-Esprit. Voilà le but plus élevé qui se découvre, après l’apparition de cet Un qui ne peut être dépassé. Chaque membre de l’Eglise, de ce corps spirituel de Christ, doit devenir semblable à Lui, afin que le jour paraisse, enfin, où Il ne sera plus que comme un premier-né entre une multitude de frèresd. La production d’une semblable humanité commence, avec la Pentecôte. C’est un constant miracle, une opération divine, quoique impliquant le libre abandon de l’homme ; opération radicale, comme le mal à détruire chez nous ; profonde, comme notre cœur à régénérer ; haute, comme la perfection de Jésus à atteindre, riche, comme la charité de Jésus à déployer ! Mais ce long miracle de la sanctification de l’humanité est tout intérieur et tout individuel. Il ne s’agit plus que de réaliser dans chaque individu le type historiquement obtenu en Jésus-Christ. Le siège de cette nouvelle série de miracles est donc l’âme humaine, et nullement la nature extérieure. Néanmoins, cette série de miracles surpasse ceux de l’histoire sainte, non moins que ceux-ci surpassaient ceux de la création. Quand Jésus disait à ses apôtres : « Vous ferez des œuvres plus grandes que celles-ci (que ces miracles extérieurs que j’accomplis maintenant), parce que je m’en vais à mon Père (et que du trône je vous enverrai l’Esprit),e » il faisait bien entendre par là que la moindre opération du Saint-Esprit, accomplie en nous ou par nous, est une œuvre plus grande, au jugement du ciel, que tous les prodiges accomplis dans le monde des sens.
d – Romains 8.29.
Telle est la troisième série de miracles ; elle remplit l’économie présente ; elle doit aboutir à l’incarnation complète de Jésus dans son Eglise. Quand le Christ céleste revivra pleinement dans son corps, alors son retour visible fermera l’ère des miracles spirituels, que sa première venue a inaugurée. Avec cet état parfait, le progrès aura atteint son terme ; car le progrès indéfini n’est pas la pensée de Dieu ; c’est plutôt une pensée qui se détruit elle-même. Là où il n’y a pas de terme, on se meut, mais on ne progresse pas.
Produire l’homme, réaliser le vrai homme, enfanter l’humanité parfaite : voilà le plan, voilà les degrés principaux de l’œuvre divine. Chacune de ces phases est caractérisée par une série de miracles, de nature différente et de plus en plus relevée, comme l’œuvre elle-même qui s’accomplit. C’est à nous de rechercher et de réclamer maintenant ceux qui appartiennent en propre, à la période dans laquelle nous sommes placés, afin d’être par là rendus capables d’entrer dans l’état de perfection qui en doit être le terme.