1.[1] Alexandre légua le royaume à sa femme Alexandra, persuadé que les Juifs recevraient son autorité plus favorablement qu'aucune autre, parce que, très éloignée de sa cruauté, elle s'était opposée aux violences du roi, de manière à se concilier l'affection du peuple. Cet espoir ne fut pas trompé, et cette faible femme se maintint au pouvoir, grâce à sa réputation de piété. Elle observait, en effet, exactement, les traditions nationales et ôtait leur charge à ceux qui transgressaient les lois religieuses. Des deux fils qu'elle avait eus d'Alexandre, elle éleva l'aîné, Hyrcan, à la dignité de grand-prêtre, en considération de son âge, et aussi de son caractère, trop indolent pour s'immiscer dans les affaires d'État ; quant au cadet, Aristobule, tempérament bouillant, elle le retint dans une condition privée.
[1] Sections 1 à 4 Ant., XIII, 16.
2. On vit collaborer à son gouvernement les Pharisiens, secte juive qui passe pour être la plus pieuse de toutes et pour interpréter les lois avec le plus d'exactitude. Alexandra leur accorda un crédit particulier dans son zèle passionné pour la divinité. Mais bientôt les Pharisiens s'insinuèrent dans l'esprit confiant de cette femme et gouvernèrent toutes les affaires du royaume, bannissant ou rappelant, mettant en liberté ou en prison selon ce qui leur semblait bon. D'une façon générale, les avantages de la royauté étaient pour eux, les dépenses et les dégoûts pour Alexandra. Elle était d'ailleurs habile à conduire les affaires les plus importantes ; par des levées de troupes continuelles elle parvint à doubler l'effectif de l'armée et recruta des troupes mercenaires en grand nombre, destinées non seulement à tenir en bride son propre peuple[2], mais encore a se faire craindre des princes étrangers. Cependant, si elle était la maîtresse des autres, les Pharisiens étaient ses maîtres à leur tour.
[2] Quoique le sens actif de « dominer » (avec l'accusatif de régime) ne soit pas attesté par le moyen κρατύνομαι, nous ne croyons pas que la phrase comporte une autre traduction.
3. C'est ainsi qu'ils firent mourir un homme de marque, Diogène, qui avait été l'ami d'Alexandre ; ils l'accusaient d'avoir conseillé au roi la mise en croix des huit cents Juifs. Ils pressaient aussi Alexandra de frapper d'autres notables qui avaient excité le prince contre ces rebelles. Et comme elle cédait toujours, par crainte religieuse, ils tuaient ceux qu'ils voulaient. Les plus éminents des citoyens, ainsi menacés, cherchèrent un refuge auprès d'Aristobule. Celui-ci conseilla à sa mère d'épargner leur vie en considération de leur rang, mais de les bannir de la cité, si elle les croyait fautifs. Les suspects obtinrent ainsi la vie sauve et se dispersèrent dans le pays[3]. Cependant Alexandra envoya une armée à Damas, sous prétexte que Ptolémée continuait à pressurer la ville ; l'expédition revint sans avoir rien accompli de remarquable. D'autre part, elle gagna par une convention et des présents. Tigrane, roi d'Arménie, qui campait avec ses troupes devant Ptolémaïs et y assiégeait Cléopâtre[4]. Il se hâta de partir, rappelé par les troubles de son royaume, où Lucullus venait de faire invasion.
[3] D'après Ant., § 417, ils furent proposés à la garde des places-fortes du moindre importance, ce qui explique la facilité avec laquelle Aristobule s'en empara (§ 117).
[4] Cléopâtre Séléné, fille du Ptolémée Physcon, et veuve de plusieurs rois Séleucides. Ces événements se placent en 70 av. J.-C.
4. Sur ces entrefaites Alexandra tomba malade, et Aristobule, le plus jeune de ses fils, saisit l'occasion avec ses amis[5], qui étaient nombreux et tout dévoués à sa personne, en raison de son naturel ardent. Il s'empara de toutes les places-fortes et, avec l'argent qu'il y trouva, recruta des mercenaires et se proclama roi. Les plaintes d'Hyrcan émurent la compassion de sa mère, qui enferma la femme et les fils d'Aristobule dans la tour Antonia ; c'était une citadelle adjacente au flanc nord du temple, nommée autrefois Baris ; comme je l'ai déjà dit[6], et qui changea de nom au temps de la suprématie d'Antoine, comme Auguste Sébastos et Agrippa donnèrent leur nom aux villes de Sébasté et d'Agrippias. Cependant avant d'avoir eu le temps de faire expier à Aristobule la déposition de son frère, Alexandra mourut après un règne de neufs années[7].
[5] Je lis οἰκείων avec Herwerden et Naber au lieu de οἰκετῶν.
[6] Supra III, 3.
[7] 69 av. J.-C. (Josèphe lui-même, Ant., XIV, § 4, indique la date 69).