De mon voyage d’une part, et de mes lectures de l’autre, je voudrais maintenant essayer de dégager la physionomie psychologique du Réveil gallois.
Tout Réveil, au point de vue psychologique, relève de la psychologie collective, et spécialement de la psychologie des foules. Or, dans les foules et par suite dans les Réveils, il y a en général deux choses à examiner : d’abord les foules elles-mêmes, et puis ceux que la psychologie laïque appelle les meneurs, ceux que la langue anglaise appelle les leaders, bref, les individualités puissantes qui servent de condensateurs, d’accumulateurs, de conducteurs, de propagateurs au fluide religieux.
Commençons par la foule : nous étudierons ensuite, en quelques chapitres spéciaux, la psychologie curieuse et compliquée d’Evan Roberts, et celle aussi de quelques autres revivalistes tels que Mrs Jones.
Le premier point que je désirerais bien mettre en lumière, c’est la différence qu’il y a entre une entreprise comme la mission Torrey et un mouvement comme le Réveil gallois.
Pour pouvoir instituer cette comparaison, il convient préalablement, me semble-t-il, de redire les impressions que j’ai rapportées de mon contact avec la mission Torrey. Ces impressions sont très diverses ; peut-être les trouvera-t-on contradictoires : j’en serai désolé, car je professe une estime particulière pour le principe de contradiction ; mais ce qu’on attend de moi, c’est que je livre tout naïvement mon état d’âme tel quel, même si je n’ai pas réussi à y introduire une rigoureuse unité. — Je tiens aussi à proclamer d’entrée mon profond respect pour la personne et l’œuvre de Torrey et d’Alexander, ma sincère admiration pour leur zèle infatigable, leur activité fabuleuse, leurs succès spirituels prodigieux. En face de tels géants, on se sent bien petit ! Loin de moi la pensée de m’instituer leur juge. Toutefois, il m’est bien permis, je pense, de noter en toute simplicité les alternatives et les mélanges de sentiments très opposés que leurs méthodes ont provoqués en moi, constitué comme je le suis et comme le sont, je m’assure, bien des Français, car une question se pose, celle de savoir si tout cela peut et doit être reproduit chez nous, et si les immenses succès obtenus par Alexander et Torrey, au cours de leurs pérégrinations, constituent réellement un brevet de légitimation pour tous les temps et pour tous les pays.
Je suis arrivé à Londres le lendemain même du jour où Torrey et Alexander venaient de commencer leur mission de deux mois dans un local situé au sud de Londres et appelé Brixton Hall.
Cette mission est aujourd’hui terminée, et Torrey en a même fait plusieurs autres dans d’autres quartiers de Londres et puis à Sheffield. Mais Torrey a beau changer d’endroit : la mission Torrey est bien toujours à peu près la même. Voici en tout cas ce que j’ai vu et entendu à Brixton Hall :
Brixton Hall est une immense salle toute en métal, en tôle gondolée, qui ressemble à une grande salle de marché, telle que Covent-Garden, balayée et garnie de chaises. On ne peut pas dire que l’aménagement de cette salle toute claire et toute métallique soit très propice au recueillement, d’autant plus que les chaises sont très étroites, aussi rapprochées que possible, et qu’on est un peu opprimé entre ses voisins. Heureusement que les miens n’ont jamais dépassé la moyenne en fait de volume. Au-dessus de la plateforme, on a construit une petite estrade-escabeau assez élevée. C’est sur cette estrade que Torrey et Alexander vont grimper tour à tour pour le chant ou l’allocution. L’estrade est d’ailleurs fort peu large, et il ne faudrait pas que le chanteur ou l’orateur se livrent à une mimique trop exagérée, car une chute serait imminente.
J’ai assisté, dans ma journée du dimanche, 10 avril, aux deux réunions, celle de trois heures et celle de six heures.
A la réunion de trois heures, l’estrade n’est pas entièrement remplie. Le chœur n’est sans doute pas au complet. Mais il y a un bel auditoire dans l’ensemble.
A six heures, il y a encore plus de monde. La salle est bondée. Toute l’estrade est garnie.
Vingt minutes avant le commencement de la première réunion, un individu, qui se trouve être Alexander, mais que je croyais être tout d’abord un aide quelconque, entreprend de faire chanter un cantique par l’assemblée. Je me figurais qu’Alexander, ainsi que Torrey, ne faisait son apparition que lorsque tout le monde était là et lorsqu’il s’agissait de commencer pour tout de bon le meeting. Je suis un peu humilié de ma méprise, quand je réalise que c’est bien à Alexander que j’ai affaire. Mais je me console en voyant dans un journal que la première impression produite par Alexander sur le Rév. John Morgan n’a pas été très bonne, et qu’il n’a été conquis que peu à peu par Alexander. Mon contre-sens cesse de m’humilier.
Alexander entreprend donc de faire chanter par l’assemblée un cantique dont le refrain est le suivant : « Il faut que tout le monde sache que Jésus est mon Sauveur » (Everybody should know that Jesus is my Saviour). Alexander veut absolument que tout le monde chante. Il insiste. « Chacun doit chanter. Quiconque a jamais chanté dans sa vie, doit chanter aujourd’hui. Et si vous n’avez jamais chanté, commencez tout de suite. Il signale du bras deux gentlemen qui ne chantent pas. Je m’attends presque à ce qu’il m’interpelle, car je suis bien en vue sur le devant, étant arrivé à l’avance et ayant obtenu une bonne place, et je n’ai garde d’ouvrir la bouche pour plusieurs raisons, bien qu’Alexander multiplie ses invitations pressantes. J’échappe, il faut croire, à son regard perçant.
Il insiste toujours, il gronde, il complimente, il blâme, il loue, il raille, il s’efforce de faire comprendre à chacun que le succès de la réunion dépend de son effort personnel. « Apprenez le cantique par cœur, s’écrie-t-il, de telle sorte que si vous perdez le livre, vous ne perdiez pas le chant. » Très satisfait du grand volume de son produit par la galerie de droite, il fait au sujet des efforts de la galerie de gauche cette remarque : « C’est très distingué, cela ressemble au chant d’une petite fille ! — « Chantez-le de nouveau », dit-il d’un ton encourageant. — « Ah ! voilà ce que j’appelle numéro 1, première classe », lui est-il arrivé un jour de déclarer aux hommes de la galerie. « Je ne pouvais pas comprendre pourquoi le chant était si bon là-haut, mais je pense que je saisis maintenant. C’est que ce sont les hommes vigoureux qui ont grimpé dans la galerie. » — « Chantez-le de nouveau ! Ah ! bien, maintenant vous êtes en bonne forme pour chanter le Glory Song » (l’un des hymnes les plus populaires d’Alexander, le premier hymne qui l’ait fait connaître en Australie d’abord, puis en Angleterrea. Alexander le chante d’abord lui-même. Puis : « Si l’hymne vous plaît, crie-t-il, chantez-le vous-même ! »
a – On trouvera cet hymne avec les paroles traduites et la musique légèrement altérée au n° 6 des Chants de Réveil, publiés par l’Etoile (Gloire à Jésus). Les paroles anglaises et la musique sont de M. Charles H. Gabriel, de Chicago.
Renonçant pour quelques instants à faire chanter tout le monde ensemble, il fait chanter successivement tous les hommes seuls, puis toutes les femmes seules, puis l’assemblée seule, puis le chœur seul, et enfin le chœur et l’assemblée simultanément, lorsque les combinaisons ou séparations diverses sont épuisées. Il paraît que quelquefois il fait chanter les vers successifs d’une même et unique strophe par des parties différentes de l’auditoire : une galerie la première ligne, une autre galerie la seconde ligne, une autre la troisième, le parterre chantant le refrain. D’autres fois, il demande aux gens sur la plateforme de chanter tout seuls, afin de « pouvoir faire quelque chose en récompense des bonnes places qu’on leur a données sur l’estrade. » On raconte qu’à Melbourne, n’étant entouré sur l’estrade que de pasteurs, il eut l’idée de s’écrier : « Que la plateforme chante seule ! » Le silence se fit immédiatement. L’auditoire se demandait avec une curiosité amusée comment les pasteurs allaient s’en tirer. Ils s’en tirèrent si bien qu’à la fin de la strophe l’auditoire entier se mit à applaudir vigoureusement. Personne n’avait soupçonné les pasteurs de chanter si bien !
Dans les deux réunions auxquelles j’ai assisté, au moment où l’on chante l’un des cantiques les plus entraînants et les plus populaires, Alexander fait ouvrir toutes les portes du bâtiment, afin que les passants dans les diverses rues avoisinantes puissent entendre l’immense volume de son produit par cette colossale assemblée.
Le chant est accompagné, aux deux réunions, par un jeune homme, un Australien, Robert Harkness, qui manœuvre avec aisance un grand piano à queue : il joue sans avoir de musique devant lui. Il suffit qu’Alexander indique le numéro d’un cantique, sans même dire les premiers mots, pour que le jeune accompagnateur sache de quel cantique il s’agit et commence à jouer. Il improvise des variations dans son accompagnement, tantôt brillantes et compliquées, avec trilles, avec gammes montantes et descendantes, tantôt sobres, réduites et étouffées, suivant les indications qu’Alexander donne au public ou au chœur ; il joue les yeux rivés sur Alexander dont il traduit les moindres intentions avec une fidélité absolue. C’est véritablement, en son genre, un accompagnateur extraordinaire.
Il faut bien reconnaître que les hymnes chantés sont en général assez pauvres comme musique et comme paroles ; mais la musique est claire et facile et entraînante, et chaque hymne est muni de refrains qui par leur répétition se gravent profondément dans la mémoire des auditeurs. Il y en a cependant quelques-uns qui jouissent d’une vogue assez méritée et qui ont réussi à s’introduire dans les chants du Réveil gallois. L’un de ceux-là est le Glory Song. Un autre est le chant intitulé : « Dites à ma mère que je serai là », à savoir dans le ciel avec elle (Tell mother I’ll be there)b. « Dites à ma mère que je serai là ! Ce fut, paraît-il, le message télégraphié par le Président Mac Kinley lorsque sa mère était agonisante sur son lit de mort. C’est un cantique qui, bien chanté, est incontestablement de nature à toucher bien des cœurs. Je l’ai vu employé avec une grande habileté par Alexander de la façon suivante. C’était vers la fin de la réunion. Torrey avait fait son allocution, avait mis le meeting à l’épreuve comme je vais le dire dans un instant, et, cela fait, il était parti laissant Alexander continuer la réunion par le chant de quelques cantiques. Alors, tout à fait à la fin, Alexander a fait monter sur la haute et exiguë estrade un jeune homme, un soliste. « Que tous ceux qui ont une mère dans le Ciel lèvent la main ! s’écrie-t-il, et un grand nombre de mains se lèvent. Le soliste se met à chanter d’une manière tout à fait remarquable le « Dites à ma mère que je serai là ». Je ne sais vraiment si Alexander lui-même aurait été capable de le chanter mieux. Le chant terminé, Alexander se lève et s’écrie : « Maintenant nous allons demander à notre frère de chanter de nouveau la dernière strophe de ce cantique. Est-ce qu’il n’y en aura pas parmi vous qui voudront donner leur cœur à Jésus pendant que cet hymne sera chanté ? » Et le soliste reprend la dernière strophe, en y mettant visiblement toute son âme. Et pendant qu’il chante, Alexander, à demi-voix, demande par intervalles : « N’y en a-t-il aucun parmi vous qui veuille donner son cœur à Jésus ? » Plusieurs, ne pouvant résister à tous les souvenirs d’une mère et d’une enfance pieuse ainsi évoqués devant eux, ne pouvant résister à ce qui leur semble être comme un appel d’outre-tombe, comme la voix de leur mère bien-aimée elle-même, plusieurs qui avaient résisté à toutes les sommations de Torrey, sentent à ce moment-là leur cœur se fondre et, les larmes aux yeux, dans un mouvement irrésistible, ils se lèvent, ils se donnent au Sauveur en lui répétant eux aussi : « Seigneur Jésus, dis à ma mère que j’irai la rejoindre au ciel !c »
b – On trouvera cet hymne avec les paroles traduites et la musique un peu altérée (et avec une faute d’impression en plus) au n° 27 des Chants de Réveil, publiés par l’Étoile (Dis-le à ma mère).
c – Stead a donc eu raison de dire que dans la mission Torrey, « la mère joue un rôle prépondérant, et qu’après les appels au Christ et au Saint-Esprit, ce sont les appels à « la mère » qui ont produit le plus d’effet. (The Torrey-Alexander Mission, p. 112).
C’est ainsi qu’Alexander encadre en quelque sorte Torrey. Il le précède pour préparer les âmes à l’écouter ; il le suit pour ajouter l’impression émotive à l’effet surtout intellectuel produit par Torrey.
La part de Torrey dans les réunions est double. Le premier acte, c’est l’allocution. Le second acte, c’est la mise à l’épreuve de la réunion.
Torrey est un homme d’un aspect extérieur frappant ; au-dessus de la taille de la moyenne, épaules larges, tête massive, traits nets et accusés, il donne l’impression d’un homme robuste et solide : aussi bien seul un homme d’une santé de fer pouvait supporter la fatigue des efforts effrayants que représente cette tournée gigantesque d’évangélisation à travers le monde. La barbe et les cheveux blancs, quoiqu’il ne soit pas encore très âgé, les yeux bleus, perçants, toujours correctement vêtu d’une redingote et d’une cravate blanche, il se dresse, calme, sûr de son fait. Son expression habituelle est sérieuse et grave. Il a une voix formidable. Il lui arrive de raconter humoristiquement que, dans une circonstance, Moody lui dit un jour : « Eh bien ! vous avez enfin trouvé une salle assez grande pour votre voix. » Car il est capable, quand il prêche en plein air, de se faire entendre à un quart de mille.
Il prêche des allocutions-sermons très clairement divisées, quoique peut-être la division ne soit pas à l’abri de toute objection homilétique. L’après-midi, il a parlé sur le texte de Jacques.5.20 : « Celui qui ramènera un pécheur de la voie où il s’était égaré, sauvera une âme de la mort. L’allocution était divisée en trois points : 1° âme ; 2° mort ; 3° sauvera. — Le soir, il a parlé sur : « Dieu est amour », et il nous a montré que Dieu prouve son amour : 1° en châtiant les péchés ; 2° en pardonnant les péchés ; 3° en sacrifiant son Fils. C’est très clair, très raisonnable. Il y a beaucoup d’anecdotesd, c’est à coup sûr très intéressant. Malgré l’exiguïté de l’estrade, il se livre parfois à une mimique assez accentuée qui me donne des appréhensions. A un moment, il fait la supposition qu’il lui prenne fantaisie de convoquer une réunion pour le lendemain, à six heures du matin — heure bien matinale pour un Anglais ! Mais ce serait, explique-t-il, parce que lui, Torrey, se trouverait, par hypothèse, capable d’apprendre à ses auditeurs le secret de changer les pierres en or. La beauté du secret triompherait des répugnances suscitées par l’heure ultra-matinale. On accourrait en foule. Et pour figurer l’empressement avec lequel, au sortir de la réunion, les hommes se mettraient à déterrer les pierres, voilà Torrey qui se baisse soudain, s’accroupit sur ses pieds et ses mains, et, à quatre pattes, s’évertue à extraire en imagination des tas de pierres du plancher exigu de la haute estrade où il est perché. — A un autre moment de son allocution, il ramasse, par un geste assez drôle, les basques de sa redingote pour figurer la façon dont une femme comme il faut au point de vue mondain, mais pas comme il faut au point de vue chrétien, évite le contact de certaines femmes perdues. Incontestablement, Torrey était assez plaisant à ces instants-là. Mais il avait l’air de l’être sans le vouloir, sans le désirer. Et ni lui, ni même l’auditoire, n’avaient l’air de bien se douter qu’un auditoire français eût trouvé là matière à s’amuser. Il manque à la fois à Torrey, pour autant que je puis en juger par deux auditions — et par tout ce que j’ai lu de lui et sur lui et par tout ce que j’ai entendu dire à son sujet — il lui manque à la fois le pathétique et le comique. Il n’a point de ces saillies humoristiques qui soulevaient d’un franc rire les auditoires de Mc Neil, de Spurgeon, de Price Hughes, de Parker, ni de ces mouvements oratoires qui transportent ou qui pénètrent et qui étaient familiers à ces orateurs de race. En somme, son éloquence me laisse un peu froid. Et je m’étonne en moi-même du grand succès obtenu par Torrey, du nombre des assistants, du nombre des décisions provoquées. Il doit y avoir adaptation au milieu. Ce qui fait probablement son succès, c’est, pour employer le mot d’un philosophe contemporain, Spir, son « horrible certitude ». Ce n’est évidemment pas pour lui qu’a été fait le mot de Renan : « Les choses que l’on croit, on n’en est jamais bien sûr. Et il ne souscrirait pas même au mot de Drummond que Vinet et Secrétan auraient contresigné sans hésitation : « Toutes les vérités religieuses sont susceptibles d’être mises en doute, même celles que nous professons le plus fortement. » L’accent de la certitude est dans chaque mot qui lui échappe, ou plutôt qu’il lance délibérément. C’est un homme qui croit absolument chaque mot qu’il prononce, non pas seulement parce qu’il en est convaincu — il y a, grâce à Dieu, beaucoup de prédicateurs convaincus dans le monde — mais encore parce qu’il est entièrement persuadé qu’il ne met pas du sien dans sa croyance, que la croyance est contrainte de par l’évidence même des choses, et qu’il faut être fou, déloyal ou ignorant pour ne pas croire ce qu’il croit. Pas de coefficient de probabilité chez lui : tout est certitude. Pas de plans divers : tout est sur le même plan, lumineux, sans ombre. Il sait qu’il a raison, pleinement raison sur tous les points, et que ses auditeurs n’ont chance d’être dans le vrai que dans la mesure exacte où ils sont d’accord avec lui. Ses yeux perçants, inquisiteurs, dominateurs, se fixent sur vous et accompagnent les paroles dites comme pour les pousser plus profondément en vous. C’est un regard imprégné de certitude et qui entend la communiquer, qui vous somme de l’accepter. Tout cela agit puissamment sur les esprits troublés et incertains qui aspirent à la paix de la certitude parfaite, et auxquels, par suite de leur tempérament ou de l’insuffisance de leur culture mentalee, ne sourit que médiocrement la « volonté organe de la créance » de Pascal. C’est un soulagement pour eux que la présence de cet homme tout d’une pièce qui n’est pas effleuré par la moindre hésitation et ne connaît pas de nuance, et qui estime que les vérités de la religion peuvent se démontrer comme le carré de l’hypoténuse. Ce n’est pas sans dessein que j’emploie cette comparaison, car les biographes de Torrey nous apprennent qu’à l’Université, Torrey se distingua surtout dans la partie des mathématiques, et un journal anglais (the Trust) nous raconte qu’un auditeur émerveillé, conquis, exprima un jour son enthousiasme en ces mots : « Tous ceux qui ont assisté à cette réunion remercieront Dieu pour la précision mathématique du prédicateur. »
d – Il paraît pourtant que ce n’est pas toujours le cas ; il lui arrive de prononcer des allocutions sans anecdotes ni illustrations.
e – D’après Stead (The Torrey-Alexander Mission, p. 88), Torrey, à Liverpool, n’a guère fait impression que sur les classes pauvres et ouvrières. Il n’a que peu touché les classes plus éduquées et plus riches.
Quant à la doctrine, la conviction théopneustique de Torrey éclate à chaque instant et se manifeste jusque dans le détail. Par exemple, chaque fois que Torrey cite un texte, il cite aussi de mémoire les chiffres du chapitre et du verset. Il sait tout cela par cœur, et ces chiffres sont évidemment impressifs pour ceux qui croient à la théopneustie. Cela donne un air de certitude objective inébranlable. Tant que Torrey n’a affaire qu’à des adversaires qui admettent la théopneustie, il est vraiment irrésistible. Sa position devient moins aisée en face de ceux qui n’acceptent pas cette conception commode de l’inspiration plénière, littérale et verbale de la Biblef.
f – C’est ce que fait très bien remarquer Stead (The Torrey -Alexander Mission, p. 83-84).
J’observe aussi que, de Jésus-Christ, ce n’est guère que la Croix qui est retenue et mise en saillie. Le Jésus de Nazareth qui « allait de lieu en lieu faisant du bien et guérissant tous ceux qui étaient sous l’empire du diable, car Dieu était avec lui », le Jésus de Nazareth qui parlait comme jamais n’a parlé aucun homme, est assez oublié, au moins dans ce que j’ai entendu. Et c’est toujours uniquement le salut par son côté individuel et céleste qui est mis en relief.
Mais voici le second acte :
Après les allocutions de Torrey, il y a, à chaque réunion, la partie consacrée à provoquer des décisions et des manifestations. Elle s’est déroulée exactement d’après le même programme aux deux meetings que j’ai vus. Voici donc, d’après les notes que j’ai prises le jour même, les procédés de Torrey. C’est un acte qui comporte plusieurs scènes :
Première scène. — Torrey demande à ceux qui veulent accepter Christ ce soir de se lever un instant pour se montrer à lui, Torrey, et puis de se rasseoir aussitôt. Des individus se lèvent successivement ici, là, à droite, à gauche, devant, derrière, en haut, en bas, en réponse aux appels réitérés, pressants et monotones de Torrey : Y en a-t-il encore un qui veuille accepter Christ ce soir ? — Et Torrey salue celui ou celle qui se lève d’un : Dieu vous bénisse, Monsieur ! (God bless you, Sir !) — Dieu vous bénisse, Madame ! (God bless, you, Madame !) — Voici une petite fille. God bless you ! — Un petit garçon. God bless you ! — Et tout cela sur un ton d’affaires, un ton positif (matter of fact) qui m’étonne un peu, je l’avoue, et me met, je ne sais pourquoi, mal à l’aise pendant toute cette succession de Dieu vous bénisse !g. La succession dure d’ailleurs fort longtemps. Les réponses viennent, lentement d’abord, puis de plus en plus rapides et nombreuses. Toutefois, ce crescendo est à son tour suivi d’un decrescendo. Et lorsque les gens commencent à se lever plus lentement, plus rarement, à des intervalles plus espacés, Torrey redouble d’insistance et de pression. Alexander chante un solo de sa belle voix de baryton avec une articulation si nette qu’on ne perd pas un seul mot. Et le nombre des conversions se relève un instant. Quand il recommence à baisser, Torrey modifie son attaque. Il divise pour ainsi dire l’assemblée en plusieurs groupes qu’il entreprend l’un après l’autre : dans l’aile gauche, dans l’aile gauche seulement, qui est-ce qui veut, dans l’aile gauche, accepter Christ ce soir ? — La même question est ensuite reprise pour l’aile droite, quand l’aile gauche pressurée et serrée à toutes forces semble ne plus contenir de jus, je veux dire ne plus renfermer de personne susceptible de répondre à l’appel. Après l’aile droite, c’est le tour de la rangée entre l’aile gauche et le corridor du milieu, puis de la tribune du fond, puis de l’estrade… Et toujours retentit invariable, monotone, la question stéréotypée : N’y en a-t-il plus qui veuille accepter Christ, ce soir ? suivie, quand il y a succès, par l’exclamation immuable : Dieu vous bénisse ! — J’ai lu le compte rendu d’une réunion pour la jeunesse, où Torrey a appelé successivement les jeunes gens de 18 ans, puis les jeunes garçons et les jeunes filles entre 15 ans et 18 ans, puis ceux entre 13 et 15 ans, puis ceux entre 12 et 13, et ainsi de suite en se rapprochant progressivement du jour même de la naissance. — Les gens qui répondent à l’appel de Torrey sont, d’ailleurs, admirablement stylés ; ils ont bien saisi la pensée de Torrey. Ils se lèvent et attendent que Torrey les ait vus. Ils ne se rassoiraient pour rien au monde tant qu’ils n’ont pas été aperçus par l’évangéliste et en quelque sorte scellés et consacrés par son exclamation favorite : Dieu vous bénisse ! Aussi, lorsque Torrey tarde à discerner un de ceux ou une de celles qui se sont levés, quelqu’un des chrétiens assis sur l’estrade à côté de lui se hâte de lui crier : il y en a un autre là-bas ! en lui montrant du doigt la personne qui attend debout, et Torrey se dépêche de crier : Dieu vous bénisse, Monsieur ! Dieu vous bénisse, Madame !
g – J’ai vu ensuite que Stead avait eu la même impression que moi. La formule stéréotypée de Torrey lui avait produit un effet semblable à celui du : « Merci, Monsieur ! prononcé par un commissaire-priseur à mesure qu’il reçoit des offres (The Torrey-Alexander Mission, p. 88).
2° La seconde scène commence. Torrey demande à ceux qui se sont levés successivement et, après s’être levés, se sont rassis, de vouloir bien se lever tous ensemble. Aussitôt, un grand nombre de personnes se lèvent sur tous les points de la salle. Pourtant, il y en a quelques-uns sur l’estrade, derrière, qui n’obéissent pas à l’ordre donné. Se repentent-ils de s’être levés la première fois ? Ne se sont-ils levés que sous l’impulsion d’une sorte d’emballement qui a disparu ? Je ne sais. Mais le fait est qu’ils restent assis. Seulement ils ont compté sans les travailleurs chrétiens répandus par toute la salle et qui surveillent leur monde. « Il y en a un ici qui ne se lève pas », crie une voix. « Il y en a un autre ici qui garde son siège », crie une autre. Et Torrey se tourne vers les délinquants, les gronde, les presse de se lever un peu vite, et les travailleurs chrétiens se hâtent d’aller exhorter ces demi-renégats à rester fidèles à leur première manifestation qui était un engagement. Les réfractaires se décident enfin à se lever, le rouge au front et aux joues. Quand ils sont tous bien debout, Torrey leur demande de venir tous en masse sur le devant. Ils obéissent et vont se grouper au pied de la plateforme. Sans remonter sur la haute et petite estrade, Torrey, de la plateforme, leur fait une petite exhortation, leur donne de bons conseils pour la vie chrétienne qu’ils vont maintenant avoir à mener. Puis, comme conclusion, il leur demande de répéter tous ensemble à haute voix et en même temps la petite déclaration suivante : J’accepte Jésus-Christ comme mon Sauveur et mon Roi. Après quoi les aides de Torrey prennent les noms et adresses des nouveaux convertis, leur donnent de petits papiers, des brochures, — leur font signer et remplir des cartes d’engagements portant un texte fort long — et ils se dispersent. Il paraît que cette seconde scène est une originalité de Torrey. Du moins elle a surpris en Angleterre comme une nouveauté.
3° La troisième scène va commencer. D’une part Torrey lâche, si je puis dire ainsi, les ouvriers chrétiens (the Christian workers) dans la salle avec mission de parler aux gens, de les presser de se convertir, s’ils sont inconvertis, etc. D’ailleurs ce que les ouvriers chrétiens attitrés font pour ainsi dire par fonction, Torrey invite tous les chrétiens, quels qu’ils soient, qui se trouvent présents dans la salle, à le faire eux aussi. Et d’autre part, Torrey demande aux auditeurs d’évacuer les dix premiers bancs, et, ou bien de s’en aller, ou bien de se loger ailleurs, là où ils pourront. Les bancs vides vont servir de chambre d’enquête (inquiry room). Torrey invite les anxieux à y venir. Le travail de l’inquiry room qui, dans beaucoup d’autres missions, se fait en secret, à l’abri du public, se fait ici en pleine assemblée, au bon milieu de la foule. Je me rappelle avoir assisté jadis à de très belles réunions de mission dirigées par le Rév. Hugh Price Hughes (mort depuis) dans le Saint-James’s Hall, — qu’on va, paraît-il, démolir pour construire sur l’emplacement un restaurant colossal, si bien que la mission wesleyenne a été obligée de se réfugier momentanément au local de l’Union chrétienne, Exeter Hall. — Lorsque cette réunion fut terminée, et que le travail de l’inquiry room commença, le Rév. Price Hughes me demanda si je voulais aider à décider et à convertir les personnes troublées, et comme je lui répondis que j’avais peur de ne pas posséder assez bien l’anglais pour cela, il me répondit avec son amicale brusquerie : « Alors ! vous ferez aussi bien de vous en aller ! » Eh bien ! Torrey et Alexander ne diraient pas cela, ils ne disent pas cela. Tout le monde ou presque tout le monde reste pour assister au travail de l’inquiry room. J’ai la chance de me trouver assis au onzième banc, ce qui fait que je suis juste sur la frontière de l’espace réservé aux anxieux et que je puis voir tout ce qui s’y passe. Le travail de conversation, de discussion, de prière, se fait par petits groupes qui causent sérieusement. Parfois on en voit deux — deux hommes ou deux femmes — agenouillés côte à côte, et priant ensemble à demi-voix. Une dame, la figure radieuse et épanouie, prie avec une jeune fille à la figure très sérieuse. Un monsieur met la main sur la jambe du garçon assis à côté de moi et l’exhorte à se déclarer pour Christ : le jeune homme refuse. Devant moi vient s’asseoir une jeune fille qu’accompagne une dame chrétienne. La jeune fille pleure, toute rouge, penchée en avant. La dame l’exhorte. Ailleurs deux ou trois enfants s’agenouillent avec un jeune homme qui vient prier avec eux. Ailleurs un jeune chrétien feuillette sa Bible et montre des passages à un garçon qu’il tâche de convaincre. Tout cela, je ne le nie pas, finit par agir sur les assistants. Et si je disais tout à l’heure que les allocutions de Torrey ne brillent pas par l’émotion et le pathétique, je n’étends cette caractéristique ni au chant d’Alexander ni au spectacle de cette lutte des chrétiens avec les âmes troublées. Il y a là des personnes émues, très émues. Et le contact de ces émotions est communicatif. Je me sens réellement ému à certains moments. Cette émotion toutefois ne réussit pas à me maîtriser si complètement qu’elle m’empêche de me demander avec inquiétude s’il n’y a pas là malgré tout, dans quelques cas au moins, des choses bien vite réglées…
4° Dans la quatrième scène, Torrey invite ceux qui ont déjà accepté Christ avant ce soir, mais n’ont pas encore osé le confesser publiquement à user de l’occasion présente pour « améliorer leur situation » (to improve their situation). De ci, de là, on se lève. Et l’on reçoit l’approbation coutumière de Torrey : Dieu vous bénisse, Monsieur ! Dieu vous bénisse, Madame ! — Une dame se lève derrière moi. Et pour réparer sa timidité passée, elle ne veut pas se borner à se lever et à être vue par Torrey. Elle veut parler. Elle commence : « J’ai accepté… Mais au même moment une autre voix se fait entendre d’un autre côté, couvrant la sienne. La dame s’arrête sans se décourager, et, bien résolue à faire entendre de toute l’assemblée son témoignage, elle attend que le silence se fasse. De sa voix la plus claire et la plus ferme, elle crie alors : « J’ai accepté Christ comme mon Sauveur et mon Roi ! Et Torrey lui répond : Dieu vous bénisse, Madame !
5° Enfin la cinquième et dernière scène a lieu. Torrey invite tous ceux qui ont accepté Christ dès avant ce soir et qui, avant ce soir, l’ont confessé déjà, à lever la main.
Là-dessus, Torrey se retire, laissant Alexander continuer encore un peu de chant après son départ, comme je l’ai déjà raconté.
On ne peut nier qu’il y ait dans cette façon de provoquer, voire d’extorquer les décisions et les témoignages, une insistance extraordinaire. Cette pression étonne un peu l’étranger inaccoutumé à ces procédés. Elle est certainement plus grande qu’à toutes les réunions de ce genre auxquelles j’avais déjà assisté en Angleterre, soit à Londres, soit à Manchester, soit ailleurs encore. Pour dire toute ma pensée, je me figure mal un Vinet présidant une réunion semblable et pressant ainsi les gens de se lever ou de lever la main. Je me figure mal un Vinet, dans l’auditoire, se levant ou levant la main au commandement. Et cette difficulté que j’éprouve à me représenter Vinet dans cette situation, constitue à mes yeux, sans que je croie avoir besoin de la formuler plus explicitement, la critique la plus forte de ces procédés de mission, si on veut les appliquer indistinctement dans tous les milieux et à tous les individus.
D’ailleurs il y a des Londoniens auxquels ces procédés sont loin de plaire entièrement. Le lendemain même du jour où j’avais assisté aux réunions de Torrey, j’eus l’idée d’acheter le Daily Mail, qui n’est certes pas un mauvais journal, il s’en faut, et qui s’est occupé avec sympathie du Réveil Gallois. Et dans ce numéro du lundi 10 avril, je lus sous le titre : Réveil suburbain, un article plutôt satirique. L’auteur commençait par dire que Torrey avait avoué son insuccès à Kensington (à l’Albert Hall, lieu de sa précédente mission), que Torrey avait blâmé publiquement l’indifférence de Kensington, avait tapé sur l’épaule de Brixton en l’appelant « un chic type ». Torrey, continuait-il, a tourné le dos à Kensington, a immolé Kensington à Brixton, a imité par une mimique expressive la façon dont Kensington a manifesté son incapacité d’être enthousiaste. « Maintenant, a crié le Dr Torrey, nous n’avons besoin de rien de semblable à Brixton. Nous avons besoin d’intégrité et de sincérité. Nous désirons que les rues de Brixton retentissent du nom de Jésus-Christ. Nous voulons que vous parliez de Jésus-Christ aux gens que vous rencontrez dans les tramways, dans les rues, à votre thé. » Et Torrey ajouta : « Chaque personne dans l’auditoire est priée d’étudier son voisin, de juger s’il est converti ou non, et ensuite, s’il n’est pas converti, de lui parler de Jésus-Christ. » — « Il y eut à ces paroles, continue le journaliste, un mouvement perceptible dans l’assemblée. Assise tout près de moi se trouvait une jeune fille vêtue de noir, avec des lunettes et un parapluie. Elle commença de me regarder. Elle s’enfonça et se recula dans la chaise et se mit à m’étudier. Je devins chaud et nerveux. Je sentais qu’il serait impossible de lui expliquer que rejeter le Dr Torrey n’était pas la même chose que rejeter Jésus-Christ. D’un élan soudain, je me glissai hors de mon siège, je me frayai la voie à travers les stewards, et je courus presque, à travers la salle, jusqu’à une issue trois fois bénie. J’étais un apostat (I backslided). »
On peut trouver à redire à cette critique. Je suis loin de l’endosser telle quelle pour mon compte, et cependant je ne puis m’empêcher de rendre le lecteur attentif à la façon dont ce journaliste critique le Dr Torrey. Il a soin de distinguer très nettement entre rejeter Torrey et rejeter Christ. Il proteste qu’il n’a nullement l’intention de rejeter Christ. Il ne rend nullement la religion chrétienne solidaire des critiques qu’il adresse au Dr Torrey. Au contraire. Il rompt toute solidarité de ce genre. Et si les derniers mots de son article sont quelque peu irrespectueux (allusion à la Trinité, emploi badin du terme classique dans le langage de la piété anglaise de backslider), il n’en reste pas moins que voilà un individu qui n’est point hostile au Christ, et qui est choqué, mis en fuite par les méthodes de Torrey…
Cela dit, je dois ajouter que les Anglais choqués par les procédés de Torrey sont rares. Et après tout, les gens que cela choque n’ont qu’à ne pas venir. Voilà plusieurs semaines, plusieurs mois que Torrey opère à Londres. Les Londoniens savent à quoi s’en tenir sur la marche des réunions. S’ils y viennent, c’est qu’ils ont pris leur parti d’être soumis à un siège en règle. Ils ne sont pas pris par surprise. Et qui sommes-nous pour condamner les procédés de Torrey, du moment que ces procédés ne peuvent pas être qualifiés d’illégitimes et d’irréligieux en eux-mêmes ? La fin et le résultat justifient les moyens, quand les moyens ne sont pas immoraux.
Et le résultat est souvent excellent, dans la mission Torrey. Preuve en soit la célèbre conversion de l’acteur comique Quenton Ashlyn, dans laquelle, il est vrai, les procédés n’ont joué aucun rôle, et que nous ne pouvons donc pas donner pour une preuve de l’efficacité des procédés, mais qui s’est effectuée sous l’influence de Torrey, et que nous pouvons en tout cas donner pour une preuve de l’efficacité de cette influence. Aussi bien nous aurons trop souvent, dans ce chapitre, l’occasion de nous référer à l’histoire de Quenton Ashlyn, pour qu’il ne soit pas utile de la donner tout de suite ici :
Au cours des réunions tenues à Aberdare par Dan Roberts, j’ai entendu dans deux réunions différentes Quenton Ashlyn raconter sa conversion. Et il l’a encore racontée une troisième fois à Aberdare, mais cette fois je n’y étais pas : c’était dans une réunion supplémentaire improvisée dans une chapelle voisine à cause de la surabondance des Gallois accourus à la réunion de Dan Roberts, et incapables d’y entrer. Les deux récits qui ont été faits en ma présence se sont complétés sans se contredire ; je me permettrai de les fondre en un seul et unique récit, et même d’y ajouter quelques traits fournis par les journaux religieux et autres qui ont commenté cette conversion sensationnelle entre toutes, publiant à l’envi des interviews avec le nouveau converti. « Je suis un bébé, a commencé par nous dire M. Quenton Ashlyn, je suis un bébé ; ma nouvelle naissance ne date que de quelques semaines ; j’ai été obligé de me dépêcher d’apprendre à parler. J’y suis à peu près parvenu. Voici mon histoire. » Employé d’abord dans le service civil, M. Quenton Ashlyn s’était un beau jour trouvé un remarquable talent pour la composition de chants comiques et humoristiques ; puis, marchant de découverte en découverte, il s’était aperçu qu’il était capable de gagner encore plus d’argent en chantant lui-même des chansons qu’en en composant. Et il réussit si bien dans ses premiers essais en ce genre, qu’il abandonna complètement sa profession première pour se vouer entièrement à la carrière de chanteur comique. Il était sans cesse invité dans les grandes soirées, dans les salons aristocratiques, dans les concerts, etc. Il avait le don d’agiter ses auditeurs d’un rire inextinguible depuis le commencement jusqu’à la fin, et avait en outre la faculté d’imiter si bien les notes de divers instruments de musique qu’une fois il fit croire à une grande assemblée qu’il jouait réellement du violon, alors qu’il produisait en réalité chaque note avec ses lèvres. Voilà le personnage. Or, un jour, M. Quenton Ashlyn devait chanter une chanson comique dans un concert à Saint-Georges-Hall. Lorsqu’il parut sur l’estrade, aux lieu et place de la récitation amusante qu’on attendait de lui, il prononça ces mots : « Je suis incapable de vous donner mon chant habituel cet après-midi. J’ai été récemment converti à Dieu par le moyen de la mission de l’Albert -Hall, et je sens que ma vie doit être consacrée désormais non pas à amuser des gens qui sont pour la plupart sur la route de l’éternelle destruction, mais à servir le Sauveur qui est mort pour moi. » Après un instant de profonde stupéfaction, l’assemblée, croyant à une bonne farce, à quelque plaisanterie inédite, partit d’un grand éclat de rire, mais Quenton Ashlyn se hâta de la détromper en lui donnant, au lieu d’un chant comique, une vigoureuse exhortation à la repentance et un appel impressif à la conversion, dont on peut comprendre l’effet, tombant d’une pareille bouche, en un tel lieu et un tel moment. Mais encore comment Quenton Ashlyn s’est-il converti ? Il nous a raconté que sa mère avait toujours été une pieuse chrétienne, que sa sœur aussi était une chrétienne fervente, employant toute sa vie à de bonnes œuvres dans les quartiers misérables de Londres. Quant à lui, malgré les exhortations de sa mère et de sa sœur, et bien qu’il n’ait jamais douté de la vérité absolue du christianisme, désireux de voir le monde et de s’amuser, il avait complètement abandonné le culte et la religion, et sans être jamais tombé dans des vices proprement grossiers, il menait une vie purement mondaine, uniquement occupé à gagner de l’argent en faisant rire les gens et à le dépenser pour ses plaisirs. Mais il ne réussissait pas à être heureux. Au contraire.
« A mesure que les années s’écoulaient, dit-il, mon état empirait. Je gagnais autant d’argent que je voulais. Mais plus j’en gagnais, plus je devenais malheureux. Parfois, je m’éveillais au milieu de la nuit en me disant : cela ne peut pas continuer comme cela ; non, je ne puis supporter cette vie. J’étais fatigué de tout, fatigué de me lever le matin, fatigué de m’habiller, fatigué des théâtres, fatigué des nouvelles, fatigué d’aller voir mes amis. Deux de mes anciens amis de salle de concert se suicidèrent, et je fus presque sur le point de les suivre. J’avais entendu ma mère parler de la paix et de la joie qu’elle éprouvait. Je ne la croyais pas. Il me semblait qu’il ne pouvait y avoir dans le monde une chose telle que le bonheur. Je n’associais pas cette misère avec un sentiment particulier de culpabilité, c’était seulement un sentiment écrasant de fatigue, d’inutilité, de platitude, de stérilité à propos de tout. Les amusements ne m’amusaient pas. Moi qui amusais les autres, je ne pouvais m’amuser moi-même. Au milieu même des passages les plus comiques de mes chants, alors que je faisais tordre les assistants, je me sentais misérable et désespéré. J’assistai à un meeting du Dr. Torrey. Voici dans quelles circonstances je m’y rendis. Un jour, j’avais passé tout l’après-midi à jouer au billard avec un ami ; quand le jeu fut fini, nous allâmes à un théâtre à Hammersmith. Je m’attendais à obtenir une place gratis, comme membre de la profession ; on me la refusa. Je partis. Tandis que je passai, sur l’impériale d’un omnibus, devant le Royal-Albert-Hall, où se tenait à cette époque la mission Torrey-Alexander, la pensée me vint d’y entrer et de voir par moi-même ce qu’il en était de ces meetings dont j’avais tant entendu parler. Le Dr. Torrey parlait de Christ comme du Sauveur des hommes. Son allocution m’impressionna beaucoup ; pourtant, elle ne me décida pas. Je me levai et je sortis avant la fin, emportant l’impression que je rejetais le salut, que le salut pourrait bien ne plus m’être offert de nouveau. Mais je sortis. Je sentais que ce n’était pas la peine de me convertir ; je ne pourrais jamais vivre la vie chrétienne. Peu après, je tombai sur un petit traité du Dr. Torrey ; ma sœur l’avait reçu aux alentours de l’Albert-Hall, un soir, et elle l’avait placé bien en évidence, de façon à ce qu’il me fût impossible de ne pas le voir. C’était sur le jugement dernier. Il était intitulé : L’alternative de Dieu. Salut ou condamnation ? telle était l’alternative. Je m’assis et je lus la brochure. Elle m’émut profondément. J’étais bouleversé. Suivant mon habitude régulière, j’allai passer le dimanche après-midi chez un de mes amis. Tirant le traité de ma poche, je lui dis : Il faut que je vous lise un sermon du Dr Torrey, quand les enfants seront allés au lit. Et je lui lus le sermon tout d’un trait, sans autre interruption que celle de ma propre émotion qui, de temps à autre, me forçait à m’arrêter et me coupait la voix. Cependant, j’allai jusqu’au bout. Quand j’eus fini, je dis à mon ami : « C’est tout à fait terrible. » — « Oui, me dit-il. — « Et chaque mot de ce sermon est la vérité même de Dieu », repris-je. — « Je le crois, » fit mon ami. — « Alors, qu’est-ce que nous allons faire ? » — « Je ne sais pas, dit-il ; nous ne pouvons pas vivre la vie chrétienne. » — « Non, répliquai-je, nous ne pouvons pas vivre la vie chrétienne, et nous restâmes silencieux pour un temps… « Oh ! M’écriai-je brusquement, si nous pouvions seulement accepter ce grand salut ! — « Si je l’acceptais, dit mon ami, je sens que je devrais aller le crier partout, dans tous les cafés que je fréquente, mais je ne puis. Non, je ne puis pas vivre la vie chrétienne, de sorte que cela ne sert de rien. » — « Je sortis, continua Quenton Ashlyn, et, en dépit de ce que j’avais dit sur l’impossibilité de vivre la vie chrétienne, une fois rentré dans ma chambre, seul, tranquillement, sans aucune excitation, je me décidai pour Christ. Oui, je le fis ; comment cela se passa, je ne saurais l’expliquer exactement, mais je dis au Christ : O Christ, je suis prêt à tout abandonner, à quitter ma profession, à changer de vie, à être ce que tu veux que je sois et à faire ce tu veux que je fasse, si seulement toi tu veux me recevoir ! Depuis ce moment, je suis un homme converti. Et depuis ce moment, je suis l’homme le plus heureux de la terre. Vous trouvez peut-être que cela ne paraît pas sur ma figure, ajouta-t-il naïvement. Que voulez-vous ? je ne puis pas changer mon visage. Mais je vous assure que s’il y avait une fenêtre dans mon cœur, vous n’y trouveriez que paix et félicité. Quand j’eus abandonné ma profession, mes amis me disaient : « Vous êtes fou, vous allez mourir de faim. » Mourir de faim ! en vérité ! Je leur répondis : « Mes chers amis, si je fais tant que d’avoir assez de confiance en Dieu pour croire qu’il me donnera la vie éternelle, je puis bien avoir assez de confiance en lui pour croire qu’il me donnera un morceau de pain chaque jour. Et voilà plusieurs semaines que j’ai renoncé à chanter la chansonnette, et que je n’ai plus de gagne-pain. Regardez-moi. Est-ce que j’ai l’air d’un meurt-de-faim ? Non, non, la famine n’a pas commencé, et je suis sans la moindre crainte. »
Plein de confiance et de joie, Quenton Ashlyn emploie désormais sa vie à rendre son témoignage.
Le lendemain du jour de sa conversion, il se rendit le matin dans le quartier pauvre où sa sœur avait une salle de mission. Il lui raconta qu’il avait donné son cœur à Dieu. « Je ne suis pas venu vous voir pour vous interroger à ce sujet ou vous demander aide et conseil sur ce point. Car c’est fait. Mais ensuite ? Que dois-je faire ? » Sa sœur et la dame qui l’aide dans la mission s’agenouillèrent avec lui, et ils demandèrent ensemble à Dieu ses lumières. Ensuite ils consultèrent la Bible et y trouvèrent un message direct : « Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. Car c’est en croyant du cœur qu’on parvient à la justice, et c’est en confessant de la bouche qu’on parvient au salut. » « J’avais cru, dit Quenton Ashlyn ; je n’avais pas encore confessé de ma bouche. J’allai donc à l’Albert Hall et fis ma confession publique. Le lendemain, j’allai au concert de Saint-Georges Hall, et déclarai qu’étant converti, je ne chanterai plus de chanson comique. Le dimanche suivant, je racontai, dans le même local, tout le détail de ma conversion à une vaste assemblée convoquée à cet effet. Il termina cette réunion en invitant les personnes qui voulaient se décider pour Christ à se lever : deux se levèrent. Le soir, il parla encore dans le même local, et vingt-cinq ou trente personnes se levèrent pour accepter Christ, parmi lesquelles une actrice. Il tint pendant une semaine des réunions dans le même lieu où jadis il avait si souvent fait retentir des chants comiques. Puis il s’est mis à parcourir le Pays de Galles.
Partout où il y a quelque réunion de Réveil, il accourt pour raconter son histoire et donner gloire à Dieu, « Ah ! si seulement, a dit à ce sujet M. Stead, si seulement nous avions deux ou trois conversions comme celle-là, l’Evangile aurait vite fait de bouleverser de fond en comble et Londres et toute l’Angleterre ».
Il est temps de quitter Londres pour nous rendre au Pays de Galles. A Wrexham, je causais un jour avec un Irlandais — un noble, un fils de comte, venu exprès pour voir le Réveil — je lui disais combien j’étais frappé de la grande différence qui me paraissait exister entre les réunions de Torrey et les réunions galloises. « Oh ! me répliqua-t-il, la mission Torrey est une mission, le Réveil gallois est un Réveil. Et ce sont là effectivement deux choses assez différentes. Les Gallois s’en rendent très bien compte. Plusieurs d’entre eux m’ont donné à entendre qu’à leurs yeux la mission Torrey est quelque chose d’un peu artificiel, fabriqué, quelque chose de mécanique, tandis que le Réveil gallois, lui, est spontané, naturel, dynamique. Dans la mission Torrey, se laisse perpétuellement apercevoir l’homme, l’homme qui organise, l’homme qui forme des comités, l’homme qui institue des collectes, l’homme qui fait bâtir une salle spéciale, l’homme qui dépense un argent considérable en réclames. Dans le Réveil gallois, la part de l’homme est réduite au minimum ; il n’y a point de comité ; il n’y a jamais une seule collecte dans aucune réunion. Une fois un homme s’est levé, disant que l’Esprit lui ordonnait de faire une collecte pour les orphelinats de Barnardo. Evan Roberts lui a répliqué : « L’Esprit me dit, à moi, de vous faire asseoir ». Et l’autre n’a pas insisté. Il n’y a point non plus de réclames montées dans le Réveil gallois — les journaux en ont fait une, il est vrai, et énorme, mais ils l’ont faite gratis, parce qu’ils l’ont bien voulu, parce que le grand journal appelé Western Mail a épousé avec ardeur la cause du Réveil et a pris soin de faire suivre Evan Roberts par un reporter dans toutes ses tournées ; mais il y a si peu de réclame organisée que l’étranger est souvent embarrassé, ne trouvant nulle part d’affiche qui le renseigne sur le lieu et l’heure des réunions ; il faut questionner et requestionner ; dans les petits endroits, on est assez vite renseigné ; tout le monde est au courant ; mais il n’en est pas ainsi dans les villes. A Wrexham, j’ai dû interroger la fille d’un pasteur, puis un libraire, lesquels ne savaient rien, avant de tomber sur un pharmacien qui m’a mis sur la bonne voie. A Porth, j’ai dû renoncer, après interrogations répétées, à découvrir le lieu de la réunion, et j’ai pris le train pour Tylorstown à dix minutes de là, parce que je savais l’heure et le lieu du meeting qui devait s’y tenir. Donc, point de réclame. Comme le dit spirituellement M. Stead, la flamme de l’enthousiasme reste sans fumée comme celle de l’anthracite du Pays de Galles, et le mouvement se propage sans le secours d’affiches, de fanfares, de vastes tentes, sans l’attirail ordinaire des œuvres suscitées par l’invention humaine. Point de salle spéciale aménagée exprès : on se réunit dans les chapelles. Point de programme arrêté d’avance pour les réunions. Quand il y a un revivaliste, il ne prépare jamais d’allocution, il parle, s’il s’y sent poussé, et quand il s’y sent poussé ; il arrive parfois qu’il ne dise rien ou presque rien : c’est le cas lorsque la réunion est très vivante. La conviction profonde des Gallois, c’est qu’il faut s’en remettre à l’inspiration actuelle et immédiate de l’Esprit et lui laisser le soin de tout diriger. De là ces traits caractéristiques du Réveil gallois là où il est le plus intense, dans le Sud : les prières simultanées ou les chants et prières simultanés. Chacun est censé ne parler que sous la pression intérieure de l’Esprit, mais alors il doit obéir jusqu’au bout et délivrer tout son message ; c’est l’affaire de l’Esprit de garantir le silence s’il y tient, ou, s’il le préfère, de provoquer d’autres manifestations parallèles ; cela regarde le Saint-Esprit. Evan Roberts s’oppose systématiquement à ce qu’on arrête ceux qui parlent ou qui prient. Il n’y a qu’un genre d’arrêt qui soit pratiqué, c’est celui qu’on appelle d’un terme amusant : la clôture musicale, mais à vrai dire ce n’est pas précisément un arrêt, c’est une manifestation parallèle ; et il arrive fréquemment que l’assemblée, entonnant ainsi un chant au bon milieu d’une prière qui se prolonge et chantant toutes les strophes sans exception à la file, la prière continue pendant et malgré le chant et survit au chant ; quand le chant est fini, on entend encore pendant quelques minutes la prière. Tout cela est fort différent de la façon dont Torrey dirige ses réunions : là, rien n’est laissé… Torrey dirait au hasard, les Gallois disent au Saint-Esprit. Tout est réglé, dirigé, soit par Torrey, soit par Alexander, qui conservent toujours la maîtrise directe de la réunion. J’ai eu comme l’intuition très vive de cette différence de méthode et d’esprit, un soir, à Aberdare, lorsque M. Quenton Ashlyn a raconté sa conversion. Après son allocution, Ashlyn s’est mis à genoux en chaire et a fait à voix haute une courte prière. Dès que l’Amen dernier a retenti, l’assemblée, tout émue par le récit de cette conversion sensationnelle, a éclaté en chants de louange et d’actions de grâces. Le chant s’est prolongé, l’assemblée ne pouvant en quelque sorte se rassasier d’exprimer musicalement sa joie. Quand Ashlyn a jugé qu’il y en avait assez, il s’est levé et, feuilletant sa Bible, choisissant définitivement un texte, il s’est mis, le livre ouvert, dans la posture d’un homme qui attend que la strophe soit finie pour parler. A la mission Torrey, on sait ce que cela signifie, et l’on s’arrête, docilement. A Aberdare, le chant continue ; pourtant, comme il faut bien que tout finisse une fois, le chant finit par cesser. Un petit silence s’établit, et Ashlyn se dispose à lire les quelques versets de la Bible sur lesquels il a jeté son dévolu : « Je désire vous lire… », mais tout à coup une autre voix s’élève dans la galerie de droite, c’est quelqu’un qui prie avec véhémence. Ashlyn s’arrête interloqué. Dan Roberts assis en chaire derrière lui se lève, s’approche, et lui dit quelques mots que je n’entends pas — je suis trop loin — mais le geste dont Dan Roberts accompagne ses paroles est significatif ; il veut dire : « Cela ne fait rien, laissez-le prier, puisqu’il y est poussé par l’Esprit, et vous, parlez quand même, parlez en même temps, parlez pendant que l’autre prie ». Evidemment Ashlyn n’est pas au courant des us et coutumes du Réveil gallois, et cette façon de procéder ne lui sourit que médiocrement. Car malgré les quelques mots de Dan Roberts, il ne reprend pas son discours et attend debout, la Bible ouverte, que l’autre ait fini de prier. Mais avant la fin de la prière une autre prière jaillit, plusieurs autres prières, soit isolées soit simultanées, s’engrènent et se succèdent sans hiatus. C’est l’écho de l’émotion produite par le récit de la conversion d’Ashlyn. Et Ashlyn est toujours là debout en chaire, sa Bible à la main. Dan Roberts prend pitié de lui ; de nouveau il se lève, lui tape sur l’épaule, lui fait signe de s’asseoir à la place qu’il vient de quitter, et se tient lui-même debout, penché sur le pupitre, en prière, suivant une position qu’il affectionne spécialement. Ce n’est qu’au bout d’une demi-heure qu’Ashlyn réussit à placer les quelques mots qu’il veut dire encore. — S’il m’est permis de rappeler ici un fait de ma propre expérience, j’ajouterai qu’à Aberdare, comme dans une petite allocution que je me risquai à faire en Anglais, j’énumérai les quelques mots de gallois que j’avais attrapés : Arglwydd, achub ! (Seigneur, sauve.) — Diolch iddo ! (Grâces soient rendues à Dieu). — Bendi-geddig ! (Béni soit Dieu !) etc., l’assemblée, prompte à saisir l’allusion, m’a interrompu pour chanter à pleins poumons successivement deux cantiques auxquels je faisais allusion, mais je ne me suis pas troublé pour cela ; j’ai fait comme Ashlyn, je me suis arrêté, restant debout, et j’ai repris, immédiatement après, ma petite allocution interrompue.
Une autre grande différence qui distingue la mission Torrey du Réveil gallois, c’est que la mission Torrey est une œuvre de ministre, de pasteur, de revivaliste attitré : le Réveil gallois est l’œuvre du peuple, des ouvriers, des jeunes gens et des jeunes filles qui se substituent dans les chaires aux pasteurs avec l’agrément de ceux-ci. Le Réveil gallois est affaire de laïques. Les pasteurs ont de la sympathie pour le mouvement ; ils assistent aux réunions ; mais ils ne sont pas les protagonistes ; ils sont à l’arrière-plan. En général — car il y a naturellement des exceptions — les pasteurs n’interviennent pas dans la réunion une fois lancée. Une fois, à l’une des réunions auxquelles j’ai assisté à Cardiff, le pasteur a éprouvé le besoin d’intervenir au cours du meeting pour raconter une histoire qui lui revenait à l’esprit. Il s’en est excusé, et a dit qu’il n’avait pu s’empêcher de laisser échapper ces quelques mots, et il s’est hâté de rentrer dans le silence. S’il y a d’autres pasteurs présents, ils ne disent rien — à moins que ce soient des étrangers, auquel cas ils parlent quelquefois, mais à la fin. Les pasteurs — et les professeurs en théologie — ne jouissent de ce chef d’aucun crédit spécial, d’aucune autorité privilégiée dans le Réveil. J’ai bien pu m’en apercevoir pour mon propre compte. Même après avoir été informés que j’étais professeur de théologie, la plupart des gens persistaient à me désigner comme « le gentleman de France ». Les revivalistes et les réveillés n’ont que peu de considération pour les titres et dignités. Il n’est pas rare d’entendre un mineur s’écrier plaisamment, faisant allusion aux grades universitaires de bachelier es arts (B. A.) et de maître es arts (M. A.) : « Moi, j’ai deux titres, deux grades : B. A. (born again, né de nouveau), et M. A. (missionary anywhere, missionnaire n’importe où). »
De là résulte ce trait du Réveil gallois qu’il est super-ecclésiastique, comme dit M. S. Lombard. Toutes les divisions et distinctions ecclésiastiques sont oubliées — comme dans le Réveil de 1859. Chacun, sans doute, reste bien membre de sa propre Eglise. Mais tous les membres de toutes les Eglises : Anglicans, baptistes, congrégationalistes, méthodistes, s’unissent tantôt dans une chapelle, tantôt dans une autre pour les grands meetings présidés par les jeunes revivalistes. Et, d’une manière habituelle, si chaque Eglise a sa propre réunion de prière quotidienne chaque soir, il y a, en beaucoup d’endroits, au moins un soir par semaine où a lieu une réunion de prière « unie », tantôt dans une chapelle, tantôt dans une autre. Sans doute, le caractère d’alliance évangélique est aussi très marqué dans la Mission Torrey. Il n’y provient pas de la même cause. Dans la Mission Torrey, c’est un homme, un pasteur qui dirige, et comme il veut atteindre autant d’âmes que possible, il invite à venir l’aider tous les pasteurs et tous les chrétiens des diverses Eglises. Dans le Réveil gallois, ce sont les âmes laïques qui se réveillent spontanément dans les diverses Eglises, et elles éprouvent d’elles-mêmes le besoin de se grouper par dessus les barrières ecclésiastiques pour développer en elles et autour d’elles la vie spirituelle fervente ; ce qui n’empêche pas, assurément, les pasteurs de faire partie des Comités d’alliance évangélique qui se forment dans telle ou telle localité pour appeler les jeunes revivalistes, organiser l’emploi de leur temps et leur assurer l’hospitalité.
Le caractère éminemment laïque du Réveil gallois entraîne encore cette conséquence que, tandis que la Mission Torrey est plus dogmatique, plus doctrinale, le Réveil gallois est plus émotif, plus affectif, plus vibrant, plus vital. Dans la Mission Torrey, les allocutions sont un très gros et très important morceau : Torrey est si didactique qu’il n’est pas rare de voir des auditeurs prendre des notes pendant qu’il parle, comme s’ils assistaient à une leçon universitaire. Les allocutions sont, au contraire, à l’arrière-plan dans le Réveil gallois où l’importance suprême est accordée au chant et à la prière. « Pourquoi parlerais-je quand l’Esprit parle ? a dit Evan Roberts à Mr. Stead. Quel besoin a ce peuple qu’on lui dise qu’il est pécheur ? Ce n’est pas la science qui leur manque : c’est la décision, l’action ». L’émotion qui déborde partout au Réveil gallois, ne joue aucun rôle dans les discours de Torrey — si ce n’est peut-être la crainte, la crainte du jugement, de la condamnation, de l’enfer, mais guère les émotions plus nobles de l’amour, de l’enthousiasme moral. Ce n’est pas là mon impression personnelle uniquement. Un évangéliste qui a travaillé avec Torrey en Australie, et qui l’admire beaucoup, écrit : « C’est un revivaliste du type Finney. Il est impitoyable dans sa dénonciation du péché et inflexible dans toutes ses déclarations. Il a peu ou point de la grande tendresse pleine d’amour qui marquait à un si haut degré la prédication de Moody. Quelquefois on souhaiterait presque qu’après avoir appliqué le glaive affilé à deux tranchants de la parole, il verse dans les plaies béantes qu’il a faites l’huile réparatrice de l’Evangile ; mais il est rare qu’il le fasse. Les flèches sont laissées dans les cœurs des ennemis du Roi pour les envenimer, jusqu’à ce qu’elles soient retirées par quelque main compatissante. » Si cet évangéliste trouve que Torrey recule en arrière de Moody jusqu’à Finney, M. Stead, lui, trouve qu’il recule en arrière de Finney jusqu’à Jonathan Edwards. Pour en venir à des impressions que j’ai moi-même recueillies, j’ajouterai qu’un pasteur de Londres m’a dit : « N’était Alexander et ses chants, le sentiment ferait absolument défaut dans la mission Torrey. » Un autre pasteur anglais, de Bradford, m’a dit : « Torrey est venu tenir ici une série de réunions : j’ai assisté à plusieurs d’entre elles ; Torrey m’a intéressé, mais jamais à aucun moment il n’a fait courir mon sang plus vite dans mes veines ! » Une jeune Anglaise m’a dit aussi : Oui, il n’y a rien pour l’émotion dans Torrey, mais, vous savez, l’émotion ne réussirait pas à Londres. Je souhaite bien qu’Evan Roberts ne vienne pas à Londres, car il y échouerait complètement. C’est possible, et je veux bien croire qu’effectivement il y a une différence entre le tempérament anglais et le tempérament gallois, et que l’essentiel est de réussir, pourvu que les moyens soient légitimes, et que par conséquent on peut tout ensemble approuver Evan Roberts au Pays de Galles et le Dr. Torrey à Londres ; mais je crois bien qu’il y a là, à côté et au-dessus de la différence des tempéraments, la différence qui sépare la mission du réveil ; j’ai dans l’idée que, quelles que puissent être les manifestations de cette émotion religieuse, s’il y avait un réveil véritable en Angleterre, à Londres, il ne pourrait pas ne pas y avoir un peu plus d’émotion qu’il n’y en a dans la mission de Torrey. Et j’ai de la peine à croire que le tempérament d’un peuple, d’une cité, puisse jamais être tel qu’il exclue absolument, a priori, sous toute forme quelconque, tout réveil.
Pour mon compte, j’avoue que le Réveil gallois m’a infiniment plus attiré et séduit que la mission Torrey. J’ai commencé par Torrey que j’ai entendu deux fois avant de partir pour Cardiff. Et j’avais bien l’intention, après avoir passé quelques jours au Pays de Galles, de revenir à Londres et de suivre encore quelques réunions de Torrey. Mais j’ai été au Pays de Galles, je n’ai plus pu m’en arracher, et Torrey s’est trouvé impuissant à m’en faire revenir. Il faut aussi ajouter que si Torrey est plus dogmatique qu’émotif, sa doctrine, c’est la vieille orthodoxie qui n’a émoussé aucun de ses angles et qui est infiniment plus agressive qu’au Pays de Galles. Au Pays de Galles l’enfer n’intervient que très rarement ; il n’intervient guère que dans les localités où l’élément gallois est fortement additionné d’élément anglais, comme à Cardiff, par exemple, où j’ai entendu un jeune homme s’écrier : « Il y a au fond de la salle des incrédules qui se moquent de l’enfer ; ils verront bien s’il y a un enfer, ils le verront quand ils y seront. » Pareilles apostrophes sont rares en pleins centres gallois. Les gens croient sans doute à l’enfer, mais ils n’en parlent pas, tout l’accent étant mis sur l’amour et sur la joie. Evan Roberts non seulement évite de parler de l’enfer, mais il a recommandé à maintes et maintes reprises à ses auditeurs de ne pas en parler aux inconvertis. Voici ses exhortations à Clydach Vale, le 20 décembre : « ; Ne dites rien aux gens de l’enfer et des punitions futures. Vous n’avez pas besoin de dire quoi que ce soit contre le théâtre et le cabaret. Prêchez l’amour de Christ, et si son amour ne contraint pas les gens à vivre une vie meilleure, rien d’autre ne le fera. » Et quinze jours plus tard, à Llansamlet : « Cela ne sert à rien de dire aux gens de ne pas boire et de ne pas jurer, sans leur parler en même temps de l’Amour. Je pensais au commencement pouvoir forcer les gens à croire par la peur (I thought of terrifying people into belief), mais l’Esprit m’a dit de prêcher seulement l’amour de Christ. »
Les Gallois sont en général peu sensibles à l’argument de la crainte. C’est de tradition chez eux. Au dix-huitième siècle, le grand Réveil de Rowland et de Harris n’a commencé que le jour où, après avoir longtemps et vainement fait retentir les foudres de la loi et les menaces de la condamnation, ils ont laissé tout cela pour ne prêcher que grâce et qu’amour. Instantanément les cœurs se sont fondus et le Réveil a éclaté bouleversant tout le Pays. Torrey, au contraire, se plaît à insister sur la terreur des peines éternelles, sur l’enfer matérielh, se mettant ainsi en opposition non seulement avec les Gallois, mais avec son maître Moody et avec l’ami de Moody, je veux dire ce grand et génial revivaliste qui s’appelait Henry Drummond.
h – Il convient toutefois de noter que la croyance à l’enfer n’a pas pénétré dans le livre d’hymnes d’Alexander. Il ne chante pas et ne fait pas chanter l’enfer comme cela se faisait autrefois. Au fond, le tempérament religieux d’Alexander se serait mieux accordé avec le revivalisme de Moody qu’avec celui de Torrey.
De même, au Pays de Galles, si parfois j’ai pu trouver qu’on laissait un peu trop dans l’ombre le caractère moral de Jésus de Nazareth et l’influence directe et immédiate du Christ glorifié, c’est-à-dire en somme la personne de Jésus, de telle sorte que la vraie trinité semblait devenir celle-ci : Dieu, la croix, le Saint-Esprit, cependant j’ai bien remarqué qu’on se borne à dresser au premier plan la croix de Jésus-Christ, le sacrifice et les souffrances du Rédempteur : Torrey, lui, précise et ne se lasse pas d’exposer sous sa forme la plus dure, la plus choquante pour des consciences modernes, les théories d’Anselme ou de Thomas d’Aquin sur la satisfaction vicaire ou l’expiation substitutive.
De même encore, au Pays de Galles, tout en croyant selon toute apparence à l’autorité et à l’inspiration des Ecritures, on met au premier plan l’expérience religieuse contemporaine et l’inspiration actuelle, immédiate : il y a parfois à cet égard une certaine ressemblance d’orientation entre les Gallois et les Quakers. J’ai entendu un homme s’écrier à Cardiff : « Je sais sans doute que Jésus est ressuscité par les Ecritures, mais je le sais d’une bien meilleure façon, je le sais par mon expérience et parce que le Christ ressuscité vit en moi. Au contraire, Torrey prêche la théopneustie absolue, il ne peut dire un mot sans l’appuyer d’un : Il est écrit, il ne peut citer un verset sans dire de mémoire le chiffre du chapitre et du verset.
Ces différences et d’autres encore qu’on pourrait multiplier expliquent qu’un journaliste comme Stead, qui joint une foi vivante à une théologie assez large et assez avancée, tout en louant chaudement l’évangéliste américain, tout en le recommandant à la sympathie de tous les chrétiens sans distinction, tout en invitant même les agnostiques à lui accorder sans marchander leur appui, ne laisse pas de qualifier ses conceptions théologiques d’ « anachronismes désespérés », de « vues archaïques inutiles et dangereuses », et de confesser qu’il aurait préféré voir l’œuvre de l’évangélisation de Londres confiée à des apôtres moins étroits. « Mais enfin, conclut-il, faire grise mine à Torrey parce qu’on ne partage pas ses vues sur l’inspiration, l’enfer ou l’expiation, ce serait imiter le pédant qui criait : « Puisse Dieu vous confondre éternellement pour votre théorie des verbes irréguliers ! » Le besoin d’un Réveil de tout ce qui tend vers la justice sociale, vers le bien et vers l’amour est trop grand pour que nous soyons autorisés à nous tenir à l’écart simplement pour des différences d’opinions au sujet de détails extérieurs et sans importance (irrelevancies) tels que les verbes irréguliers, les théories de l’inspiration et les spéculations sur l’enfer. Nous avons à présent dans cette vie un enfer trop réel pour avoir le droit de bouder tel ou tel missionnaire uniquement parce que nous ne pouvons pas l’amener à notre façon de penser sur l’enfer ultra-terrestrei. »
i – The Story of Gipsy Smith and the missions of the national Free Church of England, p. 158-160. — Cf. The Torrey-Alexander Mission, p. 83-84, 97-99, 102-109.)
Quant à moi, tout en me doutant bien que, sur quantité de points, mes opinions auraient assez différé des opinions professées par les Gallois, au cas où nous aurions discuté, je ne me suis senti théologiquement mal à l’aise au milieu d’eux, qu’une fois, une seule fois, et ce n’était pas de leur faute ni de leur chef, c’est le soir où le converti de Torrey dont je parlais plus haut, M. Quenton Ashlyn, a raconté sa conversion. L’un des points saillants de son allocution a été son insistance sur l’enfer. La brochure de Torrey par laquelle il a été converti : l’Alternative de Dieu (God’s Alternative) commence par ces mots : Mon sujet est l’enfer (My subject is hell). Et Quenton Ashlyn, se penchant sur le pupitre et nous regardant, nous, les ministres assis au parquet, dans le Set Fawr, se met à tancer vertement les ministres qui ne parlent pas de l’enfer, qui ne prêchent pas l’enfer. Impossible de ne pas me sentir visé. Depuis que j’ai le privilège de prêcher à Montauban au culte universitaire, je ne me rappelle pas avoir jamais prononcé — ni d’ailleurs entendu — de sermon sur l’enfer. En cherchant dans ma mémoire je me rappelle pourtant avoir confectionné jadis un sermon sur ce terrible sujet quand j’étais étudiant à la Faculté. Je m’étais donné beaucoup de mal pour dépeindre par le menu les souffrances horribles des damnés. Quand j’eus fini et quand, après le petit entr’acte et le traditionnel battement de mains des professeurs, je rentrai dans l’auditoire pour recevoir mes critiques, ce fut très vif de la part de mes camarades, plus modéré, mais non moins ferme de la part des deux professeurs — qui sont aujourd’hui mes collègues — ce fut le plus bel éreintement dont j’ai jamais été gratifié. Les oreilles m’en tintent encore — quand j’y pense. Depuis, je n’ai plus jamais prêché sur l’enfer… Aussi bien il y a des évangélistes, il y a des revivalistes, comme Frank Thomas, qui non seulement ne prêchent pas sur l’enfer, mais qui prêchent contre : car Frank Thomas ne cache pas qu’il est conditionnaliste… Mais revenons à Aberdare. La question de l’enfer épuisée, je n’étais pas au bout de mes peines. Car voilà Quenton Ashlyn qui se met à dire : « Je n’ai jamais douté de la vérité absolue du christianisme, je n’ai jamais douté de l’inspiration absolue et de l’infaillibilité plénière de chaque mot de cette Bible depuis une couverture jusqu’à l’autrej, comme, j’espère bien, ajouta-t-il avec un regard circulaire, comme, j’espère bien, c’est le cas pour chacun d’entre vous. » Je confesse qu’à ces mots j’éprouvai pendant quelques secondes une certaine appréhension. Bon ! pensai-je, il est capable de mettre le meeting à l’épreuve (to test the meeting) comme on dit, et de demander : que les théopneustes se lèvent ! Et moi, je crois de tout mon cœur à l’inspiration des Ecritures, mais il n’y a pas à dire, je ne crois pas, mais pas du tout à la théopneustie de Gaussen. Je n’ai pas été élevé dans la théopneustie. Mon père n’y croyait pas. Mes professeurs de théologie, quand j’étais à la faculté, ne me l’ont pas enseignée. Il n’y a pas moyen de devenir subitement théopneuste pour faire plaisir à Quenton Ashlyn. Si on met le meeting à l’épreuve, honnêtement je ne pourrai pas me lever. Et je m’en vais scandaliser tous ces braves gens, tous ces revivalistes, Dan Roberts, Miss Davies, Miss Jones, avec qui j’ai passé la journée et pris mes repas, causé familièrement, et qui me considèrent et me traitent comme un frère. Et comment avec mon pauvre anglais, d’une part, et avec leur absence de culture théologique de l’autre, comment espérer leur faire comprendre au juste ce qui théologiquement nous sépare et ce qui religieusement nous unit ? Je me sens intérieurement furieux qu’il y ait jamais eu au monde des théopneustes. Heureusement… la question ne fut pas posée. Et j’eus le temps, à travers ma préoccupation, de constater que l’appel indirect d’Ashlyn : « j’ai toujours cru à l’infaillibilité de chaque mot depuis une couverture jusqu’à l’autre, comme, j’espère bien, c’est le cas pour chacun d’entre vous, tout en provoquant quelques approbations, n’éveillait pourtant pas ce chœur enthousiaste d’Amens ! d’Alleluiah ! de Diolch iddo ! de Bendigeddig ! que soulèvent dans ces auditoires gallois les affirmations directement religieuses, jaillies toutes chaudes de la vie.
j – Quenton Ashlyn est un bon élève de Torrey. C’est Torrey, en effet, qui a dit en 1903 : « Je prêche la Bible entière d’une couverture à l’autre (from cover to cover). J’accepte tout, je n’excepte rien. » Depuis la fameuse déclaration de Saint-Augustin, Credo quia absurdum, déclare M. Stead, il n’y a rien eu d’aussi héroïque eu dehors de l’Eglise Romaine (The Torrey-Alexander Mission, p. 105).
Voilà quelques différences qui séparent la mission Torrey du Réveil gallois. Je ne voudrais pas cependant exagérer ces différences et méconnaître les rapports de ressemblance et de relation. D’abord, il peut arriver qu’une mission produise ou prépare un Réveil ou enflamme le Réveil, comme une allumette déchaîne l’incendie quand elle tombe sur des matériaux appropriés. Je ne veux pas nier qu’en certains endroits du Pays de Galles soit des missions Torrey, soit des missions analogues à celles de Torrey aient pu être l’occasion du commencement du Réveil, quoique dans son ensemble ce Réveil gallois, quelles qu’aient pu être telles ou telles influences étrangères sur tel ou tel point du pays, soit bien un Réveil national et autochtone. Et il est incontestable que le Dr Torrey n’a d’autre ambition que de provoquer un Réveil. Il n’y a pas réussi comme il l’aurait désiré à Londres. Je souhaite de tout mon cœur qu’il y réussisse ailleurs. — D’autre part, un Réveil comme celui du Pays de Galles provoque tout naturellement des missions. Des jeunes gens, des jeunes filles, convertis par le Réveil gallois, se sont mis à parcourir le Pays de Galles en tous sens à la suite d’Evan Roberts, ou parallèlement à Evan Roberts : Dan Roberts, Sidney Evans, les demoiselles Jones, Davies, dans le Sud ; dans le Nord : Lloyd Jones, Mrs Jones, etc.. Ce sont bien des missions que dirigent ces revivalistes dans les différents endroits où ils sont appelés ; et pendant cinq à six mois, sauf de très courts intervalles, ils ont tenu des réunions chaque soir. On n’a pas de peine à comprendre l’énorme tension et l’énorme fatigue nerveuse occasionnées par une pareille vie : à Pâques ils étaient épuisés et non seulement Evan Roberts, mais plusieurs des jeunes revivalistes se sont vus obligés de se réfugier dans la retraite pour réparer leurs forces.
Ce n’est pas tout. Il y a encore un autre rapprochement à établir entre les réunions de la mission Torrey et les réunions du Réveil gallois. Je me rappelle qu’il y a bien des années, lors de mon premier séjour en Ecosse, je fus très frappé par le fait que dans les églises presbytériennes libres, où Ion repoussait par principe toute espèce de liturgie, on avait cependant, malgré tout, un embryon de liturgie qui consistait, au moins, dans l’ordre régulier des diverses parties du service, dans la place assignée à la lecture de la Bible et aux deux prières, improvisées — lesquelles très souvent ressemblaient à des prières liturgiques non écrites, créées par la routine du pasteur amené par sa propre tradition à répéter les mêmes formules de dimanche en dimanche. Eh bien ! il y a quelque chose de pareil dans les réunions galloises. Il y a là aussi un rudiment de programme, malgré la direction laissée à l’Esprit-Saint, et quoique dans le détail il y ait infiniment plus de jeu et de souplesse que dans la mission Torrey. Voici comment on pourrait esquisser comme une sorte de type moyen de ces réunions :
Les gens commencent à s’assembler lentement, ils entrent peu à peu, successivement, par petits paquets, dans la chapelle ; — à moins qu’il ne s’agisse d’un service spécial avec concours de jeunes revivalistes missionnaires, les Gallois arrivent très en retard ; s’il doit y avoir de jeunes revivalistes présents, les Gallois arrivent au contraire très en avance, mais il est rare qu’ils soient proprement ponctuels. Dès qu’il y a un certain nombre de personnes réunies, quelqu’un - — ou quelqu’une — ne tarde pas à entonner spontanément un cantique que toutes les personnes présentes se mettent bientôt à chanter. Puis, après un court silence, un autre hymne est chanté. Pendant ce temps, les membres de l’assemblée continuent à arriver petit à petit, la salle se garnit. Les chants croissent en force et en volume. L’intervalle qui les sépare diminue, tend à disparaître. Dès qu’un chant est terminé, un autre se lance. Alors, lorsque, sans être encore entièrement remplie, la chapelle est suffisamment peuplée, le pasteur de l’Eglise où l’on se réunit, ou, à son défaut, un autre pasteur, ou à défaut de pasteur un laïque — et même très souvent un laïque, quoiqu’il y ait là des pasteurs — se lève et dit quelques mots très brefs pour ouvrir la réunion. C’est lui qui est censé être le président, mais la présidence est une sinécure. Ce n’est même pas une présidence officielle. Car ledit président ne se met jamais derrière une table, avec une chaise, face au public. Il est assis avec d’autres pasteurs ou laïques au banc des anciens, au parquet, dans ce que les Anglais appellent le Big Seat et les Gallois le Set Fawr, ou bien il est assis sur l’une des deux chaises qui sont situées au bas de la chaire à droite et à gauche, lui tournant le dos et regardant le public. Et en somme quelqu’un qui n’aurait pas été là au commencement et qui ne l’aurait pas entendu prononcer les deux ou trois mots par lesquels il a ouvert la réunion, ne se douterait pas que c’est lui qui préside la réunion, surtout lorsqu’il y a des revivalistes spéciaux, qui, arrivés dans la réunion lorsqu’elle est déjà commencée depuis un bon moment, se sont glissés en chaire et ont pris plus ou moins la direction du meeting — si tant est qu’il y ait une direction. Lorsqu’il y a des revivalistes dans une localité, ils ne sont jamais là au début de la réunion, de sorte que l’on ne peut pas dire que ce soient eux qui président ; ils n’ouvrent pas la réunion, souvent ce ne sont pas eux qui la clôturent. Cependant ils s’assoient généralement en chaire au lieu de rester dans le Set Fawr. Lorsque la réunion a été ouverte, quelqu’un, soit spontanément — c’est le cas le plus ordinaire — soit sur une invitation du président, quelqu’un se lève dans l’auditoire, s’approche, vient se placer devant la chaire, au banc des anciens, dans le Set Fawr, et se met à lire un chapitre de la Bible. La lecture finie, il ajoute quelques mots très brefs et indique de mémoire, sans aucun livre, un chant que l’assemblée chante debout, ceux qui sont assis dans le banc des anciens faisant un demi-tour, de façon à tourner le dos à la chaire et à faire face au public. L’assemblée chante le cantique en reprenant souvent plusieurs fois de suite le refrain. Ces reprises jaillissent comme des fusées tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, de la salle. Et dès que les premières notes sont lancées, l’assemblée suit immédiatement avec entrain. Le chant fini, l’assemblée s’assied, et celui qui a fait la lecture de la Bible se met à genoux, par terre, dans le parquet, et fait une prière assez longue. J’ai vu deux fois la lecture de la Bible et la prière initiale faites par une petite fille de 12 à 13 ans, dont je ne comprenais pas les paroles galloises, mais qui provoquait l’admiration de tous les assistants par la ferveur et la beauté de ses oraisons. Immédiatement après la prière un chant spontané part de quelque coin de la chapelle, et l’assemblée y participe assise — comme c’est le cas pour la plupart des chants spontanés, on ne se lève que pour les chants indiqués, ou bien, parfois, on se lève comme un seul homme pour un chant spontané lorsqu’on est sous l’empire d’une commune et puissante émotion. — A partir de ce moment, les chants et les prières tantôt isolés, tantôt simultanés, se succèdent. De temps à autre, mais rarement, une allocution. La réunion se déroule comme elle veut, chacun fournissant son contingent quand il s’y sent poussé et comme il s’y sent poussé. S’il y a des revivalistes en chaire, tantôt ils parlent, tantôt ils ne parlent pas ; tantôt ils font une longue allocution, tantôt ils parlent brièvement. C’est sur ce point-là que la liberté et l’imprévu se donnent libre carrière. Et cela pendant 2 heures, 2 h.1/2, 3 heures. — Il paraît qu’avant le Réveil les réunions de prière ne dépassaient jamais une heure. Une heure, c’était « la règle de fer ». Dès que le Réveil a éclaté, les réunions se sont allongées. Dans les jours de plus grande ardeur, elles ont duré jusqu’à 7 heures et 9 heures de suite. Celles auxquelles j’ai assisté moi-même n’ont pas duré plus de 4 heures ou 4 h. 1/4 au maximum. C’est déjà joli. Lorsque les deux-tiers de la réunion sont écoulés, soit l’un des revivalistes présents s’il y en a, soit plutôt un laïque, diacre ou ancien, soit plutôt encore un pasteur, le pasteur de l’Eglise où se tient la réunion, entreprend de mettre le meeting à l’épreuve (to test the meeting), et pose la question suivante, ou une question analogue, d’abord en gallois et puis en anglais, afin qu’il n’y ait pas d’erreur ou d’ignorance du sujet : « Que ceux qui sont déjà membres d’une Eglise et qui ont accepté Jésus-Christ veuillent bien se lever… Alors un grand nombre de personnes se lèvent et se mettent à regarder à droite, à gauche, en haut et en bas, pour découvrir s’il y en a dans l’assemblée qui restent assis. L’intérêt dramatique redouble. C’est l’instant où les voisins des inconvertis leur parlent, les supplient, s’agenouillent à côté d’eux, prient avec eux ; et pendant ce temps, celui qui du haut de la chaire dirige l’enquête, multiplie ses appels brefs, pressants, et l’assemblée prie — prie silencieusement, prie à demi-voix, prie à haute voix, tantôt en prières individuelles successives, tantôt en prières simultanées. Et lorsque quelqu’un annonce soit sa propre conversion, soit la conversion de son voisin ou de sa voisine, c’est une explosion du classique Diolch iddo, grâces soient rendues à Dieu, dont le chant plusieurs fois pris et repris avec enthousiasme remplace avantageusement le sec Dieu vous bénisse prononcé en pareille occurrence par Torrey. Pas plus que la mission Torrey, le Réveil gallois ne connaît la salle des âmes angoissées (inquiry room). Mais le Réveil gallois ne pratique pas non plus le « banc des pénitents » que pratique, quant à lui, Torrey. Au Réveil gallois, les pécheurs troublés restent à leur place. Le combat se poursuit au milieu de l’assemblée qui y participe par ses prières et ses chants. Cela est puissamment dramatique, parfois tragique plus qu’on ne peut dire, et d’autres fois plein d’une joie triomphante. Dans l’une des réunions auxquelles j’ai assisté à Aberdare, lorsque la question habituelle a été posée : « Que ceux d’entre vous qui croient en Jésus-Christ veuillent bien se lever ! », on a découvert, dans l’une des ailes de la chapelle, pas très loin de la chaire, une jeune fille qui restait assise, témoignant par là qu’elle n’était pas convertie, mais qui montrait par son attitude et par l’expression de sa physionomie qu’elle était profondément tourmentée. Aussitôt l’une des demoiselles revivalistes qui étaient dans la chaire à côté de Dan Roberts, Miss Jones, est descendue. En un clin d’œil, elle s’élance auprès de la jeune fille. La foule s’ouvre pour lui livrer passage. Les voisins lui font place. Elle s’assied près de la jeune fille, lui parle, l’exhorte, la conjure de se donner à Christ. Au même instant, de tous les coins de la chapelle des dizaines de prières simultanées jaillissent demandant à Dieu de convertir cette âme et de lui donner la paix ; aux prières succède le chant du cantique : Qui est un Dieu prêt à pardonner comme toi ? répété une douzaine de fois et plus. L’émotion étreint tous les cœurs ; et tandis que Miss Jones continue de supplier la jeune fille dont le visage est baigné de larmes, l’assemblée redouble de chants et de prières simultanées. Bientôt on voit les deux jeunes filles se lever et s’agenouiller ensemble sur le sol pour prier, et c’est une joie délirante qui s’empare de l’assemblée. Le Diolch iddo retentit ; tout en chantant, plusieurs assistants battent des mains dans leur joie ; d’autres chantent debout les bras et les mains tendus et levés au ciel. Et cela continue de Diolch iddo en Diolch iddo tant qu’il reste, assis, quelque inconverti qui semble hésiter ; on ne s’arrête que devant un refus catégorique et décisif qui souvent se transforme en fuite précipitée. Dans une réunion présidée par Evan Roberts, une voix cria tout à coup de la galerie : « Quelqu’un vient de sortir, il n’a pu y tenir. » — « Ramène-le, Seigneur, ramène-le », prie un jeune homme de dix-neuf ans près de la porte, « Que ton jugement l’épargne. Il a senti ton Esprit, il l’a dit, mais il s’enfuit. Ramène-le. » — « Il reviendra, mes amis, assure l’évangéliste. Le fait qu’il a fui prouve qu’il reviendra. »
Cette partie de la réunion dure parfois très longtemps. Par exemple, à Liverpool et à Birkenhead, dans les réunions d’Evan Roberts destinées surtout aux inconvertis, le Rév. Williams, l’hôte d’Evan Roberts, a soumis les chrétiens à une gymnastique répétée. Il a commencé par inviter lesdits chrétiens à se lever. Les autres restant assis, on a tout de suite découvert un grand nombre d’inconvertis, et les « travailleurs chrétiens » comme on les appelle, se sont mis aussitôt à les entreprendre. Le Rév. Williams a fait signe aux chrétiens de se rasseoir pendant que le siège des inconvertis se poursuivait. Lorsque l’assaut donné aux inconvertis a été terminé soit par un refus de conversion, soit par une conversion déclarée, après le chant du Diolch iddo, le Rév. Williams a de nouveau invité les chrétiens à se lever. On a de nouveau découvert quelques autres inconvertis. On les a entrepris à leur tour, et l’on nous a fait signe de nous rasseoir. Et ainsi de suite. — Dans les premiers mois du Réveil, on avait l’habitude de lire, soit du haut de la chaire soit du parquet, la liste des convertis avec noms et adresses. Je n’ai vu pratiquer cet usage qu’une fois, à Aberdare. Aux réunions d’Evan Roberts, à Liverpool, les « ouvriers chrétiens » faisaient tout le temps passer au Rév. Williams des bouts de papier sur lesquels ils avaient écrit les noms et adresses des convertis. Et le Rév. Williams s’est borné à faire l’addition et à indiquer le chiffre total des conversions opérées : 46 une fois, 76 l’autre. Dans ces mêmes réunions de Liverpool et de Birkenhead, la procédure s’est compliquée. A un moment, le Rév. Williams demande en gallois, puis en anglais aux chrétiens de se lever. Je me trouvais avec un ancien étudiant de Montauban, M. X… que j’avais eu le plaisir de rencontrer sur un trottoir de Liverpool. Lui et moi nous nous levons pour obéir à l’injonction du Rév. Williams. Au bout d’un moment, le Rév. prononce une phrase en gallois, oubliant de la traduire. Nous nous apercevons que les gens autour de nous et debout comme nous lèvent la main. Comme nous ignorons de quoi il s’agit, nous ne bougeons pas. Aussitôt un « ouvrier chrétien » accourt précipitamment vers M. X… et lui adresse de chaleureuses exhortations en gallois. Surpris, et ne sachant pas trop de quoi il retourne, M. X… balbutie en anglais que nous sommes des étrangers et qu’à notre vif regret nous ignorons le gallois. « Ah ! c’est peut-être pour ça que vous n’avez pas levé la main ? — Précisément. Qu’a dit le Rév. Williams ? — Il a dit : que les]chrétiens qui sont déjà membres d’une église lèvent la main ! Vous comprenez, c’est pour avoir l’occasion d’exhorter les chrétiens qui seraient en dehors des églises à se rattacher à une église, celle qu’ils voudront d’ailleurs. » Puis, reprenant d’un air soupçonneux : « Ah çà ! Est-ce que vous êtes bien membre d’une église, vous, au moins ? — Oh oui ! réplique M. X… en se hâtant de lever la main. Vous, pouvez vous tranquilliser. Dans quelques semai-nés je vais être un directeur d’église, un pasteur, et ce gentleman est un professeur de théologie. Rassuré, le Gallois nous laisse et court s’occuper de cas plus pressants…
Cette partie de la réunion terminée, le revivaliste invite les chrétiens déjà convertis depuis quelque temps à rendre leur témoignage, soit par de brèves allocutions, soit par de rapides citations de versets de l’Ecriture ou de strophes de cantique. J’ai vu ainsi, à Tylorstown, de 60 à 100 personnes se lever successivement et fournir l’une après l’autre leur contingent de courtes citations, et cela donne un mouvement, une variété incroyables à la réunion. D’autant plus que souvent telle ou telle de ces citations provoque de la part de quelque membre de l’assemblée un commentaire ému ou humoristique qui est brièvement jeté à l’auditoire par l’interrupteur resté assis à sa place. C’est alors le moment où les visiteurs étrangers, s’il y en a, peuvent faire part de leurs impressions, adresser leurs appels. Il ne faudrait pas qu’ils songent à le faire avant. Ils n’y réussiraient pas. Un Anglais, au début d’une réunion avait voulu une fois, à ce qu’on raconte, faire une allocution. Il se lève et commence : « J’arrive de Plymouth… Mais il ne peut aller plus loin. Il est interrompu, et noyé dans les chants et les prières qui jaillissent de partout. Il se rassied, renonçant de bonne grâce à son allocution. A sa grande surprise, vers la fin de la réunion, l’assemblée tout entière réclame à haute voix le speech de l’homme de Plymouth qui fait alors son petit discours au milieu de l’attention et du silence de tous.
Dans les premiers mois du Réveil, il arrivait parfois que les pasteurs, ou même Evan Roberts, avaient toutes les peines du monde à renvoyer les gens et à terminer la réunion. La bénédiction était prononcée, les gens recommençaient de prier et de chanter. Enfin on réussissait à leur faire chanter la doxologie. C’était enfin la fin !… Ah bien oui ! ils chantaient la doxologie, mais ils la chantaient des dizaines et des vingtaines de fois sans pouvoir se rassasier. Et Evan Roberts s’en allait parfois avant la fin comme il était venu après le commencement. Actuellement les réunions se terminent plus aisément. Déjà, au cours même de la réunion, lorsqu’elle se prolonge, il y a çà et là des départs. Ce sont souvent des personnes qui ont des occupations et sont obligées de rentrer, ou des gens qui doivent prendre un train. Parfois ce sont des inconvertis qui ne veulent pas se convertir et ne peuvent pas supporter l’atmosphère spirituelle de la réunion, la tension nerveuse et émotive (the strain). Quelquefois, après un départ plus ou moins considérable, l’assemblée qui reste a l’air de s’installer pour une seconde réunion, et tout repart de plus belle. Enfin au bout de 3 h., 3 h. 1/2, 4 h., les gens commencent peu à peu à s’en aller, l’assemblée s’émiette, se disperse, les assistants s’en vont successivement par petits paquets comme ils sont venus, ce que voyant le revivaliste prononce une bénédiction et met son paletot ; cela n’empêche pas toujours quelque prière ou quelque allocution de jaillir incoercible — le revivaliste écoute debout en boutonnant son pardessus, tandis que l’auditoire continue de s’écouler — et c’est la clôture finale.
En somme, il y a donc dans la liberté et l’imprévu des réunions galloises un certain ordre, élastique et souple, qui rappelle un peu l’ordre beaucoup plus strict et plus rigide des meetings de Torrey. Je crois pourtant que les différences que j’ai signalées subsistent.
Après cet aperçu général sur la marche des réunions galloises, je voudrais maintenant entrer dans le détail et examiner de plus près quelques-uns des éléments divers qui constituent ces réunions.