Fondé sur le Roc

Chapitre 6

Expériences diverses et réunions en plein air

Grâce aux réunions du Dr Torrey, Edimbourg avait été littéralement visité par la puissance de Dieu, ce qui prépara les esprits à recevoir la bénédiction que le réveil du Pays de Galles amena peu après ces réunions.

Une base biblique est absolument essentielle à toute véritable œuvre du Saint-Esprit. Sous quelque forme qu’il se déguise, le rationalisme ne construit jamais, il détruit. Il ne vivifie pas, il flétrit. Il ne conduit pas à Dieu, il éloigne de Lui. Comme le dit l’apôtre Paul, il annonce « un autre Jésus », « un autre esprit », « un autre Evangile » (2 Corinthiens 11.4). Il y a là une loi spirituelle dont les effets se constatent partout où se confrontent l’œuvre de l’ennemi des âmes et l’œuvre de Dieu, le rationalisme et la vérité biblique. Les Eglises, dont la vie spirituelle a été flétrie par le doute et la négation, ne peuvent offrir aux âmes ni l’eau vive ni le pain du ciel. Il ne faut donc pas en vouloir aux jeunes convertis, nés du souffle du réveil, s’ils se tournent ensuite où ils trouvent vie et nourriture spirituelles. Que de paroles inutiles, que de vaines critiques, que d’accusations injustes, quand les âmes vivifiées se détachent tout naturellement de ce qui est mort et ne nourrit pas ! Il serait plus juste et plus spirituel de chercher la cause de cet état de choses dans la bonne direction et d’écouter l’exhortation de l’Ancien Testament qui invite « prophètes et sacrificateurs à s’humilier entre le portique et l’autel » (Joël 2.17).

Les réunions du Dr Torrey amenèrent un renouveau de vie dans toutes les congrégations qui acceptèrent son message. Les pasteurs fidèles et spirituels, ceux qui savaient lutter pour les âmes, qui priaient et avaient de quoi nourrir leurs auditeurs, virent augmenter les membres de leurs Eglises. Mais les jeunes convertis se détournèrent des Eglises où régnaient le modernisme et la mondanité. Ils allaient, en effet, où ils trouvaient la vie. C’est ainsi que les Eglises et les œuvres fondées sur la Parole eurent un grand bénéfice de cette visitation de Dieu. Nous ne saurons jamais ici-bas le nombre de chrétiens et de jeunes convertis qui furent amenés par le ministère du Dr Torrey à progresser dans l’étude de la Parole divine et à se consacrer ensuite au service de Dieu.

Le Dr Torrey lui-même fut en butte à bien des jalousies et des animosités, mais il poursuivit son chemin et ne s’occupa pas de ses détracteurs. « Les chiens aboient, et la caravane passe. » Il visita ainsi les principales villes de Grande-Bretagne où se rassemblèrent des auditoires atteignant parfois quinze mille personnes. Partout les mêmes scènes se produisirent, partout ce furent les mêmes démonstrations de la puissance de vie de l’Evangile, prêché et accepté dans toute son intégrité. Des milliers d’hommes et de femmes entendirent ce message ; des centaines, des milliers se convertirent ; d’innombrables chrétiens actifs, pasteurs et missionnaires s’abandonnèrent à Dieu pour connaître une vie nouvelle, un service renouvelé.

Lors du réveil en Suisse romande, de 1913 à 1917, des milliers d’âmes accoururent aussi pour entendre l’Evangile. Des centaines se convertirent à Dieu et, partout où elle fut accueillie, l’œuvre de l’Esprit de Dieu vivifia le témoignage chrétien. Les mêmes réactions se produisirent : jalousie et animosité personnelles d’une part ; d’autre part, efforts sectaires visant à mettre la main sur les jeunes convertis. Cette opposition finit par contenir le réveil, mais aucune main d’homme ne put empêcher ce mouvement de l’Esprit de Dieu de s’affermir dans la direction voulue par Lui et d’atteindre son but d’action missionnaire. Ainsi l’Action Biblique s’étendit dans le monde au moyen de nombreuses vies dont Dieu S’était emparé.

A Edimbourg, en 1903, les réunions du Dr Torrey eurent un effet immédiat dans ma vie et mon témoignage. Elles confirmèrent toutes les directions qui m’avaient été données jusqu’alors. J’avais étudié ma Bible à la maison, profité de l’éducation biblique de mes parents et du ministère spirituel de notre pasteur. Mais je n’avais reçu aucune instruction méthodique qui pût assurer la formation spirituelle nécessaire à tout gagneur d’âmes. Il y avait là une lacune, mais Dieu avait tout prévu dès le moment de Son appel. Il me guidait d’étape en étape ; je n’avais qu’à Le suivre. En attendant la réalisation de cette partie du plan de Dieu pour ma vie, mon pasteur m’encouragea sagement à m’engager dans les différentes activités qui s’ouvraient devant moi. Elles étaient variées : réunions en plein air et dans les bas-fonds, réunions dans diverses salles d’évangélisation, sorties par groupes formant cortège dans les rues pour chercher les hommes et les femmes perdus par le péché et la boisson. J’éprouvais une immense joie dans toute cette activité. J’acquis ainsi une expérience utile et je reçus des empreintes qui orientèrent toute ma vie et l’œuvre qui devait m’être confiée.

A mesure que la vie du Saint-Esprit se développe en lui, le jeune chrétien éprouve le besoin de connaître autre chose que la simple tradition, et d’expérimenter la liberté glorieuse des enfants de Dieu. C’est un effet de la loi divine, dont j’ai parlé plus haut, qui veut que la vie recherche ce qui est vie. Mais je tiens cependant à affirmer que cette piété ancienne, parfois sévère et rigide, fondée sur le roc de la Bible et enracinée dans une saine crainte de Dieu, est bien authentique ; c’est pour elle que nos aïeux ont souffert et sont morts. Nous, leurs descendants, ne devrions connaître aucune autre autorité, ne devrions prétendre à aucune autre chose. Agir autrement est une trahison indigne d’un tel héritage. Dieu attend des Eglises presbytériennes et calvinistes qu’elles se repentent et retrouvent ce point de départ et non pas, comme c’est souvent le cas, qu’elles s’éloignent toujours plus de leur fondement, prétendant savoir mieux que Dieu et introduisant dans l’Eglise toutes sortes d’innovations, de prétendus remèdes qui les dispensent de cette repentance de leur infidélité passée et de leur incapacité présente.

L’avertissement du Seigneur à l’Eglise de Sardes n’a jamais été plus actuel qu’aujourd’hui : « Je connais tes œuvres. Je sais que tu passes pour être vivant, et tu es mort. Sois vigilant, et affermis le reste qui est près de mourir ; car je n’ai pas trouvé tes œuvres parfaites devant mon Dieu. Rappelle-toi donc comment tu as reçu et entendu, et garde, et repens-toi » (Apocalypse 3.1-3).

Un soir, peu de temps après les réunions du Dr Torrey, mes trois amis et moi décidâmes d’assister à une réunion en plein air. Personnellement, je m’y rendis par simple curiosité. Pourtant cette soirée devait marquer une étape de ma vie. Dans l’auditoire, personne ne me connaissait, et je me joignis tranquillement aux promeneurs arrêtés pour écouter l’évangéliste. Je portais à la boutonnière ce ruban bleu qui avait été le moyen par lequel j’étais entré en conversation avec le premier homme que j’avais pu conduire au salut, cet employé de tramway dont j’ai parlé.

C’était un soir d’été. Il y avait beaucoup de monde sur la place. Après le chant d’un cantique, l’évangéliste, Willlam MacKinnon, qui était un ancien cheminot converti pendant qu’il nettoyait la chaudière de sa machine, jeta les yeux sur moi et, à mon grand étonnement, dit à l’auditoire : « Il y a là un jeune frère qui va nous raconter pourquoi il porte le ruban bleu. » Il n’y avait pas moyen d’échapper. Immédiatement toute l’attention du public se porta sur « le jeune frère » qui, encore tout rempli de sa vie religieuse bien correcte, fut subitement et violemment lancé à l’eau, sans aucun avertissement. J’étais craintif et timide par nature, aussi cet appel à rendre témoignage me donna-t-il un grand choc. Mais en même temps, je me sentis pressé d’y répondre. Je sautai sur la caisse qui servait d’estrade au milieu du cercle des auditeurs, et faisant face à la foule, je parlai. Je ne me souviens pas de tout ce que j’ai dit, mais je sais que j’ai affirmé que si je portais le ruban bleu, je possédais quelque chose de plus dans mon cœur : la certitude que le sang de Jésus-Christ m’avait purifié de tout péché alors que j’étais sur le chemin de l’enfer, et que Dieu m’avait sauvé. Je me rappelle qu’ensuite, de toute ma force, je m’adressai directement à l’auditoire, l’avertissant du lac de feu et de soufre s’il n’acceptait pas le salut en Jésus-Christ.

Si l’épreuve fut violente, elle fut courte. Mon témoignage terminé, c’est au son des exclamations : « Alléluia ! », « Praise the Lord ! » et « God bless you, brother ! » que je descendis. Je rejoignis mes amis. Je me sentais aussi ému que si j’avais passé sous les chutes du Niagara, mais la paix remplissait mon cœur. Dès lors les réunions en plein air furent toute ma joie.

Prêcher directement à la foule dans la rue, quelle bonne école ! Tous ceux qui se préparent à servir Dieu devraient y passer. Ce serait le moyen de supprimer cette distance, cet éloignement, ce manque d’affinité qui existent souvent entre les serviteurs de Dieu et la foule qu’ils sont appelés à servir. Ils seraient ainsi ramenés au point de départ apostolique, nécessitant la puissance du Saint-Esprit et créant le besoin de la recevoir — et ils la recevraient ! Alors, comme il est dit des apôtres, ils prêcheraient de telle façon qu’un grand nombre croirait (Actes 14.1). L’expérience du contact avec la foule des non-atteints, du combat contre les puissances du mal est indispensable à tout prédicateur de la Parole, à tout témoin de Jésus-Christ.

Inutile de dire qu’un lien se forma entre cet évangéliste et moi. Bien des années après cet événement, lors d’un de mes derniers séjours en Ecosse, j’allai le remercier de m’avoir ainsi impitoyablement jeté à l’eau. J’éprouve une joie spéciale à rappeler ce que je dois à ce vrai et fidèle chrétien.

Les réunions en plein air, auxquelles je prenais une part active, avaient lieu dans un quartier populaire de la ville, près de la banque où je travaillais. Elles se donnaient généralement le samedi soir, au moment où les cafés se vidaient de leurs victimes prises de boisson. Ces réunions étaient organisées par la Mission des employés de chemin de fer, et ses membres étaient d’un milieu ecclésiastique et social bien différent de celui auquel j’étais habitué. Mais quand le Saint-Esprit met Son sceau sur notre réponse à Son appel, nous sommes prêts à tout ce qu’Il donne ou demande. C’est dans ce travail que je reçus mon amour pour les âmes rejetées par la société, méprisées par la religion, ou plutôt par ce qui n’est que « religion ».

Dans ces réunions, il fallait être constamment sur le qui-vive. Il fallait non seulement que le cœur et l’âme soient tenus en éveil, mais il fallait de plus une présence d’esprit continuelle, pour être prêt à agir rapidement et à jouer des muscles en cas de nécessité provoquée par ceux qui voulaient interrompre l’orateur ; et cela arrivait souvent.

Grâce à la grande liberté qui règne en Grande-Bretagne, chacun a le droit de prêcher en plein air. Les policemen doivent assurer la protection du citoyen et de sa liberté de parole. Il n’y a qu’une seule restriction : aucun blasphème contre Dieu ou la famille royale n’est toléré. Un soir, j’avais observé deux hommes qui se tenaient tranquillement en dehors du cercle des auditeurs. Ce n’est qu’à la fin de la réunion qu’ils se firent connaître comme agents de la sûreté. Ils avaient repéré dans l’auditoire l’homme qu’ils devaient arrêter, mais pensant que la réunion pouvait lui faire du bien, ils l’avaient laissé écouter jusqu’au bout. Alors seulement ils l’arrêtèrent et le conduisirent au poste.

Nous choisissions un angle de rue, à la sortie d’un grand café. Le bruit des tramways et du trafic intense du samedi soir était comme l’artillerie de l’ennemi. Mais jamais nous ne nous rendions à la réunion sans avoir d’abord remporté la victoire à genoux. Quelle bataille, certains soirs ! Ces employés de chemins de fer, ces chauffeurs de grands express, ces ouvriers d’usines au langage rude, au cœur brûlant, de quelles prières n’étaient-ils pas capables ! C’était l’artillerie de Dieu qui préparait le terrain à l’assaut. Tout cela était nouveau pour moi et faisait ma joie. J’étais convaincu que tout chrétien devait faire de même, que toute Eglise qui ne va pas chercher les perdus manque à sa mission.

Un soir, la réunion avait été particulièrement bruyante, et la résistance très grande, mais mes compagnons de service déversaient leur âme dans leur témoignage. La grande partie de la foule écoutait attentivement, tandis que d’autres auditeurs, sous l’influence de la boisson, interrompaient sans cesse. Tout à coup un de ces hommes (nous les appelions « nos ivrognes ») se fraya un chemin jusqu’à moi. A mon grand étonnement, il glissa son bras sous le mien et se mit à me parler de ce que venait de dire l’orateur ! La réunion étant devenue toujours plus bruyante, notre dirigeant, par une sage direction de l’Esprit de Dieu, entonna le Psaume 23.

Chaque fois que nous chantions les anciennes mélodies de ces magnifiques Psaumes de David qui furent longtemps la seule hymnologie de l’Eglise écossaise, nous étions presque sûrs de toucher une corde dans le cœur des plus bas tombés. Mon nouvel « ami » fut aussitôt saisi. Il essaya de chanter une phrase du cantique, mais il éclata en sanglots en me disant : « Ce Psaume… ma mère me l’a appris quand elle priait avec moi ! » Je saisis l’occasion qui m’était offerte. Bras dessus bras dessous, nous sortîmes du cercle des auditeurs pour ne déranger personne par notre conversation. Je m’’efforçai de réveiller dans le cœur de cet homme tout ce que sa mère y avait semé. Puis je lui lus un passage de la Bible décrivant le salut, et nous priâmes ensemble.

Je ne puis oublier l’effet qu’eut sur moi le toucher de ce bras se glissant sous le mien. J’ai compris alors que pour être serviteur de Dieu, il faut s’identifier à ceux qu’on veut sauver. Cela confirma encore les sentiments que j’éprouvais à l’égard de la religion formaliste, froide et irréelle qui éloigne les perdus et souvent les condamne. Et ces sentiments, qui étaient en Jésus-Christ Lui-même, Il les a maintenus dans mon cœur jusqu’à ce jour.


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Dans ces diverses activités, nos méthodes n’étaient peut-être pas très orthodoxes. Après tout, mieux vaut être dévoré par le zèle du Seigneur qu’endormi par les formes de piété.

Pendant les réunions du Dr Torrey, il avait été distribué une quantité de papillons portant ces mots : « Mettez-vous en règle avec Dieu. » En anglais, cette phrase est très directe : « Get right with God » et elle a la capacité d’arrêter l’attention du public. J’avais fixé deux de ces papillons sur ma bicyclette, devant et derrière, et pendant que je circulais d’une banque à l’autre, j’avais la satisfaction de croire que cette phrase parlait au public.

Muni de ces mêmes papillons, je me rendais dans notre église, fréquentée plutôt par des gens aisés. Et dans les stalles louées par certaines famille en vue, j’en déposais avant le culte du dimanche matin, espérant que ces personnes haut placées, auxquelles peut-être on n’avait jamais parlé directement de leur âme, auraient un choc salutaire en lisant ces mots : Mettez-vous en règle avec Dieu !

Le caissier, Mr. W., sous les ordres duquel je travaillais, ne se plaignit jamais de mon activité ; au contraire, il s’intéressait à son subordonné et à sa façon d’exprimer sa foi. Il était un homme du monde, honnête et droit. Si souvent dans la vie, on est amené à expérimenter ce que le Seigneur Lui-même enseigne par Sa Parole, c’est-à-dire que ceux qui font profession de religion sont parfois capables d’actes injustes, d’attitudes et de paroles déloyales que ne se permettraient pas certains hommes du monde dont le cœur est droit, et qui haïssent les inconséquences de « ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas » (Romains 2.29). Ce sont là ces « cœurs honnêtes et bons », dont parle la parabole du semeur, le bon terrain que nous sommes appelés à ensemencer (Luc 8.15).

Je me souviens de notre indignation quand certains clients nous avaient apporté leurs recettes, ces tenanciers de cafés à la porte desquels je me tenais le samedi soir dans nos réunions en plein air, et qui nous apportaient des pièces sales et collantes, tout l’avoir des victimes de la boisson. Les clients partis, le caissier ne se gênait pas de dire ce qu’il en pensait, et j’y ajoutais des textes de la Parole de Dieu ! Mais ce qui nous était le plus pénible, c’était d’avoir parmi nos clients des clergymen et des anciens d’Eglise qui nous apportaient leurs coupons de dividendes d’actions de distillerie ou de fabriques de whisky ! Nous n’avions pas de paroles pour exprimer notre indignation, et Mr. W. s’empressait de dire ce qu’il pensait de tels hommes et de leur « religion ». Je m’efforçais alors de lui montrer qu’il existe un christianisme authentique, et cela en Christ Lui-même, le premier à condamner un tel trafic d’âmes d’hommes.

Tous ces souvenirs me sont bienfaisants. Ils me permettent de constater combien le Père céleste veillait sur moi, me gardait et me guidait dans mon manque d’expérience de l’œuvre de Dieu, mon manque de connaissance de la Parole de Dieu, et formait mes convictions en vue de ce qui allait suivre.


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Je cite encore deux incidents avant d’aborder un nouveau chapitre, celui du réveil à l’Institut Biblique de Glasgow. Il s’agit premièrement d’une leçon humiliante, mais bien apprise, et secondement d’un encouragement immérité.

Avant ma conversion, comme je l’ai dit précédemment, j’avais la passion du théâtre et le désir de m’y consacrer. Mais depuis ma conversion, sauf pour y entendre et plus tard pour y prêcher l’Evangile, je ne suis plus jamais entré dans un théâtre. La tentation aurait été trop grande, et l’exemple trop mauvais. La Parole de Dieu est claire au sujet de tout ce qui a trait au monde et à la mondanité. « N’aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui » (1 Jean 2.15).

Mais un jour, à cette époque, je fus saisi du désir d’accompagner un membre de ma famille à une matinée donnée par un acteur anglais très en vue. Il était seul, il donnait une causerie musicale, et je me rassurai en pensant que ce n’était pas précisément un spectacle théâtral. J’y allai donc. Avant que la séance commençât, le caissier d’une succursale de la banque où j’avais été transféré passa devant moi, cherchant sa place. Il ne me vit pas. Pour montrer combien le Seigneur est patient et compatissant, malgré les inconséquences de Ses enfants, j’avoue que je jouis sans arrière-pensée de cette matinée. Le lundi matin, en arrivant à la banque, je dis au caissier aperçu l’avant-veille : « Avez-vous aimé la séance de samedi ? » Il me répondit : « Comment, vous y étiez ? Je n’aurais pas pensé que vous seriez là. » Ce fut tout. La flèche entra dans mon cœur, et je crois qu’elle y est encore ! La leçon fut inattendue et cuisante. Ma conscience se réveilla et je confessai mon inconséquence à Dieu.

J’ai compris désormais que le monde sait souvent mieux ce qui est juste pour le chrétien que le chrétien lui-même ; que le monde a les yeux sur nous et qu’il s’attend à ce que nous donnions l’exemple en nous tenant résolument hors de la confusion, dans la clarté d’une vie qui soit en rapport avec notre profession de chrétien. Un amusement que nous pourrions prétendre inoffensif risque d’être fatal pour quelqu’un à qui nous en donnons l’exemple. Le chemin est étroit, il est vrai ; mais il est droit, ce qui simplifie toute chose pour le chrétien. Le Seigneur nous donne Sa liberté pour que nous en usions sagement, sachant même y renoncer à cause du frère faible pour lequel Christ est mort. Par dessus tout, la Parole divine ne dit-elle pas : « Abstenez-vous de tout ce qui a quelque apparence de mal » ? (1 Thessaloniciens 5.22.)

Il n’est pas étonnant qu’une forte opposition se manifestât des années plus tard, lors du réveil en Suisse, quand j’élevai la voix contre tous ces compromis avec le monde et contre une certaine façon de faire des chrétiens professants qui s’arrangent toujours à éviter la Croix tout en parlant de Christ, et à garder dans leur cœur l’amour du monde, tout en prétendant aimer Dieu et obéir à Sa Parole. La vérité, telle qu’elle est en Jésus-Christ, réveille toujours les haines et les critiques. Aussi y a-t-il des prédicateurs qui s’arrangent à ne jamais dévoiler les compromis entre le monde et l’Eglise. Ils évitent avec soin ce sujet brûlant. Ils ne disent pas la vérité comme ils le devraient à ceux que le prophète appelle : « les pécheurs en Sion », qui devraient trembler à cause de leur état devant Dieu et du terrible exemple qu’ils donnent au monde perdu. C’est le point vulnérable du ministère de beaucoup de serviteurs de Dieu qui croient en Lui et en Sa Parole, qui voudraient sincèrement Le glorifier, mais qui craignent d’éveiller la susceptibilité de leurs auditeurs et tiennent à ménager leurs collègues. Dieu soit béni pour tous Ses témoins qui se séparent du monde et de la mondanité !

Mais quand le serviteur de Dieu accepte cet aspect de la Croix de Jésus-Christ, qu’il est conscient d’y être lui-même crucifié, alors peut s’accomplir dans son témoignage la promesse d’Actes 1.8 : « Vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit… » Il est pleinement convaincu d’annoncer la Parole de Dieu. Il peut dire, comme autrefois les prophètes : « Ainsi a dit l’Eternel », et son message est revêtu d’autorité divine. La solitude, les critiques et les accusations qui s’ensuivent immanquablement sont le marche-pied qui le font monter plus haut et triompher de l’ennemi. Dieu prend soin de lui. Il sait lui ouvrir les portes. Son âme n’est jamais dans la sécheresse ; et dans l’éternité, quelle joie et quelle récompense seront les siennes, quand nul ne pourra lui reprocher d’avoir tu la vérité et ménagé ce que Dieu condamne — toutes ces choses « qui font la guerre à l’âme » !


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Et voici l’encouragement immérité que je reçus également à cette époque.

Juste avant de d’aller à Glasgow pour y faire mes études, la Mission des employés de chemin de fer me demanda de présider un dimanche soir une réunion spéciale. C’était l’occasion de prendre congé de ces fidèles compagnons de service. Jusque là, mon cher père s’était tenu sur la réserve à l’égard de mon activité toujours plus variée et contraire à la routine ecclésiastique. A mon grand étonnement, il s’informa de cette réunion. S’il m’avait laissé libre jusque là, c’était plutôt par manque d’intérêt ; car il était de plus en plus absorbé par ses responsabilités d’ancien de l’Eglise dont nous étions l’une des familles les plus en vue, mes trois frères étant prêts à devenir pasteurs et mes quatre sœurs étant enrôlées dans diverses branches d’activité chrétienne.

Mon père vint à la réunion et ma mère resta à la maison pour prier. La salle était comble, et je pris pour texte de mon message la parole : « Que ferais-je de Jésus qu’on appelle Christ ? » Je pus parler très librement. En rentrant, mon père, qui ne parlait pas beaucoup, me prit par le bras et me dit : « Mon cher garçon, j’ai bien joui de t’entendre ; c’était très intéressant, je te félicite. » Je ne m’attendais nullement à ces paroles, mais elles me furent un encouragement très doux à la veille d’entrer dans une toute nouvelle phase de ma vie.

Les années ont passé. La bénédiction et l’approbation d’un père et d’une mère sont choses dont on ne peut surestimer la valeur, surtout quand on est appelé à un ministère tel que je le connus ensuite, ministère qui suscita si souvent ce que l’apôtre Paul appelle la contradiction, avec toutes les trahisons et les déceptions qu’elle comprend.

Jeunes gens qui avez encore un père et une mère croyants et fidèles, attachez-vous de plus en plus à eux pendant que vous les avez. Leur bénédiction, s’ils restent dans la ligne que Dieu a tracée, est plus précieuse et plus réelle que toute la vaine popularité dont vous entourent peut-être ceux qui prétendent être vos amis, mais qui, dès que vous vous soustrayez à leur volonté, deviennent vos ennemis.

Cette juste appréciation des liens de famille que Dieu a créés est l’un des principes fondamentaux de l’Action Biblique. Elle est en même temps l’un des secrets qui lui ont permis d’être agréée de Dieu et approuvée des hommes dont l’esprit est libre de préventions et du souci de leur propre intérêt.

Sur son lit de mort, ma mère m’envoya ce message par ma sœur aînée : « Dis-lui que je suis satisfaite, entièrement satisfaite ; tout est bien. » Et ma sœur ajouta dans sa lettre : « Tu ne paraissais jamais loin de ses pensées, et elle me pria, pendant sa maladie, de lui lire ton livre Ministère public pour les temps actuels. » Quant à mon père, au moment où je publiai « Icabod », cette brochure dévoilant le modernisme théologique, il m’écrivit pour me féliciter d’avoir pris franchement position en faveur de l’autorité et de l’inspiration de la Bible. Et au milieu de la tempête qui se déchaîna alors contre moi, son approbation me fut d’un grand réconfort.

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