« Tu retourneras dans la terre d’où tu as été pris ; car tu es poudre, et tu retourneras en poudre. » Ces mots, qui retentissent aujourd’hui au bord de chaque tombe, furent les dernière qu’Adam entendit de la bouche de l’Eternel. « Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort » (Romains 5.12). L’avenir se présentait sombre à nos premiers parents, lorsqu’ils franchirent le seuil du paradis ; un seul rayon de lumière brillait dans leurs ténèbres : ils avaient entendu l’Eternel dire au serpent : « La postérité de la femme t’écrasera la tête, et tu la blesseras au talon. » Dans quelle mesure comprirent-ils le sens profond de cette parole ? On ne peut le dire ; mais il ne faut pas douter qu’ils n’aient rattaché de grandes espérances à cette promesse : la victoire ne devait donc pas rester au serpent ancien ; l’heure de son châtiment viendrait, et cela par les descendants de la femme ; le genre humain serait un jour délivré ; mais il ne le serait qu’à travers la souffrance.
Le souvenir de cette grande promesse s’est conservé ailleurs encore que dans le peuple de Dieu. Les païens ont des légendes où il est question d’un vainqueur du serpent [note 5]. Nous pouvons, nous, à la lumière de l’Evangile, fixer le sens de cette parole, dont l’accomplissement a déjà commencé.
L’homme avait été créé pour que Dieu pût se révéler dans la créature et élever celle-ci à la communion avec lui. Ce dessein éternel de l’amour divin paraissait être anéanti par le péché de l’homme et le triomphe de Satan sur nos premiers parents. Mais Dieu déclare qu’il ne renonce pas à le réaliser, et prend parti pour l’homme contre le séducteur. Satan a été pour cette fois le plus fort ; il recevra un jour le coup mortel de la main d’un homme. Il est, de toutes les créatures, la plus puissante et la plus rusée ; ce plus fort que lui doit donc être plus qu’une créature. Le Fils de Dieu lui-même peut seul être ce Sauveur ; mais il ne le sera qu’à la condition de partager les souffrances de la race humaine. Ce n’est pas par une parole magique ou par un acte de puissance, mais par les douleurs de la mort que l’ennemi sera vaincu. C’est la souffrance qui enlèvera le péché et affranchira l’homme de la puissance des ténèbres ; le Fils de Dieu lui-même ne sauvera qu’au prix de sa vie. Il brisera la tête du serpent ; mais en même temps celui-ci fera à son vainqueur une blessure mortelle. La mort, il est vrai, ne pourra le retenir ; car celui qui avait l’empire de la mort aura perdu sa puissance.
Ainsi le mystère de la croix est déjà exprimé dans le Protévangiled ; cette antique parole s’est accomplie par la mort expiatoire de Jésus. Mais elle a un sens plus vaste encore. Le Fils de Dieu ne doit pas vaincre seulement dans sa propre personne, mais aussi dans celle des croyants. Satan a été frappé à mort sur Golgotha ; il ne s’en relèvera pas ; mais la pleine exécution de son jugement n’aura pas lieu sans le concours, et les souffrances des enfants de Dieu. La gloire de Dieu, c’est de triompher de la plus puissante des créatures, de Satan, par la plus faible, l’homme. Il y réussira. « Le Dieu de paix écrasera Satan sous vos pieds » (Romains 16.20 ; comp. Apocalypse 12.9 ; 20.1-3). Les vainqueurs sont ceux dont il est dit : « Ils ont vaincu par le sang de l’Agneau et par la parole du témoignage, et ils n’ont point aimé leur vie jusqu’à craindre la mort » (Apocalypse 12.11). Il faudra qu’ils prennent leur part des souffrances de Christ, qu’ils éprouvent quelque chose de la douleur que la morsure du serpent lui a causée. L’inimitié entre la semence de la femme et celle du serpent dure encore ; la haine est irréconciliable, la lutte sans trêve ; la souffrance des enfants de Dieu ne cesse point. Mais l’épreuve les conduit à la victoire. Le jugement prononcé sur l’adversaire sera exécuté. Plus grande aura été la douleur, plus vive sera la joie, quand le ciel et la terre seront délivrés de la présence de Satan, qu’il ne séduira plus les peuples et que Jésus-Christ jouira dans son royaume, avec ses saints, des doux fruits de ses souffrances et des leurs. Alors le paradis que Satan a détruit refleurira, et des biens meilleurs que ceux dont il a privé l’homme, s’offriront en abondance aux enfants de Dieu.
d – « Premier évangile », c’est-à-dire première promesse de salut ; nom que les théologiens donnent à la promesse Genèse 3.15.
« Par la désobéissance d’un seul, tous sont devenus pécheurs ; ceux qui meurent, meurent en Adam. » Ainsi parle l’Ecriture (1 Corinthiens 15.22). Que notre intelligence se l’explique ou non, la chose est ainsi. Nous sommes tous tombés avec et en Adam, et dans chacun de ses descendants se retrouve la même déchéance physique et morale qui s’est manifestée déjà chez nos premiers parents. L’œuvre de la création est achevée depuis le commencement du septième jour ; Dieu conserve dès ce moment ses créatures, il les soutient par sa parole puissante, c’est par sa bénédiction que de nouveaux êtres sont engendrés. Mais il ne les tire plus du néant. Si l’on demande quand nous avons été créés, il faut répondre, non pas : le jour où nos parents nous ont engendrés, mais : en Adam. C’est pourquoi nous sommes tombés avec lui. Adam a une position exceptionnelle comme chef et ancêtre de la race humaine ; aussi l’a-t-il tout entière entraînée dans sa chute. La conduite d’un chef de famille crée le bonheur et le malheur, l’honneur et la honte de ses fils, et c’est un fait d’expérience, que le péché des pères — dans la vie actuelle du moins — est puni chez les enfants.
La faute d’Adam a eu ceci de particulier, qu’elle a profondément modifié tout son être, et que cet état de corruption est devenu l’héritage de ses descendants. Nous n’avons plus une telle puissance. Nous pouvons beaucoup, en bien comme en mal, pour nos enfants, mais non apporter de changement essentiel dans notre condition ni dans la leur. Nous naissons avec le même caractère qu’Adam et Eve se sont donné par la chute ; chacun de nous trouve en soi le même mauvais cœur, et la même mort est dans nos membres à tous.
D’où viennent le péché, la mort et toute l’armée des maux qui désolent notre terre ? A cette question, aucun des sages de l’antiquité ni des temps modernes n’a pu donner de réponse. Ils se sont fatigués à en chercher une, et ils ne sont arrivés qu’à des idées absurdes ou impies. La Parole de Dieu fournit la solution. Elle ne dit pas, il est vrai, comment le mal s’est d’abord introduit dans le monde des anges ; c’est un point que nous ne pouvons éclaircir. Mais elle nous dit comment le péché et la mort sont entrés dans notre monde, dans l’humanité.
Nous sommes sous le coup d’un terrible jugement : nous apportons avec nous en naissant le péché et la mort. Ne murmurons pas, courbons-nous sous la main de Dieu, et la misère dans laquelle nous sommes nés, au lieu de nous conduire à une éternelle perdition, deviendra pour nous une école dans laquelle Dieu nous prépare pour quelque chose de meilleur.
On peut, pour se servir d’une image employée déjà par saint Paul (Romains 11.16-24), comparer l’humanité à un arbre qui croît à travers les siècles. Sorti d’un seul germe, il pousse des branches gigantesques, il porte des rameaux, des feuilles, des fruits innombrables ; partout circule une même sève, une même vie ; dans chaque fruit se retrouve le même caractère qui était dans le germe. Adam est ce germe, et nous en sommes les rameaux ou les fruits. L’arbre est sauvage, et son plus noble fruit est infecté par la mort et ne vaut rien pour le royaume de Dieu. Mais Dieu a planté un nouvel arbre, qui sort d’une racine pure et céleste. Cette racine, c’est Jésus-Christ ressuscité, vrai Dieu et vrai homme ; vrai homme, et cependant libre de la malédiction, de la mort et des conséquences de la chute ; saint et sans souillure, portant dans notre infirmité humaine, qu’il partage, une vie divine et indissoluble. Nous appartenons de nature à l’arbre sauvage et n’avons que ce qu’il peut nous communiquer. Mais la main de Dieu nous en a séparés et nous a implantés dans l’arbre nouveau. Nous avons part à la vie qui sort de cette plante céleste ; ses forces saintes agissent en nous. De nouvelles branches y sont sans cesse incorporées, et c’est ainsi qu’il grandit constamment. Jésus parlait de cet arbre-là, lorsqu’il disait : « Je suis le cep, vous les sarments ; celui qui demeure en moi, et moi en lui, porte beaucoup de-fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jean 15.1 et suivants). C’est là la vigne que chante Asaph : « Elle à jeté des racines et rempli la terre ; les montagnes sont couvertes de son ombre, et ses rameaux sont comme les cèdres de Dieu ; elle étend ses branches jusqu’à la mer et ses rejetons jusqu’au fleuve… « Protège ce que ta droite a planté et celui que tu t’es choisi ! » (Psaumes 80.10-16).
Ainsi, par sa position unique dans l’humanité, Adam est le type dont Jésus-Christ, le second Adam, le chef d’une race nouvelle, est l’antitype. Comme par un seul homme le péché et la mort sont entrés dans le monde, il a plu à Dieu qu’un seul fût pour tous la source de la justice et de la vie éternelle (Romains 5.12-21). Adam a eu le pouvoir de perdre tous ses descendants ; Christ a celui d’apporter un salut éternel à tous ceux qui lui obéissent. Par la désobéissance d’un seul, beaucoup sont devenus pécheurs ; par l’obéissance d’un seul, beaucoup redeviendront justes. Jusque-là va la ressemblance. Mais l’antitype dépasse infiniment le type. Jésus ne replace pas seulement les croyants dans l’état d’innocence où les premiers hommes se trouvaient avant la chute ; il nous élève à une dignité et à une félicité plus hautes, encore inconnues à Adam. Esclaves du péché et de la mort, non seulement nos chaînes sont brisées, la liberté nous est rendue ; mais, en Christ, nous devenons rois, et nous régnerons avec lui dans la vie éternelle !