Hudson Taylor s'était converti au mois de juin 1849. Il trouva la paix le jour où il cessa de compter sur son propre mérite et accepta joyeusement la personne et l'œuvre du Sauveur : « Non pas moi, mais Christ. » Cette pensée lui apporta la liberté, la joie et le repos de l'âme. Elle devait le transformer et le mener en Chine.
Il fit dans les années suivantes des expériences religieuses d'une grande importance, dont le récit est bien fait pour encourager tous ceux qui soupirent après la sanctification. Tout l'y préparait, car l'influence bénie de l'éducation chrétienne reçue au foyer paternel reprenait maintenant toute son action, la Bible lui était familière, il était accoutumé depuis l'enfance à prier, rien enfin n'entravait l'action de l'Esprit dans son cœur.
Premièrement, lorsqu'il eut la certitude d'être vraiment un enfant de Dieu, il éprouva une joie profonde. Ce « témoignage que l'Esprit rend à notre esprit » lui apportait la paix. Il se sentait immensément heureux et son bonheur se répandait sur les siens. L'harmonie du foyer était rétablie, Hudson devenait un meilleur fils, un aide plus utile pour son père, et une affection encore plus profonde qu'autrefois l'unissait à sa chère sœur, dont les prières avaient été victorieuses.
Un autre fruit du changement qui s'était opéré en lui fut le désir ardent, que tout véritable enfant de Dieu doit connaître, de tout donner en retour de ce qui lui avait été donné. Il s'écria, comme l'esclave hébreu : « J'aime mon Maître, je ne veux pas sortir libre. » Il soupirait après quelque travail à faire pour Dieu, ou quelque service qui pourrait prouver sa gratitude, quelque souffrance même qui pourrait l'amener à une communion plus profonde avec le Seigneur qu'il aimait.
MADAME JAMES TAYLOR DANS LES ANNÉES DE L'ENFANCE DE SON FILS HUDSON |
Un après-midi de liberté lui donna du temps pour la prière et, le cœur tout plein de ce désir, il monta dans sa chambre pour être en tête à tête avec Dieu. Là, d'une façon particulière, le Seigneur le rencontra.
Je me rappelle encore parfaitement comment, dans ma joie, j'ai répandu mon âme devant Dieu en Lui confessant sans cesse mon amour et ma reconnaissance... Je Le suppliai de me donner un travail à faire pour Lui ; une œuvre de renoncement, n'importe laquelle, difficile, vulgaire ou humiliante ; une œuvre qui Lui plaise et que je puisse accomplir par reconnaissance pour tout ce qu'Il avait fait pour moi. Et je me souviens qu'au moment où je me plaçai moi-même sur l'autel du sacrifice, avec ma vie, mes amis et tout ce que j'avais, le sentiment solennel que mon offrande était acceptée remplit mon âme. L'ineffable présence de Dieu devint réelle pour moi, et je me prosternai devant Lui, avec un sentiment indicible de crainte et de joie. J'ignorais pour quelle œuvre Il m'acceptait, mais dès lors le sentiment que je ne m'appartenais plus prit possession de moi, et il ne m'a pas quitté depuis.
Ce fut en effet dans sa vie une heure inoubliable, et quoique ne sachant pas comment le Seigneur l'emploierait, il se sentit prêt depuis ce jour à répondre à Son appel, lorsqu'il entendrait Sa voix. Le résultat de cette consécration fut aussi qu'il commença à se préoccuper du salut des autres. Jusqu'à ce moment, il s'était soucié essentiellement de sa croissance personnelle dans la grâce. Maintenant, il s'occuperait des affaires de son Maître, c'est-à-dire du salut de ceux qui l'environnaient. Il ne s'arrêta pas au fait qu'il ne pouvait faire que peu de chose. Il ne prit pas prétexte non plus de son indignité. S'il ne pouvait pas encore prêcher ou diriger une classe biblique, il pouvait en tout cas distribuer des traités ou inviter les gens à venir entendre la prédication de l'Évangile. Ayant peu de temps à lui dans la semaine, il sacrifia le culte du dimanche soir, qu'il aimait beaucoup, et se rendit, en compagnie de sa sœur Amélie, dans les quartiers les plus pauvres de la ville pour distribuer des traités.
Mais la joie dans le Seigneur et dans Son service ne fut pas sa seule expérience en cette fin d'été. Il y eut aussi des moments de douloureuse langueur d'esprit et beaucoup de luttes. Hudson, qui avait cru avec tant de bonheur à l'œuvre accomplie d'un Sauveur pleinement suffisant, savait maintenant ce que c'est que d'être lassé et découragé dans la bataille contre le péché. Parfois il lui semblait qu'il y avait un abîme entre la puissance du Seigneur Jésus pour « sauver parfaitement » et les nécessités de la vie journalière à la maison et au travail.
Il se sentait faible en face de la tentation, indulgent pour lui-même et négligent à l'égard de la prière et de l'étude de la Parole de Dieu. Il n'y avait rien de plus sincère que sa consécration, mais rien n'était plus sincère aussi que son désappointement. Il s'était donné à Dieu sans réserve, espérant être toujours à Lui seul. Et il ne pouvait y arriver. Son cœur était froid, il se sentait alourdi. Son être intérieur adhérait avec joie à la loi de Dieu, mais il y avait en lui une autre loi qui l'asservissait à la loi du péché. Et il n'avait pas encore appris à dire avec saint Paul : « Grâces soient rendues à Dieu... La loi de l'esprit de vie en Jésus-Christ m'a affranchi de la loi du péché et de la mort. »
Dans une pareille situation, il y a deux possibilités : abandonner son idéal et retomber dans une vie chrétienne quelconque, sans joie ni puissance ; ou bien marcher avec le Seigneur, et, s'appuyant sur Ses promesses, demander à être délivré complètement, non seulement de ses fautes, mais de la domination du péché ; marcher simplement avec le Seigneur, en comptant sur Sa fidélité et Son pouvoir de pardon, de purification, de sanctification.
Hudson Taylor ne pouvait être satisfait à moins. Sa conversion n'avait pas été une adhésion intellectuelle à une doctrine abstraite. Elle avait été une transformation profonde. La croix du Christ l'avait à jamais séparé de sa vie passée et de l'appui que le monde peut donner. Seules pouvaient l'assouvir maintenant une véritable sainteté et une communion ininterrompue avec Dieu qui était sa vie, son tout. Pour cette raison, les périodes de léthargie spirituelle et d'indifférence étaient alarmantes. Cette langueur d'âme lui était pénible, insupportable. Il ne pouvait prendre ce recul à la légère. Grâces à Dieu, même les symptômes de recul étaient pires pour lui que la mort.
De plus, il reconnaissait qu'il était sauvé pour servir et qu'une œuvre l'attendait pour laquelle une vie de victoire intérieure et de puissance serait indispensable. Il avait fait des expériences, décevantes et savait très bien le peu que donne aux autres un homme qui, lui-même, n'est pas libre intérieurement. Durant ses jours de scepticisme, il avait estimé que la seule attitude logique pour le chrétien était l'obéissance absolue à Dieu. Il avait alors décidé de jeter par-dessus bord la religion, sauf S'il lui était possible d'obtenir réellement, pratiquement, la réalisation des promesses faites à la foi. Il ne pouvait y avoir de moyen terme pour lui. Si sa vie devait être de quelque utilité pour Dieu ou pour les hommes, il devait avoir cet « amour qui vient d'un cœur pur, d'une bonne conscience, d'une foi sincère » et qui est en vérité la sanctification. C'était à ses yeux l'unique puissance pour rendre forte et agissante la consécration la plus entière.
Tout cela était un don d'En-haut, comme le feu qui descendit en réponse à la prière d'Élie : la réponse surnaturelle, divine, à quelqu'un qui, ayant tout placé sur l'autel, reçoit la puissance sanctifiante, purifiante.
Il n'est pas étrange que, dans cette recherche de la bénédiction promise, Hudson Taylor ait eu des périodes de conflits et de défaites. En comparant ses expériences avec celles d'autres serviteurs de Dieu, l'on est plutôt surpris qu'il n'ait pas souffert davantage de l'opposition et des assauts de Satan. Car ce n'était rien moins qu'à une pleine délivrance qu'il avait mis son cœur. C'était là la grande question : une réelle sainteté, une victoire quotidienne sur le péché.
La lutte dura tout l'automne, aggravée par l'absence d'Amélie qui était partie en pension et par la présence d'un de ses cousins, John Hudson, qui habitait avec lui et n'était pas chrétien. Une terrible froideur s'était emparée de son âme ; la prière lui demandait un effort, la Bible avait perdu son intérêt. Au milieu de son travail, que l'approche de Noël augmentait, il était en proie à la crainte de retomber, de perdre la grâce et de faire échouer le plan de Dieu à son égard, pour cette vie, sinon pour l'autre.
Quelques encouragements lui vinrent, providentiellement, de la lecture d'un article du Weslevan Magazine sur la « beauté de la sainteté », d'un réveil qui eut lieu dans la chapelle méthodiste de Barnsley, et de la lecture d'Ezéchiel 36.25-27, où il trouva une promesse réconfortante.
Le dimanche 2 décembre 1849, par suite d'un refroidissement, il ne put sortir. Il eut des heures de repos et de solitude pendant lesquelles il sentit la présence de Dieu. Il se réjouit à la pensée des nouveaux convertis des jours précédents, mais continua de s'affliger sur son état. Sa pensée s'envola naturellement vers sa sœur, à laquelle il écrivit les lignes suivantes :
Barnsley. le 2 décembre 1849.
Ma chère sœur,
Que la grâce et la paix soient avec toi, de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ, notre Seigneur...
Prie pour moi, chère Amélie. Que Dieu soit béni, je suis heureux dans Son amour, mais je suis si indigne de Ses bénédictions. je cède si souvent à la tentation ! je suis enclin à être léger cet insouciant, ou à me laisser aller à mon goût pour la taquinerie. Prie pour moi, chère Amélie, prie pour moi ! je soupire après la sanctification complète. Oh ! si le Seigneur m'enlevait mon cœur de pierre et me donnait un mur de chair ! M. Simmons nous a donné, dimanche, des textes. Voici le mien : « je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purs. » (Ezéch. 36.25...) Oh si je pouvais m'emparer des promesses bénies de la Parole de Dieu Mon cœur soupire après la sainteté parfaite. J'ai lu un article très intéressant sur la beauté de la sainteté dans le Wesleyan Magazine de novembre. Quel bonheur ce doit être ! ...
Je ne peux assez louer Dieu pour toutes Ses bontés à mon égard. Il a lutté avec moi d'innombrables fois et je Lui ai résisté. Et cependant Il m'a pardonné tous mes péchés. Mon désir le plus intense est qu'Il me sanctifie complètement et qu'Il me rende utile pour Son service...
Ce soir-là, en allant se coucher, il était profondément troublé. Son âme avait soif de Dieu, et en même temps il était écrasé par le sentiment de son indignité. « Approchez-vous de Dieu et il s'approchera de vous. » Cette promesse est toujours exaucée mais, parfois, la vision que Dieu nous accorde appelle sur nos lèvres l'exclamation d'Esaïe : « Malheur à moi ! je suis perdu parce que je suis un homme dont les lèvres sont impures. »
Ne songeant qu'à ses besoins religieux, le jeune homme recherchait la vraie sainteté, la vie dans laquelle « ce n'est plus moi qui vis, mais Christ ». Le Seigneur voulait lui accorder cela, mais Il avait encore autre chose en réserve. Il voyait plus loin, Il songeait à la Chine, à la Chine où des millions d'hommes — le quart des habitants du globe — vivaient et mouraient sans Dieu. Mais Hudson n'était pas prêt encore à entendre l'appel du Maître : « Qui enverrai-je, et qui ira pour nous ? » Il fallait, pour l'amener à comprendre la pensée de Dieu, une action plus profonde de l'Esprit. Le sentiment de son péché et de sa misère ne faisait que grandir, à mesure qu'il implorait la délivrance, sans laquelle il ne pouvait, ni n'osait avancer.
Qu'était-ce qui l'empêchait de vivre la vie qu'il désirait ? se demandait-il. Quelle était la cause de ses échecs et de ses chutes ? Y avait-il en lui quelque désobéissance, quelque infidélité, ou son sacrifice était-il incomplet ? Il demandait à Dieu avec ferveur de lui montrer quel pouvait être l'obstacle et de lui donner la force de le renverser. Il sentait qu'il ne pouvait plus rien lui-même, que Dieu seul pouvait le délivrer, qu'il lui fallait les lumières et l'aide d'En-haut. C'était une question de vie ou de mort, et comme le patriarche d'autrefois il s'écriait : « Je ne te laisserai point aller que tu ne m'aies béni. »
Il tomba à genoux dans la solitude et une grande résolution naquit en lui. Si seulement Dieu agissait en sa faveur, brisait le pouvoir du péché et le sauvait esprit, âme et corps, pour le temps et pour l'éternité, il renoncerait à tout avenir terrestre et se mettrait entièrement à la disposition de son Maître. Il irait n'importe où, ferait n'importe quoi, souffrirait tout ce qu'il faudrait, et serait entièrement soumis à la volonté et au service de Dieu. Tel fut le cri de son cœur : il ne conserverait rien, pourvu que Dieu le délivrât et l'empêchât de retomber.
Nous ne pouvons décrire ce qui se passa alors ; c'est une terre sainte qu'il est interdit de fouler. Il parla peu de cette expérience qui cependant domina toute sa vie. Nous ne la connaissons que par une brève allusion, faite l'année suivante :
Je n'oublierai jamais le sentiment qui s'empara de moi. Les mots se refusent à l'exprimer. Je me sentais en présence de Dieu, concluant une alliance avec le Tout-Puissant. Il me semblait que je voulais retirer ma promesse, mais que je ne le pouvais pas. je crus m'entendre dire : « Ta prière est exaucée, les conditions sont acceptées ». Et, depuis lors, la conviction que j'étais appelé à aller en Chine ne m'a jamais quitté.
Car il avait entendu, en même temps, un ordre aussi distinct que si une voix eût parlé : « Alors, va en Chine pour moi. » 1
C'était comme un nouveau soleil qui se levait sur son âme anxieuse. La Chine ? Oui, la Chine. Tel était le sens de sa vie, de son passé, de son présent, de son avenir. Hors de lui, au loin, par-delà l'étroit domaine de son expérience personnelle, le vaste monde attendait... Alors, va en Chine pour moi. Ta prière est exaucée, tes conditions sont acceptées. Tu obtiendras tout ce que tu demanderas, et plus encore. Tu auras une connaissance plus parfaite du Sauveur ; tu participeras à Ses souffrances, à Sa mort, à Sa résurrection ; ta vie sera faite de victoire intérieure et de puissance. « Voici pourquoi je te suis apparu : pour t'élire serviteur et témoin de ce que tu viens de voir et de ce que tu verras encore ; je te protégerai contre ce peuple et contre les païens auxquels je t'envoie pour leur ouvrir les yeux, pour les conduire des ténèbres à la lumière, de la puissance de Satan à Dieu. » (Actes 26.16-18)
Le même soir, il ajouta quelques lignes à la lettre qu'il avait écrite à sa sœur. C'était l'effusion d'un cœur qui débordait de joie :
Mon âme, bénis l'Éternel, et que tout ce qui est en moi bénisse Son saint nom ! Gloire à Dieu, ma chère Amélie ! Christ dit : « Cherchez et vous trouverez » ; que Son nom soit loué, Il s'est révélé à moi au delà de toute espérance. Il m'a lavé de tout péché, Il m'a délivré de toutes mes idoles. Il m'a donné un nouveau cœur. Gloire, gloire, gloire à Son nom béni. La joie m'empêche d'écrire. J'ouvre ma lettre pour te dire cela.
Dès lors toute sa vie fut transformée. Le Seigneur l'avait rencontré, avait répondu aux besoins de son âme, avait prononcé ces paroles décisives et si douces : « Suis-moi. » Extérieurement même il était visible qu'un grand changement s'était opéré en lui.
Depuis ce moment, écrivit sa mère, sa résolution fut prise. Toute son activité et ses études furent orientées vers ce but, et aucune difficulté ne put le faire hésiter dans son projet.
Il se sentait intérieurement soumis à la volonté de Dieu et il s'appuyait sur une connaissance très nette de ce qu'était pour lui cette volonté. Il en résulta un renouveau de pureté et de puissance, un progrès constant dans la grâce, et une abondance de bénédictions qui le soutinrent durant les épreuves de ces années de préparation.
« Celui qui vous appelle est fidèle, et c'est lui qui le fera. »
1 D'après les souvenirs rédigés par sa mère.