Je commencerai par ceux qui semblent être modestes. Et de fait, on trouvera bien aucuns craignant Dieu, lesquels toutefois pourront avoir quelque scrupule ou quelque doute en l'esprit, mais tant y a qu'ils ne sont point si bien rangés en l'obéissance de Dieu qu'il n'y ait de l'orgueil caché en eux, et il faut que Dieu découvre leur hypocrisie qu'ils avaient jusqu'ici. Car ceux qui diront : Oh ! voilà, je crains de faire Dieu injuste quand je dirai qu'il a élu ceux que bon lui semble. Ceux-là n'ont point connu le vice qui était caché en eux. Quand ils diront : Oh ! je crains que ce ne soit accuser Dieu de cruauté, quand je dirai qu'il n'élit point tous hommes en général, on leur peut répondre : Mon ami, tu montres par cela que tu as un orgueil caché en ton cœur, que tu n'as point encore connu l'hypocrisie qui est en toi. Et la raison ? Regardons ce que dit saint, Paul au 14e des Romains quand il parle qu'il ne nous faut point juger les uns des autres, sinon que nous soyons enseignés de Dieu (Rom. 14.10-13). Or il parle là non point des péchés qui sont déjà condamnés et desquels nous avons la sentence que Dieu en a donnée, mais des choses indifférentes ; là nous ne devons point juger les uns des autres. Car il nous faudra (dit-il) trouver devant le siège judicial de Dieu. Nous sommes frères et pourtant il ne faut point que nous présumions de damner ou sauver, pour dire : Celui-là tombera pource qu'il fait mal ; ou celui-là sera relevé du tout, pource que je dirai : il fait bien. Non, non, il faut que notre Seigneur Jésus nous juge, et tout ainsi qu'il nous abat, qu'il nous relève aussi, comme cette puissance-là lui est donnée de Dieu son Père.
Si saint Paul ne veut point que nous prenions cette hardiesse de juger ainsi les uns des autres, pensons, je vous prie, quand nous viendrons nous élever à l'encontre de Dieu, que nous ne voudrons point qu'il soit connu juste, sinon que nous ne le connaissions tel, que la raison nous soit apparente ; quel argument est cela ? Or tels.sont tous ceux qui disent : je crains que Dieu soit injuste en ce faisant. Tu crains que Dieu soit injuste, sinon que Dieu s'assujettisse à toi, sinon que tu le contrôles, sinon que tu entendes la raison pour quoi il fait telle chose, voire comme s'il était ton inférieur. Et quelle arrogance est cela ? Or il est vrai que beaucoup ne connaissent pas ce vice-là en eux, mais il faut venir là-dedans à cette racine. Et ne faut point ici amener nos questions frivoles pour dire : je ne sais si Dieu est juste, qu'il me montre comment et pourquoi. Mais quand nous ne connaissons pas son conseil, que nous n'avons pas un esprit si haut pour parvenir jusque là que nous puissions déchiffrer pourquoi il fait toutes choses, il nous faut cheminer en humilité jusques au jour que le livre sera ouvert, comme il en est parlé en Daniel. Alors (dit l'Ecriture) nous verrons ce que nous concevons maintenant par la foi, pourquoi c'est que Dieu a élu Jacob, pourquoi c'est qu'il a réprouvé Esaü et pourquoi il dispose ainsi des hommes ; nous verrons, dis-je, la raison pourquoi. Mais maintenant, contentons-nous que Dieu est juste et sachons même qu'il est la fontaine de toute sagesse, de toute équité et de toute droiture. Mais regardons aussi, d'autre part, quelle est cette raison.
Il semble à d'aucuns que saint Paul a été dépourvu de réponse quand il a dit : Homme, qui es-tu qui te puisses élever à l'encontre de Dieu ? (Rom. 9.20) Mais c'est la meilleure solution qu'il puisse donner que celle-là. Et qu'ainsi soit, ne pensons point que Dieu ne nous puisse bien satisfaire, qu'il n'ait de quoi quand il serait question qu'il répondît et qu'il nous montrât : Voilà pourquoi j'ai fait ceci ou cela. Mais en premier lieu, prenons le cas que Dieu se voulût assujettir à nous en sorte qu'il fût là comme devant son juge pour s'excuser, voire : Vous trouvez à dire en ceci ? Et voilà pourquoi je l'ai fait. Quand Dieu se voudrait assujettir comme pour nous rendre compte de tout ce qu'il fait, regardons un peu si nous pourrions concevoir cette gloire de Dieu, cette majesté qui est en lui en sorte que nous la puissions porter. Mais au contraire il faudrait que nous fussions abîmés par icelle quand nous irions avec une telle audace et si débordée. Et pourtant que nous sachions quelle est notre capacité, c'est à savoir que nous sommes si rudes et si ignorants que nous ne pouvons pas comprendre ce que Dieu a voulu nous être caché. Mais cependant tenons pour tout résolu que Dieu a juste cause de faire ce qu'il fait, combien qu'elle nous soit cachée, que les choses que nous ne connaissons ne laissent point d'être pourtant. Car nous ne voyons point encore les choses faites face à face. Nous ne les voyons point à l'œil, comme saint Paul en traite en un autre passage. Bref, jamais nous ne comprendrons ce mystère ici et secret si haut et si excellent, sinon en ayant cette mansuétude pour dire : Eh bien, si nous ne voyons la raison pourquoi Dieu besogne ainsi, tant y a qu'il nous doit suffire qu'il est juste, et sur cela de profiter toujours en la connaissance de sa volonté.
Or quant à ceux qui disent qu'on pourrait bien se passer de cette doctrine ici et qu'on pourrait prêcher la foi et la repentance sans dire qu'il y en a qui sont élus de Dieu, ceux-là veulent être plus sages que lui-même. Il est vrai qu'il nous faut être sobres, comme je viens de dire, et nous ne pouvons trop garder d'attrempance (modération) pour ne point excéder nos limites, comme Dieu nous l'a commandé. Mais la mesure de cette sobriété, d'où nous la faut-il prendre ? Est-ce de notre sagesse, ou de Dieu même ? Il est bien certain que Dieu connaît ce qu'il nous est expédient d'entendre. Or puisqu'ainsi est, qu'il nous déclare ce que nous avons déjà vu, il faut donc que nous le connaissions, mais il ne faut point que nous passions outre. Sitôt que Dieu aura coupé le chemin, il faut que nous demeurions là tout courts. Et ainsi, connaissons que c'est à Dieu de nous déclarer ce qu'il veut nous être connu et manifeste et à nous de le recevoir en toute humilité, voire et de ne nous enquérir plus outre.
Venons maintenant aux objections que font ceux qui blasphèment à pleine bouche à l'encontre de Dieu. Comme les uns diront : Si ainsi est que Dieu ait élu ceux que bon lui semble, il ne faut point donc que nous croyons que nous mettions peine à vivre saintement, car l'élection de Dieu emporte tout. Et tels pourceaux (Matth. 7.6), ne font que jeter leurs groins et cependant que profiteront-ils ? Car voilà l'Ecriture sainte qui donne solution brève et facile à cela, c'est à savoir que nous sommes élus d'une vocation sainte à ce que, ne suivant plus notre immondicité, nous soyons saints et sans macule (tache). Cela donc qu'ils mettent en avant est autant comme qui voudrait séparer la clarté du soleil, et qui dirait : C'est assez que nous ayons un soleil, il ne faut point qu'il y ait de clarté. Mais qu'on ôte cette clarté du soleil, que nous profitera-t-il ? Ainsi est-il de l'élection de Dieu. Ne séparons point donc ce qu'il a conjoint. Car quand il nous a élus, c'est à cette fin que nous soyons saints. Ceux qu'il a élus, il les a séparés des infidèles, afin qu'ils ne soient point enveloppés en leurs souillures, en leurs vilenies, et en leurs pollutions.
Et pour ce c'est une objection trop lourde que celle-là, de dire : Si Dieu nous a élus, il faut que les hommes se lâchent la bride et qu'ils se laissent aller à l'abandon. Or c'est tout le contraire, car ceux qui disent : Oh ! si nous sommes élus, il s'ensuit que nous pouvons bien faire mal, car nous ne pouvons périr. Ceux-là, dis-je, ne sauraient donner un plus grand témoignage de leur réprobation que celui-là. Et qu'ainsi soit, ceux que Dieu a élus, il les gouverne par son saint Esprit. Et qu'est-ce qu'emporte (comporte) l'élection de Dieu ? C'est que nous sommes adoptés pour ses enfants et que, quand il nous a choisis, il nous donne l'Esprit d'adoption, pour nous gouverner ainsi qu'il est écrit au premier de saint Jean.
Or venons maintenant à ce principal blasphème que aucuns disent : Oh ! si ainsi était que Dieu élût ceux que bon lui semble, et qu'il rejetât les autres, il serait injuste. Car ils ne font pas comme ceux dont j'ai déjà parlé qui craignent que Dieu soit injuste et qu'en ce faisant, ils le veulent bien honorer. Mais quoi ? ils ne savent point la façon d'honorer Dieu. Les premiers sont déjà préoccupés de Satan, et ceux-ci en sont possédés du tout. Tant y a que les uns et les autres s'élèvent à l'encontre de Dieu. Or qu'adviendra-t-il à la fin de telles gens ? C'est comme si je rue (jette) une pierre sur (par-dessus) ma tête ; et où retombera-t-elle ? Quand nous en jetterons l'un contre l'autre, encore pourrons-nous faire que nous nous garderons d'être atteints, que les coups ne nous attoucheront point, mais quand nous viendrons parler contre Dieu, à qui est-ce que nous nous prenons ? Et quand nous voudrons tirer des coups de hacquebutes (arquebuses), des coups de dards et de flèches et autres choses sur nos têtes, ne faut-il pas que le tout retombe sur nous et que nous en soyons accablés ? Et ainsi donc, craignons de tomber en une telle confusion et apprenons seulement d'adorer la majesté de Dieu, que nous tenions pour résolu que tout ce qu'il fait est bien ordonné, encore que nous ne voyons pourquoi. Et c'est ce que saint Paul nous montre : qu'il ne nous faut pas être plus sages que l'Esprit de Dieu.
Il y en a qui trouvent étrange quand on ne leur donne point de résolution qui soit facile : Eh ! je voudrais qu'on me dît les choses plus clairement, que j'aperçusse pourquoi telle chose se fait. Mon ami, il te faut aller chercher une autre école, puisque tu es si présomptueux que tu ne veux point donner gloire à Dieu, sinon que tu voies les enseignes (preuves). Or va chercher une autre école que celle du saint Esprit. Nous voyons comment saint Paul parle : O homme, qui es-tu ? Si quelqu'un veut plaider contre nous de ce qui ne lui appartient pas, qu'il s'aille prendre à Dieu. Car si nous voulons passer plus outre que ce qu'il nous a déclaré par sa Parole, nous ne serons pas bons disciples en son école. Saint Paul donc nous montre comment il nous faut conduire en ce fait, quelle mesure nous devons garder ; c'est à savoir qu'il faut que l'homme soit ainsi tenu en bride courte et que nous connaissions quelle est notre condition.
Et de fait, nous voulons bien être préférés aux bêtes brutes. Si un âne ou un chien parlait et qu'il vînt à dire : Pourquoi est-ce que je ne suis pas homme ? il n'y aurait celui de nous qui ne répondit : Et puisqu'il a plu à Dieu de te faire une bête, ne te dois-tu pas contenter de cela ? Et qui sommes-nous en comparaison de Dieu ? Il est certain que nous lui sommes autant inférieurs que sont les bêtes brutes à nous. Et pourquoi donc n'aura-t-il autant d'autorité par-dessus nous comme nous en voulons avoir par-dessus les créatures ? Que reste-t-il donc ? Ceux qui veulent ainsi blasphémer, qu'ils regardent cet exemple qu'amène saint Augustin, au second passage, c'est à savoir de notre Seigneur Jésus-Christ. Car de fait, Jésus-Christ est le miroir et le patron où Dieu a déclaré les trésors infinis de sa bonté, car il est le chef de l'Eglise. Aussi nous faudra-t-il commencer par lui quand nous voudrons connaître comment Dieu besogne en ses membres inférieurs.
Voilà Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme. Or cette nature humaine a été exaltée en une dignité merveilleuse, car Jésus-Christ, étant Dieu et homme, est toutefois Fils de Dieu, je dis, Fils unique, Fils naturel. Qu'est-ce qu'a mérité la nature humaine qui est en Jésus-Christ ? Car elle procède de la race d'Adam ; il fallait qu'il fût de la semence de David, ou autrement il n'eût point été notre Sauveur. Il a été conçu de sa mère d'une façon miraculeuse, mais tant y a qu'il est venu de la race de David, d'Abraham et d'Adam. Ce qu'il a été sanctifié et qu'il n'a point été sujet à même corruption que nous, cela est venu de la grâce admirable de Dieu et excellente. Mais tant y a que si nous considérons la nature humaine de Jésus-Christ, elle n'avait point mérité d'être exaltée en ce degré d'honneur, pour dire : Voilà celui qui dominera par-dessus les anges, devant lequel tout genou se ploiera.
Quand nous considérons une telle grâce de Dieu en notre Chef, ne faut-il pas qu'un chacun de nous entre en soi-même pour connaître : Dieu m'a élu, moi qui étais banni et rejeté de son Royaume. Je n'avais aucune chose en moi qui lui pût être agréable et néanmoins il m'a choisi pour être des siens. Ne faut-il pas bien que nous connaissions une telle grâce pour la magnifier ? Quand donc nous viendrons à contempler cela, nous crions avec saint Paul : ô hautesse ! C'est pour nous montrer que, nous ne serons point vrais disciples du saint Esprit jusqu'à ce que nous ayons été ravis en admiration.
Quand nous pensons aux secrets de Dieu, que nous confessons que nous ne sommes pas encore capables pour les comprendre.
Et au reste, il nous faut maintenant venir aux réprouvés. Car tout comme Dieu en a élu, il a aussi rejeté tout ceux que bon lui a semblé et l'un emporte (a pour conséquence) l'autre. Car quand il y a élection, ce n'est pas qu'on prenne tout, mais on élit une partie. Or de ceux qui sont réprouvés, il est vrai que nous le pourrions trouver étrange comment Dieu les rejette, vu qu'ils sont ses créatures. Mais il nous faut penser quels nous sommes en Adam et ce que nous en avons. Nous sommes en lui tous perdus ou damnés. Si Dieu nous rejetait tous, depuis le premier jusqu'au dernier, nous n'avons que faire de plaider à l'encontre de lui, car s'il nous fait droit, nous méritons d'être abîmés aux enfers.
Or maintenant si Dieu a choisi aucuns et que toutefois les autres soient rejetés, faut-il que notre œil soit malin quand il exercera une telle autorité qui lui appartient ? Ainsi qu'il nous est montré en cette similitude que notre Seigneur Jésus amène quand il dit : Si je suis bon et libéral, ton œil sera-t-il malin ? Or, il parle là de ceux qui murmuraient à cause que le père de famille ne donnait non plus à ceux qui avaient porté toute la peine qu'à ceux qui n'avaient guère travaillé. Et comment, dit-il, n'est-il pas en ma liberté de faire du mien ce que bon me semblera ? Si donc les hommes ont cette autorité-là, qu'ils peuvent disposer de leurs biens à leur bon plaisir, et Dieu sera-t-il sujet à une loi plus étroite que les hommes ? Ne serait-ce pas trop l'assujettir ? Et ainsi notons, puisque nous sommes tous perdus en Adam, que nous sommes tous abîmés et toutefois, si Dieu en appelle aucuns après les avoir élus, que cela est d'une bonté spéciale dont il use envers eux, qu'il faut bien qu'il ait liberté de ce faire, sans qu'aucuns attentent (essayent) de murmurer à l'encontre.
Voire, mais quand Dieu a créé Adam, dira-t-on, n'a-t-il pas bien prévu ce qui devait advenir ? et n'en a-t-il pas disposé selon sa volonté ? Oui bien, cela ne se peut nier. Mais tant y a que l'homme a été créé juste et bon et droit en sa nature, néanmoins ce qu'il est chu et trébuché, ce qu'il a désobéi à Dieu, ce qu'il a commis. une telle transgression, cela vient de lui et ne peut être attribué à Dieu. Voire, mais si Dieu ne l'eût décrété, il n'eût pas été ainsi. Dieu y pouvait bien pourvoir. Comment a-t-il permis que cela ait été ainsi fait ? N'y pouvait-il pas bien remédier ? Oui : mais gardons-nous de murmurer à l'encontre de notre juge et sachons que ce qu'il a ordonné en son conseil de tout temps nous est caché et ne sommes pas capables de le concevoir. Et qu'ainsi soit, qu'il nous souvienne de ce qui est dit en l'Ecriture sainte que les conseils et les secrets de Dieu sont des abîmes. Que servira-t-il de se jeter dedans ? Si nous voyons un abîme devant nous, qui est celui qui s'y ira précipiter ?
Que reste-t-il donc, sinon que nous adorions sa justice en toutes ses œuvres ? Voilà comment il nous faut faire. Et c'est où saint Paul nous amène quand il dit que de son temps il y en avait qui murmuraient aussi bien contre Dieu ou pour le moins qui alléguaient ce que ces blasphémateurs veulent mettre en avant : Et pourquoi est-ce que Dieu se plaint (Rom. 9.19), c'est-à-dire : qu'est-ce qu'il trouve à dire aux hommes, puisque nous ne pouvons pas résister à sa volonté ? O homme ! qui es-tu qui t'élèves contre Dieu ? Saint Paul pouvait bien amener toutes les raisons des Sorbonistes et des brouillons qui veulent aujourd'hui renverser l'élection de Dieu. Il pouvait bien dire : Oh ! Dieu a élu ceux qu'il a prévu être fidèles, ceux auxquels il a distribué ses grâces et a vu qu'ils les recevraient par leur franc arbitre ; mais il ne dit rien de tout cela, mais au contraire il conclut que ce n'est point à nous d'en enquérir, et néanmoins il montre à ceux que Dieu fait grâce, qu'il la fait à ceux qu'il lui plaît. Ne voilà point donc une sentence plus que notoire ? Contentons-nous donc des témoignages de l'Ecriture qui ont été déjà amenés en avant et connaissons que sans cela même, tous ceux qui s'élèvent ainsi à l'encontre de Dieu sont déjà assez convaincus par eux-mêmes qu'il ne leur faut pas amener grande probation (preuve).
Et c'est merveille de fait, comme les hommes sont si présomptueux de dire : Oh ! voilà, je ne me puis contenter sinon qu'on m'amène une raison apparente. Je vous prie, y a-t-il plus suffisante probation que de dire ce que nous avons dit ? que ce que nous en sentons là dedans du cœur ? Même quand on aurait beaucoup disputé, et qu'on aurait montré les choses au doigt, y a-t-il approbation plus certaine que celle-là que nous avons en notre conscience ? Il est bien certain que non. Et ainsi qu'un chacun entre maintenant en soi et il trouvera sa condamnation engravée en sa conscience, il trouvera que nous sommes tous coupables de mort ; que quand nous aurons bien regardé à nous de près, il faudra qu'un chacun de nous se condamne. Et comment donc allons-nous dire puis après : Eh ! je n'en vois point de raison ?
Ceux-là montrent que jamais ne sont entrés en leurs consciences, qu'ils voltigent en l'air, qu'ils n'appréhendent (saisissent) point avec une crainte et une révérence (respect) de Dieu les choses qu'il nous montre ; mais ils se veulent élever sans connaître que c'est (ce qui en est) de Dieu ni d'eux. Et il faut que ces deux choses s'accordent. Si nous voulons profiter en la doctrine de l'Evangile, il faut que nous connaissions que c'est de Dieu et de nous. Et ceux-là n'en veulent rien connaître.
Voilà ce que nous avons à retenir quant aux réprouvés, c'est à savoir que Dieu les réprouve d'autant qu'ils ne sont pas choisis et élus. Et toutefois si faut-il connaître que Dieu est juste, combien que nous ne pouvons pas comprendre quelle est la cause. Car aussi ne faut-il pas qu'il soit tenu à nous en rendre compte. Contentons-nous donc de savoir que tous ses jugements sont avec équité et droiture et que cette justice nous sera une fois connue quand nous le verrons face à face. Et voilà pourquoi saint Paul, alléguant l'exemple de Pharaon, dit puis après que Dieu a bien autant d'autorité pour le moins sur les hommes qu'aura un potier sur de la terre ou fange. Et ainsi, quand Dieu nous fait des vaisseaux honorables, pensons que c'est de sa pure bonté. Connaissons donc qu'il nous pourrait bien faire des vaisseaux d'ignominie et quand il le fait, que cela vient de notre propre nature, qu'il n'est point tenu à nous (obligé envers nous) d'en faire davantage.
Au reste, maintenant, pour faire un recueil de tout ce qui a été dit touchant l'élection de Dieu, notons que Dieu n'est point magnifié de nous comme il appartient, que nous ne connaissons pas sa grâce telle qu'il la déploie envers nous, sinon que nous connaissions que nous sommes élus de lui, voire qu'il nous a retirés de la condamnation universelle en laquelle est tout le genre d'Adam, voire pour nous amener à notre Seigneur Jésus-Christ, que c'est lui seul qui nous a rachetés, et cependant que nous considérions les réprouvés, que nous apprenions de nous mirer en leurs personnes pour dire : Autant en serait-il de nous, sinon que Dieu eût usé de sa bonté paternelle pour nous séparer d'eux. Car nous ne pouvons pas de nature nous discerner, mais c'est Dieu qui nous a rendus plus excellents jusqu'à ce que l'homme fidèle soit venu là, jamais il ne magnifiera Dieu comme il appartient, comme j'ai déjà dit.
Or maintenant je déduirai en bref tout ce qu'on pourrait alléguer, non point en déduisant tous les arguments, mais quand je répondrai à un ou à deux, il suffira. En premier lieu, il est dit par saint Paul à Timothée, en la première, au 2e chapitre, que Dieu veut que tous hommes soient sauvés. Déjà celui qui a troublé l'église sur cette matière a mis en avant cette même question. En quoi il lui fut suffisamment répondu en une congrégation. Et j'amène cet argument-là pource que c'est le fondement que prend ce brouillon qui a voulu brouiller la doctrine de Dieu en cette église. Voilà, dit-il, Dieu veut que tout homme soit sauvé et vienne à la connaissance de la vérité (dit saint Paul). Si Dieu veut que tous viennent à la connaissance de la vérité, pourquoi est-ce qu'il n'envoie prêcher l'Evangile aux Turcs ? Pourquoi permet-il que le monde soit aveuglé par si grand espace de temps ? Et comme saint Pierre en parle au dixième chapitre des Actes, disant comment a-t-il laissé errer les hommes si longtemps ? Il s'ensuit donc que saint Paul ne parle point de chacun homme, mais de tous états. Ainsi comme il le montre, quand il dit qu'on prie pour les rois, pour les princes et pour ceux qui sont constitués en dignité. On pouvait dire : Et comment prierons-nous pour les ennemis de Dieu ? Or saint Paul dit qu'il ne faut point limiter la grâce de Dieu à notre fantaisie, car Dieu veut que tous états viennent à sa connaissance. Ne voilà donc pas un passage bien allégué à propos pour renverser l'élection de Dieu ? Mais il ne se faut ébahir si tels brouillons ne voient goutte en ce qu'ils pensent être bien subtils et aigus, car le diable leur éblouit les yeux (2 Tim. 2.26).
Et même, ils mettent encore en avant : Oui, mais Dieu n'a-t-il pas dit qu'il ne veut point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive ? (Ezéch. 18.32) c'est-à-dire qu'en se convertissant il vive ; comme si Dieu appelait tout le monde à conversion et repentance. Or, maintenant regardons si la conversion est donnée à tous. Saint Paul déclare au second chapitre de la seconde Epître à Timothée, que ce n'est pas un don commun,. quand il dit : Si possible Dieu leur donne repentance à salut (2 Tim. 2.25). Par cela il signifie que Dieu fait grâce à qui il lui plaît. Touchant la repentance, quand il dit : Que le pécheur se convertisse et qu'il vive, cela s'entend (comme chacun peut voir) de ce que Dieu convie tout le monde à repentance. Ce néanmoins cette promesse-là n'est point générale. Comme aussi les menaces que Dieu a faites aux Ninivites sont sous condition : S'ils se repentent, s'ils viennent à repentance, le mal que j'avais délibéré contre eux ne leur adviendra point. (Jonas 3 ; Jérém. 18.8). Cette menace-là donc était sous condition. Ainsi quand le prophète Ezéchiel dit : je ne veux point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive, c'est comme s'il disait : Dieu m'envoie pour annoncer à chacun la promesse de salut, mais il faut vous convertir. Or ce don de conversion n'est point commun à tous. Ce n'est point à nous de nous pouvoir convertir de notre mauvaise vie, sinon que Dieu nous change et nous purge par son saint Esprit, comme l'Ecriture est toute pleine de cette doctrine. De là s'ensuit que cette promesse n'est point également faite à tous, combien qu'elle s'y adresse. Et ce malheureux-là viendra demander pourquoi ? comme par moquerie, comme s'il n'avait jamais lu un seul mot de l'Ecriture ! Mais tels chiens (Philip. 3.2), sont bien dignes d'une telle impudence quand ils entreprennent de heurter ainsi à l'encontre de Dieu.
Or cependant, on allègue encore : Voire, mais l'Evangile n'est-il pas prêché par tout le monde ? Oui bien, mais regardons si tous ont été illuminés de Dieu pour recevoir cette doctrine. L'Ecriture sainte nous dit le contraire, et saint Paul donne solution de tout cela quand il dit que l'Evangile est la puissance de Dieu en salut à tous croyants (Rom. 1.16). Voilà une promesse qui est certaine, voire à tous croyants. Or regardons maintenant qui sont les croyants ; il nous le montre au 10e des Romains quand il dît que la foi est par ouïr et l'ouïr par la parole de Dieu ; mais, dit-il, tous n'ont point cru et tous n'obéissent point, car Esaïe dit : Qui est-ce qui a cru à notre prédication ? le bras de Dieu, à qui a-t-il été révélé ? Saint Paul voulant amener la raison pourquoi tous ne croient point, dit notamment : Le bras du Seigneur n'est point révélé à tous, c'est-à-dire que Dieu ne déploie point sa vertu envers tous. Et ne voilà pas une sentence par trop manifeste ? Qu'est-ce qu'on pourrait répliquer à l'encontre ? Tous ne croient point. Et la raison ? C'est que Dieu ne déploie point sa vertu envers tous.
Et c'est ce que nous lisons tant souvent en l'Ecriture sainte, comme quand saint Luc dit, au 16e des Actes, que Dieu ouvrit le cœur de cette femme nommée Lydie, marchande de pourpre, que Dieu lui ouvrit le cœur afin qu'elle fût attentive à ce que saint Paul disait. Voilà un don spécial qui est donné à cette femme, quand Dieu parle à elle en son cœur, voire, mais n'avons-nous pas une doctrine générale sur cette matière, telle que saint Luc donne quand il dit : Tous ceux qui étaient ordonnés à salut ont cru ? L'Evangile de sa nature est bien la puissance de Dieu pour sauver tous croyants. Mais de notre malice nous ne pouvons que rejeter l'Evangile, si ce n'est que Dieu nous illumine quand il nous appelle. Comme il dit que tous ont cru, à savoir qui étaient ordonnés à salut (Act. 13.48).
Cependant, apprenons que nous ne pouvons pas nous assurer de notre salut que par la foi. Car si un homme dit : Et que sais-je si je suis sauvé ou damné ? par cela il démontre que jamais il n'a connu que c'est (ce qui en est) de foi ni de l'assurance que nous devons avoir en Dieu par Jésus-Christ. Veux-tu donc bien savoir si tu es élu ? Regarde-toi en Jésus-Christ. Car ceux qui, par foi, communiquent (communient) vraiment en Jésus-Christ se peuvent bien assurer qu'ils appartiennent à. l'élection éternelle de Dieu et qu'ils sont de ses enfants. Quiconque donc se trouve en Jésus-Christ et est membre de son corps par foi, celui-là est assuré de son salut et quand nous le voudrions savoir, il ne faut pas que nous montions là-haut pour nous enquérir de ce qui nous doit à cette heure être caché. Mais voilà Dieu qui s'abaisse à nous il nous montre de quoi en son Fils comme s'il disait : Me voici, contemplez-moi et connaissez comment je vous ai adoptés pour mes enfants. Quand donc nous recevons ce témoignage de salut qui nous est rendu par l'Evangile, de là nous connaissons et sommes assurés que Dieu nous a élus. Et ainsi il ne faut point que les fidèles doutent de leur élection, mais qu'ils aient cela pour tout résolu que, depuis qu'ils sont appelés à la foi par la prédication de l'Evangile, ils sont participants de cette grâce de notre Seigneur Jésus-Christ et de la promesse qu'il leur a faite en son Nom. Car notre Seigneur Jésus-Christ est le fondement de ces deux, c'est à savoir des promesses de salut et de notre élection gratuite qui a été faite dès la création du monde. Et ainsi maintenant nous voyons que tous les passages qu'on pourrait alléguer, sont allégués mal à propos pour pervertir l'élection de Dieu, qu'il faut que cette doctrine-là demeure ferme et certaine.
Nous voyons aussi qu'il nous faut demeurer en crainte et humilité, sans présumer de nous vouloir enquérir de ce que Dieu aurait ordonné devant la création du monde, mais que nous suivions seulement ce qui est dit par les Ecritures saintes et que nous tenions le chemin que nous avons déjà tenu touchant l'élection de Dieu. Cependant nous devons aussi connaître en général que Dieu gouverne par sa providence tellement toutes choses, que sa volonté est comme la source de tout.
Voilà comme nous disons qu'elle est la nécessité de toutes choses. Non pas que par cela il nous faille envelopper Dieu en nos iniquités, ni que nous le puissions faire aussi, mais il faut que nous tenions cette doctrine ici comme elle nous est montrée en l'Ecriture sainte, c'est à savoir que Dieu dispose tellement toutes choses que rien ne se fait de mauvais de son côté, car il est juste ; et quant aux hommes, qu'ils pervertissent et renversent tout bien en iniquité, qu'il faudra aussi que la condamnation de tout le mal qu'ils font, demeure sur leurs têtes. Et comment cela ? Or, il est vrai que cette matière ici serait de longue déduite (exposé), qui la voudrait déchiffrer tout au long, mais nous en dirons un mot seulement.
Voilà Dieu qui a 'sa volonté pour toute raison et cette volonté est tellement conjointe à équité et droiture qu'il ne peut vouloir que tout bien. Il est vrai que les hommes voudront bien avoir leurs plaisirs, leurs appétits ; ils pourront bien assujettir leurs volontés à leurs affections mauvaises et à leurs cupidités, par ainsi tout est perverti et corrompu en eux. Et pourquoi ? A cause que l'homme de soi est sujet à fantaisies méchantes et à débordement, qu'il ne tient nulle mesure, qu'il est rendu tout déréglé, mais en Dieu est tout le contraire. Et pourquoi ? Pour ce que la volonté de Dieu est la règle des règles, la Loi des lois, la justice de toute justice, équité de toute équité, droiture de toute droiture. Bref, c'est la fontaine de tout bien.
Et en cela il nous faut bien condamner la doctrine des papistes, car voilà que disent les théologiens papistiques que Dieu a deux volontés, l'une ordonnée et l'autre absolue. Voilà un blasphème diabolique que celui-là. Quand ils conçoivent une volonté de Dieu autre que celle qui est ordonnée de lui, c'est autant comme s'ils disaient qu'il a une volonté débordée, qu'il ne tient moyen, ni mesure, ni droiture, ni équité en tout ce qu'il fait. Et n'est-ce pas trop blasphémer que d'attribuer cela à Dieu ? Or, au contraire, nous disons que cette volonté de Dieu est ordonnée et tellement ordonnée que c'est la source de toute équité et justice. Cependant, comme j'ai déjà dit, la justice de Dieu ne nous sera point tellement connue que nous voyions la raison pourquoi il fait ceci ou cela, mais tant y a que tout ce qu'il fait a une bonne fin et droite. Exemple : Voilà les guerres qui se font au monde, ce n'est pas sans qu'il s'y commette de grands excès et voire des choses si épouvantables qu'elles nous devraient faire dresser les cheveux en la tête. Qu'ainsi soit, s'il se commet seulement un meurtre, voilà une chose horrible, mais en une guerre il s'en commettra cent mille. Si on pille le bien d'un homme, voilà une cruauté bien grande ; il y aura cent mille maisons pillées et saccagées en temps de guerre. Après s'il se commet des blasphèmes, deux ou trois, on dira : La grand' malheurté ! Et en une guerre il y aura des blasphèmes infinis, voire et si exécrables que c'est horreur seulement d'y penser. Il y aura aussi des paillardises, des ravissements de filles et de femmes et autres choses énormes. Or maintenant si est-ce que les guerres ne se font point sans volonté de Dieu et sans sa disposition.
C'est une chose certaine et la sainte Ecriture est pleine de cette doctrine-là car il est dit que Dieu fait briser les lances, fait cesser la bataille, aussi qu'il assemble les armées, qu'il les fait préparer à la bataille, que les rois et les princes sont comme ses soldats, lesquels il met en œuvre ; qu'il les conduit, voire et qu'il les mène comme par la main ; que ce ne sont que ses dards, ses flèches, ses épées et ses cognées. Voilà ce que l'Ecriture nous en montre.
Et comment est-ce que Dieu fait ces choses ? Y a-t-il iniquité en lui ? Il est bien certain que non. Mais il envoie ses verges au monde et par un juste jugement, il nous, punit comme il lui plaît, et combien que nous ne voyons point encore la raison, si faut-il que nous connaissions que tout ce qu'il fait est juste. Et dont voilà job qui ne s'enquiert point pourquoi Dieu lui avait ôté tout son bien, qu'il l'en avait dépouillé du tout. Il est vrai qu'il dispute fort sur cela et dit que ce n'est point pour ses péchés. Mais tant y a néanmoins qu'il conclut que cela ne lui est point advenu sans la providence de Dieu, que tout le mal qu'il endurait, combien qu'il fût dur à porter, ne laisse point d'être adouci par la patience qu'il en avait. Et de fait, murmure-t-il contre Dieu ? Non, mais il dit : Le Seigneur me l'avait donné, il me l'a ôté, son Nom soit béni ! et ne parle point en hypocrisie, mais en vérité. Apprenons donc que quand Dieu fera les choses, encore qu'aucune raison ne nous apparaisse, néanmoins nous ne laissions point d'adorer son conseil et son jugement et confesser qu'il est juste et équitable ; et si néanmoins nous avons les yeux éblouis et si cette clarté nous est incompréhensible, toutefois Dieu nous déclarera ce qui nous est maintenant inconnu, voire quand il nous aura pleinement conjoints à soi, comme c'est le but auquel il nous appelle.
Je sais bien que j'ai été prolixe, combien que je me sois étudié à la brièveté le plus qu'il m'a été possible, tellement que j'ai coupé le propos pour venir de l'un à l'autre le plus brièvement que j'ai pu. Mais la matière ne se pourrait point déduire de moi tout au long comme elle le mériterait bien et comme il est nécessaire et bien utile qu'elle soit imprimée en nos cœurs. Si j'ai omis beaucoup de choses qui seraient bonnes et utiles à ouïr, quant à la confirmation de cet argument, je prierai les frères auxquels Dieu a fait la grâce d'en dire, qu'ils en disent, à ce que nous soyons tant mieux confermés (affermis) en cette parole que nous avons reçue de Dieu.
Après que M. Jean Calvin eut proposé ce que ci-devant est dit, les autres ministres ont ajouté, chacun selon leur ordre, ce qui s'ensuit.