D’après le très ingénieux et très érudit commentaire sur l’Apocalypse de M. Lowmana, le règne de l’Antéchrist a commencé en 756b, et comme il doit durer 1260 ans il s’achèvera vers 2010. Or si cette objection était légitime, nous devrions comprendre que nos prières spéciales pour la venue imminente du royaume de Dieu ne devraient commencer qu’un peu de temps avant cette date. Est-ce vraiment là la manière usuelle d’agir de Dieu envers son Église ? Comment, si elle devait savoir la date de la venue du Seigneur, pourrait-elle s’écrier : Jusqu’à quand Seigneur ! Comment le prophète Esaïe pourrait-il l’exhorter à dire : O vous qui faites souvenir l’Éternel, ne vous donnez point de repos, et ne lui laissez point de repos, jusqu’à ce qu’il rétablisse Jérusalem et qu’il fasse d’elle la louange de toute la terre ! Avant son départ, le Seigneur n’a-t-il pas dit aux disciples : Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ? Il a laissé un devoir à l’Église de prier en tout temps, pour sa venue ; il a recommandé de l’attendre comme des serviteurs attendent le retour de leur maître, ou comme des vierges la venue de l’époux.
a – Moses Lowman (1680-1752) était un pasteur anglais non conformiste dont les commentaires sur les prophéties bibliques, et notamment les Paraphrases and Notes on the Revelation (1737), ont beaucoup influencé Jonathan Edwards.
b – Cette date correspond à la délivrance par Pépin le bref de Rome, qui était alors sous domination byzantine, et par son don au pape Etienne II d’un territoire qui sera connu ensuite sous l’appellation d’États pontificaux. Evènement important sans doute, mais sans commune mesure avec les bouleversements que laissent attendre les prophéties apocalyptiques. (ThéoTEX)
Je reconnais que l’ouvrage de M. Lowman, l’Exposition sur l’Apocalypse, est excellemment écrit et qu’il apporte une grande lumière, en particulier son interprétation des cinq premières fioles. Toutefois au sujet de la durée du règne de l’Antéchrist, un temps, des temps et la moitié d’un temps, je ne pense pas qu’on puisse la connaître avant d’arriver à la fin. On lit dans Daniel, dans le dernier chapitre de sa prophétie, verset 4 : Et toi, Daniel, serre les paroles et scelle le livre jusqu’au temps de la fin. Puis le prophète rapporte une vision au cours de laquelle un homme demande à un autre : Pour quand le terme de ces choses merveilleuses ? … pour un temps, des temps et une moitié de temps. Mais Daniel ne comprend pas cette parole, et il s’enquiert auprès de l’ange, v. 8 : Mon Seigneur, quelle sera la fin de ces choses ? qui lui répond : Va, Daniel, car ces paroles sont serrées et scellées jusqu’au temps final. Or il n’y a aucun doute que cette vision se rapporte à la même situation dont parle Apocalypse 12.14, lorsque l’Église doit fuir dans le désert pour échapper au dragon. Par conséquent, puisque l’explication de l’énigme doit rester scellée jusqu’à la fin, lorsqu’un théologien prétend avoir trouvé la solution, nous avons bien le droit de penser qu’il s’est trompé.
Quoique je ne me considère nullement comme un spécialiste de l’interprétation des prophéties, j’indiquerai néanmoins ce qui me paraît faux dans la lecture que fait M. Lowman du chapitre 17 de l’Apocalypse (pour autant l’idée de l’éloignement de la chute de l’Antéchrist est préjudiciable à notre projet d’union dans la prière). Contrairement aux autres exégètes, M. Lowman pense que la septième tête de la bête (celle qui doit rester peu de temps) n’est pas l’empereur Constantin mais le gouvernement de Rome sous les princes gothiques. Il place Constantin dans la sixième tête, ainsi que tous les empereurs chrétiens qui l’ont suivi. Mais ceci est impossible ! Constantin a été un grand prince chrétien, qui a mis fin à l’idolâtrie païenne, c’est lui qui a blessé à mort la bête, et Dieu ne peut confondre un membre de son peuple avec ses ennemis. La septième tête ne fait donc pas réellement partie de la bête, ce qui est signifié par la remarque qui la distingue des autres têtes : elle doit rester peu de temps (quant à eux, les princes gothiques ont régné 300 ans) ; la véritable septième tête est en réalité la huitième, l’Antéchrist, qui apparaît bientôt après la mort de Constantin, à savoir le système papal.
[Edwards se trompe évidemment ici, tout autant que Lowman : Apocalypse 17.10 : Ce sont aussi sept rois, les cinq premiers sont tombés, l’un est, l’autre n’est point encore venu ; et quand il sera venu, il ne doit rester que peu de temps. Le roi qui est (la sixième tête) existe au temps où l’apôtre Jean reçoit la vision, il ne peut donc s’agir que du pouvoir de Rome, qui existera encore avec Constantin ; la septième tête, qui n’est point encore venue, est annoncée comme appartenant intégralement à la bête, elle n’a donc pas le sens positif que lui donne Edwards en l’assimilant à Constantin et les empereurs chrétiens subséquents. Puis il oublie la déclaration du verset 8 : La bête que tu as vue a été et n’est plus ; et elle doit monter de l’abîme… ils s’étonneront en voyant la bête, parce qu’elle était, et qu’elle n’est plus, et qu’elle reparaîtra. La huitième tête, celle qui résume la bête, l’Antéchrist final, celle qui doit reparaître, se trouve donc parmi les cinq têtes qui sont déjà tombées, puisqu’elle n’existait plus quand l’ange parle à Jean. Il ne peut donc s’agir du système papal.]
L’Antéchrist n’étant donc pas apparu en 756, comme le croit M. Lowman, mais beaucoup plus tôt, il n’y a plus de base pour affirmer que sa chute finale soit si éloignée. Quoiqu’il en soit, même si Dieu ne nous accordait pas de sitôt cette grande effusion de l’Esprit pour laquelle nous voulons prier, même si la chute de la Babylone mystique ne devait s’achever que dans plusieurs siècles, il ne s’en suit pas que nous n’aurions pas auparavant de merveilleux réveils, bien dignes de motiver nos prières sérieuses, ferventes et constantes.