Expériences douloureuses de Wesley. — Besoin de conversion. — Caractère de cette crise spirituelle. — Ses relations avec Bœhler. — Ses progrès rapides. — Il cherche ardemment la délivrance. — Circonstances au milieu desquelles il la trouve. — Développement de la vie spirituelle chez Wesley. — Phases de cette crise. — Wesley et Luther. — Conversion de Charles Wesley et de Whitefield. — Wesley visite les établissements moraves de l’Allemagne. — Ses relations avec Zinzendorf. — Ses impressions à Herrnhut. — Christian David. — Le Méthodisme et les Moraves.
Les longues semaines que Wesley passa sur le navire qui le ramenait en Angleterre furent particulièrement fructueuses pour lui. Tout en s’occupant, comme à son précédent voyage, des intérêts spirituels des passagers, il fut surtout préoccupé de son propre état. Son journal nous a conservé les confidences douloureuses de cette âme, à laquelle manquait encore la paix qui résulte de la foi simple. « J’ai été en Amérique, écrit-il, pour convertir les Indiens ; mais, oh ! qui me convertira moi-même ? qui me délivrera de mon mauvais cœur incrédule ? Ma religion est une belle religion d’été ; je puis en parler, je puis même y croire, tant que le danger est loin ; mais, dès que la mort me regarde en face, alors mon esprit se trouble. Je ne puis pas dire : La mort m’est un gain. Oh ! qui me délivrera de cette crainte de la mort ! Que ferai-je ? où fuirai-je pour lui échapper ?a »
a – Œuvres, t. I, p. 74.
Il écrit cinq jours plus tard : « Il y a maintenant deux ans et près de quatre mois que j’ai quitté mon pays pour aller enseigner aux Indiens de la Géorgie la nature du christianisme. Mais qu’ai-je appris moi-même durant le même temps ? J’ai appris ce dont je ne me doutais pas : que moi qui travaille à convertir les autres, je n’ai jamais été converti moi-même. J’ai appris que je suis privé de la gloire de Dieu, que mon cœur est complètement corrompu et abominable, et que ma vie l’est aussi, puisqu’un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits. J’ai appris que, privé de la vie de Dieu, je suis un enfant de colère, un héritier de l’enfer. J’ai appris que mes œuvres, mes souffrances, ma justice, loin de me réconcilier avec un Dieu offensé et de servir à expier le moindre de mes péchés (plus nombreux que les cheveux de ma tête), ne sauraient soutenir le regard de la justice divine, à moins d’être elles-mêmes expiées. J’ai appris que, portant écrite sur mon cœur ma sentence de mort, et n’ayant en moi aucune excuse à alléguer, il ne me reste aucune espérance, si ce n’est d’être justifié gratuitement par la rédemption qui est en Jésus ; aucune espérance, si ce n’est qu’en cherchant Christ, je le trouverai, et que je serai trouvé en lui, ayant, non la justice qui me venait de la loi, mais celle qui vient de la foi en Christ, savoir la justice qui vient de Dieu par la foi. (Philip.3.9) »
On le voit par ces extraits, Wesley revenait d’Amérique, abattu et accablé ; il avait enfin appris à se connaître, et c’est avec une éloquence amère qu’il décrit dans son journal cette phase de sa vie spirituelle. Sous ces paroles brèves et mélancoliques, on devine des luttes intérieures d’une intensité douloureuse.
Il est permis cependant de se demander si, dans la phase nouvelle où il entrait, il ne se laissait pas entraîner, par une tendance naturelle à l’esprit humain, à méconnaître les grâces qu’il avait déjà reçues. Nous avons à cet égard son propre témoignage, écrit plus tard, au temps de sa maturité chrétienne. En revoyant pour l’impression les fragments ci-dessus cités de son journal, il sentit le besoin de les annoter. A l’affirmation qu’il n’était pas converti lors de son voyage en Amérique, il ajoute en note : « Je ne suis pas sûr de cela ! » Il corrige l’affirmation qu’il était alors « un enfant de colère et un héritier de l’enfer », par cette note : « Je ne le crois pas ; j’avais alors la foi d’un serviteur et non celle d’un filsb. »
b – Œuvres, t. I, p. 76. On consultera avec fruit sur cette distinction entre la foi d’un serviteur et celle d’un fils le sermon de Wesley sur la Foi, Œuvres, t. VII, p. 199.
Si Wesley crut devoir, par la suite, retoucher comme trop absolus les termes de cette confession écrite par lui à son retour d’Amérique, il ne la rétracta pourtant jamais, et elle demeure comme un jalon élevé au tournant principal de la vie de cet homme. Ce qu’elle annonce et prépare, ce n’est pas la conversion, si l’on entend par là le premier acte par lequel l’âme se donne à Dieu, et c’est bien cependant la conversion, dans le sens évangélique de ce mot. Jamais en effet changement de direction ne fut plus décisif que celui qui résulte de la comparaison de cette effusion d’un cœur humilié et dépouillé de toute prétention, avec l’attitude de l’adepte d’un mysticisme ou d’un ritualisme aussi peu évangéliques l’un que l’autre, tel qu’il s’est montré à nous jusqu’à présent.
A peine débarqué à Deal le 1er février 1738, John Wesley s’achemina vers Londres, où il devait trouver les chrétiens simples et vivants qui allaient lui servir de guides dans la voie nouvelle où il avait résolu de marcher. Les Moraves lui avaient déjà fait beaucoup de bien ; ses préjugés d’homme de la haute Église s’étaient peu à peu ébranlés au contact de cette communauté aux formes ecclésiastiques si primitives ; ses idées religieuses surtout s’étaient considérablement modifiées en approchant de ce christianisme si simplement évangélique. C’était encore l’un d’eux que Dieu appelait à être le Pierre de ce nouveau Corneille.
A Londres, Wesley se mit immédiatement en rapport avec les petites communautés moraves, vers lesquelles il se sentait invinciblement attiré. Un ministre morave, Pierre Bœhler, venait d’y arriver ; il passait quelque temps en Angleterre, en se rendant en Amérique. Par sa piété simple et pratique, comme par sa connaissance de l’Écriture, il était, apte à remplir la mission que Dieu lui confia auprès de Wesley. Leurs relations se nouèrent le 7 février 1738, « jour mémorable dans ma vie, » dit Wesley. A partir de ce jour, il eut de nombreuses entrevues avec ce chrétien distingué, pendant lesquelles il se fit son disciple avec l’humilité d’un petit enfant. Le théologien d’Oxford soumettait ses doutes à son nouvel ami, qui lui répondait en latin (c’était dans cette langue qu’ils conversaient) : « Mi frater, mi frater, excoquenda est ista tua philosophia, Mon frère, mon frère, il faut vous débarrasser de cette philosophie-là. » Il s’en débarrassa si bien qu’il arriva à la conviction qu’il s’était mépris jusqu’alors sur la nature de la véritable foi, en prenant pour elle une adhésion tout intellectuelle aux vérités révélées. Son ami lui fit comprendre que, partout où la foi vivante existe, elle produit la paix de l’âme et la sainteté, et que cette foi elle-même n’est autre chose qu’une « confiance ferme que l’âme place en Dieu, et qui l’assure que ses péchés lui sont pardonnés par les mérites de Christ et qu’elle est réconciliée avec Dieu. » Ces idées étaient nouvelles pour Wesley et soulevaient certaines objections dans son esprit ; mais Bœhler, qui ne demandait pas à être cru sur parole, le renvoyait à l’Écriture. Wesley se mit en effet à étudier avec plus de soin son Nouveau Testament grec, que les mystiques lui avaient un peu fait négliger, et il n’eut pas de peine à y découvrir la confirmation des idées de son ami ; ses objections tombèrent l’une après l’autre en face de déclarations telles que celles-ci : « L’Esprit lui-même rend témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. — Celui qui croit a le témoignage en soi-même. — Celui qui est né de Dieu ne pèche point. » Il hésitait cependant à admettre que la foi peut être une opération subite de Dieu en nous, et que la conversion peut être instantanée ; mais ses doutes à cet égard disparurent par une étude consciencieuse de l’Écriture, et par ses conversations avec des chrétiens moraves qui lui racontèrent comment, en quelques instants, la paix avait succédé dans leur âme au sentiment de la condamnation.
Wesley n’avait possédé jusqu’alors, comme il le reconnaît, que la foi d’un serviteur ; il n’avait pas encore celle de l’enfant. Oppressé par cette conviction, il voulait discontinuer de prêcher ; Bœhler l’en détourna vivement. « Prêchez la foi, lui dit-il, en attendant que vous l’ayez ; vous la prêcherez alors parce que vous l’aurez. » C’est ce qu’il fit à partir de ce moment avec une grande fidélité, non seulement du haut de la chaire, mais dans les relations ordinaires de la vie, dans ses voyages, en voiture, à table d’hôte, partout où une occasion se présentait. A mesure que ses besoins se développaient, il avait aussi senti la nécessité de renoncer, pour son culte particulier, aux formulaires de prières dont il se servait habituellement, et il se mit à prier d’abondance. Dès ce moment aussi, comprenant tous les avantages de la communion fraternelle, il s’associa étroitement à là petite société de FetterLane, à Londres, qui, le 1er mai 1738, s’organisa d’après les règles des frères moraves et sous la direction de Bœhler. Les membres devaient se réunir une fois par semaine « pour se confesser leurs fautes les uns aux autres, selon le commandement de Dieu donné par saint Jacques, et pour prier les uns pour les autres. »
Wesley cherchait maintenant avec ardeur cette délivrance intérieure, dont il comprenait toute l’importance. Voici ce qu’il écrivait à cette époque dans son journal : « J’entends une voix — et n’est-ce pas la voix de Dieu ? — qui me dit : Crois, et tu seras sauvé. Celui qui croit est passé de la mort à la vie. Sauveur des hommes, garde-nous de nous confier en un autre que toi. Tire-nous après toi ! Dépouille-nous de nous-mêmes et remplis-nous de paix et de joie en croyant, et que rien ne nous sépare de ton amour, dans le temps ni dans l’éternitéc. »
c – Œuvres, t. I, p. 97.
« Je me décidai, dit-il encore, à chercher cette grâce sans relâche, en renonçant absolument à toute confiance, totale ou partielle, en mes œuvres ou en ma justice propre, unique fondement, hélas ! de mes espérances jusqu’à ce jour, et en m’appliquant à demander par des prières incessantes la foi justifiante, ce complet abandon de moi-même à la vertu expiatoire du sang de Christ répandu pour moi, cette confiance en lui comme mon Christ, ma justification, ma sanctification, ma rédemption. »
Le jour de la délivrance parut enfin ; laissons Wesley lui-même nous le décrire :
« Le mercredi 24 mai 1738, vers cinq heures du matin, j’ouvris mon Nouveau Testament à ces paroles : Nous avons reçu les grandes et précieuses promesses, afin que, par leur moyen, nous devenions participants de la nature divine. (2Pierre.1.4) Au moment de sortir, je tombai sur ces mots : Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. Dans l’après-midi, on m’invita à aller à la cathédrale de Saint-Paul. L’Antienne était : O Éternel, je t’invoque du fond de l’abîme ; Seigneur, écoute ma voix ! que Les oreilles soient attentives à la voix de mes supplications ! O Éternel, si tu considères les iniquités, Seigneur, qui est-ce qui subsistera ? Mais le pardon se trouve auprès de toi, afin qu’on te craigne. Israël, attends-toi à l’Éternel ; car la miséricorde est avec l’Éternel, et la rédemption se trouve auprès de lui. Et lui-même rachètera Israël de toutes ses iniquités.
Dans la soirée, je me rendis a contre-cœur à une petite réunion dans Aldersgate-street, où j’entendis lire l’introduction de Luther à l’Epître aux Romains. Vers neuf heures moins un quart, en entendant la description qu’il fait du changement que Dieu opère dans le cœur par la foi en Christ, je sentis que mon cœur se réchauffait étrangement. Je sentis que je me confiais en Christ, en Christ seul pour mon salut ; et je reçus l’assurance qu’il avait ôté mes péchés, et qu’il me sauvait de la loi du péché et de la mort.
Je me mis alors à prier de toutes mes forces pour ceux qui m’avaient le plus outragé et persécuté. Puis je rendis témoignage ouvertement, devant les personnes présentes, de ce que j’éprouvais en mon cœur pour la première fois. L’ennemi me suggéra bientôt : Ceci ne peut être la foi ; car où est ta joie ? Mais j’appris bientôt que, si la paix et la victoire sur le péché sont étroitement liées à la foi au Chef de notre salut, il n’en est pas ainsi de ces transports de joie qui l’accompagnent ordinairement, surtout chez ceux qui ont passé par une angoisse profonde, mais que Dieu se réserve de dispenser ou de refuser selon son bon plaisird. »
d – Œuvres, t. I, p. 103.
A partir de ce moment, Wesley eut sans doute des luttes intérieures à soutenir, mais il sut conserver et affermir ce témoignage précieux qu’il avait enfin obtenu. En possession désormais de cette assurance de la foi qu’il avait acquise après des luttes si vives, il allait employer sa vie à la faire partager à d’autres.
Arrêtons-nous un moment pour résumer les phases de cette longue et douloureuse crise spirituelle qui aboutissait enfin chez Wesley à une confiante assurance du salut.
Sa jeunesse avait été pure, et il n’avait jamais renoncé aux habitudes religieuses de son enfance. En 1725, à l’université d’Oxford, il est saisi d’un profond sentiment de ses péchés et soupire après une consécration absolue de son être à Dieu. Ce besoin de sainteté, produit en lui par les lettres de sa mère et les écrits de Kempis et de Taylor, fait bientôt fausse route et s’égare dans les voies du ritualisme et du mysticisme. Ces deux tendances, qui semblent logiquement opposées l’une à l’autre, se sont disputé l’âme de Wesley pendant ces années de douloureuse préparation. Comme le dit très justement le Dr Rigg, « l’élément mystique représentait, dans cette âme droite et ardente, la réaction de la vie intérieure contre une religion tout extérieure. Pendant toute sa vie, Wesley allait unir énergiquement les formes de la piété extérieure et les réalités spirituelles de la vie intérieure. Mais, dans cette période préparatoire, il n’avait pas encore trouvé, dans la justice de la foi, le lien et l’harmonie entre ces nécessités en apparence opposées. De là, à cette époque, l’union chez lui du ritualisme et du mysticisme et ses oscillations de l’un à l’autre. Sans cesser d’être extérieurement le strict et ascétique high-churchman, Wesley, par ses sympathies et ses tendances intérieures, se trouva fortement attiré par ce mélange de contemplation et de passion qui caractérise les meilleurs traités mystiques de dévotion, et il fut souvent lui-même un mystique au fond du cœure. »
e – James H. Rigg. The living Wesley, p. 110.
Une fois amené à la foi évangélique par les Moraves, Wesley posséda le véritable équilibre spirituel qui lui avait manqué jusqu’alors. Il faut remonter à Luther pour trouver une transformation aussi profonde que celle qui s’accomplit alors en lui. Et cette ressemblance a frappé avant nous un théologien allemand, M. C. Schœll. « Nous trouvons, dit-il, chez Wesley la même lutte intérieure, le même passage des œuvres de la loi à la grâce que chez Luther. Et cette émancipation à l’égard de la loi, cette délivrance de l’âme luttant pour avoir l’assurance du salut et la joie de la foi, tout cela n’est pas le produit de l’illusion ou d’un enthousiasme fanatique, comme on l’a souvent reproché à Wesley. C’est l’épanouissement du bourgeon longtemps fermé qui rompt enfin son enveloppe. L’âme, affranchie du joug de la loi et du péché, est désormais en possession de l’assurance du salut et de la joie de la foi ; car, comme dit Luther, là où il y a le pardon des péchés, là se trouvent la vie et le bonheurf. »
f – Article Methodismus, dans la Real-Encyclopædie, t. IX.
Ce même parallèle entre l’expérience de Luther et celle de Wesley est indiqué avec une grande justesse par le Dr Stoughton : « La comparaison entre Wesley et Luther, dit-il, est très instructive. Dans les deux cas, nous trouvons qu’une période prolongée de leur vie est marquée par des confessions qui, pour des personnes qui ne sont pas en parfaite sympathie spirituelle avec de tels hommes, indiquent des modifications et des progrès en apparence incohérents et extrêmement embarrassants. Toutefois il existe une différence fondamentale dans le caractère de ces deux esprits. Luther a l’esprit éminemment intuitif, regardant, avec la fixité du regard de l’aigle, la vérité partout où elle se lève devant lui ; Wesley a un esprit éminemment logique, qui arrive à ses conclusions par voie d’argumentation. Il en résulte que la théologie de Luther a jailli de son expérience, de ses besoins profondément sentis et pleinement satisfaits, tandis que l’expérience de Wesley a jailli de sa théologie. D’abord convaincu de certaines vérités, il les appliqua ensuite. Il apprit la doctrine de la justification par la foi avant d’exercer la foi qui le mit dans un état de justificationg. »
g – Stoughton, Religion in England under Queen Ann and the Georges, t. I, p. 374.
Charles Wesley était arrivé au même but que son frère par un chemin semblable. Trois jours plus tôt, il avait trouvé au pied de la croix l’assurance de son pardon. George Whitefield, leur ancien ami d’Oxford, les avait précédés dans cette voie ; il était devenu un homme nouveau, pendant qu’ils étaient en Géorgie, occupés à poursuivre le salut par leurs propres efforts. Ainsi se trouvaient préparés providentiellement, pour leur sainte œuvre, les trois principaux ouvriers du réveil qui allait ébranler l’Angleterre.
Wesley était immensément redevable aux Moraves, qui l’avaient mis sur la voie d’un christianisme tout autrement vivant et efficace que celui qu’il connaissait. Il aimait d’une affection filiale cette Église qui, mieux qu’aucune autre, lui paraissait avoir compris le caractère vital et pratique de la doctrine chrétienne. Au point décisif où il était parvenu dans sa vie spirituelle, il pensa que le moment propice était arrivé pour lui de réaliser un projet qu’il avait formé en Géorgie, celui de visiter le siège de cette communauté chrétienne, afin de la mieux connaître. Il partit donc, accompagné de quelques amis, pour ce voyage, qui avait pour lui le caractère d’un pèlerinage religieux et d’un acte de piété filiale.
A Ysselstein, près de Rotterdam, il trouva déjà une petite colonie de Moraves, établie sur les terres de la princesse douairière d’Orange, et il passa quelques heures agréables sous le toit du pieux baron de Watteville. A Marienborn, près de Francfort, il rencontra Zinzendorf, qu’il désirait connaître depuis longtemps. Ses rapports avec ce chrétien éminent lui furent utiles et agréables. « J’ai rencontré ce que je cherchais, écrivait-il, des preuves vivantes de la puissance de la foi, des personnes délivrées du péché intérieur et extérieur, par l’amour de Dieu répandu dans leurs cœurs, et affranchies des doutes et des craintes par le témoignage intérieur du Saint-Esprith. »
h – Œuvres, t. I, p. 110.
Après avoir passé une dizaine de jours dans la petite colonie de Marienborn, Wesley reprit sa route vers Herrnhut, siège de la communauté principale des Moraves. Il traversa à pied une partie de l’Allemagne et arriva enfin, le 1er août 1738, à ce village célèbre, situé sur les frontières de la Bohême et qui occupe une place plus grande dans l’histoire de l’Église que beaucoup de cités fameuses. Il vit là à l’œuvre un christianisme notablement différent de ce type anglican, qu’il avait seul connu de près jusqu’alors. Attaché déjà par une filiation spirituelle à l’Église morave, il l’étudia de près avec une sympathie fort vive, qui put même nuire sur le moment à l’indépendance de ses jugements, en lui faisant fermer les yeux sur certains côtés fâcheux de cette organisation trop cénobitique. « Dieu m’a accordé à la fin le désir de mon cœur, écrit-il à son frère Samuel. Je suis avec une Église dont la bourgeoisie est dans les cieux, qui possède l’esprit qui était en Christ et qui marche comme il a marché lui-même. Tous les membres n’ont qu’un même Seigneur et une même foi ; aussi participent-ils tous au même Esprit, l’esprit de douceur et d’amour, qui anime uniformément et continuellement toute leur conduite. Oh ! quelle chose élevée et sainte est le christianisme ! et combien un tel christianisme diffère de celui qui usurpe ordinairement ce nom, bien à tort sans doute, puisqu’il ne purifie pas le cœur et ne renouvelle pas la vie à l’image de notre Rédempteuri. »
i – Œuvres, t. XIII, p. 31.
Wesley, par ses entretiens avec les Moraves, se confirma dans la notion de la foi justifiante qu’il avait apprise de Bœhler. Le spectacle de cette Église, vivant de cette doctrine trop oubliée en Angleterre, le convainquit de son efficacité. Peu d’hommes lui furent plus utiles à cet égard que le pieux Christian David, à la fois artisan et pasteur, qui de ses mains avait construit les premières maisons de Herrnhut et dont la prédication et l’exemple avaient largement contribué à l’édification spirituelle de la colonie naissante. Ses entretiens et ses discours achevèrent de porter la lumière dans l’âme de Wesley. Ses relations avec de pareils chrétiens, au début de la vie nouvelle qui datait pour lui de sa conversion, devaient avoir le plus heureux effet sur son développement religieux et sur son utilité pastorale. Il apprenait d’eux ce que peut la foi vivante, et comment elle produit dans l’âme un ardent amour pour le Sauveur et pour les chrétiens et un renoncement absolu au monde et à soi-même.
Ce qui le frappa surtout à Herrnhut, ce fut cette réalisation d’une société toute pénétrée de l’esprit chrétien. Tout n’était pas sans doute également recommandable dans cette tentative, mais que de choses dignes d’éloges ! « J’aurais bien voulu y passer ma vie, disait-il, mais mon Maître m’appelait dans d’autres parties de sa vigne, et je dus quitter cet heureux pays. » Il partit à regret, emportant de ce pèlerinage des leçons et des souvenirs qui devaient lui être utiles. Cette cité de Dieu qu’il avait vue au fond de l’Allemagne, il allait essayer de la reproduire en Angleterre, en tenant compte des différences notables de caractère qui existent entre les deux peuples.
« Le méthodisme, dit un historien, a contracté de grandes obligations envers les Moraves. Ce sont eux, d’abord, qui ont introduit Wesley dans cette vie spirituelle régénérée, dont le méthodisme a eu pour mission spéciale d’affirmer la suprématie sur toutes les questions dogmatiques ou ecclésiastiques. C’est chez eux, en second lieu, que Wesley puisa quelques-unes de ses conceptions les plus claires des points de doctrine qu’il prêcha ensuite comme essentiels à la vie spirituelle. Troisièmement, Wesley emprunta à Zinzendorf le plan ecclésiastique qu’il avait lui-même emprunté à Spener, et qui consistait à travailler à la réformation des Églises nationales, en fondant dans leur sein de petites Églises (ecclesiolæ) qui pouvaient seules ramener et maintenir la vie en elles. Cette influence du système morave, évidente dans ce trait de l’organisation méthodiste, l’est encore dans plusieurs de ses détailsj. »
j – Stevens, History of Methodism, New-York, 1808, t. I, p. 108.