L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
6 Des affections désordonnées
Quand l’homme avec ardeur souhaite quelque chose, Quand son peu de vertu n’oppose Ni règle à ses désirs ni modération, Il tombe dans le trouble et dans l’inquiétude Avec la même promptitude Qu’il défère à sa passion.
L’avare et le superbe incessamment se gênent, Et leurs propres vœux les entraînent Loin du repos heureux qu’ils ne goûtent jamais ; Mais les pauvres d’esprit, les humbles en jouissent, Et leurs âmes s’épanouissent Dans l’abondance de la paix.
Qui n’est point tout à fait dégagé de soi-même, Qui se regarde encore et s’aime, Voit peu d’occasions sans en être tenté ; Les objets les plus vils surmontent sa faiblesse Et le moindre assaut qui le presse L’atterre avec facilité.
Ces dévots à demi, sur qui la chair plus forte Domine encore en quelque sorte Penchent à tous moments vers ses mortels appas, Et n’ont jamais une âme assez haute, assez pure, Pour faire une entière rupture Avec les douceurs d’ici-bas.
Non, ces hommes charnels, dont les cœurs s’abandonnent A tout ce que les sens ordonnent, Ne possèdent jamais un bien si précieux ; Mais les spirituels, en qui l’âme fervente Rend la grâce toute puissante, Le reçoivent toujours des cieux.
Oui, qui de cette chair à demi se détache, Se chagrine quand il s’arrache Aux plaisirs dont l’image éveille son désir ; Et, faisant à regret un effort qui l’attriste, Il s’indigne quand on résiste A ce qu’il lui plaît de choisir.
Que si, lâchant la bride à sa concupiscence, Il emporte la jouissance Où l’a fait aspirer ce désir déréglé, Soudain le vif remords qui le met à la gêne Redouble d’autant plus sa peine Que plus il s’était aveuglé.
Il recouvre la vue au milieu de sa joie, Mais seulement afin qu’il voie Comme ses propres sens se font ses ennemis, Et que la passion, qu’il a prise pour guide, Ne fait point le repos solide Qu’en vain il s’en était promis.
C’est donc en résistant à ces tyrans de l’âme Qu’une sainte et divine flamme Nous donne cette paix que suit un vrai bonheur : Et qui sous leur empire asservit son courage, Dans quelques délices qu’il nage, Jamais ne la trouve en son cœur.