Eusèbe : à Paulin son Seigneur : Salut en notre Seigneur.
« NOUS n'avons pas ignoré combien le Seigneur Eusèbe a témoigné de zèle pour la défense de la vérité, ni de quelle manière vous êtes demeuré dans le silence. Si son zèle nous a donné de la joie, votre silence nous a causé de la tristesse, parce que nous n'avons pu regarder le silence d'un aussi grand homme que vous, que comme la perte de notre cause. C'est pourquoi comme vous savez que c'est une chose indigne d'un homme sage d'être dans un autre sentiment que les autres, et de taire la vérité, je vous exhorte autant que je puis, à exciter en vous-même l'esprit d'intelligence, et à écrire des choses qui seront utiles, et à vous, et à vos lecteurs, principalement, si vous suivez le sens et l'intention de l'Écriture sainte. Nous n'avons jamais ouï parler de deux êtres non engendrés, ni d'un divisé en deux, et nous n'avons jamais ni appris, ni cru qu'il eût souffert quelque chose de corporel, mais qu'il y a un non engendré, et un autre qui procède véritablement de lui, qui n'est point fait de sa substance, et ne participe en aucune sorte à sa nature, mais est tout-à-fait différent en nature, et en puissance, et est fait néanmoins à la ressemblance de la nature, et de la puissance de son Auteur. Nous croyons non seulement qu'il ne peut être exprimé par aucun langage, mais encore qu'il ne peut être compris, ni par l'esprit de l'homme, ni par aucun autre esprit d'un ordre plus élevé. Nous disons ceci, non après l'avoir inventé de nous-mêmes, mais après l'avoir appris de la sainte Écriture. Nous avons appris de la bouche du Seigneur : qu'il est créé, fondé et engendré dans la souffrance et dans l'immuable et ineffable nature, et ressemblance, qu'il a avec son Auteur, lorsqu'il dit : Dieu m'a créé dans le commencement de ses voies, il m'a fondé avant les siècles, et m'a engendré avant les collines. Que s'il était de lui, et sorti de lui comme une de ses parties, comme par un écoulement de subsistance, on ne dirait plus qu'il serait créé ni fondé. Certainement vous n'ignorez pas ce que je dis. Car ce qui procède de ce qui n'est point engendré ne peut être créé ni fondé, ni par celui-là, ni par un autre ; puisqu'il n'a été engendré que d'une génération éternelle. Mais si l'on veut croire qu'il est né de la substance du Père, parce qu'il est dit qu'il a été engendré, nous savons que ce n'est pas de lui seul que l'Écriture dit qu'il a été engendré, mais qu'elle le dit aussi des autres qui sont d'une nature toute différente de la sienne. Car elle dit en parlant des hommes, J'ai engendré des enfants, et je les ai élevés, et ils m'ont méprisé : Et dans un autre endroit : Vous avez abandonné Dieu qui vous a engendré. En parlant des autres créatures, elle dit aussi : Qui est-ce qui a engendré les gouttes de la rosée ? Ce n'est pas à dire que la nature de la rosée soit une partie de la nature Divine. C'est-à-dire seulement que rien n'a été produit que par sa volonté. Il n'y a aucune créature qui soit de sa substance, bien qu'il n'y en ait aucune qui n'ait été faite par sa volonté, et qui n'existe de la manière qu'elle a été faite. Mais pour les créatures, elles ont été faites à sa ressemblance, et selon sa volonté par le Verbe. Toutes choses ont été faites par le Verbe, mais c'est Dieu qui les a faites. Quand vous aurez lu ma Lettre, et que vous l'aurez polie selon la lumière et la grâce que vous avez reçue de Dieu, je vous supplie d'écrire le plus promptement qu'il vous sera possible, à Alexandre mon Seigneur. Si vous prenez cette peine, je ne doute point que vous ne lui persuadiez ce qu'il vous plaira. Saluez tous nos frères en notre Seigneur. Que la grâce de Dieu vous conserve en santé, et qu'elle vous fasse prier pour nous. »
Voilà comment ils s'écrivaient pour s'instruire mutuellement des moyens d'attaquer la vérité. Lorsque la semence de ces blasphèmes eût été répandue dans les Églises d'Orient, il s'émut dans chaque Ville et dans chaque Bourg des contestations et des disputes touchant la nature de Dieu. Le peuple fut spectateur de ce qui fut fait, et juge de ce qui fut avancé de part et d'autre. Les uns louaient un parti, et les autres l'autre. C'était un spectacle tout-à-fait tragique, et digne de larmes. Car l'Église n'était pas attaquée comme autrefois par des étrangers. Elle l'était par ses enfants, qui étaient assis à la même table, qui ne composaient qu'un corps, et qui s'armaient cependant les uns contre les autres, et se battaient avec leurs langues, comme avec des traits.