On ne peut aborder le sujet du développement religieux et de la conversion de Calvin sans rencontrer de grandes difficultés. Ce n’est pas que le résultat final soit le moins du monde obscur. Aucun des chefs du mouvement réformateur n’a un caractère spirituel plus clairement défini que celui de Calvin dans son âge mûr. Mais il est extrêmement difficile de suivre en détail les étapes qu’il parcourut depuis l’époque où, jeune étudiant, il vivait du bénéfice d’une fondation ecclésiastique catholique romaine et faisait nominalement partie du clergé sans avoir toutefois reçu les ordres, jusqu’au moment où il devint l’un des chefs du protestantisme. En effet, Calvin s’est toujours montré très réservé pour tout ce qui touchait, à ses expériences intimes ; et d’autre part ses premiers biographes, sans préméditation aucune, mais d’une façon qui n’en a pas moins été très efficace, ont travesti les faits des débuts de sa vie religieuse ; enfin on subit le contre-coup des interprétations variées que les historiens modernes ont données des rares indications que l’on possède sur son développement spirituel. Ceux-mêmes qui récemment ont traité le sujet ne sont pas d’accord sur ce qui doit s’entendre par la « conversion » de Calvin. S’agit-il simplement du fait qu’il adopta la manière de voir spécifiquement protestante ? ou bien ne peut-on donner ce nom qu’à un acte impliquant résolument la séparation d’avec la communion catholique romaine ? La date à assigner à cet événement capital dans la vie religieuse de Calvin dépend en grande partie de la réponse donnée à la question.
Le récit le plus précis que Calvin nous ait laissé de son développement spirituel a été écrit alors qu’il avait atteint l’âge mûr, et cela sous une forme occasionnelle, dans la préface de son beau « Commentaire sur les Psaumes », publié en latin en 1557 et en français l’année suivante, près d’un quart de siècle par conséquent après les expériences qu’il relate. Les luttes des auteurs des Psaumes et surtout de David lui rappellent ses propres combats et l’amènent à comparer ses épreuves avec celles du roi-poètea.
a – Opera, xxxi, 21-24. Les deux versions, latine et française, sont données parallèlement. On les attribue toutes deux à la plume de Calvin. Je cite le texte français.
« Vray est que ma condition est beaucoup moindre et plus basse, et n’est pas besoin que je m’arreste à le monstrer ; mais comme il fut prins d’après les bestes, et eslevé au souverain degré de dignité royale, ainsi Dieu de mes petits et bas commencemens m’a avancé jusqu’à m’appeler à ceste charge tant honorable de ministre et prescheur de l’Évangile. Dès que j’estoye jeune enfant, mon père m’avoit destiné à la Théologie : mais puis après, d’autant qu’il considéroit que la science des loix communément enrichit ceux qui la suyvent, ceste espérance luy feit incontinent changer d’avis. Ainsi cela fut cause qu’on me retira de l’estude de Philosophie, et que je fus mis à apprendre les Loix : ausquelles combien que je m’efforçasse de m’employer fidèlement, pour obéir à mon père, Dieu toutesfois par sa providence secrète me feit finalement tourner bride d’un autre costé.
Et premièrement, comme ainsi soit que je fusse si obstinément addonné aux superstitions de la Papauté qu’il estoit bien mal-aisé qu’on me peust tirer de ce bourbier si profond, par une conversion subite il domta et rangea à docilité mon cœur, lequel, en esgard à l’aage, estoit par trop endurci en telles choses. Ayant donc receu quelque goust et cognoissance de la vraye piété, je fus incontinent enflammé d’un si grand désir de proufiter, qu’encore que je ne quitasse pas du tout les autres éstudes, je m’y employoye toutesfois plus laschement. Or je fus tout esbahi que devant que l’an passast, tous ceux qui avoyent quelque désir de la pure doctrine, se rangeoyent à moy pour apprendre, combien que je ne feisse quasi que commencer moy-mesme. De mon costé, d’autant qu’estant d’un naturel un peu sauvage et honteux, j’ai toujours aimé requoy et tranquillité, je commençay à chercher quelque cachete et moyen de me retirer des gens : mais tant s’en faut que je veinsse à bout de mon désir, qu’au contraire toutes retraittes et lieux à l’escart m’estoyent comme escholes publiques. Brief, cependant que j’avoye tousjours ce but de vivre en privé sans estre cognu, Dieu m’a tellement proumené et fait tournoyer par divers changemens, que toutesfois il ne m’a jamais laissé de repos en lieu quelconque jusques à ce que maugré mon naturel, il m’a produit en lumière, et fait venir en jeu, comme on dit. Et de faict, laissant le pays de France je m’en veins en Allemaigne de propos délibéré, afin que là je peusse vivre à requoy en quelque coin incognu comme j’avoye tousjours désiré. »
Certains passages de la « Réponse à Jacques Sadolet », que Calvin publia en 1539, renferment aussi quelques indications, mais d’un caractère biographique moins défini. Le cardinal avait représenté un catholique et un protestant rendant compte de leurs principes religieux et de leur conduite à la barre du jugement de Dieu, et le résultat était habituellement tout au détriment du réformé. Calvin, dans sa brillante réplique, se sert de la même image et met dans la bouche d’un ministre protestant et d’un homme du peuple d’entre ses ouailles une défense fort habile des principes protestants. Cette apologie est écrite avec un talent littéraire achevé et ne peut être considérée comme ayant un caractère purement autobiographique ; néanmoins elle est empreinte d’un sérieux spirituel et d’une vraisemblance si grands que l’on y discerne, dans une large mesure, la description des expériences religieuses faites par l’auteur en personne.
Appelé à répondre devant Dieu, le ministre parle ainsi :
« Ils m’ont accusé de deux crimes tresgriefz scavoir est, d’hérésie, et de scisme. Mais ilz reputent hérésie, que j’ay osé contredire aux constitutions receuës entre eux. Qu’eussé-je faict ? J’oyoye de ta bouche qu’il n’est point d’autre lumière de vérité, pour conduyre noz ames en la voye de vie, que celle qui estoit allumée de ta parolle. J’oyoye tout ce estre vanité, que l’humain esprit inventoit de soymesmes, quant à ta majesté, vénération de ton Nom et mystère de la religion. Je cognoissoye que, si les doctrines inventées en la cervelle des hommes, estoient semées en l’Église au lieu de ta parolle : ce estre une trop sacrilège outrecuydance. Et certainement, quand je tournoye mon regard vers les hommes : toutes choses m’y apparoissoient contraires. Ceux qui estoient receuz pour superintendans de la foy, ne ilz n’entendoient ta parolle, ne ilz ne s’en soucioyent pas beaucoup. … Ilz s’estoient forgez plusieurs inutiles sottises, pour t’avoir propice et favorable : esquelles ilz se complaisoient tant, qu’ilz en mesprisoient quasi la reigle de la vraye Justice, que tu nous a commandée par ta loy. Et avoient les traditions humaines tant obtenu de puissance, que si du tout elles n’avoient osté la fiance qu’on a à tes commandemens : pour le moins elles avoient diminué grandement leur authorité. Mais ô Seigneur, tu m’as illuminé par la clarté de ton Esprit, pour y penser : tu as mis devant moy ta parolle, comme une torche, pour me donner à congnoistre combien ces choses sont meschantes et pernicieuses : finablement tu as touché mon cœur, affin que justement et à bon droit je les eusse en abomination. »
La justification solennelle mise par Calvin dans la bouche du laïque porte moins de traces des luttes personnelles de l’auteur. Certains indices, surtout pour ce qui touche à la Bible, reflètent plutôt l’expérience d’un homme du commun peuple que celle qu’on attribuerait à un étudiant de Paris ou d’Orléans. Mais les paroles suivantes sont bien celles qu’on s’attendait trouver dans la bouche d’un homme comme Calvin, juridiquement formé, aimant l’ordre et s’appuyant sur les faits dûment constatés.
« Et comme j’eusse accomply toutes ces choses tellement quellement, encores que je m’y confiasse quelque peu : si estoye je toutefois bien eslongné d’une certaine tranquillité de conscience. Car toutes fois et quantes que je descendoye en moy, ou que j’eslevoye le cœur à toy, une si extrême horreur me surprenoit qu’il n’estoit, ny purifications, ny satisfactions qui m’en pussent aucunement guérir. Et tant plus je me considéroye de près, de tant plus aigres esguillons estoit ma conscience pressée : tellement qu’il ne me demouroit autre soulas ny confort, sinon de me tromper moymesmes en m’oubliant. Mais pource que rien ne s’offroit de meilleur, je poursuyvoie tousjours le train que j’avoye commencé : quand cependant il s’est eslevé une bien autre forme de doctrine : non pas pour nous destourner de la profession Chrestienne : mais pour la réduyre elle mesmes en sa propre source, et pour la restituer comme émundée de toute ordure, en sa pureté. Mais moy offensé de ceste nouveauté, à grand-peine ay je voulu prester l’aureille : et si confesse que au commencement je y ay vaillamment et courageusement résisté. Car (comme les hommes sont naturellement obstinez et opiniastres à maintenir l’institution qu’ilz ont une fois receuë), il me faschoit bien de confesser que toute ma vie j’eusse esté nourry en erreur et ignorance. Et mesmement une chose y avoit, qui me gardoit de croire ces gens là : c’estoit la Révérence de l’Église. Mais après que j’euz ouvert quelque fois les aureilles, et souffert d’estre enseigné : je congneux bien que telle crainte, que la majesté de l’Église ne fust diminuée, estoit vaine et superflue. Car ilz monstroient qu’il y avoit bien grande différence, entre, se departir et abandonner l’Église, et, se travailler à corriger les vices, dont l’Église mesmes est souillée et contaminée. »
Dans le passage suivant de la « Seconde réponse à Westphal », publiée en 1556, bien des années après l’expérience à laquelle il est fait allusion, nous pouvons trouver une indication de la manière dont Calvin fut initié aux discussions entre protestants et d’une des difficultés qu’il éprouva à admettre les revendications du protestantisme :
« Lorsqu’en effet, commençant à sortir des ténèbres de la papauté, ayant acquis un léger goût de la saine doctrine, je lisais que Luther ne voyait dans la doctrine des sacrements d’Œcolampade et Zwingli que de purs et vides symboles, je confesse que je fus si hostile à leurs livres que pendant longtemps je m’abstins de les lire. Ensuite, avant que j’entreprisse d’écrire, ils avaient atténué en quelque sorte leur première véhémence, grâce au Colloque de Marbourg, de sorte que l’épais brouillard était un peu dissipé, bien qu’il n’y eût pas encore une entière clarté. »
Il semble ressortir de là que déjà avant le colloque de Marbourg, c’est-à-dire avant octobre 1529, Calvin avait dû lire l’une des dissertations de Luther sur la sainte cène.
On peut déduire certaines conclusions des affirmations positives de Calvin au sujet de ses expériences religieuses. Il est évident qu’il considérait sa conversion comme l’œuvre directe de Dieu. Il sentait que rien, sauf la puissance divine, n’aurait pu opérer en lui la transformation qu’il constatait. Elle s’était effectuée par une intervention souveraine de Dieu. Il n’y avait et ne pouvait rien y avoir entre son âme et Dieu. Il est tout aussi clair que le changement produit dans l’attitude fondamentale de son esprit, par un pouvoir en dehors de lui, avait été, dans sa conviction, « soudain ». La modification survenue dans sa manière de voir avait été aussi imprévue que surnaturelle. Impossible également de mettre en doute que, l’année suivante, Calvin était devenu un chef dans les cercles évangéliques, ou tout au moins dans ceux de la réforme humaniste, où il se mouvait. Cette publicité, quelle que fût son étendue, lui déplaisait, et il aurait préféré une paisible activité littéraire ; mais ce même pouvoir divin qui avait opéré en lui la transformation initiale l’obligea ensuite à se mettre en avant et à prendre la direction des esprits.
Si l’on peut ajouter à ces détails positifs tirés de la préface de son « Commentaire sur les Psaumes » les inductions, plus douteuses au point de vue autobiographique, de la Réponse à Sadolet, il est clair que cette « conversion soudaine » eut comme facteur important — sans doute comme expérience centrale — l’acceptation des Écritures, et des Écritures seules, comme la voix authentique de Dieu. Dieu parle, il n’y a qu’à écouter. Et pour Calvin cette parole divine a pour organe la Bible et non pas l’Église, bien que plus tard, dans sa théologie plus avancée, Calvin insiste sur le témoignage intérieur de l’Esprit. Cette inébranlable conviction de la divine autorité des Écritures qui caractérise la Réforme en général, et celle de Calvin plus positivement que celle d’aucun autre réformateur, est la conséquence logique du retour aux sources, principe fondamental de la Renaissance.
Cette manière de voir n’avait été que vaguement comprise par la plupart de ceux qui avaient tenté d’améliorer les conditions religieuses de la France ; pour Calvin elle fut fondamentale. Et cependant il est très probable que son esprit méthodique, avant d’admettre que dans les Écritures seules se trouve finalement la vérité divine, a dû lutter contre le « respect pour l’Église » et le sentiment de l’intangibilité des idées courantes sur les sacrements, héritage de la race dont il était issu. Sa nature de légiste avait besoin d’un document sur lequel baser ses déductions. Cette autorité devait être tangible et objective : il trouvait tout cela dans les Écritures. Mais avant de refuser à l’Église romaine la fonction d’interprète autorisé, ou de rejeter la longue série de ses définitions dogmatiques, il dut passer par une crise dont l’issue lui apparut comme l’intervention d’une puissance qui n’était autre que celle de Dieu lui-même. Il est légitime aussi de déduire de sa Réponse à Sadolet que le sentiment de la coulpe et de l’insuffisance des théories médiévales concernant le salut le conduisirent à accepter joyeusement la délivrance de ce fardeau, grâce à la justification par la foi seule ; ce fut là une partie intégrante de l’expérience que Calvin intitule sa « conversion ». Partiellement, au moins, ce chemin est analogue à celui qu’a suivi Luther : il serait cependant peut-être encore plus exact de le comparer à celui que suivit saint Augustin.
Des questions bien importantes restent cependant encore sans réponse, bien que les principaux traits du développement religieux de Calvin nous apparaissent avec une clarté au moins approximative, grâce à ses propres récits. Quand et où eut lieu la grande transformation ? Quels en furent les instruments humains ; s’il y en eut ? Fut-ce une révolution dans tout l’homme spirituel, conduisant à une action immédiate ? Etait-ce plutôt une énergie soudaine, inspirée à une volonté qui jusqu’alors en avait trop manqué pour mettre en pratique des convictions depuis longtemps admises comme des vérités intellectuelles ? Des savants compétents ont donné et continuent à donner des réponses variées à ces diverses questions.
Au dire de ses deux amis Bèze et Colladon, qui sont en même temps ses plus anciens biographes, c’est sous l’influence de son parent Pierre Robert Olivétan que Calvin fut amené au protestantisme. Dès 1528, il se serait décidé, à Orléans, à entreprendre les études de droit plutôt que de théologie, parce qu’à cette époque déjà l’œuvre de sa conversion aurait été avancée. Influencé par Olivétan, il aurait commencé à étudier les Écritures et renoncé, en partie au moins, au culte de l’Église romaine. C’est à l’âge de dix-neuf ans que, d’après ces biographes, Calvin aurait agi de la sorte. A Orléans il aurait continué avec ardeur à étudier la Bible et serait devenu le chef de ceux qui désiraient des réformes religieuses. Tandis qu’il résidait à Bourges il aurait prêché à Lignières, et quand il vint à Paris, où il écrivit le « de Clementia », il serait entré en relation avec toutes les personnes qui y travaillaient à la Réforme. On cite comme exemple de son activité réformatrice son intimité avec Nicolas Cop et avec le marchand parisien Etienne de la Forge, au noble caractère et aux convictions évangéliques, qui scella sa foi par le martyre en 1535.
L’historien catholique Florimond de Ræmond donne une interprétation différente de ces débuts de Calvin dans le protestantisme. Désireux de trouver en Allemagne plutôt que dans sa patrie la source de l’« hérésie » de Calvin, il l’attribue à Melchior Wolmar, à Bourges. Parmi les historiens modernes, Henry professe l’opinion arrêtée que Wolmar fut l’instrument principal de la conversion de Calvin. On peut du reste combiner aisément les données de Bèze avec celles de Ræmond : c’est ce que font Merle d’Aubigné et plusieurs autres historiens, d’après lesquels Olivétan aurait commencé et Wolmar parachevé le développement évangélique du réformateur.
Au cours du dernier tiers du xixe siècle et surtout pendant les vingt dernières années, les dires de Calvin ont été soumis à un examen très attentif, ainsi que les affirmations de ses premiers biographes et les inductions qu’on peut tirer de ses lettres et de son « Commentaire sur Sénèque ». Cependant les conclusions auxquelles ce travail critique a abouti présentent une grande variété.
En 1869, l’écrivain allemand vieux-catholique F.-W. Kampschulte écrivait que « l’opinion traditionnelle » lui paraissait « tout à fait erronée », opinion d’après laquelle « Calvin aurait été gagné à la Réforme pendant ses années d’université et se serait même occupé avec succès de propager et de défendre ses nouvelles croyances ». Les lettres que nous avons prouvent le contraire, selon Kampschulte qui conclut ainsi :
« Il est vrai que depuis un certain temps déjà, Calvin se trouvait vis-à-vis de la question religieuse, dans un état de doute et d’hésitation. Son attachement primitif à la religion de ses pères avait été ébranlé par les impressions reçues pendant son séjour à l’université comme par ses études théologiques. Il n’avait plus la paix : il ne trouvait plus de satisfaction complète dans les formes et les moyens de grâce de l’Église catholique. Les expériences de sa famille n’étaient pas destinées à l’affermir dans la foi de l’Église. Son père mourut excommunié ; Charles, son frère aîné, bien qu’il fût prêtre, eut des conflits avec les autorités ecclésiastiques, et encourut les censures de l’Église. Robert Olivétan, un de ses plus proches parents, était complètement acquis aux idées nouvelles et s’efforça, dit-on, de bonne heure, de l’y gagner. Il devait être difficile de résister longtemps à tant de sollicitations… Il y avait déjà dans la capitale, et ailleurs, de véritables congrégations de croyants évangéliques, qui avaient complètement rompu avec les traditions de l’Église et étaient prêts à donner leurs biens et leurs vies pour leurs nouvelles convictions religieuses. Calvin entra à Paris en relations étroites avec certains d’entre eux, notamment avec un marchand nommé de la Forge, homme riche et considéré, dont il parle plus tard avec éloge dans ses ouvrages. Aurait-il moins de courage que ces hommes et persisterait-il dans son dessein de mener une vie tranquille ? C’était impossible, à moins d’agir contre sa propre conscience… Il est difficile de déterminer l’époque de cette transformation décisive. Néanmoins nous ne croyons pas nous tromper en la fixant à la seconde moitié de l’année 1532. »
Douze ans après la publication du volume de Kampschulte, un savant hollandais, Allard Pierson, fit paraître la critique la plus radicale qu’on eût encore faite des vues acceptées jusqu’alors sur la conversion de Calvinb : elle ne gagna qu’un nombre restreint d’adhérents. Pierson ne nie pas seulement que Calvin ait été l’auteur du discours de rentrée de Cop du 1er novembre 1533 ; il ne trouve aucune preuve certaine du protestantisme de Calvin avant le 23 août 1535, date de la Préface de l’« Institution ».
b – Studien over Johannes Kalvijn, Amsterdam, 1881, pp. 58-109.
Abel Lefranc, actuellement professeur au Collège de France, apporta, en 1888, dans sa remarquable étude sur la jeunesse de Calvin, une modification importante aux idées traditionnelles et soutint le nouveau point de vue avec beaucoup de science. Ses recherches firent faire un grand progrès à l’histoire de la famille de Calvin et du milieu où s’écoula sa jeunesse. Il conclut que le passage de Calvin au protestantisme fut en somme graduel, et ne prit un caractère de soudaineté que lors de la décision finale : les voies avaient été préparées par son entourage et par ses expériences familiales. L’esprit d’opposition si naturel au caractère picard, témoins en soient Lefèvre, Roussel et d’autres de la même région, cet esprit fut excité chez Calvin par l’excommunication de son père et la rupture de son frère aîné avec le clergé de Noyon. Ajoutons à cela l’influence exercée depuis 1528 par les exhortations évangéliques d’Olivétan. C’est ce dernier qui, obligé de chercher, en mai de la même année, aide et protection à Strasbourg, avait été, d’après Lefranc, la cause d’une propagation graduelle et mystérieuse des idées réformées à Noyon ; elles y eurent bientôt tant d’adhérents que le Chapitre n’osa pas s’y opposer trop énergiquement. Les influences venues de sa ville natale préparèrent donc le protestantisme de Calvin, aussi bien que ses expériences à l’université. Il se passa néanmoins encore bien du temps avant qu’il se rattachât complètement à la nouvelle doctrine, ou qu’il pût frapper un « grand coup » comme le discours de Cop, dont Lefranc lui attribue la paternité.
« La vérité c’est que, disposé depuis longtemps par son caractère même, préparé par son éducation, le milieu de sa famille, ses relations, ses études, il ne se déclara franchement huguenot que le jour où toutes ces circonstances réunies l’entraînèrent presque contre son gré, et où, pour ainsi dire, il ne lui fut plus possible de faire autrement.
La conversion définitive de Calvin fut avant tout une question de logique et de réflexion, où le sentiment ne fut pour rien. … Selon toutes les vraisemblances et autant qu’il est possible de déterminer un mouvement d’idées si intime, ce changement dut s’opérer dans la seconde moitié de l’année 1532. »
Deux ans après Lefranc, en 1890, Henri Lecoultre, un jeune savant suisse, décédé depuis lors (en 1892), reprit encore une fois le problèmec. Contrairement à Lefranc, il rejette l’idée que ce serait sous l’influence directe de sa famille ou de son entourage à Noyon que Calvin aurait été amené au protestantisme. Les ennuis de Gérard Cauvin étaient dus à des questions financières et non pas religieuses ; il n’est pas parlé avant 1534 de l’hérésie de Charles Cauvin. Il est également impossible de démontrer avant cette même année l’existence d’un mouvement protestant à Noyon ; or, à cette époque-là, Calvin était devenu un adhérent convaincu des principes évangéliques. L’insistance mise par Gérard Cauvin à faire étudier le droit à son fils peut avoir eu pour conséquence de favoriser l’évolution religieuse de celui-ci ; mais ce n’était absolument pas l’intention ou le but de son père. Cependant Lecoultre admet avec Lefranc l’influence d’Olivétan et croit aussi que Calvin est l’auteur du discours de Cop. D’accord avec Lefranc, il pense que Calvin fut pendant longtemps persuadé intellectuellement de la vérité des doctrines protestantes avant d’être disposé à rompre avec l’Église romaine. Mais il se sépare du savant que nous venons de nommer en refusant de voir une preuve évidente de sa conversion dans aucun des actes de Calvin avant là rupture officielle dont témoigne l’abandon de ses bénéfices en mai 1534.
c – Revue de théologie et de philosophie, Lausanne, 1890, pp. 5-30.
« Quel fut le jour de cette conversion subite ? Quelle en fut l’occasion prochaine ? Nous ne le savons pas, nous ne le saurons peut-être jamais. Mais le sens ne saurait en être douteux ; ce n’est ni une conversion de l’intelligence, ni une conversion du sentiment, mais une conversion de la volonté. Elle ne lui donne pas la conviction au sujet des dogmes protestants, il la possédait déjà ; elle ne lui inspira pas un intérêt chaleureux pour les choses du royaume de Dieu, il en était déjà tout rempli ; elle lui mit au cœur une résolution arrêtée de conformer scrupuleusement sa conduite à ses convictions et de rompre toute solidarité avec les erreurs qu’il avait déjà abjurées au fond de son cœur. Le premier indice extérieur de cette conversion, le premier du moins qui nous soit connu, est un sacrifice dont Calvin ne s’est jamais vanté, et dont Théodore de Bèze ne paraît pas même avoir eu connaissance ; les archives de Noyon prouvent que le 4 mai 1534, Calvin résigna dans sa ville natale tous ses bénéfices ecclésiastiques. Il fallait cet acte, dont la conséquence naturelle fut un exil volontaire, pour faire de Calvin un véritable protestant, car le protestantisme authentique ne consiste pas seulement dans les dogmes de la justification par la foi et de l’autorité suprême des Écritures ; il implique, comme son nom l’indique, une protestation énergique, formulée au nom de ces doctrines contre les abus ecclésiastiques de tout genre. »
L’esquisse de la vie de Calvin, si soigneusement faite par feu Rudolf Stähelin et publiée en 1897, n’entre pas dans la question aussi à fond que les travaux que nous venons de citer ; mais elle exprime des doutes au sujet de l’attribution à Calvin du discours de Cop. Stähelin conclut, en tenant compte de la lettre de Calvin écrite le 27 octobre 1533 et dont nous avons déjà parlé, que le futur réformateur « ne peut avoir rompu avec l’Église romaine… avant les premiers mois de 1534. »
L’année même où parut l’article biographique de Stähelin, un autre savant allemand non moins qualifié, Auguste Lang, de Halle, soumit les circonstances de la conversion de Calvin à un examen critique des plus approfondis. L’opinion de Lang, comme celle de Lecoultre, est que les influences de Noyon n’ont guère eu d’effet direct sur la conversion de Calvin. De plus, les allégations de Bèze et de Colladon, importantes pour Lefranc et admises par Lecoultre, touchant l’action d’Olivétan, sont regardées par Lang comme reposant « sur des bases très peu sûres ». La participation de Wolmar à la conversion de Calvin est tout aussi peu prouvée. Calvin l’a remercié de l’avoir initié au grec, mais il ne parle pas de son vieux maître comme s’il lui était redevable de son instruction religieuse. De fait, comme étudiant, Calvin ne témoigne aucun intérêt spécial pour les choses religieuses. Ses lettres et son commentaire sur Sénèque montrent que, « pour Calvin, la Bible est encore un livre clos, car son cœur ne bat pas pour elle. Il nous faut donc mettre de côté comme complètement erronés tous les essais d’explication d’après lesquels on tente de placer les débuts de la conversion du grand théologien biblique dans ses années d’étudiant. Pour lui, la question religieuse n’existe pas avant le milieu de 1532 et nous pouvons même dire pas avant le milieu de 1533 ». Mais « on remarque un changement dans la seconde moitié de 1533 » ; sa première manifestation fut le discours de rentrée de Cop dont Lang attribue sans conteste la composition à Calvin. L’activité du parti réformé à Paris en 1533 explique le plus naturellement du monde cette transformation. Il ne faut surtout pas oublier qu’à ce moment-là, Calvin fit la connaissance de Gérard Roussel qui, tout en ne se séparant jamais de l’Église romaine, prêchait des doctrines absolument protestantes. Lang pense aussi qu’il est inadmissible que Calvin, avec sa volonté de fer et sa conscience si scrupuleuse, soit resté pendant des années convaincu intellectuellement des vérités du protestantisme, comme le voudraient Lefranc et Lecoultre, sans conformer ses actes à ses convictions. Sa conversion ne fut pas simplement une conversion de la volonté. La propre assertion de Calvin, « qu’il était obstinément ancré dans les superstitions papales, » et que « son cœur était par trop endurci », démontre que, dans sa transformation, l’intelligence a été en jeu aussi bien que la volonté. « Dès que son intelligence fut persuadée, la connaissance nouvellement acquise devait, presque d’elle-même, pousser la volonté à l’action. » Sa conversion semblait à Calvin l’œuvre directe de Dieu et ses résultats devaient être « la certitude que Dieu parle dans les Écritures et l’assurance que celles-ci renferment toute la vérité. Il ne pouvait donc y avoir d’emploi plus digne des capacités et du zèle de toute une vie d’homme que de les étudier et de les répandre. » Cette conviction fit de l’humaniste un théologien biblique.
Le problème ne se trouve pas résolu par cette solution de Lang, car l’opinion traditionnelle, quelque peu modifiée, il est vrai, a trouvé un défenseur de grand savoir et de grande capacité en Emile Doumergue, professeur à la Faculté de théologie de Montauban ; le premier volume de sa monumentale biographie de Calvin a paru en 1899 Les affirmations de Bèze et de Colladon en ce qui touche aux débuts des convictions évangéliques de Calvin ont pour Doumergue une grande importance. Dès 1528 Olivétan l’initie aux principes évangéliques. C’est là la « conversion soudaine » de Calvin. En réalité ce n’était qu’un commencement, mais Calvin fut amené ainsi à étudier les questions religieuses et à lire, entre autres, l’exposé de Luther sur la sainte cène avant le colloque de Marbourg de 1529. A Bourges, plus encore qu’à Orléans, Calvin fut en contact avec Wolmar et, bien que Calvin ne mentionne que le grec comme ayant fait l’objet de leurs études, il est probable qu’ils lurent ensemble le Nouveau Testament, et dans ce cas le maître ne peut s’être abstenu de donner à son élève un enseignement religieux. Doumergue considère l’influence de Wolmar comme « décisive ». Elle fortifia et développa beaucoup l’œuvre entreprise par Olivétan. Doumergue croit aussi que la phrase de Calvin, « or je fus tout esbahi que devant que l’an passast, tous ceux qui avoyent quelque désir de la pure doctrine, se rangeoyent à moy pour apprendre », se rapporte à son séjour d’étudiant à Orléans et aux amis qu’il avait dans cette ville, Daniel et Duchemin. C’est sur leurs instances, il est permis de le croire, qu’il prêche à Lanières, non comme protestant, mais comme catholique réformateur. Doumergue voit la preuve de l’intérêt de Calvin pour la religion dans les citations de l’Écriture et des Pères qu’il fait dans son commentaire de Sénèque, ainsi que dans son achat d’une Bible pour Daniel. Il pense que nous aurions bien d’autres preuves analogues si la correspondance de Calvin n’avait pas fait l’objet d’une perquisition après le discours de Cop. Mais il lui semble que ce développement religieux de Calvin fut graduel, et qu’il passa par la phase de demi-protestantisme où Lefèvre demeura stationnaire. La conversion, commencée soudainement plusieurs années auparavant, ne fut évidemment complétée que lorsqu’il fut arrivé à la manière de voir que nous révèle le discours de Cop, discours dont Doumergue est absolument certain qu’il fut rédigé par Calvin. C’est en 1532, immédiatement après la publication du commentaire sur Sénèque, que Doumergue semble vouloir placer la fin de l’évolution graduelle par laquelle Calvin parvint au protestantisme intégral.
Ce sujet provoque sans cesse de nouvelles recherches. En 1905 a paru une savante monographie due au professeur Karl Müller de Tubingued. Non seulement il discute à nouveau la question dans son ensemble, et en s’écartant des vues de Doumergue ; mais, soumettant l’assertion que Calvin écrivit le discours de Cop à un minutieux examen, il conclut par la négative. Müller croit probable qu’Olivétan influença Calvin dans le sens que Lefèvre personnifiait à l’époque où il étudiait à Orléans et l’y mit en rapport avec les cercles évangéliques. Plus tard, c’est par l’intermédiaire de Wolmar que, lors de son second ou troisième séjour à Paris, il aurait connu les novateurs de la capitale. Müller croit que « sa conversion soudaine » peut dater du moment où eurent lieu à Noyon des processions destinées à conjurer la peste, le 23 août 1533. C’est alors que Calvin reconnut que ses principes ne lui permettaient plus de participer aux cérémonies du culte catholique. Et l’élément le plus important de sa conversion aurait été la soumission de sa volonté à celle de Dieu.
d – Calvins Bekehrung, dans les Nachrichten von der königl. Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen, pp. 188-255.
Au début de 1906, le professeur Paul Wernle, de Bâle, reprit à son tour l’étude du même problème en examinant surtout les sources des « Vies de Calvin » par Bèze et Colladon. D’après lui ces auteurs n’auraient fait qu’interpréter les rares allusions des écrits de Calvin sur son développement religieux. Il ne pense donc pas qu’on puisse y trouver, sur ce sujet, des renseignements originaux. Wernle estime que nous ne savons rien de certain sur l’histoire religieuse de Calvin pendant son séjour à Orléans ou à Bourges. Il n’est pas possible non plus, avec les sources dont nous disposons, de démontrer l’intervention de Wolmar ou d’Olivétan.
[Ce que Bèze dit de l’influence d’Olivétan ne viendrait que de cette allusion de Calvin à son ancienne intimité avec ce réformateur — vetus nostra familiaritas — à la fin de la préface à la traduction de la Bible d’Olivétan (Opera, ix, 790).]
Wernle est disposé à croire, avec Müller, que la « conversion » de Calvin est en rapport direct avec les scrupules qu’il éprouva lors de sa participation aux cérémonies catholiques de Noyon en août 1533.
Il est clair que l’insuffisance des documents parvenus jusqu’à nous est la cause principale des grandes divergences de toutes ces conclusions sur l’époque et la nature de la conversion de Calvin. La réserve de Calvin lui-même est extrême ; et il ne faut pas non plus perdre de vue que les différentes allusions qu’il fait à ce sujet dans ses ouvrages ont été écrites à une époque déjà fort distante des événements auxquels elles se rapportent. Ses premiers biographes étaient encore bien plus éloignés de cette période-là. Enfin les lacunes de sa correspondance nous réduisent à émettre des hypothèses au lieu de pouvoir édifier solidement un récit historique bien documenté. L’auteur du présent livre n’est pleinement d’accord avec aucune des interprétations si soigneusement déduites qu’il vient de résumer. Et au moment d’offrir sa propre explication il ne se dissimule pas qu’elle ne constitue également qu’un essai sujet à caution.
Les événements survenus dans la famille de Calvin et dont Lefranc exagère peut-être l’importance doivent, à notre sens, avoir pourtant contribué à relâcher les liens qui le rattachaient à l’Église. En effet, un adolescent, sur le point de devenir un homme, devait être tout naturellement amené à prendre une attitude quelque peu défiante à l’égard des autorités ecclésiastiques, au moment où son père et son frère se trouvaient en conflit ouvert avec celles-ci, même s’il ne s’agissait que de questions financières ou disciplinaires. Il aurait pu n’en pas résulter de conséquences plus lointaines ; mais son esprit n’en demeura pas moins prêt à mettre en discussion les droits du pouvoir avec lequel ses parents étaient en contestation, alors même qu’il ne s’agissait que d’un différend avec le Chapitre d’une petite ville et non avec l’Église tout entière. En outre, ce que Bèze et Colladon nous apprennent de l’initiation de Calvin aux idées réformées, par l’entremise d’Olivétan, a quelque chose de si positif que cette opinion doit être celle des amis du réformateur en général vers la fin de sa carrière et qu’on doit admettre à son point de départ un fait authentique. Dans ce cas-ci une erreur est beaucoup moins probable qu’en ce qui touche à la date et à l’étendue de l’activité missionnaire de l’étudiant. Calvin témoigne lui-même de ses anciennes relations avec Olivétan en appelant leur amitié en 1535 « vetus nostra familiaritas. »
[Préface à la Bible française d’Olivétan, Opera, ix, 790. Je trouve cette phrase suffisante pour justifier les assertions de Bèze même si, comme Wernle le pense, Bèze n’a pas eu d’autre fondement pour ses conclusions.]
Cette influence ne saurait s’être exercée plus tardivement qu’en l’année 1528, à moins que ce ne fût par des lettres dont l’existence même est purement hypothétique et qui auraient été écrites après qu’Olivétan se fut enfui d’Orléans à Strasbourg au printemps de la dite année. En supposant que l’influence d’Olivétan se soit fait sentir pendant la première période du séjour de Calvin à Orléans, elle aurait coïncidé avec sa sortie du collège Montaigu ; à ce moment, affranchi de la discipline médiévale qui régnait dans cette maison, Calvin pouvait entreprendre l’étude des humanités d’une façon plus indépendante, et d’autre part, le conflit du Chapitre de Noyon avec Gérard Cauvin entrait dans sa phase aiguë, et ce dernier concevait le projet ambitieux de faire quitter à son fils l’étude de la théologie pour celle du droit. Nous ne trouvons cependant dans les écrits de Calvin aucune confirmation de l’assertion de Bèze que le futur réformateur se serait tourné vers les études de droit en partie par opposition à l’Église ; il déclare au contraire qu’il ne le fit que par déférence pour le désir de son père. Cependant à cette époque, si l’on en juge d’après sa déclaration à Westphal, Calvin fut amené, soit par Olivétan, soit pour quelqu’autre motif, à prendre connaissance d’un écrit passionné de Luther sur le sacrement de la sainte cène, lequel semble d’ailleurs l’avoir plutôt repoussé qu’attiré. Il commençait à connaître un peu les questions controversées, mais cette initiation, que Doumergue lui-même reconnaît avoir été bien faible, ne peut, comme il le voudrait, s’appeler une « conversion soudaine ».
Il est incontestable qu’à Orléans comme à Bourges Calvin s’est trouvé dans une atmosphère favorable aux idées des humanistes sur la réforme de l’Église. Dans toute la France et surtout dans les universités, on désirait que l’Église transformât son éducation et sa prédication, que sa morale devînt plus pure et par dessus tout qu’elle abandonnât les erreurs du moyen âge et retournât aux sources de la vérité chrétienne comme Erasme le réclamait. Cela n’impliquait nullement une rupture avec l’Église de Rome. Tels étaient les sentiments des Cop à Paris, des Daniel et des Duchemin à Orléans, pour ne parler que des amis de Calvin. Cette manière de voir avait été mise à la mode par Lefèvre, Briçonnet, Roussel et Marguerite d’Angoulême. Calvin avait dû sentir cette influence autour de lui et elle avait incontestablement ses sympathies. Il est très possible que Wolmar ait contribué à les développer ; mais nous n’avons aucune preuve positive qu’il ait rendu à Calvin d’autre service que celui de lui enseigner le grec. Il n’est pas impossible, comme le rapportent Bèze et Colladon, que Calvin ait prêché à Lignières ; il était titulaire d’un bénéfice ecclésiastique et animé d’une façon constante de sentiments élevés et sérieux. Mais s’il l’a fait, ce ne put être comme protestant : Doumergue lui-même l’a démontré.
Quant à l’assertion de Bèze d’après laquelle Calvin, pendant son séjour à Orléans et à Bourges, aurait été un centre d’activité religieuse évangélique et le conducteur spirituel de ses amis Daniel et Duchemin, c’est ainsi que Doumergue interprète le passage de Bèze, — diverses raisons nous empêchent de l’accepter. Calvin lui-même dit que son activité comme initiateur religieux date d’après sa « conversion soudaine ». Or cet événement ne peut être placé déjà en 1528, et n’a pu avoir lieu qu’après la première période d’études à Orléans dont nous nous occupons actuellement. Bèze dérive sans doute ses renseignements des récits mêmes de Calvin, rapportés ci-dessus, mais il se méprend sur la question de date. Puis, et c’est là la raison principale, ce que nous connaissons de la correspondance de Calvin ne nous le montre pas sous ce jour-là. Il ne suffit pas de répondre comme Doumergue que la saisie de certaines lettres de Calvin, compromettantes pour ses amis après le discours de Cop, prouve l’existence d’une correspondance plus étendue dont nous n’aurions plus que les pièces sans intérêt religieux et par conséquent indifférentes. En effet, sans compter que l’existence de lettres démontrant une activité évangélique à la fin de 1533 ne prouverait rien en faveur d’une activité analogue entre 1528 et 1531, il faut encore remarquer que les lettres de Calvin à ses amis n’ont pas pu être saisies avec ses papiers, puisqu’elles n’étaient pas chez lui, mais chez ses amis. Il semble moralement impossible qu’à côté des lettres d’étudiant, lettres cordiales mais sans couleur religieuse, qui nous ont été conservées de la première correspondance de Calvin, il ait pu y avoir une autre série dans laquelle l’auteur aurait pris le rôle tout différent de conseiller religieux. L’intérêt de Calvin pour les questions religieuses n’est pas plus manifeste dans son commentaire sur Sénèque.
Il y cite trois fois la Bible, il est vrai, mais trois fois seulement. Ces passages, bien peu nombreux en comparaison de ses autres citations, ne touchent en rien aux questions religieuses brûlantes de cette époque.
[Comme illustration de la colère royale il cite Proverbes 16.14 ; pour prouver qu’« il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu », Romains 13.1 ; enfin, pour montrer les devoirs des maîtres envers leurs serviteurs, 1 Pierre 2.18.]
Et ce fait semble confirmer la thèse de Lang, d’après laquelle, jusqu’après la publication de son commentaire, en avril 1532, l’intérêt de Calvin pour les questions religieuses est insignifiant en comparaison de son zèle pour les humanités.
Toutefois, entre cette publication et le discours de Cop du 1er novembre 1533, un grand changement s’était opéré en Calvin : la question se pose tout naturellement de savoir si c’est là ce qu’il intitule sa « conversion soudaine ». Ce qu’il dit de cet événement montre qu’il le considérait comme une crise de la plus haute importance, due à l’intervention directe de la puissance divine. Cette « conversion » a-t-elle pu n’être que le début d’une longue période de développement graduel, et remonterait-elle à 1528, ainsi que le voudrait Doumergue ? D’après celui-ci, Calvin déclare très nettement, dans le passage souvent cité, que cette conversion eut lieu pendant que, sur l’ordre de son père, il s’adonnait à l’étude des lois. Cette phrase ne nous semble pas devoir être interprétée ainsi. Il dit que Dieu « finalement » (tandem) le fit changer. Il semble que Calvin ait prévu que le lecteur se demanderait pourquoi, s’il avait étudié le droit, il n’était pas devenu un homme de loi. La réponse est que Dieu intervint « finalement », mais Calvin parle comme si bien des choses s’étaient passées avant cette intervention. Quoi qu’il en soit, l’affirmation de Calvin dans ce même passage permet une déduction bien plus certaine : « Devant que l’an passast, tous ceux qui avoyent quelque désir de la pure doctrine, se rangeoyent à moy pour apprendre, combien que je ne feisse quasi que commencer moy-mesme. De mon costé je commençoy à chercher quelque cachete et moyen de me retirer des gens. » Calvin ne parle pas ici comme un étudiant suivant des cours, mais comme un homme en mesure de chercher la retraite qui lui conviendrait. Cette recherche se place bien plus naturellement dans les mois où il errait fugitif après le discours de Cop, qu’à l’époque où il étudiait à Orléans ou à Bourges. De plus, l’indifférence relative que Calvin déclare avoir éprouvée après sa conversion pour les études autres que religieuses, peut difficilement se concevoir avant la publication du commentaire sur Sénèque qui témoigne à chaque page d’une ardeur inlassable pour l’étude des classiques grecs et latins. Il semble donc naturel de conclure que la conversion de Calvin dut avoir lieu entre l’achèvement de son commentaire et le discours de Cop, plus probablement un an avant cette dernière date, c’est-à-dire vers la fin de 1532 ou au commencement de 1533.
En outre, la conversion de Calvin ne semble pas avoir été seulement une affaire de volonté, comme le croient Lefranc et Lecoultre. Quelle que soit l’époque où elle eut lieu, elle fut une illumination de l’intelligence au moins autant qu’un acte de volonté. Dès lors, pour le studieux jeune humaniste, la religion devint la préoccupation principale. Mais la réponse devient difficile, si nous nous demandons quels ont été les instruments humains de cette transformation. Dans l’été et l’automne de 1533 la situation à Paris était très favorable à la diffusion des idées réformées. Il est possible que la supposition de Lang soit juste et que le prédicateur du carême à Paris cette année-là, Gérard Roussel, ait été le guide de Calvin vers une foi plus libre. En 1533 Roussel et Calvin étaient certainement liés et c’est sur la foi de cette amitié qu’en 1537 Calvin reprochait à Roussel de manquer du courage nécessaire pour refuser un évêché et pour sortir de la communion de Rome. Cependant, si notre hypothèse sur la date de la conversion de Calvin est admissible, il est plus probable qu’elle eut lieu pendant le second séjour de Calvin à Orléans, alors qu’il était le représentant de la « nation » picarde ; quant aux instruments humains, il est difficile, dans ce cas, de les désigner. Calvin lui-même mentionne uniquement l’influence directe de Dieu. Si nous avons bien compris sa lettre à Sadolet, l’élément central de son expérience, c’est la conviction que Dieu lui avait parlé directement par les Écritures. Un homme comme Calvin peut être parvenu à cette conviction dans le calme de son cabinet, tout aussi sûrement que par le moyen d’exhortations amicales ou de discours entendus en public.
Donc, si, en novembre 1533, Calvin était arrivé à une position doctrinale spécifiquement protestante et dont la suite logique devait être bientôt sa rupture avec Rome, il n’en résulte nullement qu’il admît toutes les conséquences de ses croyances et qu’il se crût protestant. Le 23 août il assistait à une séance du Chapitre de Noyon. Le 27 octobre il s’exprimait, en écrivant à Daniel, de manière à montrer qu’il était en accord complet avec les réformateurs humanistes. Il envoya aussi à Daniel un traité de Roussel pour le faire circuler dans l’intimité et il est bien probable qu’il partageait l’espoir de Roussel de voir l’Église de France se réformer elle-même par une prédication plus pure et par une doctrine plus fidèle, sans rompre avec sa tradition historique. Même dans le discours de Cop on ne trouve pas d’idée plus radicale que celle-là. Ce n’est certainement pas avant le mois de mai suivant que Calvin résigna ses bénéfices.
D’après une ancienne coutume de l’université, le nouvel élu au poste de recteur annuel devait prononcer, le jour de la Toussaint, un discours de rentrée devant le public académique, auquel le grand public était autorisé à se joindre, dans l’église des Mathurins. Le nouveau recteur, Nicolas Cop, était un ami intime de Calvin. Il avait suivi la carrière de son père en prenant le grade de bachelier en médecine, mais depuis 1530 il enseignait la philosophie au collège Sainte-Barbe. A peine avait-il assumé les fonctions de recteur — il s’était écoulé 21 jours seulement depuis son élection — qu’il s’était déjà activement mêlé au mouvement religieux en prenant parti pour Marguerite d’Angoulême et pour la prédication plus émancipée que celle-ci favorisait. Les réactionnaires de l’université ayant essayé de condamner « Le Miroir de l’âme pécheresse », que la reine venait de faire paraître, et été sommés, en conséquence, de se justifier devant François Ier, ainsi que nous l’avons rapporté, Cop avait convoqué les Facultés le 24 octobre pour leur donner lecture des lettres royales et, dans le brûlant débat qui suivit, avait défendu l’inculpée avec autant de succès que de résolution. Il était donc entré déjà dans la lice comme champion des réformes que prônait Marguerite, et voulait faire servir son discours d’ouverture au triomphe de la même cause. Ce devait être une déclaration significative contre la réaction et en faveur d’une réforme. Ce manifeste fut si hardi, si l’on tient compte du lieu et de l’époque où il se produisit, qu’il devint l’événement du jour.
Il est vrai que Pierson a mis en doute que l’on possédât réellement le discours de Cop, mais il a été péremptoirement réfuté par Lang. Une lettre de Bucer à Ambroise Blaurer de Constance, sans doute de janvier 1534, parle du discours prononcé par Cop, comme ayant obligé celui-ci à prendre la fuite, à cause de l’insistance avec laquelle il y mentionnait la justification par la foi Colladon, dans sa « Vie de Calvin » de 1565, parle de ce discours dans le même sens que ce témoignage contemporain. Nous avons encore la preuve que le texte qui nous est parvenu est bien la harangue prononcée par Cop, dans une note contemporaine, inscrite sur un manuscrit partiel de ce document, conservé à la Bibliothèque de Genève, et dont le contenu est parfaitement conforme à ce que nous en savons par ailleurs. Il ne saurait donc y avoir de doute ; le discours académique de Cop du 1er novembre 1533 n’est point perdu pour nous.
[L’écriture de cette note est certainement celle de Colladon ; Herminjard, iii, 418 ; Müller, Calvins Bekehrung, pp. 226, 228. Le fragment de Genève qui renferme le premier feuillet a été publié par Herminjard, iii, 418-420 ; Opera, ix, 872-876, et donné en facsimilé par Müller, op. cit. Le discours a été édité en entier, mais assez médiocrement, d’après un manuscrit des archives de Saint-Thomas (à présent archives de la ville) à Strasbourg, dans les Opera, xb. 30-36.]
Mais s’il nous est bien connu, nous ne sommes nullement certain que Calvin en soit l’auteur. Ce qui milite en faveur de cette opinion, c’est que très certainement Colladon la partageait quand, vers 1570, il prépara pour l’impression les papiers du réformateur, et surtout que le fragment du discours qui est actuellement à la Bibliothèque de Genève est indubitablement de la main même de Calvin. A l’encontre de cette thèse, il y a le fait que le style du discours n’est guère à la hauteur de celui du réformateur ; que, de plus, Colladon dans sa « Vie » de 1565 ne parle que de l’amitié de Calvin pour Cop, mais nullement de sa collaboration au discours ; enfin, que c’est seulement dans la dernière « Vie », celle de 1575, que Bèze l’attribue à Calvin.
On se demande dès lors si la note écrite par Colladon sur le manuscrit de Genève n’a pas été provoquée par la découverte — après la publication de la « Vie » de 1565 — de ce fragment de l’écriture bien connue de Calvin. Le professeur Müller, à qui l’on doit cette ingénieuse supposition, a, de plus, démontré que la forme définitive du discours conservée à Strasbourg n’est pas, comme le croyait Lang, une rédaction corrigée de la minute de Calvin, mais que l’un et l’autre texte sont des copies d’un original disparu. Or Calvin peut très bien avoir voulu conserver, en en prenant copie, le travail de son ami.
Il est donc pour le moins douteux que Calvin ait composé tout ou partie quelconque du discours de Cop. Les faits actuellement connus semblent militer dans le sens opposé. Mais ce qui est hors de doute, c’est que Calvin s’y intéressa vivement. Le fragment écrit de sa main le démontre amplement, si toutefois il ne prouve rien de plus. Ainsi, même si Calvin n’a pas composé le discours, celui-ci ne peut avoir été prononcé sans que les deux amis se fussent concertés à ce sujet. Il est inadmissible que Calvin l’ait ignoré. Nous pouvons donc, vu l’intimité de l’auteur avec Calvin, le considérer comme un témoignage de l’attitude religieuse de ce dernier à cette époque. Il est non moins intéressant comme indication des livres qui ont alimenté la vie spirituelle dans le cercle dont Cop et Calvin faisaient partie.
La forme de cette harangue est celle d’un sermon. Elle débute par une apostrophe à la « Philosophie chrétienne », c’est-à-dire à l’Évangile tel que nous pouvons le connaître en l’étudiant dans ses sources et en le distinguant de la théologie scolastique courante. Comme l’a découvert Lang, la forme, ainsi que la manière de traiter le sujet, sont empruntées à Erasme. La pensée et même pour une bonne part la langue de cet exorde s’inspirent de la préface d’Erasme à sa troisième édition du Nouveau Testament grec, publiée en 1524. L’auteur déclare que cette « Philosophie chrétienne » montre que nous sommes enfants de Dieu. C’est pour le proclamer que Dieu s’est fait homme. Ceux qui possèdent cette science sont aussi supérieurs aux autres hommes que ceux-ci le sont aux bêtes. C’est la science la plus excellente. Elle révèle la rémission des péchés par la pure grâce de Dieu. Elle montre que le Saint-Esprit, qui sanctifie le cœur et nous conduit à la vie éternelle, est promis à tous les chrétiens. Elle donne la paix aux esprits en détresse et nous mène à une vie bonne et heureuse. Après avoir ainsi loué l’Évangile en général, l’auteur remarque que pour rester dans les limites d’un discours, il faut faire un choix dans ces richesses.
Il prend donc pour texte un verset de l’Évangile du jour : « Heureux les pauvres en esprit. » L’exorde se termine par une brève invocation à Christ « le vrai et seul intercesseur auprès du Père » : puisse le discours qui va suivre « le louer, le respirer, en être comme parfumé et le rappeler ! »
Après quoi il ajoute la salutation à la Vierge telle qu’on avait l’habitude de la dire. Ce détail montre combien le mouvement réformateur à Paris était encore timide.
Si cet exorde révèle l’influence d’Erasme, la première partie du discours lui-même accuse des emprunts encore plus importants à un sermon prêché par Luther à l’occasion de la même fête ecclésiastique ; sans doute en 1522. En parlant des Béatitudes, le réformateur allemand avait discuté les relations de la Loi et de l’Évangile, Grâce à une traduction latine, due à Martin Bucer de Strasbourg, de la collection des sermons de Luther où se trouve le discours en question, ils étaient accessibles au monde savant depuis 1525 et on en avait publié successivement d’autres éditions en 1528 et 1530. Il n’est pas impossible que ce fût un de ces volumes protestants que Berthold Haller trouva plus ou moins ouvertement en vente à Paris en août 1533. Empruntant ses termes à Luther, l’orateur parisien s’exprime comme suit : « La Loi dicte des ordres, elle menace, elle presse, elle ne parle pas de bienveillance. L’Évangile au contraire n’emploie ni les menaces, ni les commandements impérieux, mais il enseigne la miséricorde de Dieu à notre égard. » Il répond de la même manière que Luther à l’objection tirée du fait que le Christ a dit : « Car votre récompense sera grande dans les cieux. » Les Béatitudes seraient-elles donc une loi nouvelle dont l’observation nous vaudrait une récompense ? Non, elles exposent l’Évangile, et l’auteur l’explique en se servant d’une image qui lui est propre. Il compare l’homme auquel les Béatitudes s’appliquent à un fils qui s’est efforcé pendant la vie de son père de lui complaire, et qui reçoit un héritage, qu’on peut appeler la récompense du fils fidèle, quoique ce ne soit en aucun cas le paiement d’un salaire dû pour des services rendus. L’auteur mentionne ensuite les « sophistes », c’est-à-dire les théologiens cléricaux de l’université de Paris, — qui « chicanent sans cesse sur des vétilles » en négligeant la « philosophie chrétienne. »
Enfin il invoque la bénédiction des pacifiques sur les controverses de l’époque. « Puissions-nous dans cet âge malheureux ramener la paix dans l’Église par la Parole plutôt que par l’épée. » Mais prévoyant que ce souhait n’est pas réalisable, il s’écrie : « Ceux qui sont persécutés pour la justice sont doublement bénis. » Et il conclut par un vœu plein de ferveur : « Dieu veuille ouvrir nos cœurs afin que nous croyions en l’Évangile ! »
On a souvent exprimé l’opinion que ce discours d’une si grande harmonie de vues était un manifeste soigneusement préparé en faveur du protestantisme. Sa hardiesse ne fait pas de doute, mais, dans les circonstances au milieu desquelles il éclata, la sagesse d’un pareil manifeste est moins évidente. Grâce à la tolérance du roi et aux encouragements de sa sœur, le mouvement réformateur s’était développé à Paris, surtout parce qu’il n’était guère sorti des limites d’une discussion relativement pacifique. Il avait eu, il est vrai, ses martyrs comme Berquin, mais la situation favorable du mouvement en 1533 était due, en grande partie, à une modération relative qui avait permis de conserver la faveur royale. Nous pouvons donc comprendre aujourd’hui que tout ce qui viendrait exciter les esprits devait inévitablement amener une répression. Mais au moment même on s’en rendit sans doute moins compte. Cop pouvait s’imaginer que l’autorité royale lui accorderait son appui, comme elle avait déjà soutenu Roussel par l’intermédiaire de Marguerite d’Angoulême.
Il est encore plus probable qu’il n’y avait derrière le discours aucun plan profond et de longue portée. Il jaillit soudain de l’enthousiasme impulsif d’un jeune homme, élevé brusquement à une haute position dans l’université et appelé à diriger la résistance contre ceux qui voulaient tenter de remettre à l’ordre la savante et populaire reine de Navarre et les humanistes chrétiens qu’elle favorisait. L’occasion de poursuivre devant le grand public la discussion des principes qui s’étaient heurtés à la séance universitaire du 24 octobre, en passionnant tous les esprits, et où le jeune recteur avait joué un rôle prépondérant, suffit à expliquer son initiative et le concours éventuel de Calvin. Si protestantes que soient les doctrines exprimées dans le discours et malgré son opposition aux « sophistes » de la Sorbonne, rien n’y fait penser que l’auteur songeait à s’exclure de la communion de l’Église romaine. Les idées et les expressions sont empruntées à Luther ; mais le réformateur allemand n’est pas nommé, et ce qui intéresse l’auteur, c’est sa doctrine du salut et non pas sa rupture avec la papauté. Néanmoins, ce document nous montre clairement les sources où Cop et Calvin aussi probablement alimentaient leur vie spirituelle. Le Nouveau Testament, Erasme et Luther avaient déjà fait de Calvin un protestant dans la plupart de ses croyances et devaient fatalement le ranger du côté de l’hérésie lorsque la ligne de démarcation se préciserait entre les deux camps opposés.
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