Un homme dans la tour

SUR LA PISTE

Le papa de Jean-Paul, les coudes sur les genoux, tourne et retourne nerveusement la lampe qu’il reconnaît être la sienne. Il y a une bonne heure que le chien est de retour et les enfants ne sont toujours pas là. La nuit est noire maintenant, aussi l’angoisse étreint-elle chacun.

Francine, toujours dévouée, a parcouru des kilomètres pour interroger le facteur qui fait tous les jours sa longue tournée à travers les sentiers de la vallée. Il n’a absolument rien vu. Des bûcherons qui travaillent juste derrière le Roc de Bane n’ont pu fournir le moindre renseignement à leur sujet. C’est inexplicable !

— Tiens, remarque le père de Jean-Paul, ma pile est grillée. Je l’avais pourtant remplacée au départ de Paris. Que c’est curieux ! Je ne vois pas à quoi pouvait servir cette lampe en plein jour ! Non, je ne m’explique pas du tout.

Chacun donne son point de vue, mais rien de convaincant. Le mystère subsiste et accroît leur inquiétude.

— A mon avis, il serait plus sage, dit le père d’Etienne, de lancer Fallot à la poursuite de nos enfants. Peut-être alors trouverons-nous l’explication qui nous échappe ici.

Sans ajouter un mot, on allume fébrilement les lanternes tandis que le père de Jean-Paul remplace la pile usagée de sa lampe.

— En avant, Fallot ! dit son maître.

Tout le monde se met en route derrière la bête, même grand-père qui est inlassable ce soir malgré ses soixante-dix-huit ans. Dans la nuit épaisse, on dirait qu’une petite armée patrouille dans la campagne.

Fallot a tout de suite compris ce qu’on attendait de lui. Il s’engage résolument sur le chemin qui descend, flairant le sol. On a de la peine à le suivre. En quelques minutes, on arrive face aux Olivettes ; alors la petite troupe escalade la montagne, ralentissant sérieusement sa marche. Le sentier est rude et la fatigue, accrue par l’inquiétude, se fait sentir. Pourtant, on est plein d’espoir… et de crainte à la fois. Plein d’espoir parce qu’on pense être sur la bonne piste. Angoissé parce que l’on craint quelque accident mortel. Personne ne parle pour économiser les forces qui déclinent.

Tout à coup, Fallot saute sur un rocher et aboie joyeusement. Chacun, à grand peine car les jambes ne sont plus neuves, se hisse sur la plate-forme calcaire qu’on éclaire de tous côtés. Va-t-on trouver le corps inanimé des disparus ? Il n’y a rien d’insolite pourtant ! Pourquoi donc le chien a-t-il suspendu sa marche en cet endroit ?

Cependant, on a tôt fait, avec les quatre lampes, de découvrir le petit trou noir, au ras du sol.

— Té ! Il y a une grotte par là. remarque Francine étonnée.

— Une ficelle ! s’écrie le père d’Etienne, qui inspecte tous les recoins. Je la reconnais, elle m’appartient. Mon gaillard s’en est emparé sans me le dire.

— Je comprends maintenant, dit grand-père encore tout essoufflé. C’est simple : les enfants sont allés explorer cette grotte. Peut-être ne peuvent-ils plus sortir ? Peut-être aussi…

Là, le vieillard s’arrête. Il n’ose dire aux parents alarmés qu’un accident mortel a pu survenir à leurs chers petits.

— C’est clair, en effet, continue papa, mais comment leur porter secours ? Jamais nous ne pourrons nous faufiler dans ce trou ; il faut être un gosse pour passer par là.

— Pas nous. mais Fallot ! Il est seul capable de retrouver Popol et Etienne, mais que peut-il faire pour eux ? ajoute maman perplexe.

Un moment de silence succède à ces pénibles constatations. Chacun réfléchit : y aurait-il un moyen de salut ?

L’air est frais maintenant et la campagne, sous le ciel étoilé, semble s’endormir profondément. Les bruits de la terre se sont éteints les uns après les autres et ce silence est impressionnant.

— Expliquez-moi, dit grand-père songeur, pourquoi la lampe était accrochée au collier de Fallot ? C’est une question que je me pose depuis longtemps sans pouvoir la résoudre.

Nouveau silence.

— Je n’en vois pas non plus la raison, renchérit maman.

— Pour ma part, dit le papa d’Etienne, je pense que les gosses sont entrés dans la grotte munis de cette lampe pour éclairer leurs pas. Seulement, ils ne savaient pas qu’on avance lentement sous terre et que les heures filent vite. Aussi la pile s’est-elle usée sans qu’ils y prennent garde, et ils se sont trouvés soudain dans l’obscurité complète au moment du retour. En tous les cas, cette lampe est la preuve que nos enfants vivent encore. C’est un S.O.S. qu’ils nous ont lancé par ce moyen. Il faut coûte que coûte les atteindre.

— Oui, c’est juste, nos enfants sont sans lumière et il nous faut leur en faire parvenir sans tarder.

— Eh bien ! Faisons comme eux, propose Francine. Attachons la lampe au collier de Fallot et envoyons-le rejoindre les disparus.

— Bravo ! dit maman soulagée par cette sage parole. L’idée est bonne ! Seulement, je conseille de laisser la lampe éclairée car le chien les aura vite atteints. Les enfants verront d’emblée la lumière et ils se mettront en marche sans perdre de temps.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Du reste, ce n’est pas l’heure de tergiverser. Le temps doit être affreusement long dans l’obscurité et le froid de la grotte ! Il faut abréger leur épreuve et agir avant que leurs forces ne déclinent.

On attache solidement le boîtier au collier de Fallot, puis on pousse l’animal dans le trou noir. Sans se faire prier, le chien s’enfonce dans l’étroit boyau. Dix yeux s’évertuent à suivre – et avec quel intérêt ! – sa lente progression. La lumière, qui est bousculée de droite et de gauche, balaie la paroi calcaire, diminue rapidement. puis disparaît soudain. Le grelot s’est tu à son tour.

— La brave bête ! dit grand-père avec émotion.

Et, dans le silence de la nuit, cinq ombres attendent, immobiles. Posées sur le sol à quelques pas de là, les trois lanternes, dont la flamme vacille, animent de curieuses silhouettes sur la paroi des rochers.

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