Propos sur le temps

UN TEMPS POUR JETER

il y a… un temps pour garder et un temps pour jeter.

Ecclésiaste 3.6

C’était en 1956.

L’appartement dont nous venions de prendre possession à Paris possédait le téléphone depuis longtemps. Il n’y avait qu’à admirer le combiné pour s’en convaincre. L’écouteur tenait haut sur des étriers et l’ensemble était plutôt volumineux.

Lors d’une vérification, l’agent des télécommunications éclata de rire en voyant ce vieux modèle :

— Comment, vous avez encore ce machin-là ? Il y a belle lurette qu’on n’en fait plus de semblables. On va vous changer ça dès la semaine prochaine.

Et de fait, il revint à la maison comme promis, muni cette fois d’un appareil dernier cri. Nous passions ainsi, sans transition, de la « préhistoire » aux temps modernes du téléphone. En partant, le bonhomme me lança d’un air malicieux :

— Je vous laisse cette antiquité, car nous ne récupérons pas de tels appareils, périmés depuis longtemps. Gardez-le.

Fort de l’idée que cette pièce avait de la valeur – des amis de passage nous avaient assurés qu’il était possible d’en tirer un bon prix – nous l’enveloppâmes soigneusement de papier. De forme bizarre, le paquet fut difficile à caser. On le rangea dans un placard en attendant… je ne sais quoi.

Le précieux combiné resta longtemps sur l’étagère. Ce paquet encombrant, dont nous finissions par ignorer le contenu, fut déplacé maintes fois, épousseté, entreposé sur un rayon puis sur un autre. Finalement, agacés de le manipuler, nous décidâmes de nous en débarrasser. Une personne de passage à la maison nous en fournit l’occasion. Elle se montra ravie de recevoir cet objet insolite et de l’emporter chez elle en Amérique.

Des croque-minutes nous guettent partout, à chaque pas et dans tous les recoins de nos demeures. Elles nous serrent de près, nous crèvent les yeux… Et parce qu’elles n’ont pas l’air de ce qu’elles sont, elles font des ravages et volent de précieux moments à des gens qui n’en ont pas de reste. Ces gloutons apparemment inoffensifs sont tout simplement ces objets familiers dont nous n’avons pas l’usage et qui sont toujours devant nos pas. Ils encombrent notre vie, exigeant du temps pour les acquérir, du temps pour les ranger, les déplacer et les épousseter, du temps pour les réparer et pour… les utiliser, car on se fait toujours un devoir d’employer ce que l’on a a payé de ses propres deniers.

Je visitais un chrétien septuagénaire, homme ayant de l’ordre mais incapable de discerner l’inutile pour l’éliminer sans regret. Dans son vaste sous-sol s’empilaient tant de choses qu’on n’en distinguait plus les murs. Certes, tout y était méticuleusement répertorié, étiqueté, classé, rangé en papier à musique, et la place fort bien – ou trop bien – utilisée. Mais quel magasin de brocante ! Des planches, des livres empaquetés, des piles de journaux, des caisses de toutes dimensions, des boîtes de clous rouillés, du matériel électrique de récupération. que sais-je encore ? Pour quoi faire, je vous le demande, lorsqu’on est au soir de la vie et qu’on habite un pavillon récent, confortable et bien installé ? De quel usage sera cette machine à coudre à pédales qui trône dans un coin, quand on en possède une moderne ? Que font, sur les étagères, ces montagnes de revues jugées sans intérêt ? Au jour du partage, les héritiers ne manqueront pas de tempêter contre le défunt, car même dans le tombeau, il leur fera perdre du temps.

Certes, la décision d’éliminer requiert un certain courage. Les motifs d’hésitation ne manquent pas :

— Après tout, un jour ou l’autre, ça peut servir !

Ou bien :

— C’est dommage de jeter cet objet ! Il a une certaine valeur.

Ou encore :

— On pourrait le donner à quelqu’un ou le vendre au profit d’une œuvre

Ou enfin :

— Cette vieille crédence branlante nous encombre et jure au milieu de notre mobilier, mais c’est un souvenir de famille. En conscience, je ne puis la céder, même à prix d’or…

Les années passent et ces choses sont toujours là. On les subit sans se décider à leur donner un sort. Or, dit l’Écriture, il y a un temps pour garder et un temps pour jeter (Ecclésiaste 3.6). Cette parole souvent négligée vaut la peine d’être méditée.

Dans certains foyers chrétiens, je me suis vu offrir la chambre d’un fils ou d’une fille employés à l’autre bout du pays ou mariés depuis longtemps. La pièce était tapissée d’une vaste collection de livres d’enfant ou garnie de jouets de tous ordres destinés tôt ou tard à la décharge. Alors je m’interroge : pourquoi conserver ces choses et ne pas avoir, en son temps, chargé l’enfant de procéder à la distribution des ouvrages ou des objets qui ne l’intéressaient plus ? Les petits amis en auraient été ravis et l’enfant aurait appris à donner et à faire plaisir aux autres. Ce qui n’est pas négligeable.

L’abondance que connaît actuellement notre monde à pour effet de nous voler du temps. Par exemple, rien n’est plus simple que de se procurer une cafetière électrique. Dans le supermarché le plus proche, je trouverai à coup sûr l’appareil souhaité. Mais voilà, sur le rayon sont exposés tant de modèles de marques différentes que je suis incapable de me décider. Hésitant, je me rendrai alors dans un autre magasin pour noter et comparer les prix. Peut-être reviendrai-je au premier pour fixer enfin mon choix. Ce modeste appareil m’aura volé des heures et procuré du tracas. mais qui peut échapper aux exigences de la vie moderne ?


♦   ♦

Peut-être le moment est-il venu pour vous de visiter cave et grenier, bibliothèque et armoire, pour déclarer la guerre au « fourbi » (c’est-à-dire aux choses estimées sans valeur et, de surcroît, encombrantes). Certes, il peut vous arriver de regretter tel objet ou telle lettre éliminés un peu hâtivement, mais vous ne vous plaindrez jamais d’avoir une maison nette. Donc pas de sentiment. Mais, halte là ! Il ne s’agit pas de jeter inconsidérément tout ce qui tombe sous la main, car la Bible nous rappelle qu’il y a un temps pour garder. Tel ouvrage que je jugeais sans intérêt et qu’il m’eut été facile d’éliminer, est devenu, plus tard, un livre de chevet dont la lecture m’’a été bénéfique. Il y a des albums de photos, des lettres d’amis que l’on retrouve avec émotion et qui nous donnent le plaisir de revivre le passé. Quand j’étais étudiant, ma mère, une femme énergique peu attachée aux choses, distribua sans m’avertir des illustrés que j’avais soigneusement reliés. J’y tenais beaucoup, la plupart des numéros me rappelant des faits précis. J’ai toujours regretté cette perte… sans amertume toutefois. Il y a donc un temps pour amasser, pour remplir ses rayons, pour serrer des provisions et classer des documents… en sachant cependant qu’il est plus aisé d’accumuler et de garder que de jeter.

Voulez-vous racheter le temps ? Alors vivez la vie la plus simple sans céder à l’envie de posséder tout ce qui existe. Usez de l’utile, contentez-vous du nécessaire, avec un brin de superflu toutefois, car nous ne prônons pas ici le dépouillement ou un vain ascétisme. Tout ce qui agrémente sainement la vie fait partie de l’utile. Que Dieu vous donne de le discerner (1).

(1) La parole de l’Ecclésiaste, citée en exergue (3.6), nous enseigne sans doute qu’il faut chercher à acquérir au temps de la prospérité et à jeter ou tout abandonner au moment où le sacrifice est demandé. Ainsi, nombre de missionnaires ont consenti à ce dépouillement pour se rendre sur le champ.

QUESTIONS

  1. Appartenez-vous à la catégorie des gens qui entassent sans discernement et s’encombrent de trop de choses ?
  2. Dans ce cas, êtes-vous résolu à passer en revue votre appartement ou votre maison pour y faire un tri sérieux ?
  3. Voulez-vous apprendre à vos enfants l’ordre et la joie de donner ? Bénissez le Seigneur qui a toujours pourvu à vos besoins avec abondance.

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