Termes qui dépeignent l’enfance. — Les divers âges de la vie d’après le R. Jehudah. — Age auquel on commençait la lecture de la Bible. — Instruction que l’enfant recevait dans la célébration des cérémonies religieuses au foyer de la famille. — Ses émotions dans le Temple. — Son rôle dans le souper de la Pâque. — Soins que les parents apportaient à son éducation d’après le livre des Proverbes. — La position de la mère. — La reine de Massa. — Agur. — Lemuel. — La mère dans le N. T. — Education de Timothée. — Persécutions religieuses à l’époque des Maccabées. — Influence des femmes pieuses. — Enfance du Seigneur. — Jésus assis dans le temple au milieu des docteurs.
Nous pouvons reconnaître la puissance du lien qui unissait les parents Juifs à leurs enfants en considérant le grand nombre de mots qui, chez les Hébreux, désignent et pour ainsi dire dépeignent à nos yeux les diverses périodes du jeune âge. Outre les termes généraux « ben » et « bath » fils et fille nous ne rencontrons pas chez eux moins de neuf expressions pour nous décrire l’époque de la vie où ils sont parvenus.
Tantôt c’est le yeled, l’enfant qui vient de naître (Ésaïe 9.6), le Jonek encore à la mamelle (Ésaïe 53.2). Voici le Olel que le lait maternel ne satisfait plus et qui réclame le pain plus substantiel. Gamul, l’enfant a été sevré (Psaumes 131.2) et cette date a été solennisée par une fête. C’est l’heure où il s’attache à sa mère, et s’efforce de se modeler sur elle. On le nomme alors Taph (Esther 3.13). Le Elim (au féminin Almah) (Ésaïe 7.14) est parvenu à un état de vigueur plus grande. Le voici devenu naar c’est-à-dire secouant le joug pour réclamer le plein développement de sa libre activité. Enfin bachur adolescent mûri et jeune guerrier (Ésaïe 31.8).
Ne devons-nous pas conclure de cette richesse des termes que ceux qui ont observé avec tant de finesse la vie de l’enfant qu’ils peuvent nous peindre par leurs paroles, le point précis auquel il est parvenu, doivent l’avoir aussi entouré d’une tendresse passionnée ?
On trouve un passage dans la Mishnah (Aboth V : 21) qui nous décrit, avec une rare précision, les différentes périodes de la vie. Il est utile de le reproduire, ne fût-ce que pour servir d’introduction à ce que nous aurons à dire sur l’éducation de l’enfance. Le Rabbi Jéhudah, fils de Tema, dit : « A 5 ans, lecture de la Bible ; à 10 ans, étude de la Mishnah ; à 13 ans, observation obligatoire des commandements ; à 15 ans, le jeune adolescent commencera l’étude du Talmud ; à 18 ans, il contractera mariage. Vingt ans sera l’époque de l’activité commerciale ou industrielle. A 30 ans, il aura acquis sa pleine vigueur ; à 40 ans, il possédera la maturité de la raison ; à 50 ans, la sagesse des conseils. Soixante ans est le commencement de l’âge du déclin ; 70 ans, celui des cheveux qui blanchissent ; 80 ans, l’âge avancé ; 90 ans, l’époque où le corps s’incline ; 100 ans enfin, celle où l’homme est comme mort et enlevé de ce monde. »
Ce passage est bien clair. A 5 ans l’enfant devait commencer à lire la Bible, l’original Hébreu. Mais, sur ce point, les opinions différaient, selon les Rabbins. D’une manière générale, on ne considérait comme sage une instruction aussi précoce que lorsque l’enfant était doué d’une santé et d’une vigueur remarquables. Ceux qui ne possédaient qu’une constitution d’une moyenne force n’étaient pas assujettis au travail, avant l’âge de 6 ans. On peut dire que c’est le bon sens et une saine expérience, tout ensemble, qui ont dicté cette parole du Talmud : « Si tu mets ton enfant à l’étude d’une manière régulière avant qu’il ait atteint la 6e année, tu devras toujours le poursuivre sans parvenir à le saisir jamais. » Ces mots désignent surtout l’influence désastreuse et irréparable qu’exercera, sur sa santé, l’effort imprudent auquel, de trop bonne heure, son esprit aura été soumis. Ailleurs, il est vrai, on exhortait les parents à donner quelque enseignement à l’enfant, lorsqu’il avait atteint la troisième année. Mais on ne faisait ici allusion qu’à l’instruction qui résulte de l’étude de petites portions détachées de l’Écriture ou des prières que le père lui enseigne dès les premières heures de la vie. A l’âge de 6 ou 7 ans, comme nous le verrons plus tard, les parents, en Palestine, étaient obligés par la loi, de faire suivre à leurs fils les leçons d’une école.
Au surplus, il serait difficile de déterminer l’époque précise à laquelle on commençait l’instruction du jeune Israélite. Avant que l’enfant pût parler, avant même qu’il pût comprendre l’enseignement qui lui était donné, dans le langage le plus simple, avant qu’il prît part aux rites des solennités célébrées, pendant la semaine, dans le sanctuaire de la famille, ou aux cérémonies des fêtes augustes de chaque année, son attention avait été éveillée par la vue de la Mesusah. Celle-ci était suspendue à la porte d’entrée de tout appartement honorablea, dans les maisons habitées par des Juifs, d’une manière exclusive. La Mesusah était une sorte de phylactère appliqué aux habitations. L’un et l’autre provenaient d’une méprise inintelligente et d’une fausse application de la direction donnée par Dieu à Israël dans le livre du Deutéronome (Deutéronome 6.9 ; 11.20). Au lieu de l’entendre dans son sens spirituel, on la prenait au pied de la lettre. Nous reconnaissons volontiers que les Juifs des premiers temps n’étaient point voués à l’observation de quelques-unes des coutumes semi-païennes qui aujourd’hui se rattachent à l’emploi de ce talisman. Il est incontestable qu’un grand nombre d’habitations en Palestine, au temps de Jésus-Christ, n’en faisaient pas usage, mais on trouvait la Mesusah dans les familles soumises aux strictes observances du Pharisaïsme.
a – Ainsi ou ne la voyait jamais à l’entrée des salles de bains, des buanderies, des tanneries, des teintureries.
[On ne saurait considérer le Traité Massecheth Mesusah (Kircheim, Septem libri Talm. parvi Hieros., p. 12-16), comme faisant autorité dans les temps anciens. Mais le Sohar lui-même contient des enseignements qui ne valent guère mieux que les superstitions païennes sur l’efficacité supposée de la Mesusah.]
Dans le prophète Esaïe quelques mots semblent y faire allusion : « Tu mets ton souvenir derrière la porte et les poteaux ; car, loin de moi, tu lèves la couverture et tu montes, tu élargis ta couche, et tu traites alliance avec eux, tu aimes leur commerce, tu choisis une place. » (Ésaïe 57.8) Ce qui est sûr, c’est que le témoignage de Josèphe est précis et que la Misnah nous en entretient à son tourb.
b – Ber. III : 3, Megill 1 : 8, Moed. K. : III : 4, Mén. III : 7.
La Mesusah ressemblait à celle qui est usitée de nos jours. Elle consistait en un carré de parchemin. Sur les 22 lignes qui le couvraient, on écrivait ces deux passages, Deutéronome 6.4-9 ; 11.13-21. Enfermée dans une boîte de métal brillant, elle était attachée au poteau de la porte. L’enfant, sur les bras de sa mère, devait naturellement tendre les mains vers elle. Il y était porté d’autant plus facilement, qu’il voyait le père et les autres personnes toucher la boîte, avec respect, en entrant ou en sortant de la demeure, baiser ensuite leurs doigts avec dévotion, en prononçant la bénédiction traditionnelle. Dès les âges anciens, en effet, la présence de la Mesusah était intimement liée à la bénédiction divine. On appliquait à cette coutume vénérée les paroles du Psaume : « L’Éternel gardera ton départ et ton arrivée, dès maintenant et à jamais. » (Psaumes 121.8) Chose remarquable, l’un des plus anciens écrits, monument vénérable de l’antiquité hébraïque, un commentaire du livre de l’Exode (dont le fond est plus ancien que la Mishnah elle-même, puisqu’il date du commencement du iie siècle de notre ère, s’il ne remonte même plus haut), la Mechilta, fait une observation que nous ne devons pas négliger. Il prouve l’efficacité de la Mesusah en démontrant que depuis les jours où l’ange destructeur passa au-dessus des portes de la demeure des enfants d’Israël, marquées du sceau de l’alliance avec Jéhovah, il convient d’attacher une plus haute importance à ce signe qui renfermait au moins dix fois le nom de l’Éternel, et qui se rencontrait, jour et nuit, dans toutes les demeures d’Israël depuis les siècles les plus éloignés. Tirez les conséquences de ce principe, et vous arriverez au mysticisme magique de la Caballe. Ou bien, avec les superstitions modernes vous répéterez que si on laisse un atome de poussière ou de boue, à la distance même d’une coudée, de la Mesusah, une troupe de trois cent soixante-cinq démons au moins viendra tourmenter les hôtes de la maison qui méprise ce signe sacré.
Dès le premier éveil de l’intelligence dans l’âme de l’enfant, les prières des membres de la famille, ou celles de la famille entière, les cérémonies religieuses pratiquées dans le sanctuaire de la demeure, le Sabbat, les jours de fêtes, devaient laisser, sur son jeune esprit, des impressions ineffaçables. Il serait difficile de dire quelle était la fête qui devait exciter le plus vivement son jeune enthousiasme.
Aujourd’hui, c’était la Chanukah, la fête de la dédicace. Le premier soir, un flambeau seulement était allumé, dans la demeure, pour chaque membre de la famille. Le jour suivant deux, et ainsi, en augmentant, jusqu’au huitième jour, où le nombre des flambeaux éblouissait les regards. C’était la solennité de Purim, la fête d’Esther, la joie libre et bruyante. Dans celle des Tabernacles, quelle allégresse pour les jeunes enfants ! Quel bonheur de vivre, pendant quelques jours, sous des tentes fragiles ! Voici venir la fête la plus auguste, la grande solennité de Pâques. Il faut, à cette heure, rejeter tout levain. Il importe que chaque morceau de la nourriture qu’il reçoit lui dise, par la différence qui la distingue de la nourriture ordinaire, que les jours qui se sont levés diffèrent de tous les autres, et sont sacrés entre tous.
En ce moment, l’enfant est capable de recevoir quelque instruction, il peut prendre part aux services religieux. Combien plus profonde est l’impression que laissent dans son âme ces jours mis à part pour Jéhovah ! Certainement nul de ceux qui venait d’offrir son culte au Seigneur, dans la maison de l’Éternel, dans la ville sainte de Jérusalem ne pouvait oublier les scènes touchantes dont il avait été témoin et les paroles qui avaient frappé son oreille. Dans cet édifice splendide, dans ces cours superposées, l’enfant devait contempler, avec un mélange d’admiration et de religieuse crainte, la foule des prêtres revêtus de leurs blanches robes, absorbés dans les soins augustes de leurs charges. Il les voyait célébrer les actes du culte, tandis que la fumée de l’holocauste montait de l’autel des sacrifices vers le ciel. Spectacle qui remplissait sa jeune âme d’une admiration indicible. Ici la multitude immense des Israélites se prosternait jusqu’à terre à l’heure où l’encens fumait sur l’autel. A leur tour, les prêtres se plaçant sur les degrés qui conduisaient au sanctuaire le plus révéré élevaient leurs mains, et prononçaient, sur la nation élue, les paroles de la bénédiction. L’offrande de la libation était alors répandue, et le chant des Psaumes s’élevait de la poitrine des Lévites comme un tonnerre que redisaient les échos de la vallée du Cédron, mêlant, dans une suave harmonie, la voix claire et aiguë des enfants des prêtres aux sons graves de la voix des hommes mûrs, que la musique des instruments accompagnait de ses accords harmonieux.
L’enfant Juif connaissait la plupart des paroles de ces cantiques. C’étaient les premiers chants qu’il avait entendus lorsque comme un « taph » il s’attachait à la robe de sa mère. Mais, à cette heure, dans ces cours du Temple de Sion ornées de marbre, revêtues d’un or étincelant, sous ce dôme bleu du ciel, et dans ce milieu resplendissant elles venaient retentir à ses oreilles, comme l’écho d’un autre monde, dont les sons trois fois répétés des trompettes des prêtres semblaient éveiller en lui le doux souvenir. Et n’étaient-ce pas, en réalité, les accents d’un monde supérieur qui frappaient son oreille ? Ainsi que son père le lui enseignait, tout ce qu’il contemplait n’avait-il pas été fait d’après le modèle des choses célestes que Dieu, sur le Sinaï, avait montrées à Moïse ? Les paroles qu’il entendait résonner avaient été prononcées par Jéhovah lui-même se servant, pour les faire parvenir aux hommes, de la bouche de son serviteur David et des autres doux chantres d’Israël. Que disons-nous ? Ce lieu même, cette maison, Dieu en avait choisi la place. Dans l’obscurité profonde du sanctuaire le plus redoutable, où le grand-prêtre n’entrait qu’une seule fois, dans le cours de l’année, revêtu d’une simple robe blanche, et non plus dans les vêtements ruisselants d’or dont il était ordinairement paré, reposait l’arche sainte. Elle contenait les tables de la loi, sur lesquelles la main de Dieu même avait tracé les ordonnances immuables de la Sainteté. Enfin, au milieu des chérubins, la nuée n’était-elle pas la manifestation visible de Jéhovah, présent dans son sanctuaire ? En vérité le temple avec ses cérémonies sacrées, c’était déjà le ciel sur la terre.
L’enfant pouvait-il aussi perdre le souvenir des impressions qu’avait éveillées en lui la célébration du premier sacrifice de la Pâque ? Les symboles que ses yeux avaient contemplés, faisaient appel à tous ses sentiments, alors même que la loi de Moïse n’eût pas expressément commandé au père de donner à son enfant un enseignement complet de tous les rites de ce service auguste, aussi bien que des grands événements dont ce repas rendait le souvenir toujours vivant, au sein du peuple élu. C’est dans cette nuit mémorable qu’Israël était né à une vie nationale. C’est alors qu’il était devenu le peuple racheté du Seigneur. A un certain moment du repas, le plus jeune des enfants devait se lever de table et demander quel était le sens des rites célébrés sous ses yeux. Le père répondait, en racontant dans un langage accessible à l’intelligence de l’enfant, l’histoire nationale d’Israël depuis l’appel d’Abraham jusqu’à la délivrance de l’esclavage d’Egypte. Il disait le récit de la communication de la loi divine faite par l’Éternel à son peuple du haut du Sinaï. « Plus seront nombreux les détails donnés par le père, ajoutait le document sacré, mieux cela vaudra. » Aussi Philon, en rappelant tous ces points, pouvait-il affirmer sans exagération « que les Juifs, depuis l’enfance la plus tendre, avant même d’être instruits dans la connaissance des lois religieuses ou des coutumes traditionnelles d’Israël, apprenaient de la bouche de leurs parents et de leurs maîtres à reconnaître Dieu comme un Père et à voir en lui le Créateur du monde » (Legatio ad Cajum sec. 16). « Instruits, ajoutait-il, par la connaissance de la loi depuis leurs premières années, ils portent gravée dans leurs âmes l’image parfaite des commandements de Jéhovah. » Le témoignage de Josèphe n’est pas moins précis. « Dès la première heure où là conscience s’éveille en eux, ils apprennent les lois d’une manière si parfaite que les préceptes divins s’impriment dans leur esprit en traits ineffaçables. » (C. Apocalypse 11.18.) Nous ne pouvons cependant ajouter foi à ses déclarations lorsque, en termes ampoulés, et dans des paroles toutes pénétrées de l’orgueil de son âme, il nous affirme qu’à l’âge de 14 ans, les grands-prêtres et les hommes principaux de la ville le consultaient pour apprendre de lui la signification de certains points de la loi de Moïsec. » Au surplus, nous n’avons pas ici besoin de ce témoignage. Les livres de l’Ancienne Alliance, les Apocryphes et le Nouveau-Testament, en déroulant devant nos yeux l’histoire séculaire d’Israël nous montrent avec quelle sollicitude on veillait à l’éducation de la jeunesse. L’un des plus antiques récits nous rapporte les paroles adressées par Dieu à Abraham : « Je sais qu’il ordonnera à ses fils et à sa maison, après lui, de garder la voie de l’Éternel en pratiquant la droiture et la justice. » (Genèse 18.19) Déclaration qui, pour le dire en passant, montre, dans la descendance d’Abraham, la distinction entre la postérité selon la chair et ses descendants selon l’espritd. Ces divines ordonnances étaient mises exactement en pratique sous l’économie de la loi. C’est ce qui ressort de l’étude comparative des textes suivants : Exode 12.26 ; 13.8,14 ; Deutéronome 4.9-10 ; 6.7, 20 ; 11.19 ; 31.13 ; Psaumes 78.3, 6.
c – Vie 2. Cp. Ant. IV : 8, 12, C. Apion 1 : 12 ; II : 25.
d – Œhler : Théol. A. a. T. vol. 1 p. 9.
Il est inutile de poursuivre. Qu’on se contente de parcourir le livre de l’Ancien-Testament qui nous permet de jeter un regard intelligent sur la vie de famille et sur la société dans les jours de l’Ancienne Alliance, A chaque pas, ce sont des exhortations qui concernent l’éducation de l’enfance. On reconnaîtra que l’objet de cet enseignement c’est l’acquisition de la véritable sagesse, la crainte de Jéhovah, l’obéissance à ses lois, tandis que la négligence de ces préceptes, conduit à une misère dépeinte, par l’auteur sacré, d’une manière saisissante. On y verra enfin résumée dans un aphorisme, vrai pour tous les âges, l’enseignement pratique de l’ouvrage : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre et quand il sera vieux il ne s’en détournera pas. » (Proverbes 22.6) Après cela nous prêterons l’oreille aux leçons du Nouveau-Testament et nous entendrons la voix de l’apôtre des Gentils : « Pères n’irritez pas vos enfants, mais élevez-les en les corrigeant et en les instruisant selon le Seigneur. » (Éphésiens 6.4)
Le livre des Proverbes met sous nos yeux une doctrine du plus grand intérêt. Il donne à la femme la dignité à laquelle elle a droit et lui attribue, dans le sanctuaire de la famille, l’influence légitime qui lui appartient. C’était d’abord au père que l’éducation de l’enfant était confiée ; la loi de Moïse et les ordonnances des Rabbins lui imposaient ce devoir d’une commune voix. Mais quel lecteur réfléchi n’a pas entrevu déjà, dans l’histoire des patriarches, l’influence habituelle de la femme sur l’âme de son fils, en particulier dans les années de la tendre enfance ? C’est la conséquence des relations que la nature établit entre eux lorsque la famille reproduit en quelque mesure, le modèle que la Parole de Dieu présente à notre imitation. Peut-on imaginer un tableau plus aimable que celui que nous offre la mère de Samuel, ou la pieuse Sunamite dont la maison hospitalière s’ouvrait si souvent pour recevoir le prophète Elisée ? Mais le livre des Proverbes nous apprend qu’aux premiers jours de la monarchie juive on retrouvait ces caractères de la vie, dont l’Ancien-Testament retraçait l’idéal, en dehors même des limites de la terre sacrée.
Près de Dumah s’étend le district de Massa au nord de l’Arabie (Genèse 25.14) où les Ismaélites s’établirent à l’origine (1 Chroniques 1.30). Quelle que fût la voie par laquelle la connaissance du vrai Dieu fût parvenue à ces peuplades idolâtres, toujours est-il que le livre des Proverbes nous montre, dans les deux derniers chapitres, la famille royale de Massa soumise à l’influence de la religion spirituelle de l’Ancien-Testament. Nous y voyons même la reine-mère élever l’héritier du trône dans la crainte du Seigneur. Le trente-unième chapitre des Proverbes, à son tour, nous rapporte les sentences du frère royal d’Agur, « les paroles mêmes que la mère de Lemuël roi de Massa lui avait enseignées. » Si le nom de ces deux princes Agur « exilé » et Lemuël « pour Dieu » ou « consacré à Dieu » mettent en relief leurs convictions religieuses d’une manière significative, l’enseignement de cette épouse de rois (Proverbes 31.2-9) n’est pas indigne d’une mère en Israël. Ces belles maximes introduisent tout naturellement la description enthousiaste de la femme forte, en relevant sa valeur morale, en exaltant la beauté de son œuvre (Proverbes 31.10-31). Là chacun des versets commence par une des vingt-deux lettres de l’alphabet Hébreu, comme si le poète sacré voulait, à l’exemple de l’auteur du psaume 119, suspendre une guirlande à chacun des caractères dont il se sert pour nous tracer cette admirable image de la femme vertueuse.
On pouvait le prévoir. L’esprit des livres apocryphes est tout différent de celui qui souffle à travers les pages de l’Ancien-Testament. Dans l’Ecclésiastique, nous remarquons qu’à une époque comparativement plus récente et moins pénétrée des influences de la corruption générale, l’éducation pieuse des enfants occupait une place importante dans l’esprit des hommes fidèles. Mais quand nous mettons le pied sur le seuil de la nouvelle Alliance, alors, en toute vérité, nous voyons le front de la femme entouré d’une pure et glorieuse auréole. Ici l’attention du lecteur est dirigée vers l’influence que la mère plus encore que le père exerce sur l’âme de l’enfant. Ne parlons point de l’épouse de Zébédée ni de la mère de Jean-Marc, dont la demeure à Jérusalem semble avoir été le lieu de réunion et le refuge des premiers disciples à l’heure des plus cruelles persécutions. Laissons de côté la « dame élue et ses enfants » qui étaient amis non seulement de St Jean, mais de tous ceux qui « connaissaient la vérité » de même que sa sœur élue et ses enfants. Deux exemples remarquables de piété, dans les femmes du Nouveau-Testament, se présenteront aussitôt devant les yeux du lecteur.
La première nous offre un modèle touchant de la foi, des prières et de l’amour actif d’une femme qui forme le parallèle le plus admirable avec l’histoire de Monique la mère de Saint Augustin. Comment Eunice, fille de la pieuse Loïs, a-t-elle épousé un païen ? c’est ce que nous ignorons aussi bien que les circonstances qui ont décidé sa famille à s’établir à Lystre (Actes 16.1), ville où l’on ne trouvait pas même une synagogue. Deux ou trois maisons Juives étaient établies alors dans cette cité de l’Asie-Mineure. Peut-être même Loïs et Eunice y étaient-elles les seules qui connussent le nom de Jéhovah. Il n’est jamais parlé d’un lieu de réunion pour la prière, semblable à l’oratoire élevé près de la rivière aux portes de la ville de Philippes, où Saint Paul rencontrera Lydie, pour la première fois. Néanmoins, dans des circonstances aussi défavorables, et quoique épouse d’un Grec, Eunice appartient à la cohorte sainte de ces femmes pieuses auxquelles on peut appliquer dans toute leur vérité les louanges du royal Lémuël : « ses enfants se lèvent et l’appellent bienheureuse » « et ses œuvres la louent aux portes » de la nouvelle Jérusalem. Pouvait-on concevoir une image plus touchante d’une famille juive pieuse que celle que nous trace Saint Paul dans les paroles adressées à son disciple le plus cher : « Rappelle le souvenir de la foi sincère qui est en toi et qui a été auparavant en Loïs, ton aïeule, et en Eunice, ta mère » ; ou, encore, « tu as, dès ton enfance, la connaissance des Saintes lettres ». (2 Timothée 1.5 ; 3.15) Privé de tout autre moyen de grâce, que restait-il au jeune Timothée ? Une influence constante, invariable, qui l’entraînait vers les choses saintes, l’influence d’une pieuse mère en Israël, qui ne négligeait point de l’élever dans la connaissance du Seigneur.
Les apocryphes, Josèphe et le Talmud nous montrent les moyens qu’un Israélite fidèle de ce temps possédait pour acquérir la connaissance des écrits sacrés. Dans la maison du père de Timothée on ne trouvait pas de phylactères, avec les fragments des saints écrits qui y étaient contenus. La Mésusah vénérée n’était probablement pas suspendue à la porte de la demeure. Mais nous savons qu’à l’époque des persécutions auxquelles les rois de Syrie soumirent le peuple élu, et avant que la terre sacrée n’eût enfanté les indomptables Maccabées, des familles juives nombreuses possédaient des fragments assez étendus, parfois même l’ensemble des livres de l’ancienne Alliance. En effet, l’un des soins de leurs fanatiques oppresseurs était de rechercher ces écrits vénérés pour les anéantir (1 Maccabées 1.57), et pour frapper du châtiment ceux qui en étaient les possesseurs (Jos. Ant. 12, 5, 4). Les despotes et les persécuteurs de la foi se sont ressemblé dans tous les âges de l’histoire. Dans tous les cas, pendant le réveil religieux qui suivit le triomphe des Maccabées, ces exemplaires de l’Écriture se multiplièrent. Certainement on reste dans les limites de la vérité, en affirmant que si les personnes riches possédaient seules une copie complète de l’Ancien-Testament, écrite sur parchemin ou tracée sur un rouleau de papier d’Egypte, la plus humble des familles conservait, comme son trésor le plus précieux, la portion de la Parole divine, les cinq livres de la Loi, le Psautier, ou le rouleau contenant les écrits de l’un des prophètes.
Le Talmud nous apprend que, plus tard et probablement aussi à l’époque de Jésus-Christ, on avait de petits parchemins à l’usage spécial des enfants. Ils contenaient des fragments importants de la Parole Sainte. Le Shema (Deutéronome 6.4-9 ; 11.13-21 ; Nombres 15.37-41). Le Hallel (Psaumes 113 à 118), l’histoire des origines, de la création au déluge, et les huit premiers chapitres du livre du Lévitique. Eunice avait à sa disposition de semblables moyens d’instruction quand elle donnait à son fils cet enseignement sacré.
Nous voici amenés à parler, avec le respect que le sujet impose, d’un exemple qui nous montre, avec une singulière autorité, l’influence qu’une mère en Israël pouvait exercer sur son enfant. Jésus, nous est-il dit, était assujetti à ses parents. Il croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. C’est là un des traits du mystère insondable de son volontaire abaissement. On dirait même que l’influence exercée sur son âme par Marie, dans ses jeunes années, se prolonge jusqu’au terme de sa carrière terrestre. C’est à l’ombre d’une maison pieuse qu’il avait grandi. Nazareth possédait une synagogue à laquelle une école était probablement attachée. On y lisait Moïse et les prophètes. Parfois aussi on y entendait des discours ou des allocutions analogues à celles qu’il y prononça lui-même (Luc 4.16). Quant à l’objet de l’enseignement dans les écoles de la synagogue, nous le ferons tout à l’heure connaître.
Au reste, que Jésus les ait fréquentées ou non, ce qui demeure certain c’est que son esprit s’était plongé dans l’atmosphère des Écritures dont il connaissait admirablement chaque détail. N’en devons-nous pas conclure que la famille de Nazareth possédait le volume divin qui, dès le plus jeune âge, constitua la nourriture et le breuvage spirituels de l’homme-Dieu. Il est évident qu’il n’ignorait pas l’art de l’écriture, bien moins répandu cependant à cette époque que celui de la lecture. Les paroles du Seigneur que Saint Matthieu (Matthieu 5.18) et Saint Luc (Luc 16.17) nous rapportent prouvent que l’exemplaire de l’Ancien-Testament qu’il avait médité n’était pas seulement l’original Hébreu mais qu’il était écrit, comme nos exemplaires modernes en caractères assyriens et non en lettres antiques de l’Hébreu-Phénicien. L’expression « un seul iota ou un petit crochet » traduite par erreur dans la version anglicane par le mot « point » qui ne peut s’appliquer qu’aux caractère hébraïques modernes, nous en est une preuve manifeste. Le Seigneur enseignait en Araméen, il employait et citait les Écritures, en Hébreu, les rendant quelquefois en Araméen pour être mieux compris de la foule.
[Keim relève justement Matthieu 27.46 comme un exemple de « couleur araméenne » donnée au texte hébreu. Nous aimons à citer Keim surtout parce qu’il était l’adversaire des idées orthodoxes. Néanmoins son ouvrage est écrit avec plus de soin et de respect que ceux qui ont paru depuis quelques années, surtout en France. Il est impossible de parcourir ces derniers écrits sans être stupéfait de l’autorité imperturbable avec laquelle on affirme, comme le dernier mot de la science, certaines idées singulièrement débattues, et sans éprouver une indignation légitime contre les assertions exprimées avec tant de superbe.]
Sur ce point il ne saurait y avoir d’hésitation prolongée dans l’esprit de l’homme qui lit, avec attention, et sans préjugés les pages du Saint-Livre, bien que quelques savants soient d’un sentiment contraire. La Mishnah (Negill I : 8) il est vrai semble permettre d’écrire les oracles vénérés en toutes langues. Mais Siméon lui-même, le fils de ce Gamaliel, qui fut le maître de Saint Paul, limitait cette autorisation à l’idiome grec, probablement par égard pour la traduction des LXX, si répandue à cette époque. A son tour, le Talmud, nous montre combien il était difficile à un Rabbin d’interdire à tous l’étude et l’emploi de la langue grecque. Voyez le changement favorable que produit Saint Paul, sur une foule furieuse lorsqu’il s’adresse à elle en Araméen. Ajoutez enfin qu’un appel aux Écritures hébraïques pouvait seul produire quelque effet, dans une discussion avec les Pharisiens et les Scribes. Seul, ce dialecte communiquait un poids décisif aux fréquentes demandes posées par le Christ à ses adversaires : « N’avez-vous pas lu cette Parole dans le livre de Dieu ? » (Matthieu 12.3 ; 19.4 ; 21.13, 16, 42 ; 22.31).
La connaissance familière de l’original Hébreu nous explique comment à l’âge de douze ans on pouvait voir Jésus « dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et leur faisant des questions. » (Luc 2.46) On a dit, sur ce sujet, que Jésus était, en ce moment, un Bar Mizvah ou « fils du commandement ». Membre, dès lors, de l’église Juive, il était soumis aux obligations des préceptes divins et jouissait des privilèges qu’ils assuraient à leurs religieux observateurs. C’est là une erreur. L’âge légal exigé pour avoir droit à ce privilège n’était pas celui de douze mais de treize ans (Ab. V. 21). D’autre part, les lois rabbinique ordonnaient (Yoma 82. a) qu’avant cette époque, deux ans ou un an au moins auparavant les jeunes garçons fussent conduit dans le temple, et obligés à l’observation des cérémonie ! religieuses usitées dans les fêtes d’Israël. Evidemment c’est pour se conformer à cette coutume universelle qui le Sauveur se rendit à cette occasion dans le temple de l’Éternel.
[L’âge de 12 ans était une date solennelle pour un enfant Juif. C’était l’époque à laquelle, selon la légende, Moïse avait abandonné la maison de la fille de Pharaon, et Samuel entendu la voix qui l’appelait à la charge de prophète. Alors Salomon avait rendu le jugement qui fut la première révélation de sa divine sagesse et Josias avait conçu la pensée de ses grandes réformes. Emancipé de l’autorité du père, il ne pouvait plus être vendu comme esclave. Il devenait un Ben-hat-thorah, ou fils de la loi. Si jusqu’à ce moment il avait été appelé katon ou petit, désormais on le nommait gadol ou grand. Il était traité comme un homme, admis à porter les phylactères, et présenté, par son père, à la synagogue, un jour de sabbat qui, à cause de cette circonstance, était appelé Schabbath-tephillim. Que disons-nous ? D’après un traité rabbinique, l’enfant n’avait jusqu’à cet âge possédé que la Nephesch ou la vie animale. Désormais il commençait à acquérir le Rouach, ou l’esprit, qui devait se développer, s’il menait une vie vertueuse pour devenir, à vingt ans, le Nischema ou l’âme raisonnable. Il est obligé alors d’observer le jeûne du jour des expiations. (loma fol. 82. col. 1). Cette date était aussi, pour le père, un jour de délivrance. Jusqu’à l’âge de 13 ans le père est chargé du soin de faire accomplir les devoirs religieux de l’enfant. Au treizième anniversaire de sa naissance, il s’écrie : « Béni soit l’Éternel qui m’a affranchi de la responsabilité qui pesait sur moi à cause des fautes que mon fils pouvait commettre. » (Bereschith Rabba fol. 63.) (C. p. Farrar o. c. 52. — N. o. c 131.) (G.R.)]
L’histoire nous apprend que les membres des divers sanhédrins qui, dans les jours ordinaires, siégeaient comme juges depuis la fin de la matinée jusqu’à l’heure du sacrifice du soir (Sanh. 88 b) avaient l’habitude, pendant le sabbat et à l’époque des fêtes, de se transporter sur la terrasse du temple et d’y donner leur enseignement. Tous les assistants pouvaient alors, avec la plus grande liberté, leur poser des questions, leur présenter des objections, en un mot, discuter avec eux. Ces débats, au moment où Jésus était présent dans le temple, se tenaient pendant le Moed katon. On désignait sous ce nom les heures des petites fêtes qui remplissaient les journées placées entre le second et le dernier jour de la semaine pascale. Joseph et Marie, comme la loi le permettait avaient repris, dès le troisième jour de la semaine, le chemin de Nazareth. Jésus, cependant, demeurait à Jérusalem. Ces détails ont leur importance. Ils nous donnent la clé de quelques difficultés. L’arrivée de l’enfant de Nazareth au milieu des docteurs, bien que remarquable en considérant l’âge du jeune Israélite, n’excita pas l’attention de tous les assistants. La seule qualité exigée d’eux, en fait de savoir, était une connaissance approfondie des écritures hébraïques et une intelligence convenable de leur enseignement.
[Lightfoot (Horæ Heb. in Luc 2.46) nous donne une idée pleine de fantaisie et d’erreurs de détail. Il nous montre Jésus enseignant en réalité ou, du moins, il le présente comme qualifié pour prendre part aux discussions régulières et à l’enseignement donné par les Rabbins.]
Les détails qui précèdent ont déjà fait naître dans l’esprit du lecteur la pensée que l’unique branche d’instruction cultivée par les Juifs, celle dont l’acquisition leur semblait seule désirable, à l’époque du Sauveur, était la science religieuse. Que fallait-il entendre par ce mot ? De quelle manière cet enseignement leur était-il dispensé dans la famille ou dans les écoles ? C’est ce qui nous occupera tout spécialement dans les pages qui vont suivre.
[La science proprement dite se résumait en quelques connaissances dues à la tradition ou à l’instinct. Religieuse par essence, elle s’attachait moins à développer l’intelligence que le sentiment moral. Pour faire connaître Dieu on s’adressait au cœur de l’homme, à son sentiment moral, à son imagination. La nature, pour l’Israélite, s’effaçait devant le Dieu Créateur. Il ne contemplait la nature que pour y trouver un reflet de la divinité. Cette importance de l’étude des choses religieuses et plus tard l’institution des synagogues donnèrent à l’interprète de la loi, au docteur, une grande supériorité sur le prêtre. « Il n’y avait de prêtres qu’à Jérusalem, et là même, réduits à des fonctions toutes rituelles, à peu près comme nos prêtres de paroisse, exclus de la prédication, ils étaient primés par l’orateur de la synagogue, le casuiste, le sofer ou scribe, tout laïque qu’était ce dernier. Les hommes célèbres du Talmud ne sont pas des prêtres, ce sont des savants selon les idées du temps. Le haut sacerdoce de Jérusalem tenait, il est vrai, un rang fort élevé dans la nation, mais il n’était nullement à la tête du mouvement religieux. » (C. p. Munk Pal.) (G.R.)]
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