Pour bien comprendre l’originalité du Sadhou et le sens complet de son enseignement concernant le péché, la souffrance et le jugement, il faut établir un rapport :
Le Sadhou croit au châtiment. Mais il le considère comme étant causé par une perturbation intérieure, par une déchéance inévitable de la personnalité. Le mal comporte sa propre punition en ce sens qu’il rend l’homme incapable de participer à la vie du ciel. Le Sadhou ne considère pas le châtiment comme l’expression de colère divine, car il voit toujours Dieu à travers le Christ. Comme nous l’avons rapporté plus haut : « Jésus-Christ n’est jamais irrité contre personne. »
« Puisque les hommes ont choisi le péché, il leur faut mourir dans le péché. Ce n’est pas Dieu qui donne cette mort. Dieu n’envoie personne en enfer. Le pécheur attire sur lui-même son propre châtiment. Considérons le cas de Judas Iscariot. Quand il trahit Notre-Seigneur, il ne fut pas pendu par Pilate, par les prêtres, par Notre-Seigneur qui était tout amour, par les apôtres. Il se pendit lui-même. Il se suicida et mourut dans son péché. C’est ainsi que finit celui qui vit dans le péché.
« Mais l’amour de Dieu est toujours là, prêt à intervenir, pour enrayer les suites du châtiment. Ce n’est pas au moyen d’un « pardon arbitraire », extérieur, que Dieu agit en commuant simplement la peine. Il change le cœur de l’homme et guérit ainsi la maladie morale qui est à la base du péché. Mais il faut que l’homme se repente.
« La doctrine du Karma enseigne que toutes les peines, les épreuves, les avilissements, les maladies dont un individu peut souffrir sont l’expiation juste, exacte, d’une faute quelconque commise dans une incarnation précédente. C’est le résultat automatique de la loi des causes et des effets. De par cette même loi, toute faute commise dans cette vie devra être payée par une souffrance équivalente, lors de notre retour sur terre, à notre prochaine incarnation. Une telle doctrine exclut forcément tout espoir en la rémission des péchés [2]. »
Le Sadhou insiste tout particulièrement sur le fait que le châtiment est automatique et ne doit pas être attribué à la colère divine ; car le Sadhou est inspiré par sa conviction passionnée de l’amour de Dieu, conviction qu’il appuie sur certains passages de l’Évangile selon saint Jean. Bien que cette doctrine soit prédominante dans cet Évangile, on peut se demander si le Sadhou l’eût découverte aussi facilement s’il n’avait été familiarisé avec la doctrine du Karma. Nous avons là un exemple de la nouvelle interprétation que l’Inde, si elle se convertit, pourra donner à l’Évangile selon saint Jean ; Westcott l’a pressenti. Entre la doctrine du Sadhou et l’idée du Karma qui, toutes deux admettent le châtiment automatique, il existe une différence subtile mais importante. Pour le Sadhou, le châtiment est le fait d’une transformation intérieure, inhérente à la personnalité. Le Karma représente le châtiment comme dépendant de circonstances tout extérieures.
Mais cette même idée de l’amour du Christ, qui fait adopter au Sadhou une conception presque hindoue du châtiment, l’amène à rejeter avec énergie certains autres aspects de la doctrine du Karma ; notamment la négation de la possibilité du pardon et la conception de la souffrance envisagée comme châtiment. Cette dernière idée est encore très répandue dans le christianisme populaire, malgré le livre de job et renseignement de Notre-Seigneur. Aussi, est-ce contre elle que le Sadhou s’élève le plus fréquemment. Il en appelle encore à l’autorité de saint Jean : « Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché ; mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » (Saint Jean IX, 3.) Nous retrouvons ici le Sadhou et sa philosophie de la Croix : endurer des privations, de mauvais traitements, des souffrances physiques, c’est participer à la croix de Christ ; les endurer avec sérénité, sans rancune, c’est reproduire Son caractère, et par conséquent proclamer silencieusement Son message et Sa puissance. Aussi le Sadhou ne considère-t-il pas la souffrance comme une punition, mais parfois comme un remède, et toujours comme un moyen.
« Dieu est amour, c’est pourquoi Il ne punit pas. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui considèrent la maladie ou les malheurs comme un châtiment. Ce sont ce que j’appellerai des « tapes amicales ». Un médecin me raconta l’histoire suivante :
« Les poumons de l’enfant ne fonctionnent pas avant sa naissance, mais dès que l’enfant vient au monde, il se met à respirer. Il faut que l’enfant crie, sans quoi ses poumons restent contractés et la mort s’ensuit. Un enfant qui venait de naître ne pouvait respirer. Il allait mourir, mais la sage-femme lui donna une tape. La mère dut penser :
« Cette femme est venue me soigner, mais elle tue mon fils. À peine est-il né qu’elle le frappe. » La tape fit crier l’enfant et, en criant, il respira. C’est ainsi que Dieu parfois nous frappe avec amour. »
« Un jour que je descendais de la montagne je m’assis sous le porche d’une maison. Le vent se mit à souffler avec violence, entraînant un petit oiseau dans ses tourbillons. Alors surgit un faucon ; il fonça sur l’oiseau pour en faire sa proie. Pris entre ces deux dangers, le petit oiseau tomba sur mes genoux. Bien que ces passereaux craignent les hommes, celui-ci chercha un refuge auprès de moi au jour du danger. Ainsi la tempête de la souffrance nous jette dans le sein de Dieu.
« Alors que je me baignais à Karachi, je fus entraîné vers le large sans m’en rendre compte. Tout à coup, je vis une vague, haute comme un mur, qui s’avançait vers moi. Dans ma crainte, je criai à Dieu. Je pensais qu’il me serait impossible de revenir à terre et que je serais englouti dans les flots. Et cependant, loin de me faire périr, cette vague me ramena sur la grève. Il en est de même de la souffrance.
« Au cours d’un de mes voyages, je rencontrai un berger. Il avait l’habitude de faire passer la rivière à son troupeau pour le mener paître ; à la fin du jour, il le ramenait et le faisait traverser la rivière à nouveau. Ce soir-là, le troupeau traversa tout entier, à l’exception d’une vache et de son veau résolus, semblait-il à ne pas bouger. Craignant qu’ils ne fussent dévorés la nuit par des bêtes sauvages, le berger leur donna des coups de fouet pour les décider à entrer dans l’eau. Ce fut en vain. Il leur tendit du foin, essaya de les attirer de l’autre côté de la berge. Mais il ne réussit pas davantage. Je lui donnai alors ce conseil :
« – Prenez le veau dans vos bras, et la vache viendra d’elle-même.
« Il fit ainsi et la mère suivit. Quand nous refusons de suivre Notre-Seigneur, il nous sépare de nos bien-aimés et les prend auprès de Lui. Nous sommes alors amenés à désirer ces régions célestes où nos bien-aimés s’en sont allés, et à nous y préparer dès maintenant. »
N’est-il pas permis de supposer que Sundar a songé à la mort de sa mère, dont il parle toujours avec tant de tendresse, et de l’influence que cette séparation eut sur ses aspirations religieuses ?
« Les chagrins et les épreuves nous rapprochent de Dieu et nous rendent aptes à Le servir. Beaucoup ne considèrent les épreuves que comme un châtiment du péché. Cependant la souffrance et l’attitude que nous avons en face de cette souffrance est une merveilleuse possibilité de servir Dieu, un moyen effectif de Le servir et de Le glorifier.
« Considérons le cas du pauvre Lazare. Il était couvert d’ulcères. Il n’est pas dit que ces ulcères aient été la conséquence de ses fautes, sans quoi il n’eût pas obtenu le grand privilège de reposer dans le sein d’Abraham. Ses souffrances et la façon dont il les endura furent une prédication vivante pour ceux qui le voyaient et par ce moyen, il amena beaucoup d’âmes à glorifier Dieu.
« Plusieurs diront : « Cela est fort bien ; mais Dieu éprouve-t-il l’innocent afin d’en être glorifié ? » Considérons cependant la récompense que Dieu accorda à Lazare après cette brève période d’épreuves. Il lui dit : « J’ai porté la croix, toi aussi tu l’as portée. Maintenant je règne et tu régneras avec moi. »
« La doctrine hindoue de la transmigration des âmes s’efforce de résoudre le problème de la souffrance, mais sans y parvenir. Pour expliquer qu’un homme est rajah et un autre coolie, elle prétend que dans une vie précédente le rajah était bon et le coolie méchant. Un certain rajah, fit la critique de cette doctrine en disant : « Lorsqu’un doigt est fortement écorché, la blessure saute aux yeux. Par contre, on peut avoir l’os du doigt cassé sans qu’il n'y paraisse rien. Ainsi, ma vie est une longue série de soucis et de fardeaux, bien que je semble vivre dans le luxe et la joie. Le coolie n’est troublé par aucun souci. Il a dû être un saint dans une vie précédente, et moi, un pêcheur. »
« Nous te louons Seigneur, des joies et des souffrances que tu nous as envoyées dans le passé et que tu nous envoies encore. Parce que nous portons Ta croix, les joies du ciel nous réservent leurs douceurs. Car celui qui n’a pas supporté la souffrance ne peut connaître la joie véritable »
« Autrefois cette parole me surprenait ; maintenant je la comprends. Le péché est généralement causé par la recherche du plaisir. Mais celui qui aime Dieu possède en lui-même des sources de joie profondes, intarissables au point que tout autre plaisir ne l’attire plus. Il ne pèche plus ; il est comme un homme qui possède un louis d’or et ne saurait que faire d’un sou démonétisé. »
« Il était une jeune fille dans un village. Elle enlevait tous les jours les toiles d’araignées qui se trouvaient dans sa chambre. Alors qu’elle se livrait à ce travail, elle se mit à réfléchir et s’écria :
« – Seigneur, de même que je nettoie cette chambre, purifie mon cœur de tout péché !
« Elle entendit alors une voix :
« – Mon enfant, pourquoi balayer chaque jour les toiles d’araignées ? Il vaudrait mieux tuer l’araignée qui tisse ces toiles. Détruis l’araignée et tu n’auras plus de toiles.
« De même, il ne suffit pas que nos péchés quotidiens soient pardonnés, il faut, comme le dit l’apôtre, que nous nous dépouillions du vieil homme.
« Les catholiques attachent un grand prix à la rémission des péchés par l’absolution. Mais le mal qui est à la racine du péché continue d’agir.
« Le péché n’est pas seulement un mal, mais un mal contagieux. Cependant, quand le soleil de justice paraît, tous les mauvais germes sont détruits.
« – Croyez-vous que les pécheurs repentants doivent penser continuellement à leur faute et renouveler leur contrition ?
« – Ne vous mettez pas en peine de savoir si Dieu pardonne ou ne pardonne pas vos fautes. Le salut n’est pas le pardon des péchés, mais l’affranchissement du péché. Il y avait à Sikkim un poitrinaire qui fut pris d’un accès de délire. Un ami vint le voir. On avait placé près du lit quelques fruits et un couteau. Dans son délire, le malade saisit le couteau et égorgea son ami. Il fut condamné à être pendu. Avant l’exécution, fixée à cinq heures du matin, ses amis allèrent trouver le roi pour implorer sa grâce, puisqu’il n’était pas responsable de son acte. Mais quand ils s’en retournèrent, ils apprirent que le malade était déjà mort de sa maladie. Son crime, conséquence de la maladie, était pardonné, mais la maladie elle-même qui était à la base du crime, n’avait pas été guérie. C’est ce que signifie cette parole de Dieu : « Vous mourrez dans vos péchés. » Dieu ne nous détruit pas, mais le mal qui est à la racine du péché poursuit néanmoins son œuvre de destruction.
« C’est un signe de santé spirituelle que de se sentir pécheur. Nous sommes en danger lorsque nous n’avons pas conscience de notre péché. Me baignant un jour dans la rivière Sutlej, je plongeai à une grande profondeur. Au-dessus de ma tête, il y avait des masses d’eau considérables, et cependant je n’en sentais pas le poids. Quand je fus de nouveau sur la rive, je soulevai une cruche remplie d’eau et m’étonnai de la trouver si lourde. Tant que j’étais sous l’eau, je n’en avais pas senti la pesanteur. C’est ainsi que le pécheur ne réalise pas le poids de son péché, tant qu’il vit dans le péché.
« Le charbon est noir. Il est impossible de le blanchir. Cent livres de savon n’en modifieraient pas la couleur. Mettez-le dans le feu ; il perdra sa couleur noire et deviendra brillant, lumineux. De même, nous qui sommes pécheurs, nous brillerons devant le monde, quand le Saint-Esprit nous baptisera de feu et pénétrera nos cœurs et nos vies consacrées au Christ. C’est ce qu’entend le Christ lorsqu’Il dit : « Vous êtes la lumière du monde. »
« Lorsque nous persévérons dans le péché, notre conscience qui est l’œil de notre âme, devient aveugle.
« Je vis une fois un moine tibétain qui avait passé de longues années à méditer dans une grotte obscure. Quand il en sortit, il ne pouvait plus rien voir. Ses yeux étaient pâles et jaunes. Alors que je revenais du Japon aux Indes, je fis la connaissance d’un savant qui avait des poissons dans un bocal. Ces poissons étaient magnifiques, mais ils étaient aveugles. Ils n’avaient pas d’yeux ; une trace superficielle témoignait qu’ils en avaient autrefois possédé. Les poissons avaient vécu dans l’obscurité, ils ne s’étaient pas servis de leurs yeux et les avaient perdus.
« Un jour, dans l’Himalaya, je mangeai un fruit vénéneux, et pendant trois jours ma langue fut insensible. Je ne pouvais rien goûter. C’est ainsi que nous perdons le goût du divin (c’est-à-dire que notre conscience se paralyse) lorsque nous mordons au fruit empoisonné du péché.
« Je vis une fois un chiffonnier qui portait un seau rempli d’ordures. L’odeur était telle que je faillis vomir. Mais l’homme avait tellement l’habitude de cette odeur que, de sa main libre, il portait de la nourriture à sa bouche et mangeait. Nous sommes si accoutumés au mal et au péché qui règnent dans le monde, que nous n’en sommes pas incommodés. Mais le Christ ressentirait sur la terre le malaise que j’éprouvai lorsque je rencontrai le chiffonnier. Aussi est-ce une erreur de croire que la souffrance du Christ se borne à la crucifixion ; c’est pendant trente-trois ans qu’Il demeura crucifié. »
« Je voyageais dans l’Himalaya avec quelques compagnons ; l’un d’eux fut pris d’une grande soif. Nous aperçûmes, en arrivant sur une hauteur, un peu d’eau au milieu d’un marais. Le jeune homme voulut boire de cette eau. Son frère, qui connaissait le pays, lui dit à plusieurs reprises :
« – Lorsqu’on entre dans ce marais, il est impossible d’en sortir. Tous ceux qui ont risqué l’aventure sont morts enlisés. Patiente un peu et nous arriverons bientôt dans un village à cinq lieues d’ici où tu trouveras de l’eau.
« Nous joignîmes nos prières aux siennes. Mais le jeune homme était décidé à entrer dans le marais. Il se dirigea vers l’eau, disant :
« – Il n’y a pas de boue ici. A cette heure matinale, l’eau est encore gelée.
« Il parvint jusqu’à la source et but. Mais lorsqu’il voulut revenir, ses pieds enfoncèrent dans la boue qui lui monta jusqu’aux genoux ; plus il se débattait, plus il enfonçait. Il fut enlisé jusqu’à la taille, puis jusqu’au cou. Aucun moyen de le sauver. Nous n’avions pas de cordes assez longues. Quiconque aurait voulu lui porter secours aurait péri. Le pauvre garçon se lamentait à l’idée de mourir ; et cependant il avait été averti du danger. Mais à quoi bon ? Il mourut. Beaucoup d’hommes s’attachent aux biens de ce monde. Ils savent cependant que les biens matériels ne peuvent étancher la soif de l’âme ; ils en connaissent les dangers. Ces hommes-là périront assurément. Tournons nos cœurs non pas vers le monde, mais vers Celui qui nous appelle à la vie et qui peut apaiser notre soif.
« Au Tibet, il y avait un village privé d’eau. Les habitants étaient obligés de faire deux milles pour aller en chercher. Lassés de ce travail, ils creusèrent une citerne, espérant que la pluie la remplirait et que ce long trajet quotidien leur serait épargné. Mais plusieurs villageois continuèrent à aller chercher de l’eau à la source fraîche et claire. Les autres se moquèrent d’eux ; ils riaient et les traitaient d’insensés. Heureux de n’avoir plus aucune peine, ils burent l’eau de la citerne, mais ils moururent, car l’eau était mauvaise. Ceux qui s’étaient donné la peine d’aller chercher l’eau bien loin vécurent. C’est ainsi qu’il est difficile d’aimer le Seigneur et de haïr le monde, mais c’est le chemin de la vie.
« Un chasseur sortit avec sa fronde. Il vit un oiseau perché sur un arbre. Au moment de saisir une pierre, il s’aperçut qu’il n’en avait plus sur lui. Or, à quelques pas de lui se trouvait un vase contenant des pierres magnifiques. Il les prit et les lança. Les pierres tombèrent toutes dans la rivière à l’exception d’une seule que le chasseur rapporta à la maison pour la donner à son enfant comme jouet. Sur la route, il rencontra un marchand de diamants qui lui offrit mille roupies de cette pierre. Le chasseur ne voulut cependant pas la céder. Le marchand lui dit alors :
« – Donne-moi ta pierre ; va chez moi et emporte tout l’or que tu pourras transporter en une heure et demie.
« Le chasseur accepta. il remplit un sac d’or et s’en fut. Il revint en chercher un autre. Quelques minutes lui restaient encore ; il emporta un autre sac plein de roupies et rentra chez lui, pleurant et gémissant.
« Ses voisins lui dirent :
« – Tu es fou. Au lieu de remercier Dieu de tout cet argent qu’il t’envoie, tu te lamentes.
« – Mais certainement, je remercie Dieu, dit-il en pleurant. Mais j’ai été insensé de ne pas comprendre la valeur de cette pierre ! J’en ai perdu plusieurs ; je les ai jetées dans l’eau. Si je les avais gardées, je serais devenu millionnaire.
« Chaque jour de notre vie est une pierre précieuse. Nous en avons déjà perdu beaucoup. Ce jour-ci est peut-être le dernier. Repentons-nous dès à présent.
« Un homme pauvre vivait dans le nord de l’Inde. Il était criblé de dettes et ne savait comment les payer ; il était trop paresseux pour gagner de l’argent. Ses créanciers résolurent de le faire mettre en prison. Un homme généreux et riche voulut venir en aide à ce malheureux. Comme il désirait que son action fût tenue secrète, il se rendit à la maison du pauvre après minuit. Il apportait toutes sortes d’aliments et cinq cents roupies. La dette n’atteignait pas ce chiffre. Il frappa à la porte plus d’une heure durant, mais l’homme était trop paresseux pour se lever. L’homme riche s’en retourna écœuré et trouva que l’indigent n’était pas digne d’être secouru. Le lendemain, le pauvre apprit ce qui s’était passé ; il eut d’amers regrets, mais il était trop tard. Le Roi des rois est prêt à payer toutes les dettes de notre péché. Il frappe à la porte ; Il nous tend une nourriture divine qui nous fortifie et nous donne la victoire sur nos ennemis spirituels. Ne soyons pas paresseux et indifférents comme cet homme. Ouvrons-Lui de suite. La paix céleste et la joie seront alors nôtres. Notre cœur lui-même deviendra le ciel.
« Satan sème le doute dans le cœur des vrais chrétiens et les trouble ainsi. Mais par la grâce de Dieu, le juste échappe à cette emprise. Pour illustrer ceci, permettez-moi de vous raconter une histoire :
« Avant que d’être converti, un saint avait commis plusieurs crimes. Après sa conversion il servit le Seigneur de toutes ses forces et mena une sainte vie. Quand il fut sur son lit de mort, Satan lui apporta la liste de ses fautes passées et dit :
« – Voilà tout ce que tu as fait. Tu n’es pas digne d’entrer au ciel. Ta place est en enfer.
« À Satan qui voulait l’effrayer, le saint répondit :
« – Mon Sauveur ne jettera point dehors celui qui vient à lui. » Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner et pour nous purifier de toute iniquité. » (
« Cependant, Satan continua de le troubler ; mais le saint persévérait résolument dans sa prière. C’est alors qu’un doigt apparut et barra la liste des péchés. Le saint se réjouit et loua Dieu. Mais Satan lui dit
« – Ne te réjouis point. Tu peux atteindre le ciel, mais ton péché sera toujours visible à tous les yeux et tu auras honte devant tous.
« Le saint pria de nouveau. Alors une goutte du sang du Christ tomba sur l’énumération des péchés, se répandit sur toute la feuille, effaça l’écriture, et rendit le papier blanc. Voyant cela, le saint fut rempli d’une joie divine, et paisiblement se présenta devant Dieu.
« Contemplons les trois croix du Calvaire. Celui qui était crucifié au milieu mourut pour le péché. Un des larrons se repentit ; il implora humblement le Seigneur qui écouta sa prière et lui promit de le recevoir ce jour même dans Son paradis. Le larron mourut au péché et vécut en Christ. L’autre malfaiteur chercha à sauver son corps, sans se repentir :
« – Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi, et nous avec toi.
« Il vécut pour son corps et mourut dans le péché. Bien qu’étant auprès du Seigneur de vie, il mourut dans le péché et ne put être sauvé.
« Ami, quelle est ta condition ? Es-tu mort dans le péché, ou es-tu mort au péché ? »
Pour savoir exactement comment le Sadhou comprend le jugement, il faut compléter ce paragraphe par l’enseignement ésotérique tiré des visions, visions rapportées dans le chapitre précédent. Comme nous l’avons déjà dit, le Sadhou insiste beaucoup dans ses discours sur la certitude du châtiment. Mais jamais il ne fait allusion à l’espoir qu’il a d’une rédemption finale, rédemption accordée, bien qu’à des degrés différents, à tous les hommes, ou du moins à presque tous.
« Il en est beaucoup qui se rassurent en disant : « Dieu est Amour. D’une façon ou d’une autre, Il nous sauvera et nous rachètera au dernier moment. » Mais au dernier moment, ceux qui parlent ainsi seront déçus.
« Dans l’Himalaya, il est un prince hindou clément et miséricordieux. Un soir qu’il parcourait le pays, on lui amena un homme qui s’était enfui après avoir dérobé des vêtements dans un magasin. Le rajah le réprimanda et dit
« – Cette fois-ci, je te pardonne, car je ne siège pas en mon tribunal. Mais garde-toi de recommencer.
« L’homme ne renonça pas à ses habitudes de vol. Un autre jour, alors que le rajah se promenait, on lui amena cet homme de nouveau. Il lui pardonna encore. Le voleur, s’enhardissant multiplia ses délits jusqu’au jour où il commit un meurtre et fut traduit en justice. On l’amena devant la cour. Il éprouvait une vive appréhension, mais dès qu’il reconnut le visage du juge, il retrouva sa hardiesse et son insouciance.
« – C’est le généreux rajah qui m’a déjà pardonné deux fois. Il fera de même encore.
« Quand le rajah le vit, il fut ému de compassion et dit :
« – Ami, voilà longtemps que tu aurais dû abandonner le mauvais chemin. Je t’ai pardonné plusieurs fois. Et aujourd’hui encore, je voudrais pouvoir le faire. Mais que puis-je ? Ce n’est pas moi qui juge ici, c’est le livre de la loi et cette loi te condamne à être pendu.
« Il en sera de même au Dernier Jour. Dieu est Amour, mais écoutez ce que dit le Sauveur : « Si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde point, ce n’est pas moi qui le juge ; car je suis venu non pour juger le monde, mais pour le sauver. Celui qui me rejette et qui ne reçoit pas mes paroles a déjà son juge ; la parole que j’ai annoncée, c’est elle qui le jugera au dernier jour. » (Jean XII, 47-48.)
« Un jour, je soulevai une grosse pierre, sous laquelle je trouvai d’innombrables insectes. Dès qu’ils aperçurent la lumière, terrifiés, ils se mirent à courir dans tous les sens, en proie à une vive agitation. Je remis la pierre à sa place et les insectes retrouvèrent leur tranquillité. Lorsque se lèvera le Soleil de Justice, cette scène se reproduira. Ceux qui vivent dans les ténèbres, dans le péché, contempleront, dévoilées, les fautes qu’ils ont commises en secret : « Car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. » (
« Observez le cobra. Quel que soit le nombre de fois qu’il dépouille sa peau, il demeure un cobra. Ainsi fait le pécheur ; il peut quitter son corps, mais dans l’autre monde, il demeure un pécheur. Le caractère ne change pas avec la mort.
« Tout pécheur est traître envers Dieu. Un homme qui a trahi peut s’échapper et se réfugier dans un autre pays. Mais y a-t-il un royaume où l’on puisse se réfugier après avoir trahi le royaume de Dieu ? Le péché s’emparera de lui, alors qu’il s’enfuit loin de Dieu, à cause de son péché. La mort surprendra celui qui fuit Dieu pour échapper à la mort.
« Au Tibet, un homme commit un meurtre. Le gouvernement condamna l’assassin à être pendu. Celui-ci perça le mur de la prison avec un clou et se sauva dans la forêt. Mais, incapable de supporter la rigueur du froid, il mourut. La mort rattrapa celui qui avait tenté d’échapper à la mort.
« La prière et la méditation nous aident à nous purifier du péché.
« Dans le sud de la province du Bhoutan, se trouve une épaisse jungle où l’on chasse le tigre et le gros gibier. On y a construit une cabane qui peut servir d’abri en cas de danger, et les chasseurs ont sur eux la clef du refuge. Un jour, un chasseur prit son fusil et sortit. Soudain, il aperçut un tigre qui le suivait. L’homme crut avoir le temps d’atteindre le refuge et se sauva en jetant son fusil. Arrivé devant la porte, il chercha la clef ; il l’avait oubliée. Le tigre bondit sur lui et le tua. Entre le refuge et le chasseur, il n’y avait que quelques centimètres, l’épaisseur de la porte. Et cependant l’homme perdit la vie, de par sa négligence, parce qu’il avait oublié la clef. Il serait mort, s’il avait été à dix lieues de la cabane. Il n’en mourut pas moins, bien que tout près du refuge.
« Etant près du royaume de Dieu, beaucoup de chrétiens en négligent la clef. Quelle est cette clef ? C’est la repentance et la prière persévérante.
« Alors que je voyageais dans l’Himalaya avec des amis, je vis un homme qui arrivait d’un pays chaud. Nous l’avertîmes du danger :
« – Enveloppe bien tes pieds et tes mains, ou le froid les gèlera.
« – Je comprends, dit-il, que la chaleur puisse détruire. Mais il est absurde de penser que le froid puisse en faire autant.
« Il négligea notre avertissement. Je le rencontrai quelques jours après. Sa main était gelée. Il se lamentait de ce que la neige lui eût causé un pareil accident. Mais ses regrets étaient inutiles. »
« Un homme était assis à l’ombre d’un arbre. S’adressant à l’ombre, il dit :
« – Toi, tu es sûre de revenir ici une fois toutes les vingt-quatre heures, mais moi je ne puis en dire autant. Et cependant je n’ai rien de prêt à offrir à Dieu dans l’autre monde…
« Oui, il est certain que bien des choses reviendront, mais il n’est pas sûr que l’occasion de nous repentir nous soit donnée à nouveau. »
[1] Les documents de ce chapitre proviennent pour la plupart de la collection des discours en tamil.
[2] L’hindouisme populaire offre des moyens variés pour obtenir la rémission des péchés ; par exemple, les ablutions dans des eaux sacrées, particulièrement à certaines fêtes. Mais pour concilier ces rites avec la doctrine du Karma, il faut leur attribuer une valeur morale qu’ils n’ont pas ; de plus, ils font perdre à cette doctrine son caractère de justice impassible. C’est précisément cette idée d’impassibilité qui exerce un attrait moral sur bien des esprits. C’est elle principalement qui vaut à la doctrine du Karma d’être prise en considération.