L’épître de Clément de Rome nous est parvenue dans le texte original par deux manuscrits, et dans trois versions anciennes, en latin, en syriaque et en copte.
Le manuscrit le plus ancien et le plus anciennement connu est un manuscrit très célèbre dans la critique du Nouveau Testament, désigné par la lettre A, et qualifié d’Alexandrinus. On lui assigne l’Egypte comme lieu d’origine. En tout cas c’est à Alexandrie que le patriarche le reçut en présent, à une date qu’il est difficile de préciser. Lorsque Cyrille Lucar passa du siège d’Alexandrie à Constantinople (1621), il emporta le manuscrit dont il fit hommage plus tard au roi d’Angleterre Charles Ier en 1628. De la bibliothèque royale, le manuscrit émigra en 1757 au British Museum où il existe encore. Le manuscrit contient l’épître de Clément de Rome et le sermon dont nous parlerons dans la suite et qui passait pour une deuxième épître du même auteur ; mais il y a des lacunes graves qui portent sur le passage 57.6 à 63.4, 4 de la première épître et sur la fin du sermon dont les feuillets à partir de 12.5 ont disparu. Des essais malheureux à la noix de galle en vue de faire revivre l’écriture ont rendu illisibles nombre d’endroits.
Le texte de Clément dans ce manuscrit est plein de fautes : certains mots sont orthographiés de quatre manières différentes ; des lettres sont tantôt omises et tantôt redoublées ; il y a des erreurs dans les désinences. Il offre l’apparence d’un texte écrit par un scribe sous la dictée, sans prêter grande attention à ce qu’il faisait. Mais de pareilles défectuosités donnent du moins lieu de penser que le copiste n’a rien changé au texte arbitrairement sous couleur d’amélioration et de corrections à y introduire. Les altérations graves sont peu nombreuses. Il semble seulement qu’il révise un peu son texte dans les citations de l’Ancien Testament où il s’inspire de la traduction des Septante qui lui est familière. Le manuscrit est écrit en caractères onciaux et date très vraisemblablement du ve siècle. Il a une importance de premier ordre. C’est à ce manuscrit A, que l’on a donné en général la préférence pour établir le texte des éditions critiques.
Le deuxième manuscrit qui nous ait conservé l’original grec de l’épître de saint Clément est le manuscrit désigné autrefois par la lettre C (édition Lightfoot) et appelé Constantinopolitanus du nom de la ville de Constantinople où il fut découvert par Philothée Bryrennios, mais que l’on devra s’habituer à désigner par la lettre H et le qualificatif d’Hierosolymitanus (édition Funk), car il a été réintégré définitivement dans la bibliothèque du patriarcat grec à Jérusalem. C’est le célèbre manuscrit où a été retrouvé le petit écrit de la Didachè ou Doctrine des Apôtres. L’épître de saint Clément et le sermon d’auteur inconnu qualifié de seconde épître clémentine y occupent les feuillets (folios 51 E-76 A) qui furent reproduits en photographie par Lightfoot a la fin de son édition de saint Clément.
Ce manuscrit a été exécuté en 1056, calligraphié par le notaire Léon dont la culture s’accuse de bien des manières : il a souci de l’euphonie si négligée dans la grécité de basse époque, il évite soigneusement les fautes d’orthographe et les iotacismes ; il amende surtout son texte d’une façon consciente par la substitution assez fréquente de la deuxième personne du pluriel à la première.
Les corrections intentionnelles du νοτάριος et l’époque tardive où fut exécuté le manuscrit en font un témoin du texte moins qualifié que le manuscrit alexandrin. Il n’en offre pas moins des leçons précieuses, et surtout il supplée le manuscrit précédent pour les chapitres qui y manquent et dont il nous a restitué le texte original (1875).
1. Version latine. — Il a existé une version latine très ancienne de l’épître de Clément aux Corinthiens ; mais elle ne nous est connue que par un seul manuscrit, et de date assez tardive, le codex Florinensis exécuté à la fin du xie ou au commencement du xiie siècle. Il fut trouvé par Dom Germain Morin au séminaire de Namur (1893), mais il provient du monastère de Florennes, fondé par un chanoine de Reims, Gérard, qui fut évêque à Cambrai depuis 1012. On a remarqué parmi les abbés de Florennes, à l’époque qui nous occupe, le nom de Richard de Verdun, un chaud partisan de la réforme de Cluny, et aussi de la culture intellectuelle et morale qui devait en être à la fois le fruit et l’instrument. On s’explique ainsi la composition variée de notre manuscrit dont les 127 feuillets de parchemin ne contiennent pas seulement l’épître de Clément aux Corinthiens, mais aussi la préface de Rufin à l’histoire du pape Clément, les dix livres de l’histoire du pape Clément (connus sous le nom de Récognitions), la lettre du bienheureux Clément à Jacques, frère du Seigneur ; c’est comme un Corpus Clementinum des œuvres authentiques et supposées de l’évêque de Rome ou ayant trait à sa personne. Ce manuscrit est désigné dans les éditions critiques par la lettre L.
La version latine est extrêmement précieuse, d’abord parce qu’elle est très littérale. Le mot grec transparaît pour ainsi dire sous son équivalent latin. La fidélité va jusqu’à chercher, même au prix d’un à peu près, des mots sinon toujours de même étymologie, du moins de ressemblance extérieure (αὐθάδεια est rendu par audacia, γλυκύτης par indulgentia que suggère dulcis). Le traducteur suit également l’ordre des mots de son original. Aussi malgré le nombre des fautes introduites dans le texte par les copistes successifs, peut-on considérer la version latine comme un témoin très autorisé de l’original primitif. Il l’est d’autant plus que la version elle-même est très ancienne et représente par conséquent un texte grec qui n’avait pas eu le temps de subir des altérations bien graves. Le traducteur a adopté de nombreux hellénismes, particularité qui suppose que les oreilles des destinataires étaient encore accoutumés à entendre le grec. La version latine de l’épître clémentine se rapproche des autres versions occidentales telles que l’Itala de l’Ancien Testament, et les traductions latines de la lettre du pseudo-Barnabé ou du pasteur d’Hermas qui sont antérieures à Tertullien. Des discussions savantes engagées par Dom Morin, Harnack, von Woelfflin et d’autres critiques il résulte qu’on ne se trompera guère en plaçant la date de la traduction entre 150 et 230. On a tout lieu de supposer que le lieu d’origine n’est autre que Rome.
2. La version syriaque. — Un autre moyen d’information pour la constitution du texte nous vient de la traduction syriaque contenue dans un manuscrit révélé au public en 1876, par R. L. Bensly. Le ms. exécuté à Édesse où il fut achevé en 1481, avait appartenu à l’orientaliste français Jules de Mohl (1800-1876) et venait de passer à la bibliothèque de l’Université de Cambridge où il fut à proprement parler découvert. Le scribe syrien considère comme des écritures canoniques les deux lettres clémentines qu’il transcrit. Cependant elles n’étaient certainement point comprises dans le Nouveau Testament d’après la révision entreprise en 616 par Thomas d’Héraclée, évêque de Mabboug, et il n’existe aucune preuve que l’ancienne Église syrienne leur ait attribué un caractère d’inspiration.
L’indigence de la langue syriaque n’a permis au traducteur de réaliser qu’une œuvre très imparfaite. Il est souvent impossible de déterminer celle de deux expressions analogues que le syriaque a voulu rendre. D’autres fois l’emploi de périphrases n’était nullement nécessaire mais tient à la façon dont le traducteur a compris son œuvre. Certaines gloses et additions viennent sans doute du traducteur ; mais il en est d’autres qui proviennent probablement de copistes plus récents. Pour les citations, le texte grec se réfère ordinairement aux Septante et notre traducteur à la Peschito syriaque ; il y a cependant un petit nombre de cas où le syriaque serre de près le texte des Septante tandis que les trois autres témoins du texte s’en éloignent.
La mort de Bensly fit renvoyer à plus tard la publication de la traduction syriaque de saint Clément ; mais Lightfoot en a relevé soigneusement sur le manuscrit les leçons remarquables et par son édition critique en a fait entrer les résultats courants de la critique textuelle.
3. La version copte. — Plusieurs faits très précis témoignent du grand crédit dont l’épître de Clément aux Corinthiens a joui en Egypte. A propos de l’authenticité, nous avons rappelé l’estime et l’usage qu’ont fait de la lettre Clément d’Alexandrie et Origène. Si Eusèbe a pu dire qu’en beaucoup d’églises, même de son temps, on lisait encore l’épître dans les assemblées des fidèles (H. E., 3.16), il visait peut-être les églises d’Egypte. En tout cas le manuscrit alexandrin, qui met l’épître de Clément à la suite des écrits du N. T. nous est un témoin égyptien de l’antique usage. Il n’est donc pas très surprenant que parmi les découvertes faites dans les manuscrits coptes, il se trouve une version de notre épître.
Le manuscrit qui la contient, provient, comme d’autres papyrus, de la bibliothèque du « monastère blanc » illustré autrefois par Schnoudi et situé non loin de Sohag. C’est de ce monastère que, depuis le xviiie siècle, beaucoup de manuscrits ont pris le chemin de l’Europe. MM. Maspéro et Amélineau en particulier y ont acheté un grand nombre de manuscrits coptes pour la Bibliothèque nationale. La version copte de l’épître de Clément a été acquise par M. Carl Schmidt pour la bibliothèque royale de Berlin (Ms. orient. Fol. 3065), et publiée par lui en 1908 dans la précieuse collection des Texte und Untersuchungen. Il manque cinq feuillets de la version. La lacune s’étend de la fin du chapitre 34 au chapitre 41 inclusivement.
La version est rédigée dans le dialecte de la région d’Achmin, où est situé le monastère ; or, c’est le dialecte sahidique qui, à partir de l’époque de Schnoudi (385 environ), tendit à prévaloir comme langue officielle des documents publiés dans la Haute-Egypte et qui fut généralement employée pour les travaux littéraires. Cette circonstance, non moins que le caractère de l’écriture et que les particularités dialectales ou grammaticales relevées par M. Carl Schmidt, lui font conclure à une très haute antiquité du manuscrit. Il remonte à l’époque où beaucoup d’autres œuvres telles que le Pasteur d’Hermas, la Didachè, les lettres de saint Ignace, ont été traduites pour les églises coptes. M. Carl Schmidt estime qu’il date de la deuxième moitié, plus probablement de la fin du ive siècle.
Le copte est une langue pauvre de formes, et qui ne permet pas toujours de déduire la lecture exacte de l’original grec que le traducteur a essayé de rendre. Beaucoup de fautes manifestes proviennent peut-être des copistes aussi bien que du traducteur, bien que le manuscrit, écrit en beaux caractères onciaux, soit très soigné. Néanmoins, il est très remarquable que la version copte vient fréquemment confirmer la tradition du texte, telle que nous la fournissent les manuscrits originaux A H ; très rarement elle s’accorde avec les versions syriaque et latine contre les mss. grecs. D’une façon générale, le nouveau témoin tend à interdire la préférence systématique donnée tantôt à un manuscrit tantôt à un autre et à justifier les éditeurs, tel que Funk qui ont suivi une via media en tâchant, pour chaque divergence, de tirer le parti le plus plausible des différentes attestations.