Or, il fallait qu’il passât par la Samarie. Il arriva donc à une ville de Samarie, nommée Sychar, près du champ que Jacob donna à Joseph son fils. Or, là était la source de Jacob. Jésus donc, fatigué du voyage, s’était ainsi assis près de la source ; c’était environ la sixième heure. Une femme de la Samarie vient pour puiser de l’eau. Jésus lui dit : Donne-moi à boire. Car ses disciples s’en étaient allés à la ville pour acheter des vivres. La femme samaritaine lui dit donc : Comment toi, qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi, qui suis une femme samaritaine ? (Car les Juifs n’ont point de relations avec les Samaritains.) Jésus répondit et lui dit : Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu l’aurais prié toi-même, et il t’aurait donné de l’eau vive. La femme lui dit : Seigneur, tu n’as point de vase pour puiser, et le puits est profond, d’où aurais-tu donc cette eau vive ? Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? Jésus répondit et lui dit : Quiconque boit de cette eau-là aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; au contraire, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle. La femme lui dit : Seigneur, donne-moi cette eau-là, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour puiser. Jésus lui dit : Va, appelle ton mari, et viens ici. La femme répondit : Je n’ai point de mari. Jésus lui dit : Tu as bien dit : Je n’ai point de mari ; car tu as eu cinq maris ; et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; tu as dit vrai en cela. La femme lui dit : Seigneur, je vois que tu es un prophète ! Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites, vous, que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. Jésus lui dit : Femme, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez point ; nous, nous adorons ce que nous connaissons ; car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient, et elle est maintenant arrivée, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car aussi, ce sont de tels adorateurs que le Père cherche. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. La femme lui dit : Je sais que le Messie (celui qui est appelé Christ) vient ; quand celui-là sera venu, il nous annoncera toutes choses. Jésus lui dit : Je le suis, moi, qui te parle.
Et là-dessus, ses disciples arrivèrent, et ils s’étonnaient de ce qu’il parlait avec une femme ; néanmoins, aucun ne dit : Que lui demandes-tu ? ou : De quoi parles-tu avec elle ?
La femme laissa donc sa cruche et s’en alla à la ville, et elle dit aux gens : Venez, voyez un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait : ne serait-ce pas le Christ ? Ils sortirent de la ville, et ils venaient vers lui.
D’émouvants souvenirs planaient sur les lieux où nous rencontrons aujourd’hui le Sauveur. C’est là que l’antique Jacob avait creusé un puits profond « pour lui-même, et ses enfants et ses troupeaux. » Là encore se passait au temps de Josué la grande scène des bénédictions et des malédictions prononcées par les Lévites, auxquelles les douze tribus d’Israël, groupées sur les deux montagnes d’Hébal et de Garizzim, répondaient par un Amen solennel. Là enfin, après les désastres d’Israël, après la rupture de l’unité politique et de l’unité religieuse elle-même, s’éleva un temple rival de celui de Jérusalem où les Samaritains, Israélites schismatiques et dégénérés, rendaient à Dieu un culte mélangé d’erreurs, dont le premier dogme semblait être la haine du Juif que celui-ci leur rendait avec une triste réciprocité.
Mais à ces lieux pleins de souvenirs, va s’en attacher un nouveau qui effacera tous les autres. C’est celui du divin Fils de Marie s’asseyant fatigué, altéré, au puits du patriarche et conversant dans un langage céleste, avec une femme de Samarie. Et quand le voyageur, parcourant la Terre-Sainte, s’assiéra, la bible à la main, au bord du puits de Jacob qui subsiste encore aujourd’hui ; ce qui se retracera irrésistiblement à son esprit et à son cœur, ce ne sera pas l’écho des bénédictions et des malédictions des Lévites, ce ne sera pas la vieille querelle des Samaritains et des Juifs ; — ce sera la rencontre du Fils de Dieu et de la pécheresse de Sichar. Il croira assister à leur entretien mémorable et il entendra les accents immortels de Jésus au milieu du silence du désert.
Soyons aujourd’hui, ce pieux voyageur ! Franchissant par la pensée la distance des temps et des lieux, contemplons tour à tour les deux interlocuteurs de ce merveilleux dialogue. Faisons plus : devenons peu à peu l’un d’entre eux, substituons-nous à la Samaritaine et puissions-nous comme elle sentir s’allumer ou se rallumer en nous cette soif spirituelle que Jésus seul peut apaiser !
Jésus, l’homme de l’éternité dans le temps et du ciel sur la terre, voit sans cesse rayonner le monde invisible à travers le monde visible. Il passe sans effort de l’un à l’autre, il va de tout à Dieu et aux réalités éternelles. En ce moment même, la vallée brûlante qu’il traverse, le poids du jour qui l’accable, la soif qui le dévore, et ce puits qu’il rencontre comme la Providence du désert, retracent à son âme cette autre Samarie desséchée et brûlante qui s’appelle la vie humaine, cette soif spirituelle qui consume tout enfant d’Adam… et cette eau vive que lui seul est venu apporter à nos âmes.
Mais, à l’inverse de Jésus, la Samaritaine ne peut s’élever des choses visibles aux choses invisibles : elle est comme enchaînée et rivée aux objets et aux sensations d’ici-bas. Sous la couche épaisse d’une vie charnelle, sans religion et même sans moralité, ses instincts spirituels sont en quelque sorte morts et ensevelis. Voyez plutôt : à une première parole de Jésus lui signalant une eau vive dont il a le secret, elle répond : « Tu n’as rien pour puiser et le puits est profond : d’où aurais-tu donc cette eau vive ? » Jésus s’exprime plus clairement : Il distingue cette eau matérielle, insuffisante et passagère d’une onde spirituelle, intarissable, éternelle !… Elle ne comprend pas encore. « Seigneur, donne-moi de cette eau afin que je ne vienne plus ici pour en puiser. » Pauvre femme ! quelle ignorance ! quelle impuissance à l’élever au-dessus de la région des sens ! Comment le Sauveur atteindra-t-il cette âme si profondément engourdie ! Comment pourra-t-il réveiller en elle cette soif spirituelle qu’il présuppose puisqu’il y fait appel, mais qui est comme anéantie sous le poids des instincts terrestres ? Comment il le pourra ?… C’est son secret, qui s’offrira plus tard à notre admiration. Demandons-nous pour le moment si cette soif que Jésus présupposait dans l’âme de la Samaritaine n’existe pas aussi dans les nôtres.
Elle s’y trouve ; mes frères, elle constitue le fond même de notre nature. L’homme porte en lui des désirs sans bornes et des aspirations immenses. Le poète a dit vrai :
Il faut au cœur humain, si fragile mais si vaste, cette satisfaction suprême qui s’appelle l’infini ! L’infini en connaissance, l’infini en amour, l’infini en durée, l’infini, c’est-à-dire le parfait en morale, l’infini en bonheur,… il lui faut la plénitude de la vie !
C’est avec ce cœur avide et palpitant que le jeune homme s’élance vers l’avenir, tenant en main une coupe large et profonde où il s’apprête à recueillir toutes les félicités dont l’attrayante image semble flotter devant lui dans un ciel d’azur. Le monde s’avance au-devant du jeune homme et, inclinant vers lui mille amphores brillantes, il s’offre à remplir sa coupe. Que de promesses ! que de jouissances ! Voici l’indépendance, ce rêve de l’enfant, cette possession enivrante du jeune homme. Voici les plaisirs, les fêtes, les joyeux amis. Voici les arts et leur magie. Voici la science et ses premières conquêtes. Voici la gloire et ses premières fumées. Voici les affections du cœur avec leur charme pur ou leurs brûlants transports !… Cœur avide, es-tu désaltéré ?… Pourquoi cependant cette agitation, cette poursuite d’objets toujours nouveaux, ces coupes succédant à d’autres coupes ? N’aurais-tu pas rencontré ce calice que tu rêves, ce calice auquel tu pourrais puiser à longs traits une eau toujours fraîche et pure, sans déception ni remords ?… Des déceptions, des remords, en aurais-tu déjà éprouvé ?… On le dirait à voir certaines ombres qui passent sur ton front…
Mais le temps fuit…, la riante matinée de la jeunesse a fait place au midi brûlant de l’âge mûr. Le monde s’avance avec d’autres breuvages pour remplir notre coupe. Voici les responsabilités enviées de la famille, et ce doux intérieur dont nous sommes le centre et l’âme. Voici une profession modeste ou brillante dans laquelle nous allons faire l’application de nos forces et recueillir le fruit de nos travaux. Voici l’entraînement des affaires, la fortune et ses perspectives, la vie publique et ses émotions tumultueuses mais attrayantes…. Cœur avide, es-tu désaltéré ?… Mais qu’ai-je aperçu ? Les nuages passent plus souvent sur ton front. Le souci y grave ses empreintes et bientôt ses sillons ineffaçables. Pas une de ces nouvelles sources de joie qui ne soit devenue, à plus d’un égard, une source de tristesse. Famille, carrière, fortune, succès, vie privée, vie publique, tout t’avait réservé quelque mécompte, quelque déception… Eh ! que parlé-je de mécompte et de déception ?… Un jour je te vois, mon frère, le front caché dans tes mains, sur le bord d’une tombe !… Tu as connu quelqu’une des grandes épreuves d’ici-bas. Ah ! ce n’est point à ce moment que je t’adresserai cette question cruelle : Es-tu heureux ?… Non, c’est au milieu même de la prospérité, au sein d’une position enviée, à l’heure de la faveur et du succès, que je constate je ne sais quelle lassitude qui parfois te saisit et t’accable. Me trompé-je ? Un jour tu as dit de ton bonheur : est-cela ce que j’avais rêvé ?… — Montre-moi ta coupe et je t’y montrerai, avec un prédicateur moderne, une lie amère que tous les breuvages terrestres y ont successivement déposée en se retirant, et qui mêle une goutte empoisonnée à toutes tes jouissances.
Mais le temps fuit… Cette vie qui t’a si peu donné commence à tarir. Le fleuve se fait étroit entre ses rives décolorées. Voici les premières, atteintes de l’âge, les premiers pressentiments du déclin. Si du moins la vieillesse t’offrait un port tranquille, ce repos tant souhaité qui ressemble au soir d’un beau jour, et cette période recueillie dans laquelle l’homme, rassasié d’années, savoure d’une part ses souvenirs, et de l’autre ses espérances. Mais hélas ! c’est là la vieillesse du rêve, et non celle de la réalité. La réalité, la voici. Tes souvenirs ? Quelques-uns d’entre eux sont doux, plusieurs sont amers, plusieurs trempés de larmes ou accompagnés de la piqûre du remords. Tes espérances ? Pour ce monde, tu n’en as plus. Pour l’autre, tu en as-peu, car tu n’as pas cultivé en ton âme ces plantes célestes, et de l’obscure éternité vers laquelle tu marches, il t’arrive bien plus de craintes que d’espérances. Oui, tu crains cette mort qui déjà semble prendre une première possession de ton corps usé, tu crains cet avenir pour lequel tu n’es pas prêt, tu crains ce Dieu qu’il faudra y rencontrer demain… Ah ! je n’ose plus te dire, tant tu me fais pitié : cœur avide, es-tu satisfait ? Je te vois, toi parti si joyeux, si riche d’avenir, traînant tes derniers pas sur ton triste chemin, jusqu’à ce qu’un jour tu chancelles, tu tombes, laissant échapper de tes mains ta coupe épuisée qui se brise sur la pierre d’un sépulcre !
Mes frères, est-ce là de la fiction, ou de l’histoire ? L’histoire qui se passe chaque jour sous vos yeux ; l’histoire de vos voisins, de vos amis, l’histoire qui est déjà la vôtre et qui le sera peut-être jusqu’au bout ? Et cette histoire, n’est-elle pas le commentaire frappant, saisissant de réalité, de cette parole de Jésus : Quiconque boira de cette eau aura encore soif ? Oui, cette soif d’infini, de lumière, d’affection, de bonheur, qui était en vous, vous l’avez adressée non aux fontaines du ciel, mais aux sources inférieures de la terre, et vous n’avez fait que l’irriter par ces breuvages trompeurs. Il en devait être ainsi ; vous avez méconnu votre nature, vous avez étouffé ses plus nobles aspirations ; elle se venge par sa tristesse, le dégoût, le vide, la souffrance sourde et incurable. Il en devait être ainsi : ce n’est pas avec le borné, l’imparfait, le terrestre, qu’on satisfait d’infinis besoins, ce n’est pas avec les choses d’ici-bas qu’on peut remplir un cœur fait pour les choses d’en haut. Ce n’est pas le monde, non pas même le monde entier qui peut apaiser en vous la soif de Dieu !
Ah ! si du moins vous vouliez le reconnaître et vous l’avouer à vous-même, et présenter enfin à Jésus-Christ ce cœur que le monde a déçu et flétri ! Il viendrait à vous, cet Ami que toute douleur appelle, il s’assiérait à vos côtés, et attachant sur vous ce « regard qui est la délivrance, » il vous dirait comme à la femme de Samarie : « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est Celui que te dit : donne-moi à boire, tu Lui en aurais demandé toi-même et il t’eût donné de l’eau vive. Celui qui boira de cette eau aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif. »
Mais non, cette soif spirituelle, qu’éprouve dans ses profondeurs toute âme d’homme, plusieurs, comme la Samaritaine, travaillent à l’étouffer (et ils n’y réussissent que trop) sous la vie de la chair, comme s’ils avaient à cœur de réaliser ce lugubre tableau de Bossuet : « Plus de raison, ni de partie haute : tout est corps, tout est sens, tout est abruti et entièrement à terre. » D’autres sentent la blessure, mais ils jettent sur elle un manteau d’orgueil, plutôt que d’aller, humbles et contrits, la dévoiler au Médecin céleste. D’autres souffrent et avouent leur souffrance, mais ils sont découragés et restent dans une langueur fatale, pareils à ces malades indifférents à tout remède, et bientôt au mal lui-même. D’autres enfin, et c’est le plus grand nombre, cherchent à échapper à l’universel malaise par la distraction, par l’étourdissement, par le tourbillon des affaires ou des plaisirs, — ou par ce lâche accommodement aux imperfections de la vie qu’on appelle quelque fois dans ce monde la raison et la sagesse. O Dieu ! délivre-nous d’une telle raison ! ô Dieu ! aie pitié d’une telle sagesse ! ô Dieu ! réveille nos âmes, serait-ce au prix des plus grandes douleurs, et fais renaître en nos cœurs cette soif profonde et insatiable qui est notre tourment, mais notre gloire ; l’aiguillon qui nous blesse et nous meurtrit, mais qui peut seul nous pousser dans tes bras !
Comment Jésus réveillera-t-il la soif endormie de la Samaritaine ? En réveillant sa conscience, en produisant en elle une conviction irrésistible de péché. Va et appelle ton mari ! Parole qui pénètre comme un glaive dans son âme, parole qui fait apparaître tout d’un coup à ses propres yeux les péchés de la vie qu’elle avait réussi à oublier ! Aussi, s’écrie-t-elle avec une promptitude naïve : « Seigneur, je vois que tu es un prophète. » C’est-à-dire : « Seigneur, tu m’as sondée, tu m’as jugée. » Le trait a porté, vous le voyez. Il a si bien porté que la Samaritaine veut en détourner la pointe aiguë, en posant aussitôt au Sauveur une question qui ne la concerne plus directement elle-même, la question actuelle, la question pendante entre les Juifs et les Samaritains : « Est-ce à Jérusalem ou à Garizzim qu’il faut adorer ? » Jésus qui sait que son but est atteint, malgré la diversion tentée par cette âme, daigne répondre à cette question par un de ces mots lumineux et vastes qui épuisent un sujet en le touchant, mais que nous n’avons pas le temps de commenter ici. Il donne raison aux Juifs contre les Samaritains, à la foi des pères contre la foi dégénérée des schismatiques, mais en annonçant que Juifs et Samaritains feront place à un nouveau peuple adorant Dieu « en esprit et en vérité » dans ce tabernacle spirituel, indépendant des temps et des lieux, qui est l’Eglise ou le cœur chrétien. — « Je sais, répond la Samaritaine, que le Christ doit venir. Quand donc il sera venu, il nous annoncera toutes choses. » — « Je le suis, moi qui te parle, » dit solennellement Jésus. — C’en est assez. Il a révélé à la femme ce qu’elle est, et ce qu’il est Lui-même : elle la pécheresse perdue, Lui le Messie, le Désiré des nations, le Fils de Dieu, le Sauveur ! C’en est assez ! Voilà une âme blessée à salut. Toute émue, toute troublée, elle « laisse sa cruche, et s’en va, par la ville, » rendre ce témoignage si frappant dans son humilité ; « Voilà un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait, ne serait-ce point le Christ ? »
Pécheresse de Sichem, je salue en toi une nouvelle créature ! Convaincue de péché, tous les instincts spirituels vont se réveiller dans ton âme, et tu en chercheras en Christ seul la satisfaction profonde. Pécheresse de Sichem, tu ne retourneras plus aux citernes de ce monde, mais tu iras t’abreuver à la source des eaux vives. Pécheresse de Sichem, tu feras plus encore ! Désaltérée toi-même, tu seras pour d’autres le canal de la grâce, des fleuves d’eau vive découleront de toi ! Je vois déjà venir tes compatriotes auprès de Jésus, et je les entends dire : « Ce n’est plus sur la parole de la femme que nous croyons, mais voici nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu’il est le Christ, le Sauveur du monde. »
Ames altérées, mais qui dissimulez ou étouffez votre noble soif dans la matière, dans l’indifférence ou la frivolité, dans l’orgueil ou l’abattement, que faut-il pour réveiller cette soif au-dedans de vous, et vous contraindre à la désaltérer en Christ ? Il faut que Christ vienne, vous aussi, vous convaincre de péché.
Votre cœur a souffert des misères de la vie, mais votre conscience n’a pas souffert de la misère des misères, le péché. Vous avez douloureusement senti, éloquemment décrit peut-être les imperfections, les contradictions, les déceptions et les désordres de ce monde, mais vous ne vous êtes pas dit encore, que le désordre central est en vous-mêmes ; dans votre propre cœur. Il faut que vous le reconnaissiez enfin, en vous frappant la poitrine. Il faut que vous vous sentiez, âmes altérées, non seulement malheureuses, mais coupables, coupables au premier chef, dans la première des relations de votre vie, coupables envers Dieu !… Ah ! quand ce sentiment, si faible soit-il (il est toujours trop faible), aura commencé au-dedans de vous, alors vous éprouverez une soif plus profonde et plus ardente que toutes les autres, celle du pardon et de la sainteté. Et cette soif, vous ne pourrez plus ni vous en défaire, ni même vous en distraire, vous ne pourrez plus jeter sur elle le voile de la frivolité ou de l’orgueil, vous ne pourrez plus en demander l’apaisement aux sources d’ici-bas, il faudra aller à deux genoux, les mains suppliantes, le demander au Dieu de Jésus-Christ.
Oh ! s’il paraissait maintenant devant vous, ce divin Sauveur, comme il parut devant la Samaritaine, s’il attachait sur vous comme sur elle son pénétrant regard, s’il ouvrait la bouche pour prononcer le mot révélateur de votre corruption et pour déclarer tout ce que vous avez fait… quel trouble, quel effroi !… Ne voudriez-vous pas vous enfuir de ce temple ?… Mais non, demeurez sous ce regard ! Laissez-vous, une fois enfin, juger par Jésus-Christ. Laissez-le vous révéler vous-même à vous-même en arrachant tous les voiles. Laissez-le vous retracer ces actes coupables, que votre conscience vous reproche, ces paroles que vous n’avez pas su retenir, ces pensées qui sont montées comme des vapeurs impures du fond de votre cœur. Laissez-le remettre devant vous le mal que vous avez commis, et celui que vous avez voulu commettre, double charge qui doit toujours peser sur votre conscience. Laissez-le faire justice de ces éloges que vous vous laissez décerner avec tant de complaisance, laissez-le dévoiler ces mobiles inférieurs, cette recherche de vous-même, cette préoccupation du regard des hommes, qui déparent vos meilleures œuvres ; laissez-le constater cette révolte foncière et permanente contre Dieu, que vous sentez frémir au-dedans de vous sous les apparences de l’honnêteté, de la sagesse, de la piété elle-même… Laissez-le vous juger, vous condamner, vous accabler en vous disant tout ce que vous avez fait.
Que si le trait porte aussi dans votre âme, n’essayez pas, comme fit d’abord la Samaritaine, d’en détourner la pointe aiguë par quelque diversion intéressée, par quelque question de théologie ou d’église… Ah ! il ne s’agit pas ici de théologie ou d’église, mais de conversion et de salut. Il ne s’agit pas de la question générale, mais de la question personnelle, de la question qui prime toutes les autres, de la question de votre état actuel devant Dieu, et de votre situation… demain dans l’éternité. Encore une fois, n’essayez point d’échapper… laissez la lumière se faire au-dedans de vous ! Laissez le Seigneur, dans cette solennelle rencontre, mettre à nu tous les péchés de votre vie jusqu’à ce que, vous sentant comme enfoncer dans un océan d’iniquités, vous n’ayez plus qu’un cri à faire entendre : Seigneur, sauve-moi, car je péris !
Car voici, c’est du sein de votre détresse que sortira votre délivrance ! C’est dans cet abîme d’humiliation que « Dieu vous attend pour faire grâce. » Après vous avoir dit tout ce que vous avez fait, Jésus-Christ vous dira tout ce qu’il a fait lui-même… Ce qu’il a fait ? Il vous a aimés, « lorsque vous étiez ses ennemis. » Il vous a vus perdus… et il est descendu du ciel, il a revêtu une chair mortelle, il a vécu de votre vie, il a souffert, il a été mis en langueur, il s’est laissé insulter, condamner, flageller, immoler sur une croix… pour vous apporter du haut de cette croix, le pardon, la paix, l’éternelle vie, pour vous rendre le vrai bien, le souverain bien perdu, Dieu ! Dieu et un Dieu apaisé, qui n’a pour votre passé qu’un pardon gratuit, absolu, sans réserve, effaçant jusqu’aux derniers vestiges de vos péchés ; pour votre présent que les richesses incompréhensibles de sa grâce ; pour votre avenir que ses plus éclatantes promesses et son auguste société dans les cieux ! Dieu, et un Dieu apaisé, mes frères, n’est-ce pas là le don suprême ? Nest-ce pas là cet infini, ce parfait, cet immuable, cet éternel, cet inépuisable après lequel soupiraient nos cœurs, mais qu’ils ne trouvaient jamais, parce qu’au lieu de le chercher, ils le fuyaient d’une fuite insensée à travers toutes les vanités d’ici-bas ! Dieu et un Dieu apaisé, pour toujours rendu à notre âme ! Dieu dans nos joies, Dieu dans nos peines, Dieu dans nos tentations, Dieu dans nos déceptions et dans nos froissements, Dieu dans nos abandons et dans nos ruines, Dieu dans la vie, Dieu dans la mort… Ames altérées, n’est-ce pas là la source des eaux ?… N’en entendez-vous pas le joyeux murmure, n’en respirez-vous pas l’humide fraîcheur ? Ne sentez-vous pas que si vous alliez vous y abreuver de toute l’ardeur de vos aspirations, vous vous désaltéreriez enfin, vous auriez trouvé non une source, mais la source, non une eau passagère et trompeuse comme tant d’autres, mais l’eau vive elle-même, l’eau vive jaillissant jusques dans la vie éternelle ?
Prends maintenant ta coupe, jeune homme, et essaie de cette source céleste…. Dans cette onde limpide qui descend des hauteurs tu puiseras le secret d’une jeunesse pure, ouverte aux sentiments les plus généreux, aux inspirations les plus fécondes. Tu y recueilleras tous les parfums et toutes les saveurs, excepté l’acre saveur du mal dont tu ne voudras plus.
Prends ta coupe, ô toi qui marches sous le midi brûlant de la vie ! Tu trouveras ici le rafraîchissement que le monde ne donne pas ; et tandis que bien des gouttes amères te seront épargnées, celles qui se mêleront nécessairement à ton breuvage seront adoucies par l’eau céleste… et demain absorbées par elle.
Prends ta coupe, vieillard découragé ! il est encore des joies pour toi. Si les fontaines de la terre s’épuisent, le Ciel, ouvert par Jésus-Christ, le ciel, dont tu es plus près, t’envoie des rosées plus abondantes.
Venez tous, mes frères, venez au puits de Jacob ! Accourez, âmes altérées, à la douce invitation de celui qui dit : « si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive »… en attendant que là-haut, sous les ombrages « de l’arbre de vie » et sur les bords du fleuve qui baigne les murs de la sainte cité, la même voix nous répète, mais au sein de la perfection et de l’harmonie éternelle : Que celui qui a soif vienne et je lui donnerai de l’eau vive sans quelle lui coûte rien. »