La Révélation de saint Jean expliquée par les Écritures et expliquant l’histoire
F. de Rougemont, Neuchâtel 1866.
lLe livre qui est l’occasion de cet article appartient à l’école anglo-française d’Elliot et de Gaussen, pour laquelle l’histoire de l’Eglise tout entière est décrite dans les visions apocalyptiques. Ce genre d’interprétation admis, nous croyons qu’il est difficile de faire mieux que l’interprète dont nous annonçons l’ouvrage, et quoique notre sentiment intime répugne, en général, à ce mode d’explication, nous avons été forcé d’admirer, en lisant ce livre, non seulement l’érudition biblique de l’auteur, mais aussi l’étonnante habileté des rapprochements historiques et des combinaisons chronologiques au moyen desquelles il parvient à montrer, dans l’Apocalypse, l’exacte photographie de l’histoire. C’est le chef-d’œuvre d’un genre qui est en lui-même défectueux. Ce travail nous paraît devoir clore la série des explications de l’Apocalypse dans cette direction. De quelque manière qu’on envisage le livre de M. de Rougemont, écrit avec une chaleur pénétrante, il offre donc un intérêt particulier. Ne pouvant l’étudier ici en détail, nous nous bornerons à y opposer nos propres vues sur le Livre des révélations.
l – Parue dans la Revue chrétienne de 1869 cette Étude sur l’Apocalypse est à distinguer de l’Essai sur l’Apocalypse, bien plus connu, qui se trouve dans les Études bibliques de l’auteur, et dont la première édition date de 1874. L’Étude ne contient aucun élément qui n’ait été repris dans l’Essai, cependant certaines pensées y sont exprimées sous un autre jour qui les rend plus claires ; on la lira avec profit. (C. R.)
Christ est venu, voilà l’Évangile ; Christ revient, voilà toute l’Apocalypsem. Mais ce terme : il revient, ne doit pas être pris dans le sens de : il arrive. Il désigne un long et solennel voyage qui a commencé dès le jour de l’Ascension. Nous trouvons le commentaire de ce mot venir dans cette parole que Jésus adresse au sanhédrin : Je vous dis que dès maintenant vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel. (Matthieu 26.64) L’histoire du monde, depuis l’élévation de Jésus à la droite de Dieu, est sa continuelle venue. Il vient en deux qualités : pour l’Eglise, comme époux ; pour le monde, comme juge. Sa venue a donc deux faces : l’une, lumineuse, réjouissante, tournée vers les siens ; l’autre, redoutable, sombre, toute pleine de menaces pour ses adversaires ; et le progrès, dans l’histoire du monde, a cette double signification. Telle est la pensée fondamentale de l’Apocalypse. De là résulte l’alternance régulière entre les tableaux réjouissants et les tableaux sombres qui caractérise l’ordonnance du drame et la succession des scènes.
m – Apocalypse 1.4 : Grâce et paix vous soient de la part de celui qui était, qui est et qui vient. Apocalypse 22.20 : Oui, je viens bien vite. Amen, Seigneur Jésus ! Vient. Toute l’Apocalypse est comprise entre ces deux mots.
Ce caractère ressort déjà dans les sept lettres que Christ adresse aux Eglises. Il est aisé de voir que la première, la troisième, la cinquième et la septième représentent la prépondérance du mal dans l’Eglise à ses différents degrés, de telle sorte qu’à Ephèse, la première des sept, le mal et le bien sont presque en équilibre, tandis qu’à Laodicée, la septième, le mal l’emporte tellement, que le rejet de cette Eglise est imminent ; Pergame et Sardes sont entre ces deux extrêmes, et l’état dangereux de toutes les quatre est expressément signalé et distingué de celui des trois autres par cette apostrophe, qui n’est adressée qu’à elles : Repens-toi. (Apocalypse 2.5, 16 ; 3.3, 19) La seconde, la quatrième et la sixième, représentent, au contraire, les différents degrés de la prépondérance du bien : Smyrne, qui n’a qu’à persévérer ; Thyatire, dont les dernières œuvres surpassent les premières ; et Philadelphie, enfin, qui n’a plus qu’à être introduite dans l’Eglise triomphante.
On voit, par là, d’après quel principe ces sept Eglises ont été choisies entre toutes celles qui formaient la couronne de saint Paul et de saint Jean en Asie Mineure. C’étaient celles qui représentaient le mieux tous les états spirituels dans lesquels peut se trouver une Eglise sur cette terre. Le nombre sept indique que l’énumération des nuances est complète. Nous croyons cette explication plus naturelle que celle qu’a suivie M. de Rougemont, d’après laquelle chacune des Eglises apocalyptiques figurerait prophétiquement l’une des grandes phases du christianisme jusqu’à la fin des temps : Sardes, l’Eglise protestante ; Philadelphie, l’Alliance évangélique, etc.
Cette loi de l’alternance, dont nous venons de voir la première application, domine les visions suivantes. Au tableau lumineux représentant la gloire de Dieu et de l’Agneau (ch. 4 et 5), succède la sombre série des fléaux énumérés dans les six sceaux (ch. 6). Ce sont autant de châtiments, de solennels avertissements par lesquels le Juge rappelle sa présence et fait sentir au monde son approche : d’abord la prédication victorieuse de l’Évangile ; puis la guerre, la disette, la peste et le tremblement de terre (quatre premiers et sixième sceau). Le cinquième a une place à part : c’est le sang des martyrs dont le cri monte au ciel et doit accélérer l’arrivée du Juge. Il ne faut point, selon nous, appliquer chacun de ces tableaux à un événement déterminé. Ils se rapportent chacun à toute la catégorie des faits similaires, les famines, les pestes, etc., qui se renouvellent continuellement dans l’histoire du monde, et qui sont destinés, dans l’intention divine, à réveiller chez les hommes le sentiment de leur responsabilité et de l’attente du jugement. M. Darby les a désignés avec bonheur et justesse comme les « mesures disciplinaires » du gouvernement divin. C’est un arsenal toujours ouvert où Dieu puise à volonté. Jésus les indique déjà comme les signes avant-coureurs de sa venue : Une nation s’élèvera contre une autre nation… ; il y aura des famines, des pestes et des tremblements de terre… ; ils vous livreront à la persécution et vous feront mourir… ; et cet Evangile du royaume sera prêché par tout le monde. (Matthieu 24.7, 9, 14) L’Apocalypse, on le voit, ne fait que paraphraser le discours de Christ ; des mots de Jésus, elle fait des tableaux. L’application des sceaux à l’histoire dure aussi longtemps que la dernière phase de la lutte qui commence avec les trompettes n’a point éclaté. Elle embrasse non seulement les calamités qui signalèrent la chute du monde romain (M. de Rougemont), mais toute cette période préparatoire et d’appel, si j’ose ainsi dire, dans laquelle nous vivons encore.
Suit un tableau lumineux qui précède l’ouverture du septième sceau. Il nous présente deux scènes parallèles : l’une se rapportant au peuple juif, l’autre aux gentils. Dans la première, avant que les dernières phases du drame se déroulent, cent quarante-quatre mille Juifs sont scellés de Dieu pour être préservés dans les catastrophes qui doivent suivre, et jouer un rôle important dans la lutte qui va se livrer. M. de Rougemont, avec presque tous les interprètes de son école, voit ici non des Juifs, mais des chrétiens. Ces cent quarante-quatre mille sont, selon lui, l’Israël spirituel, l’élite des chrétiens durant les premiers siècles de l’Eglise. Mais l’énumération, nom après nom, des douze tribus Israélites, ne serait-elle pas oiseuse dans cette interprétation spirituelle ? D’ailleurs, il faut toute la subtilité des interprètes de cette école pour expliquer le contraste que le texte établit si clairement entre ces cent quarante-quatre mille tirés des douze tribus Israélites et la foule innombrable des croyants de toutes nations et tribus, et peuples et langues, dont il est parlé dans le tableau suivant, qui fait le pendant de celui des Israélites scellés. Il y a ici une double antithèse ; d’abord, par rapport au nombre : là, cent quarante-quatre mille bien complets ; ici, une foule dont personne ne pouvait évaluer le nombre ; puis, relativement à l’origine : là, une élite purement israélite ; ici, des chrétiens de toutes tribus, de toutes nations, etc. Cette opposition, si nettement marquée entre Juifs et gentils, ne permet point de donner un sens figuré à l’Israël de la première scène.
L’idée exprimée dans ces deux tableaux du chapitre 7 nous paraît très simple : en vue des luttes qui vont suivre, Dieu se réserve en Israël une élite qui restera fidèle à son Dieu et à la foi de ses pères. Le reste d’Israël se livrera à l’apostasie. Nous les retrouverons plus tard, ces fidèles Israélites, devenus les serviteurs de l’Agneau et son corps de troupe privilégié (Apocalypse 14.1 et suiv.). Voilà le sens de la première scène. Voici celui de la seconde : les persécutions qui éclateront dans les derniers temps coûteront à l’Eglise des gentils une foule de martyrs ; mais le ciel se peuplera de tous ceux que la terre perdra, et le triomphe est assuré à la multitude des martyrs de la gentilité au temps de l’antéchrist, aussi bien qu’à ceux de l’Eglise apostolique (cinquième sceau).
Ces deux scènes sont destinées à fortifier la foi en vue de l’ouverture du septième sceau. Celui-ci ne renferme, point une prophétie spéciale. Son contenu, ce sont les sept trompettes ; elles se dégagent du septième sceau, comme plus tard les coupes se dégageront de la septième trompette.
Après que l’intercession des saints sur la terre et des anges dans le ciel est montée vers Dieu, en vue de la crise qui s’approche, les trompettes retentissent (ch. 8 et 9). Les quatre premières amènent divers fléaux sur la terre, sur la mer, sur les sources d’eaux, sur le soleil et les astres. Ce sont des calamités qui ressemblent encore à celles des sceaux, mais dont l’action est plus intense et plus meurtrière. La cinquième et la sixième sont distinguées des quatre précédentes par le nom particulier de premier et de second malheur. La cinquième amène l’ouverture du puits de l’abîme, d’où s’échappe une nuée d’esprits malins représentés sous l’image d’un essaim de sauterelles dont la queue est armée, comme celle du scorpion, d’un aiguillon venimeux. Elles tourmentent les hommes pendant un temps déterminé, jusqu’à les plonger dans le désespoir et leur faire préférer la mort à la vie. Ce fléau de nature morale représente sans doute l’une de ces mystérieuses épidémies pneumatiques qui s’abattent de temps en temps sur la société humaine, telles que l’état fébrile qui régna au moyen âge dans toute la France sous le nom de danse de Saint-Guy, ou le délire plus étrange encore qui, lors de la transition du moyen âge aux temps modernes, sévit sous le nom de sorcellerie. C’est une possession en grand à l’instar des phénomènes analogues que nous connaissons par les récits évangéliques. De tels faits ne peuvent-ils pas se renouveler, et à un degré d’intensité plus élevé encore, à mesure que l’humanité approche de son terme et ressent de plus près l’action des puissances en lutte ? — Au signal de la sixième trompette apparaît une troupe de cavaliers innombrable, qui met tout à feu et à sang et fait périr le tiers des habitants des contrées où elle se jette. Cette vision représente une de ces grandes catastrophes sociales telles que nous en avons des échantillons dans l’invasion des barbares, aux quatrième et cinquième siècles, et dans celle des Mongols, au moyen âge. De tels exemples pourront aisément se renouveler lorsque l’Europe, abâtardie par le matérialisme et décrépite d’immoralité, n’offrira plus qu’une proie facile. Les myriades de Mongols qui habitent les plateaux de la Haute-Asie n’appellent-ils pas, dans leurs chants nationaux, l’ombre du grand Timour, qui doit les ramener encore une fois sur le théâtre de leurs sanglants exploits ?
L’image de la trompette diffère de celle du sceau en ce que le sceau est un décret, dont la réalisation peut être plus ou moins rapide ; la trompette est un appel à l’action immédiate. C’est un ordre d’exécution. On le voit donc : tout se presse à mesure que le terme approche, et les fléaux qui ne se réalisaient qu’à des intervalles plus considérables s’accélèrent en même temps qu’ils s’aggravent. Le dernier sceau, à lui seul, en renferme autant et de plus cruels, que les six précédents ensemble. Comme que l’on interprète chaque trompette en particulier, l’auteur a certainement voulu décrire, dans cette vision, la dernière attaque de Dieu contre le péché du monde. C’est le suprême assaut livré à cette forteresse opiniâtrement défendue. Cependant, l’humanité ne tient aucun compte de cet avertissement terrible : Et le reste des hommes, est-il dit, c’est-à-dire tous ceux qui n’avaient pas été détruits par les plaies précédentes, ne se convertirent point des œuvres de leurs mains…, ni de leurs meurtres, ni de leurs impudicités, ni de leurs vols. (Apocalypse 9.20-21) Cet assaut ayant échoué, la crise finale est imminente. Ce sera la septième trompette.
Comme le tableau lumineux des cent quarante-quatre mille et de la foule innombrable des païens sauvés avait précédé l’ouverture du septième sceau, ainsi un tableau réjouissant sert d’avant-coureur au retentissement lugubre de la septième trompette. Il forme le contenu de ce petit livre spécial, dont l’explication a tant occupé les interprètes. L’auteur ne peut isoler ainsi, dans le tableau général, qu’un événement capital dans les destinées du règne de Dieu sur la terre. Nous verrons que c’est la conversion finale du peuple juif à l’Evangile. Mais il est clair aussi qu’il n’est pas permis d’étendre, comme le fait M. de Rougemont, le contenu de ce petit livre au delà du verset 13 du chapitre 11, car au verset 14, il est dit : Le second malheur est passé : voici le troisième arrive ! Le septième ange sonna de la trompette. (Apocalypse 11.14-15) C’est la reprise du drame, et par conséquent la fin du petit livre. Car le troisième malheur est la septième trompette,n et celle-ci est tout simplement l’évocation de l’antéchrist. Elle comprend tout ce qui va suivre jusqu’à l’avènement du Christ. Le petit livre renferme donc la préparation de l’Eglise à cette apparition redoutable, exactement comme le tableau des cent quarante-quatre mille et de la multitude glorifiée était destiné à préparer l’Eglise à l’ouverture du septième sceau.
n – Apocalypse 9.12 : Le premier malheur est passé ; voici, viennent encore deux malheurs ! Et le sixième ange sonna de la trompette.
Le temple de Jérusalem s’ouvre aux regards du prophète. Autour de l’autel d’or, dans le lieu saint, il voit prosternée une troupe de fidèles adorateurs. Un ange promène la perche à mesurer autour de ce sanctuaire, et laisse en dehors le parvis, qui est abandonné aux gentils, ainsi que toute la ville sainte, pour un temps déterminé. C’est ici l’un des passages dont la critique moderne a fait le plus étrange abus. Elle en a conclu que l’Apocalypse avait été écrite avant la ruine de Jérusalem ; car, dit-elle, on voit par là que le prophète espérait que le temple ne tomberait pas au pouvoir des païens quand ils s’empareraient de Jérusalem. Mais comment peut-on raisonnablement attribuer à l’auteur de l’Apocalypse une telle espérance ? Une fois maîtres de la ville et même du parvis, les païens pouvaient-ils ne pas l’être aussi du temple ? Et que voit Jean dans le lieu saint ? Des soldats en armes, prêts à verser leur sang pour sa défense ; une foule éplorée qui a cherché un asile dans ce sanctuaire ? Non ; des adorateurs agenouillés autour de l’autel des parfums. Ce serait là l’état du sanctuaire au moment de l’envahissement du parvis par les ennemis ! Cette supposition étant absurde, l’explication littérale doit être reconnue impossible, d’autant plus que, dans le chapitre 24 de saint Matthieu, qui sert de texte à notre prophétie, la ruine complète du temple est annoncée aussi bien que la prise de Jérusalemo.
o – En vérité, je tous dis qu’il ne restera pierre sur pierre qui ne soit renversée, dit Jésus en parlant des bâtiments du temple. (Matthieu 24.1-2)
D’un autre côté, faut-il se jeter dans l’interprétation purement spirituelle qu’adopte M. de Rougemont ? S’agirait-il de la chrétienté infidèle ? Le texte ne le permet pas non plus. Au verset 8, Jérusalem est désignée comme la grande ville, qui est appelée spirituellement Sodome et Egypte. C’est une allusion évidente aux passages des prophètes où les habitants de Jérusalem sont comparés aux habitants corrompus de ces contrées païennesp. S’il s’agissait ici de l’Eglise chrétienne dégénérée et non de la Jérusalem proprement dite, il y aurait figure sur figure. L’application à Jérusalem, dans le sens historique du mot, est confirmée par les derniers mots : Où aussi notre Seigneur a été crucifié. Ce verbe au passé ne peut s’appliquer à la crucifixion spirituelle du Seigneur dans son Eglise.
p – Ésaïe 1.10 : Ecoutez la parole de l’Eternel, conducteurs de Sodome. Ézéchiel 16.49 ; 23.8 ; Jérémie 23.14 ; etc.
Entre ces deux interprétations, l’une trop grossièrement littérale, l’autre beaucoup trop spirituelle, il y a un intermédiaire. Au chapitre 7, le prophète avait contemplé l’élite d’Israël scellée pour rester fidèle à son Dieu, dans les luttes des derniers temps, ce qui signifiait en même temps que le reste du peuple serait livré à l’apostasie universelle. C’est à cet état d’Israël, au milieu de la crise finale, que s’applique le tableau du chapitre 11. Jérusalem avec le parvis, abandonnée aux gentils, c’est la masse du peuple juif, livrée à l’esprit d’incrédulité qui a envahi le monde. Ce peuple avait pris place au rang des gentils, dès le jour où il avait dit : « Nous n’avons pas d’autre roi que César. » Et maintenant le moment est arrivé où il s’est complètement approprié le principe païen qu’il était destiné à expulser de la terre. Pour adorer le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et conserver l’espérance glorieuse d’Israël, il ne reste que ces cent quarante-quatre mille, précédemment scellés dans ce but. Et c’est eux que le prophète contemple prosternés dans le lieu saint ; ils ne sont pas encore dans le lieu très saint ; ils ne pourront y parvenir qu’à l’aide d’une foi nouvelle. Le mesurage de l’ange, par lequel il sépare ce qui est abandonné aux païens de ce qui est réservé à Dieu, correspond donc exactement au symbole du sceau apposé à cette élite, chapitre 7. Seulement ici le regard prophétique se porte plutôt sur la masse de la nation sainte, devenue une portion de la gentilité. Les quarante-deux mois pendant lesquels Israël est ainsi livré à l’esprit païen, sont dans toute l’Apocalypse le chiffre du temps pendant lequel règne l’antéchrist. Voilà pourquoi nous trouvons déjà, dans ce même chapitre, l’antéchrist en pleine activité et au faîte de sa puissanceq. Le petit livre est donc une anticipation dans la grande prophétie. C’est le tableau spécial de l’état et du rôle d’Israël dans la lutte qui va être décrite dès le chapitre 13. Sans doute cet Israël des derniers temps pourrait bien se trouver alors dispersé comme il l’est aujourd’hui. Mais il est plus probable que Jean se le représente rentré à Jérusalem, et que c’est au sein du peuple restauré qu’il voit s’accomplir le fait qui va suivre et qui forme le contenu essentiel du petit livre.
q – Apocalypse 11.7 : Quand ils auront achevé leur témoignage, la bête qui monte de l’abîme leur fera la guerre et les vaincra et les tuera.
Deux prophètes tels que ceux que Dieu avait accordés au peuple ancien, s’élèvent. Nouveaux Jean-Baptistes, ils cherchent à ramener les désobéissants à la sagesse des justes. (Luc 1.17). Prédicateurs de repentance — ils sont revêtus du sac (v. 3), — ils préparent la conversion finale d’Israël au Messie, qui va se révéler à lui. Mais ils possèdent d’autres armes que l’épée de la parole ; ils ont le pouvoir de frapper la terre de toutes les plaies dont Elie et Moïse ont frappé jadis les hommes rebelles. Nous retrouverons plus tard l’énumération de ces fléaux ; ce sont les sept coupes dont le ciel arrose le trône de la bête. (Ch. 16.)
L’antéchrist, qui voit ainsi toutes les misères, physiques et sociales, fondre sur cette terre à laquelle il a promis l’âge d’or, recherche la source de tous ces maux. Il comprend qu’elle se trouve à Jérusalem ; il y arrive, et fait périr les deux témoins. L’incrédulité triomphe ; les peuples battent des mains, les ennemis du genre humain ont disparu ; l’âge d’or va fleurir. Mais les deux témoins revivent ; un tremblement de terre fait tomber la dixième partie de la ville sainte et périr sept mille familles ; tout le reste donne gloire au Dieu du ciel. C’est ici l’indication d’une commotion profonde, d’un réveil puissant dans le peuple d’Israël, et, sans doute, de sa conversion. Le prophète attend par conséquent cet événement décisif pendant le cours, ou, plus exactement, vers la fin du règne de l’antéchrist.
On comprend la raison pour laquelle cette vision est placée à part, comme un petit livre dans le grand. La conversion des Juifs au christianisme sera l’événement capital des derniers temps, le facteur essentiel dans la victoire de l’Eglise. Encore ici saint Paul et saint Jean sont d’accordr.
r – Romains 11.26 : Tout Israël sera sauvé ; et verset 15 : Que sera leur réintégration, sinon une résurrection d’entre les morts ?
La septième trompette sonne enfin (Apocalypse 11.15). Elle appelle le dernier fléau : l’antéchrist. Autour de cette apparition se groupe tout ce qui doit se passer encore jusqu’à l’avènement du Seigneur. C’est ainsi que les sept coupes rentreront tout naturellement dans le contenu de la septième trompette.
L’apparition de l’antéchrist est décrite au chapitre 13, et le chapitre 12 est l’introduction de cette scène. Une femme revêtue du soleil, couronnée de douze étoiles, est sur le point d’enfanter. Un grand dragon, dont la queue entraîne le tiers des étoiles, cherche à dévorer l’enfant qu’elle va mettre au monde. Mais celui-ci n’est pas plus tôt apparu, qu’il est enlevé auprès de Dieu et auprès de son trône. L’archange Michel avec ses anges soutient alors une lutte contre le dragon, qui est précipité sur la terre. Deux ailes sont données à la femme pour échapper à sa poursuite et s’enfuir au désert où elle doit être miraculeusement nourrie et conservée pendant les trois ans et demi qui vont suivre. Alors le dragon, voyant que le pouvoir va lui échapper, évoque de la mer l’antéchrist, la bête aux sept têtes. (Ch. 13.) Une de ces têtes a reçu une blessure mortelle, mais elle est guérie, à l’étonnement de toute la terre. Les peuples adorent la bête. Une autre bête, qui a des cornes d’agneau, travaille à lui assujettir le monde entier, et quiconque ne prend pas la marque de la première bête, est mis au ban et exclu de toutes les relations sociales. C’est le règne de l’antéchrist, mesuré dans la vision à trois ans et demi ou quarante-deux mois.
C’est ici le point culminant de la vision. Ce que saint Jean dépeint par ces images, n’est pas autre chose que ce que saint Paul annonça en termes propres, 2 Thessaloniciens 2. C’est une apostasie générale qui embrasse le peuple juif et l’Eglise, la grande défection religieuse et morale qui doit clore l’histoire de l’humanité pécheresse. L’Homme de péché, c’est le nom que lui donne saint Paul, avait été contenu jusqu’alors par une puissance mystérieuse. Maintenant il se dresse hardiment et se substitue à Dieu universellement renié. Mais, parvenu au faîte de sa puissance, il est subitement anéanti par le souffle de Jésus glorifié. Ce tableau tracé par saint Paul correspond exactement à celui de l’Apocalypse. Nous venons de voir l’apparition de la bête ; nous trouverons au chapitre 19 l’apparition du Christ qui vient détruire le règne de la bête. Qui est l’antéchrist ? Chez saint Paul, la réponse ne me paraît pas douteuse. Cet Apôtre voit le mystère d’iniquité opérant déjà de son temps ; mais pour que une explosion suprême ait lieu par l’apparition de l’Homme de péché, il faut que la puissance qui la retient, le retenant, comme il s’exprime, soit ôté. Lorsque les écrivains sacrés emploient des expressions énigmatiques, telles que celle-ci, c’est ordinairement quand ils veulent désigner à mots couverts les pouvoirs politiques du temps. Il est donc probable que par le retenant, saint Paul veut désigner le grand pouvoir terrestre régnant alors, la puissance romaine. Cette interprétation s’accorde avec l’explication la plus simple de la notion de l’antéchrist ; ce nom indique assez qu’il s’agit du faux Messie, du Messie dans le sens juif. Au temps où saint Paul écrivait ces lignes, vers l’an 54, il voyait déjà s’agiter en Israël l’esprit de révolte et il connaissait le fond de cette disposition séditieuse ; ce s’était rien moins que l’aspiration à l’héritage de la domination romaine, à l’établissement de la monarchie juive universelle. N’est-ce pas là l’idée que Barcochébas et tant d’autres pseudo-Messies ont essayé de réaliser ? Sans doute, pour le moment, cette réalisation était impossible. Dès que le faible oiseau déployait ses ailes et prenait son essor, l’aigle romaine, aux yeux perçants, aux serres sanglantes, fondait sur lui. Mais saint Paul, l’ancien pharisien, comprenait mieux que personne l’intensité et l’opiniâtreté de l’espérance juive. Il la savait capable de survivre aux plus grandes catastrophes ; et il ne pouvait douter que, dès que croulerait le trône des Césars, le fanatisme messianique, faisant alors explosion, ne remportât un triomphe que rien sur la terre ne pourrait arrêter. Paul savait que les Juifs voulaient ce règne, et que, s’ils avaient rejeté Jésus, c’était parce qu’il n’avait pas voulu le leur donner. Ils ne manqueraient pas de trouver un jour un instrument plus docile ; ce serait là le faux Messie, l’Homme de péché, l’antéchrist est aussi certainement juif que le Christ ; le nom le dit, et une grande loi le prouve ; il n’appartient qu’au meilleur de devenir le pire.
Cette pensée est aussi, si nous ne nous trompons, celle de saint Jean. Et, bien loin que nous trouvions dans l’Apocalypse, comme le croit l’explication moderne, l’empereur romain transformé en antéchrist, ce n’est, au contraire, qu’après la chute de ce pouvoir, que la terre verra apparaître le monstre. Cette sixième tête qui est et qui doit tomber pour que la bête sorte de l’abîmes, n’est-ce pas précisément le pouvoir existant au temps de Jean, le pouvoir romain ?
s – Apocalypse 17.10 : Cinq sont tombés, l’un est ; l’autre n’est pas encore là… ; et la bête est le huitième.
La femme couronnée des douze étoiles (ch. 12) pourrait être le peuple d’Israël, issu des douze patriarches, de qui est né le Messie ; c’est ainsi que beaucoup l’ont comprise. Mais c’est plutôt l’Eglise qui doit aussi enfanter le Christ, et cela non seulement dans le sens tout spirituel dans lequel saint Paul dit aux Galates : Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que Christ soit formé en vous, mais encore dans ce sens plus extérieur et historique d’un Christ réalisé dans une société vraiment chrétienne, d’un Christ pleinement vivant et dans les cœurs et dans les vies. Dans cette interprétation, les douze étoiles sont les douze apôtres. Au point où en est la vision apocalyptique, ne serait-il pas oiseux de revenir en arrière jusqu’à la naissance du Christ et aux efforts d’Hérode le Grand pour le détruire ? Saint Jean voit l’Eglise parvenue à la stature de Christ et mûre pour la réalisation de son règne. C’est l’enfantement du Christ-roi qui se prépare ; mais au moment où le terme semble si proche, un abîme se creuse : l’époque de l’antéchrist s’interpose entre l’Eglise déjà spirituellement consommée et le Règne de mille ans qui semblait prêt à éclore ; c’est comme jadis la croix se dressant entre le jour des Rameaux et celui de Pâques.
Une guerre dans le ciel prélude à cette lutte dont la terre va être le théâtre. Michel, dont le nom signifie : « Qui est comme Dieu ? », l’archange qui préside aux destinées du monothéisme, le monothéisme personnifié, lutte avec le dragon, Satan, patron, auteur et objet des cultes païenst. La victoire que remporte Michel sur Satan, qu’il précipite du ciel avec ses anges, ne signifie donc autre chose que la complète victoire du monothéisme, l’extirpation de l’ancien paganisme dans l’humanité. C’est l’œuvre qui s’accomplit depuis dix-huit siècles par la mission chrétienne. Jésus, en contemplant le prélude de cette destruction, la décrivait sous la même image : Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair. Satan, qui trônait dans le ciel de la conscience humaine prosternée devant lui, est précipité sur la terre. C’est le premier degré de sa chute. Le second se trouvera Apocalypse 20.3 : Et l’ange le jeta dans l’abîme ; et le troisième, Apocalypse 20.10 : Et Satan fut jeté dans l’étang de feu.
t – Saint Paul et saint Jean s’accordent aussi sur ce point Ce que les gentils sacrifient, ils le sacrifient au démon. (1 Corinthiens 10.10). Ils ne se repentirent pas des œuvres de leurs mains, pour ne plus adorer les démons, les idoles d’or, etc. (Apocalypse 9.20.)
Cette première chute ne détruit point encore son pouvoir ; elle ne fait que l’irriter. Aussi une voix du ciel met-elle la terre en garde contre luiu. Il est descendu ; il a soif de vengeance. Il cherche un instrument digne de la tâche qu’il veut lui confier. Le fanatisme juif le lui offre. Son vengeur sera l’antéchrist. C’est une grande humiliation pour lui, un signe manifeste de sa décadence, que d’avoir besoin d’un homme, pour rendre le coup qu’il vient de recevoir. Mais il subit cette nécessité. Par le moyen de l’antéchrist, il essayera d’arracher à Christ son peuple, comme, par la prédication de l’Evangile, Christ lui a arraché le sien : « Tu m’as ôté mes païens ; moi, je t’ôterai tes chrétiens ! » Voilà le calcul ; et il semble réussir. L’Eglise, dont la vision du chapitre 12 décrit par anticipation le sort pendant tout le règne de l’antéchrist, est reléguée au désert et ne subsiste plus sur la terre que par miracle (Apocalypse 12.6, 14) ; elle est exilée en de lointaines contrées, et, pendant les funestes 1260 jours qui lui sont accordés, l’antéchrist fait une guerre acharnée à tous les chrétiens qui sont restés dans les limites de son empirev.
u – Malheur à vous, terre et mer ; car le diable est descendu vers vous, rempli d’une grande colère. (Apocalypse 12.13)
v – Le dragon s’en alla faire la guerre à tous les restes de la postérité de la femme, qui gardent les commandements de Dieu et retiennent les témoignages de Jésus. (Apocalypse 12.17.) Il le fait par le moyen de l’antéchrist.
La bête qui figure l’antéchrist réunit, au chapitre 13, les caractères des quatre bêtes qui, dans Daniel, servent de symboles aux grandes monarchies. Elle a la bouche du lion assyrien et babylonien, les pieds de l’ours médo-perse, et l’allure rapide de la panthère macédonienne (Apocalypse 13.2). Elle possède enfin la puissance universelle qui caractérise Rome. (v. 7.) C’est donc comme le résumé et l’aboutissant de toutes les phases antérieures du pouvoir terrestre, du pouvoir politique étranger et opposé au règne de Dieu. C’est l’empire universel qui finira par réunir tout ce que les autres ont eu de grand et de glorieux. Les sept têtes de la bête indiquent les sept phases par lesquelles cet empire final a été préparé dans l’histoire du monde. De la bête elle-même, Jean dit qu’elle est plus qu’une tête ; c’est le monstre sorti enfin tout entier du sein de l’abîme. Jean dit encore que cette bête a été, qu’elle n’est plus, et pourtant qu’elle est, comme huitième, et qu’elle sort des sept (Apocalypse 17.11). Ces expressions rappellent ce trait du chapitre 13 : Une de ces têtes était comme blessée à mort ; mais sa plaie fut guérie. Si réellement Jean, comme Paul, voit dans l’antéchrist le faux Messie juif, et, dans son empire, la réalisation de cet empire tout terrestre que Satan offrait à Jésus au désert, nous comprendrons dans quel sens il dit que la bête a été, qu’elle n’est pas, et qu’elle va reparaître comme huitième et comme le monstre lui-même. Elle a été lorsque la royauté juive, prenant place parmi les pouvoirs du monde, déclara la guerre au Christ, et, par la main d’Hérode et de Caïphe, chercha à l’anéantir. En se séparant de son Christ, et virtuellement de son Dieu, Israël devint, dès ce moment, ce qu’exprime Jean lui-même par ce terme sévère : « La synagogue de Satan. » (Apocalypse 2.9) Ce pouvoir, qui a été, n’est plus. Ce judaïsme, ennemi de Christ, a disparu comme pouvoir politique. Mais, à chaque instant, il peut reparaître ; car Israël, dans sa dispersion même, possède encore toutes les virtualités nécessaires pour ressusciter à chaque instant ; pour qu’il parvienne à se reconstituer, grandir et dominer le monde, il ne lui faut qu’un concours de circonstances favorables.
Son indomptable énergie lui garantit la victoire. Plus sa chute a été humiliante, plus le relèvement sera glorieux : la terre sera étonnée, dit saint Jean. Dans cette guérison de la tête jadis abattue par le coup le plus violent, elle verra le signe manifeste d’une assistance mystérieuse. La résurrection de Jésus sera égalée, surpassée. Le monde abandonnera le Christ pour se tourner vers Israël, le nouveau Messie, et pour rendre hommage à l’homme qui personnifiera en lui cette restauration prodigieuse. C’est là la tête, jadis blessée à mort, qui reparaîtra guérie et qui deviendra la bête elle-même.
Jean nous dit, au chapitre 17, qu’au moment où il écrit, c’est la sixième tête qui règne. Cette tête ne pouvant être, dans notre interprétation, que l’empire romain, qui sont les cinq têtes précédentes déjà tombées ? La première fois que le pouvoir terrestre se constitua en adversaire du règne de Dieu, ce fut lorsque Pharaon fit peser sa main sur Israël, et chercha à étouffer le peuple de Dieu à son berceau : l’Egypte est la première tête. La monarchie babylonienne, qui a détruit l’ancienne Jérusalem ; la monarchie médo-perse, qui a maintenu la domination païenne sur Israël restauré ; l’empire grec, d’où est sorti Antiochus, le type du véritable antéchrist, voilà la seconde, la troisième et la quatrième tête ; c’est là la première série des antéchrists ; c’est au peuple d’Israël qu’ils ont eu affaire. La seconde série, qui compte ainsi quatre phases, lutte contre la seconde forme du règne de Dieu, Christ et l’Eglise.
C’est d’abord la monarchie juive antichrétienne qui, comme un nouveau Pharaonw, s’est efforcée d’étouffer l’Evangile à son berceau.
w – Tout le chapitre 9 de l’épître aux Romains repose sur le rapprochement entre le rôle d’Israël par rapport à l’Eglise, et celui de Pharaon par rapport à Israël.
Rome suit comme sixième tête ; la septième est certainement le pouvoir de courte durée qui a mission de détruire Rome et de frayer ainsi la voie à l’antéchrist.
La huitième est l’antéchrist lui-même.
Chacune des deux séries aboutit donc à un antéchrist : l’une à Antiochus Epiphane, au paganisme personnifié, qui prétend absorber Israël, à l’antéchrist typique ; l’autre au faux Messie, au judaïsme incarné, qui prétend absorber l’Eglise, à l’antéchrist réel. Quel pouvoir est désigné par la septième tête. Saint Jean n’en dit qu’une chose : c’est qu’elle ne sera que peu de temps. Ce peut être, dans la réalité historique, le pouvoir des peuples barbares, qui a mis fin à l’empire romain, et, après s’être promptement brisé, a laissé le champ libre à la monarchie nouvelle, déjà bien des fois essayée dans le monde moderne. Ce pourrait être aussi une puissance passagère, encore à venir, qui détruirait tous les pouvoirs actuels dans lesquels s’est perpétué le pouvoir, le droit, le système romain, et qui préparerait ainsi les voies à l’apparition de l’antéchrist.
Au chapitre 17, v. 9, saint Jean, tout en désignant les sept têtes comme sept rois ou empires, les rapproche des sept collines sur lesquelles Rome était bâtie. C’est qu’en effet Rome est la grande résidence où a fini par s’établir, dans le monde ancien, le pouvoir terrestre, et où il siégera sans doute encore dans les dernières crises. Bien plus ; si, comme l’affirment les Pères, Jean écrivait à la fin du premier siècle, sous Domitien, il n’avait pas seulement devant lui la ville aux sept collines comme siège de l’empire, mais derrière lui il pouvait contempler déjà la série de huit empereurs romains, remplissant tout le premier siècle de l’Eglise : Auguste, Tibère, Caligula, Claude ; puis Néron, Vespasien (le vrai représentant de la tête romaine, comme destructeur de Jérusalem), Tite, le septième, qui ne régna que peu de temps, deux ans seulement ; et Domitien, ce second Néron, le persécuteur de l’Eglise, le type du monstre lui-même, de l’antéchrist final. Est-il improbable que, comme les sept collines figurent aux yeux du prophète les sept phases du pouvoir terrestre, les huit premiers empereurs, avec Domitien pour terme, aient été en même temps, à ses yeux, l’emblème de la série des huit antéchrists ?
Nous ne croyons pas, en donnant cette explication, être sorti un instant du cercle des prémisses bibliques et des préoccupations naturelles de Jean. Nous n’avons pas franchi en un seul point les limites de l’horizon dans lequel se mouvait son esprit. Il n’a été question ni des Arabes, ni de Tamerlan, ni de Luther, ni du catholicisme et du pape ; il a été question des Juifs et des gentils, ces deux grands acteurs de tout le drame biblique ; cette antithèse n’est-elle pas, en effet, le vrai contraste qui constitue l’histoire du monde, et dont les phases décident de ses crises, comme saint Paul le montre dans le onzième chapitre de l’épître aux Romains ? N’est-ce pas la solution finale de ce contraste à la fin de l’économie présente, qui fera la transition à l’époque glorieuse qui la couronnera, au Règne de mille ans, pour parler le langage de l’Apocalypse ?
Quant aux deux nombres 3 ½ et 666, dont l’un indique la durée du règne de la bête et dont l’autre est le chiffre de la bête elle-même, nous pensons que leur explication doit se chercher dans la symbolique des nombres.
3 ½, la moitié de 7, du nombre qui exprime la plénitude, indique un développement subitement et violemment interrompu. Au faîte de sa puissance, le règne de l’antéchrist sera soudainement supprimé par l’apparition du Christ.
Nous avons traité ailleurs la question du nombre 666x. Nous dirons seulement ici que ce chiffre 6, trois fois répété, nous paraît être choisi pour caractériser la trinité diabolique : le Dragon, la Bête et le faux Prophète, qui aspire à se substituer à la Trinité divine : Dieu, le Messie, l’Esprit. Celle-ci, si elle pouvait être représentée par un nombre humain, le serait par 777. Si Jean parle d’un calcul pour trouver la signification de ce nombrey, c’est peut-être qu’en grec les trois lettres (χξς) qui servent à le désigner ne présentent nullement à l’œil le même chiffre trois fois répété. Il faut un calcul pour arriver à découvrir leur valeur (Ἑξακόσια ἑξήκοντα ἕξ), et par là leur relation et leur sens symbolique. Du reste, nous ne prétendons nullement avoir par là mis au jour tout le contenu de ce nombre mystérieux.
x – Bulletin théologique, 1865, n° 4.
y – Apocalypse 13.18 : Que celui qui a de l’intelligence calcule le nombre de la bête.
Nous ne discuterons pas ici en détail l’explication du faux prophète. Nous dirons seulement que si la bête est le représentant de la puissance terrestre, antidivine, ce second personnage nous paraît être celui de la fausse inspiration, de l’exaltation diabolique, et qu’il y a une analogie frappante et intentionnée entre sa mission, qui est de donner gloire à la bête, d’amener le monde à ses pieds, et le rôle de l’Esprit-Saint, qui est de glorifier le Christ et d’arracher à chaque cœur ce cri d’adoration : « Jésus, Seigneur ! »z L’inspiration philosophique et poétique, la Muse sous toutes ses formes, « l’Esprit de ce monde, » comme dit saint Paul (1 Corinthiens 2.12), se mettra au service du pouvoir politique régnant, avec un fanatisme dont l’histoire ne laisse pas que de donner quelques exemples.
z – Jean 16.14 : C’est lui qui me glorifiera. 1 Corinthiens 12.3 : Personne ne peut dire : Jésus, Seigneur ! si ce n’est par le Saint-Esprit.
Nous nous contenterons de quelques rapides indications sur le reste du tableau apocalyptique.
Au chapitre 14, un tableau radieux vient reposer les yeux fatigués du spectacle horrible de la bête et de son acolyte : ce sont les cent quarante-quatre mille, cette élite d’Israël, dès longtemps scellée et réservée pour ces derniers temps, qui apparaissent sur la montagne de Sion. Mais maintenant ils sont groupés autour de l’Agneau ; ils forment en quelque sorte sa garde du corps. C’est ce qui est sorti de plus saint du plus saint des peuples. Le bandeau est tombé de leurs yeux ; le voile a été ôté (2 Corinthiens 3.16), comme dit saint Paul ; ils ont reconnu l’Agneau de Dieu dans celui qu’ils ont percé, et ils seront la principale force de son armée dans la lutte suprême qui s’approche. Les visions qui suivent représentent par anticipation, et pour soutenir l’espérance de l’Eglise, la propagation de l’Evangile sur toute la terre, la chute des puissances ennemies, le bonheur immédiat dont jouissent après leur trépas les victimes de la persécution, et le jugement par lequel Dieu répondra à cette audacieuse provocation de ses adversaires. Si, comme nous croyons l’avoir prouvé, les cent quarante-quatre mille, qui sont la principale force de l’armée de Christ, sont des Juifs, nous ne devons pas être étonnés qu’au chapitre 15, en traversant la mer de feu de la persécution, ils entonnent d’abord le cantique de Moïse, pour passer ensuite à celui de l’Agneau. (Apocalypse 15.3)
Le cantique par lequel fut célébrée, sur les bords de la mer Rouge, la première défaite de la puissance terrestre, formera l’ouverture du dernier chœur entonné sur ses ruines.
Nous voici arrivés au moment où l’antéchrist sévit sur la terre contre l’Eglise de Dieu. Le chapitre 16 nous met de nouveau en face d’un sombre tableau. C’est celui des plaies affreuses dont Dieu frappe cette humanité, qui vient de rendre hommage à la bête. C’est comme une répétition des plaies égyptiennes. Sept coupes sont coup sur coup versées sur le trône de la bête. Le sceau était un décret dont l’exécution pouvait tarder ; la trompette était un signal qui ne permettait plus qu’un court délai entre l’ordre et l’exécution. La coupe versée, c’est l’ordre divin et l’exécution ne formant plus qu’un seul acte.
C’est d’abord un ulcère malin, qui ronge le corps des hommes et dérange leurs projets de volupté terrestre ; c’est ensuite la corruption des eaux de la mer et des rivières ; puis une brûlante sécheresse ; des ténèbres qui, comme jadis en Egypte, couvrent la terre. Nous ne pensons point qu’il y ait des raisons pour donner à ces plaies un sens symbolique. Ce sont les verges de Dieu sur un monde éloigné de lui ; c’est le sceptre de fer de l’Agneau, brisant le vase obstinément rebelle. La sixième coupe est versée sur l’Euphrate pour le dessécher. L’Euphrate est l’antique limite entre Israël et le lointain Orient. Le but de cette coupe est de l’effacer, afin de faciliter une grande opération stratégique, la réunion des ennemis de Christ dans le monde entier, sous les ordres de l’antéchrist, en vue du jugement sommaire qui doit les frapper tous ensemble dans la plaine d’Armageddon. Il est probable que, puisque Babylone ne doit pas être prise dans le sens propre, et, d’après Apocalypse 17.10, désigne Rome, l’Euphrate, le fleuve de Babylone, ne doit pas non plus être entendu ici géographiquement. C’est le symbole des obstacles qui s’opposaient encore à la complète réunion des armées antichrétiennes du monde entier. La contrée d’Armageddon (probablement montagne de Mégiddo) est le lieu de la Palestine où s’étaient livrées la plupart des grandes batailles dans l’histoire sainte ; c’est donc le type du théâtre de la lutte finale. Comme cette lutte aura avant tout un caractère spirituel, il est impossible de savoir jusqu’à quel point elle pourra se localiser.
La septième coupe est un tremblement de terre d’une violence incomparable qui atteint Babylone, la capitale du monde, et les villes des, nations. Elle correspond donc au sixième sceau, qui représentait le même genre de calamités. Ici c’est le point culminant de cet ordre de fléaux.
La signification de Babylone est appelée un mystère (Apocalypse 17.5) ; Rome, en effet, ne pouvait être désignée par son nom ; il fallait recourir à cette terminologie énigmatique, bien comprise des premiers chrétiens, dont nous avons déjà parlé. Ce qui étonne le plus dans ce que le prophète dit du sort de cette capitale du monde antichrétien, c’est la relation qu’il établit entre elle et la bête. Au premier moment, Babylone est comparée à une femme splendidement parée, assise sur la bête. La plus cordiale entente paraît exister entre l’une et l’autre (Apocalypse 17.3, 7). Mais bientôt la bête, de concert avec ses nouveaux alliés, dix rois qui se sont donnés à elle, brûle Babylone et se repaît des chairs de cette prostituée (Apocalypse 17.16-17). Pour rendre compte de cet accord momentané entre la bête et Babylone, et de l’antagonisme qui y succède bientôt, il faut se rappeler le rapport constant d’Israël et des gentils dans l’histoire du monde. Il règne entre ces deux principes une hostilité ardente, profonde. Le bon accord peut s’établir momentanément quand il s’agit, comme entre Hérode et Pilate, de se débarrasser de l’ennemi commun, de Dieu, de son Christ et de leur règne. Mais, le but atteint et l’ennemi détruit, la vieille inimitié reparaît, et alors le plus fort des deux rivaux écrase le plus faible. C’est ce qu’a jadis fait la puissante Rome à l’égard de Jérusalem ; l’Apocalypse nous fait entrevoir le moment de l’histoire où Jérusalem, rajeunie et restaurée, prendra sa revanche sur la vieille Rome. Arrivé à l’apogée de son pouvoir, ayant pour vassaux les dix rois qui gouvernent tous les Etats formés des débris du monde romain, l’antéchrist rendra à cette mortelle ennemie de son peuple le coup qu’Israël en a jadis reçu. Après avoir, au commencement et par politique, accepté Rome comme capitale de son empire, il la répudiera, la livrera à la désolation, et transportera sa résidence dans l’autre capitale du monde, Jérusalem, la rivale de Rome, où le peuple juif rétabli l’acclamera, lui, son roi et le roi du monde. C’est alors que se réalisera le contenu du petit livre, qui, comme nous l’avons vu, était la prophétie spéciale sur Jérusalem et Israël à la fin des temps. Ces deux nouveaux Jean-Baptistes, prédicateurs de repentance et précurseurs du Christ glorifié, exercent leur ministère au sein d’Israël et préparent sa conversion ; ils succombent extérieurement au pouvoir de la bête ; mais leur supplice devient le signal de leur victoire. Le tremblement de terre qui clôt leur activité (Apocalypse 11.13) est sans doute le même que celui de la septième coupe, comme les châtiments dont ils frappent les hommes ne sont autres que ceux des cinq premières coupes.
Le monde entier obéit alors à une volonté, et cette volonté est l’ennemie jurée de tout principe divin, de toute influence sainte. Alors paraît Jésus-Christ, avec ses anges et ses armées. Son apparition doit-elle être prise à la lettre, ou s’agit-il d’une grande manifestation spirituelle accompagnée de phénomènes extraordinaires, tels que ceux qui ont signalé la naissance, la mort, la résurrection de Jésus ? Nous ne saurions le dire. Le résultat de cette catastrophe est, en tout cas, la chute du principe impie qui avait dominé la conscience humaine, la purification de l’atmosphère religieuse et morale sur la terre entière, et la réalisation terrestre du règne de Christ dans une société vraiment chrétienne. C’est ici le Règne de mille ans, durant lequel tout ce qui constitue la civilisation, les sciences et les arts, atteint un degré de développement dont les progrès, opérés depuis dix-huit siècles au sein de l’Eglise chrétienne, peuvent nous donner quelque idée. Ces cathédrales, qu’a fait surgir la foi à l’incarnation ; cette musique et cette peinture sublimes, qui se sont inspirées de la pensée de Christ ; cette étude de la nature et cette contemplation de la vérité, qui ont souvent si magnifiquement fleuri sous l’empire de la foi ; tout cela n’est que l’avant-coureur de ce qui s’épanouira sur une terre sanctifiée, sous le ciel sans nuages de la grâce divine. Quant à un règne matériel de Christ sur la terre, l’Apocalypse n’en dit mot : il y est seulement question d’une première résurrection et d’un jugement que Christ confiera aux siens. Ces promesses sont conformes à diverses indications renfermées dans les épîtres de saint Paula. Sans doute, il est possible que Jérusalem et le peuple juif converti deviennent alors le foyer du mouvement social, comme le centre du culte unique et universel. Mais, pour cela, la présence visible de Christ n’est point nécessaire ; il suffit que sa gloire spirituelle habite en ces lieux saints et rayonne de là sur toute la terre, pour justifier parfaitement les prophéties et consommer la vision.
a – Première résurrection, à l’apparition de Christ : 1 Thessaloniciens 5.14 et suiv. — Jugement des puissances ennemies pendant le règne de mille ans : 1 Corinthiens 15.24. — Jugement des anges et du monde par les saints : 1 Corinthiens 6.2-3.
La guerre de Gog et Magog contre la sainte cité est placée dans un lointain trop inaccessible à nos regards pour que nous nous permettions, sur ce point, même une simple hypothèse. Comme les chapitres 38 et 39 d’Ezéchiel, qui sont la base du tableau apocalyptique, sont, pour les commentateurs de l’Ancien Testament, une impénétrable énigme, il en est de même de cette dernière lutte pour ceux du Nouveau. Après cela, ont lieu la résurrection universelle et le jugement final. Comme le dit admirablement M. de Rougemont, « chaque race, chaque nation a dit son dernier mot et fait tout le bien et tout le mal dont elle est capable. On presserait le cœur et l’esprit du génie de l’humanité, qu’on n’en ferait pas sortir une bonne œuvre ou un crime de plusb. » Chaque individu aussi a dit son dernier mot, et, par la série de ses libres déterminations, fixé à jamais l’empreinte de son être, son caractère moral. Les semailles sont terminées ; la moisson commence. C’est le jugement qui finit les unes et commence l’autre.
b – Page 361.
Dans la description de la future économie, dont la nouvelle Jérusalem est le symbole, nous remarquons surtout la forme cubique de cette cité céleste, demeure de l’humanité sanctifiée. Rien de plus choquant, au point de vue esthétique, que cette ville, dont la muraille est aussi élevée que la ville est elle-même longue et large. Rien de plus admirable, au point de vue de l’idée. Cette forme cubique était celle du lieu très-saint. La ville entière, c’est-à-dire l’humanité nouvelle, est un lieu très-saint, c’est-à-dire l’habitation immédiate de Dieu. Cette image sublime, par laquelle Jean dépeint le terme de l’œuvre divine, est exactement conforme au sens de cette expression de saint Paul, formulant la même idée en ces termes : « Dieu tout en tous » (1 Corinthiens 15.28). Que s’il y a encore dans l’humanité des nations ou des individus attardés sur le chemin de la sainteté, parce que les dispensations providentielles n’ont pas été pour eux aussi favorables que pour d’autres, la ville sainte leur offrira, est-il ajouté, tous les moyens de perfectionnement et de guérison jusqu’à la sainteté parfaitec.
c – Apocalypse 21.24 : Les nations marcheront à sa lumière. Apocalypse 22.2 : Et les feuilles de l’arbre sont pour la guérison des gentils.
Nous demanderons maintenant à nos lecteurs s’ils ont pu découvrir le moindre vestige d’une opposition entre les conceptions de l’auteur de l’Apocalypse et les intuitions de saint Paul. Bien plus ; n’est-il pas évident que Jean, en célébrant avec une sainte exaltation, comme il le fait dans tout son livre, la propagation du christianisme chez les gentils, — qu’on se rappelle en particulier l’entrée des triomphateurs dans le ciel, au chapitre 7, — glorifie par là même, de toute sa force, l’œuvre de Paul ? Et, en retour, n’est-il pas clair que tout ce que saint Paul nous enseigne, au onzième chapitre de l’épître aux Romains, sur la conversion finale d’Israël, concorde parfaitement avec tout ce que l’Apocalypse renferme sur ce sujet ? Certes, si le caractère judaïsant et hostile à Paul du livre de l’Apocalypse est le premier axiome de la critique dite libérale et le fondement de son édifice, on peut bien dire que cette école a bâti sur le sable.
Les Juifs occupent sans doute partout une place importante dans l’Apocalypse. Ce sont eux qui, convertis, deviennent la force principale de l’armée de Christ sur la terre. Mais, en cela aussi, les deux apôtres s’accordent. Saint Paul n’annonce-t-il pas que la conversion des Juifs, à la fin des temps, sera, pour toute la gentilité chrétienne, comme une résurrection d’entre les morts ? Le rôle final d’Israël, comme ennemi acharné de l’Eglise, n’est point en contradiction avec cette prophétie. C’est précisément parce que ce qui est saint en Israël le sera plus que tout le reste, que ce qui est pervers dans ce peuple le sera aussi dans une mesure incomparable. Corruptio optimi pessima. C’est parce que ce peuple était le seul capable d’enfanter le Christ, qu’il est seul aussi capable de produire l’antéchrist. Paul et Jean le placent tous deux à la tête de la défection, comme ils le placent tous deux à la tête du parti de la fidélité. Rien de plus philosophique ; rien aussi de plus conforme à l’expérience, si l’on y pense bien.
Que montre l’histoire ? Tandis que la première communauté apostolique offrait par son amour, son détachement, sa joie, sa pureté, son zèle, un spectacle que le monde n’a plus revu dès lors, les Juifs, rebelles dans le même temps, manifestaient une haine contre la vérité, que les païens ne sont jamais parvenus à égaler. Qu’on relise le passage 1 Thessaloniciens 2.15-6 ! Voici ce que Justin, dans son Dialogue avec le Juif Tryphon, rappelle à celui-ci touchant ses compatriotes : « Vous nous maudissez, nous qui croyons en Christ, dans vos synagogues ; seulement vous n’avez pas la puissance de mettre la main sur nous, à cause de ceux qui maintenant gouvernent le monde (les Romains)d ; mais toutes les fois que vous l’avez pu, vous n’avez pas manqué de le faire. » Et dans sa première Apologie, voici ce que dit à l’empereur le même écrivain, touchant les Juifs : « Ils nous emmènent et nous torturent dès qu’ils le peuvent ; et dans la guerre que Barcochébas vient de faire à la tête des Juifs, les chrétiens étaient les seuls auxquels il infligeait les derniers supplices, lorsqu’ils ne voulaient pas renier et blasphémer Jésus le Christ. »
d – Le κατέχων (retenant) de saint Paul, 2 Thessaloniciens 2.
Ainsi, tout se prépare pour l’accomplissement de la vision. Les acteurs entrent déjà en scène et se disposent à jouer leur rôle. La lutte, ajournée à la fin du siècle apostolique par la conversion extérieure du monde romain, se réveille et ne peut manquer d’éclater tôt ou tarde. Il faut seulement, pour cela, que les peuples chrétiens secouent cette profession chrétienne, qui a fait d’eux moins les serviteurs que les esclaves de Jésus-Christ. Ainsi, la situation redeviendra de plus en plus semblable à ce qu’elle était à l’issue du temps apostolique : les chrétiens d’une part, le monde de l’autre ; les premiers, se revêtant toujours plus de Christ ; le second, se dépouillant de plus en plus de tout ce qu’il avait reçu de lui ; l’Eglise, sans relation officielle avec l’Etat livré à lui-même, et perdant ainsi en sécurité ce qu’elle regagnera en vie ; l’Etat, déchristianisé, indifférent à toute foi religieuse, en attendant qu’il y devienne décidément hostile ; les Juifs pieux, de plus en plus disposés à reconnaître en Jésus-Christ un de leurs prophètes, et arrivant, toujours plus nombreux, à discerner en lui, comme l’aveugle-né, leur Messie ; d’autre part, les Juifs apostats, foulant aux pieds non seulement notre Seigneur et notre Dieu, mais encore le Dieu et la loi de leurs pères, et dirigeant hautement l’incrédulité païenne vers le but qu’ils se proposent, l’anéantissement de tout culte autre que celui de l’humanité. Le théâtre n’est-il pas prêt comme les acteurs ? Et à supposer que le développement de ces germes dût se prolonger pendant des siècles encore, ce qui n’est pas impossible, ne faut-il pas reconnaître, en tout cas, que le regard prophétique de Jean a percé jusqu’au fond des choses, et qu’il a esquissé de main de maître le drame final qui doit terminer l’histoire ? Ceux qui prêchent avec enthousiasme la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’ont peut-être pas tort, mais il faut qu’ils sachent ce qu’ils font. Les deux adversaires ne se séparent que pour mieux s’étreindre et s’étouffer.
e – C’est avec surprise que nous avons rencontré dans la Dogmatique de Martensen les paroles suivantes, si bien d’accord avec les pensées ici exprimées : « C’est dans la mesure où le contraste entre l’Eglise et le monde, soit pour l’énergie de la vie chrétienne, soit pour l’intensité du despotisme de l’esprit diabolique, se rapproche de l’opposition qui existait aux temps apostoliques, que l’on peut dire : « Le Seigneur vient bientôt » (Ed. allem., 1856, p. 441.)
Un littérateur moderne a dit : « Toutes les erreurs que le christianisme a vaincues dans une existence de dix-huit siècles, renaissent de leurs cendres pour demander un dernier jugementf. » Mais si l’erreur rassemble ses forces, d’autre part la vérité concentre aussi les siennes. Dès que les deux camps seront formés et complètement distincts, la dernière heure sonnera. Christ paraîtra.
f – M. Alfred Nettement.
Christ vient : c’est toute l’histoire ancienne. Christ est venu : c’est le nœud de l’histoire, le terme de l’ancienne, le principe de la nouvelle. Christ revient : c’est toute l’histoire moderne. Voilà la philosophie de l’Apocalypse, de toute la Bible ; c’est la pensée de Dieu sur l’histoire de l’humanité. La venue de Christ est donc l’âme de l’histoire : elle est l’invisible essence de tout ce qui passe sur la scène de ce monde.