Histoire de la Réformation à Neuchâtel

VII
La Révocation et le Refuge

Qui nous séparera de l’amour de Christ ? Sera-ce l’affliction, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée ; selon qu’il est écrit : Nous sommes livrés à la mort tous les jours à cause de toi, et on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie ? Au contraire, dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs, par celui qui nous à aimés. Car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les choses élevées, ni les choses basses, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ notre Seigneur.

Romains 8.35-39

I

I. Un siècle d’angoisses. – La révocation de l’Edit de Nantes. – II. La grande émigration. – Guerre des Camisards. – Les églises du désert. – Les derniers martyrs. – III. Le Refuge, dans le pays de Neuchâtel.

Chaque Eglise, comme chaque chrétien, à reçu du Seigneur son don particulier et sa vocation spéciale. Ainsi l’une sera l’œil dans le corps du Christ ; elle l’inondera de la lumière de la connaissance. L’autre ressemblera aux pieds appelés à transporter le corps d’un lieu à un autre ; par elle le Seigneur fera la conquête du monde. Une troisième enfin sera cette main hardie qui tient haut élevé, même au milieu des flammes du bûcher, l’étendard de la profession.

Cherchez-vous des livres savants et perspicaces, propres à éclaircir les questions ardues du dogme chrétien ? Demandez- les à l’Allemagne. Là est l’église de la pensée, patrie des illustres théologiens.

Vous faut-il des évangélistes pour étendre le règne de Christ jusqu’au delà des mers et soumettre les îles à sa Parole ? Tournez-vous vers l’Angleterre. Là vous trouverez l’église de l’action, la pépinière des éminents missionnaires.

Demandez-vous des confesseurs de la Vérité opprimée, du sang versé en retour de celui dont fut arrosé le Calvaire ? Regardez à la France. Là votre regard rencontrera l’église de la patience, la terre des martyrs.

La Réforme avait enfin conquis en France le droit d’exister et de se montrer. La promulgation de l’édit de Nantes auquel elle était redevable de cette position nouvelle, fut suivie d’une vingtaine d’années de tranquillité extérieure. Comment apparut le protestantisme dans ce moment de relâche qui lui fut enfin accordé après un siècle de persécutions et de luttes sanglantes ? Au moment où il lui fut permis de sortir de son obscurité et de se reconnaître lui-même (dans les premières années du dix-septième siècle), il se trouva posséder en France non moins de 806 églises, réparties en seize provinces et soixante-deux colloques ! Quatre académies de théologie, foyers de lumière et de piété, fournissaient à ces nombreux troupeaux les pasteurs, forts en science et en parole, que réclamait la difficulté des temps. Le synode national, chef de ce grand corps spirituel, imprimait à tous ses membres l’unité d’action.

Peut-on citer dans l’histoire de l’humanité, depuis l’établissement du christianisme, un phénomène plus remarquable que l’apparition de ce jet sain et vigoureux sur le tronc vermoulu de la société française ? Absence de tous principes sérieux, démoralisation effrénée, voilà les traits de la vie nationale à l’époque dont nous parlons. Montaigne et son scepticisme, Rabelais et son dévergondage, tels sont les deux types dans lesquels s’incarnait le génie de la France au dix-septième siècle. Et c’est du sein de cette société incrédule autant que superstitieuse, immorale autant que bigotte, que l’on voit surgir, semblable à une figure lumineuse se détachant sur un fond obscur, l’Eglise, pleine de foi et de sainte énergie, des huguenots (sobriquet des protestants français à cette époque)a. Chez eux se trouve professée et pratiquée la plus haute spiritualité dans le culte, la plus sévère moralité dans la conduite. Le contraste entre leur vie et celle du reste de la nation est tel qu’ils forment comme une société à part dans la nation. Les liens naturels entre cette petite société et la grande cèdent à l’antipathie religieuse et morale dont elle devient l’objet. Un huguenot n’est plus pour un autre Français un concitoyen. Chaque protestant sur le sol de France peut répéter la plainte de David : Je suis devenu un étranger à mes frères, un homme du dehors aux enfants de ma mère !

a – D’où provient ce surnom ? On a essayé un grand nombre d’explications. Les historiens modernes (Soldan, par exemple, etc.) le dérivent du mot allemand : Eidgenossen (Aynossen, Aignos), confédérés, nom qui à joué un rôle particulier dans les luttes de Genève à cette époque. C’est l’étymologie la plus probable.

Séparation étrange et profonde qui, mieux que toute autre preuve, atteste l’énergie rénovatrice de la foi réformée ! Déchirement qui est à la fois en France la gloire du protestantisme et la cause de sa faiblesse ; sa gloire, parce que c’est en se donnant à Christ que le huguenot se fait ainsi rejeter de ses compatriotes ; sa faiblesse, parce que cet abîme moral une fois creusé, aucun pont ne put désormais en relier les bords ! La France est demeurée fermée à la Réforme. La morale souple et facile du catholicisme s’adaptait trop bien à la légèreté de l’esprit national, pour qu’il consentit à l’échanger contre les austères exigences d’une religion qui prend le devoir au sérieux et les commandements divins au pied de la lettre. L’impuissance de la Réforme à gagner la France ne signifie autre chose que son impuissance à renier le bien et à trahir Dieu.

Sainte et noble impuissance qui malheureusement ne fut pas celle d’Henri IV ! Ce roi sacrifia sa foi à ce qu’il appelait l’intérêt bien entendu, la nécessité politique. Quelle fut la récompense de cette concession ? Le 10 mai 1610 il tomba sous le poignard du fanatique Ravaillac. Cet assassin déclara dans son interrogatoire qu’il avait tué le roi parce qu’il avait fait la guerre au pape et par conséquent à Dieu, « d’autant que le pape est Dieu ».

Dès ce moment commença à s’écrouler l’échafaudage si péniblement élevé par l’habileté d’Henri IV. « Il sembla, dit M. de Félice, que l’édit de Nantes eût été déchiré du même coup qui avait percé le cœur de son auteur. »

Sans doute il fallut tout un siècle pour préparer la rétractation officielle d’un acte aussi solennel. Mais que fut ce siècle ? Un parjure journalier de la part du gouvernement, un supplice permanent et toujours croissant et comme une incessante agonie pour l’église de France. En comparaison des souffrances de ce lent martyre, une révocation immédiate eût été un bienfait, un vrai coup de grâce.

Henri IV avait à peine fermé les yeux, que les vexations commencèrent. On gêna les protestants dans l’exercice d’une partie des libertés et des droits que leur avait accordés l’édit. Ils s’en plaignirent à la cour. Le trône était alors occupé par un enfant de huit ans et demi, Louis XIII, le fils d’Henri IV, et par sa mère, Marie de Médicis, qui gouvernait comme régente. Cette reine était entièrement dominée par les astrologues et par des aventuriers italiens. On refusa naturellement de faire droit aux griefs des protestants. Ceux-ci se rappelant les temps qui avaient précédé le règne d’Henri IV, et croyant déjà voir dans le jeune roi un autre Charles IX, dans la régente une nouvelle Catherine de Médicis, et dans ces vexations journalières le prélude d’une seconde Saint-Barthélémy, recoururent à un moyen plus périlleux pour ceux qui l’employaient que pour leurs adversaires.

L’édit de Nantes assurait aux protestants la possession de certaines places fortes, et les autorisait à se réunir en grandes assemblées politiques. Fondés sur l’esprit et la lettre de ces concessions, ils commencèrent à s’organiser plus fortement, de manière à pouvoir se réunir et se secourir mutuellement au premier signal. Ils se répartirent en départements ou cercles ayant chacun son commandant militaire, nommèrent un général en chef, enfin se mirent sur un vrai pied de guerre. L’intention de se révolter contre leur souverain n’abordait pas leur pensée. Ils ne voulaient que se préserver de ses coups, si, comme jadis, il s’armait contre eux du glaive du bourreau. Les circonstances justifiaient ces craintes et ces mesures, peut-être ; nous devons dire cependant que cette attitude était la plus anormale qui fut jamais. Par là le protestantisme n’était plus seulement une société dans la société ; il devenait un Etat, un Etat armé, dans l’Etat. Louis XIII et son gouvernement comprirent l’impossibilité d’accepter cette situation. Quinze jours avant que les protestants eussent achevé de s’organiser, le 24 avril 1621, l’armée royale entrait en campagne et la guerre civile recommençait. Voilà ce qu’avait duré l’œuvre d’Henri IV !

L’armée royale échoua dans le siège de Montauban, l’une des villes fortes des protestants. Le siège dura deux mois et demi. Un soir, les sentinelles sur les murailles de la ville, entendirent le son d’une flûte partant du camp royal, qui jouait l’air, bien connu de tous les réformés, du Psaume 68 :

Que Dieu se montre seulement
Et l’on verra dans un moment
Abandonner la place…

Aussitôt la joie se répand chez les assiégés. N’est-ce pas là un signal de délivrance ? Ils ne se trompaient pas. L’ordre de la levée du siège était donné pour le lendemain. Et c’était un jeune fifre huguenot, servant dans l’armée du roi, qui avait essayé de faire parvenir par ce moyen la bonne nouvelle de la délivrance prochaine à ses coreligionnaires. Le lendemain l’armée royale quitta les murs de Montauban, mais pour se répandre dans le Midi et y signaler son passage chez les populations protestantes par les plus horribles massacres. C’est ainsi que Louis cherchait à laver l’affront reçu devant Montauban.

Après le Midi, vint le tour de l’Ouest. Là se trouvait la plus forte de toutes les villes concédées aux protestants par l’édit de Nantes. En 1627, Louis XIII et son ministre Richelieu vinrent mettre le siège devant La Rochelle. Pendant plus d’un an les assiégés supportèrent avec constance les travaux et les souffrances de la plus héroïque défense. L’Europe entière contemplait cette lutte. Le plus terrible ennemi des Rochelois n’était pas Richelieu, mais la famine. Ils avaient acquis une telle expérience de la mort par la faim, qu’ils commandaient eux-mêmes leur cercueil pour le jour et l’heure où ils auraient cessé de vivre. Et malgré l’atrocité, chaque jour croissante, de cette position, le maire de La Rochelle, Jean Guiton, vieux marin, sollicité de rendre la ville, répondait : « Quand il ne restera plus qu’un seul habitant, il faudra qu’il ferme encore les portes. »

Cependant, lorsqu’au milieu de ces rues, jonchées de cadavres que personne n’avait plus la force d’ensevelir, il ne resta plus que des squelettes ambulants, incapables de porter leur armure et de se soutenir sans bâton, La Rochelle se rendit.

Richelieu, triomphant, dicta la paix aux protestants. Le traité leur ôtait toutes les concessions politiques qui leur avaient été faites par l’édit de Nantes et ne leur laissait que leur organisation ecclésiastique et le droit de professer leur culte. Dès ce jour l’Eglise réformée de France fut, matériellement parlant, livrée à la discrétion de ses ennemis.

Richelieu désigna le traité du nom d’Edit de Grâce. Ce nom seul put faire pressentir aux protestants français sous quel régime ils allaient vivre. Ni Richelieu cependant, ni Mazarin, son successeur au pouvoir, ne firent peser un joug trop lourd sur les protestants. Et certes ceux-ci ne leur en donnaient nul motif. Le roi n’avait pas de sujets plus soumis. Mazarin le déclarait lui-même. « Si le petit troupeau broute de mauvaises herbes », disait-il en parlant de leur conduite pendant les troubles de la Fronde, « au moins il ne s’écarte pas. »

Néanmoins on les tenait exclus de tous les emplois gouvernementaux. Tout accès à la carrière politique leur étant ainsi fermé, ils s’en dédommagèrent en se livrant d’autant plus activement à l’industrie, au commerce, à l’agriculture, aux arts et aux sciences. M. Weiss, dans son ouvrage désormais classique sur l’émigration française, à tracé l’admirable tableau de cette activité intelligente et persévérante qui mit, au bout de peu de temps, tout le commerce de la France comme en dépôt entre leurs mains et en fit les plus riches du peupleb. Ces expressions et les détails nombreux qui les justifient sont tirés de rapports contemporains et officiels. Les manufactures de laine, de soie, de fil et coton, de draps et d’étoffes, de peaux, de papiers, d’armes, etc., etc., ainsi que tout le grand commerce d’exportation et d’importation, étaient entre les mains de la population protestante. En même temps que les protestants formaient la partie la plus intelligente, la plus laborieuse et la plus riche de la nation, c’était chez eux que l’on trouvait la loyauté la plus sûre, la moralité la plus éprouvée. Le dimanche, un culte simple et sanctifiant retrempait leur âme dans le sentiment d’intérêts bien supérieurs à ceux d’ici-bas et remettait devant leurs yeux, comme premier but de la vie, la recherche du royaume de Dieu et de sa justice. D’un dimanche à l’autre, le culte domestique, célébré chaque jour dans toutes les familles, entretenait cette pensée des biens éternels. Les règles sévères de la discipline ecclésiastique prévenaient les écarts dans la conduite. Tous les membres de l’Eglise, quelle que fût leur position sociale, étaient également soumis aux prescriptions austères de ce code. Répréhension privée, dénonciation publique, excommunication enfin, tels étaient les degrés de cette pénalité toute spirituelle, mais redoutable néanmoins et puissante par la vertu de Dieu. C’était la le bouclier que l’Eglise opposait aux séductions dont la licence effrénée du siècle entourait ses membres. Aussi les protestants français forçaient-ils l’estime publique. De l’aveu de leurs adversaires ils possédaient toutes les qualités du bon citoyen : le respect de la loi, l’application au travail, l’antique frugalité et la plus incorruptible loyauté ; et à ces qualités, que l’on peut nommer terrestres, ils joignaient les vertus du chrétien ; en premier lieu, le plus vif amour pour leur religion et leur culte : — « Ils ne demandent que leur saoul de prêches » disait déjà d’eux Catherine de Médicis ; — puis les dispositions qui en découlent naturellement, en particulier, un penchant marqué à conformer leur conduite à leur conscience, et la crainte habituelle du jugement de Dieu. Nous empruntons tous ces détails au tableau tracé par M. Weiss, qui lui-même à puisé textuellement dans les documents contemporainsc.

b – Weiss. Histoire des réfugiés protestants de France, p. 33.

c – p. 31. (Nous nous abstiendrons de plus fréquents renvois à ce livre excellent. Nous devrions en faire à tous les paragraphes.)

Dès 1661, après la mort de Mazarin, Louis XIV, petit-fils d’Henri IV, avait pris lui-même en mains les rênes du gouvernement. L’idéal de ce monarque était : la grandeur de la France, comme but ; l’unité de la monarchie, comme moyen. Dans ce programme de gouvernement, l’unité religieuse n’était point séparée de l’unité politique. Richelieu avait si bien réussi à fonder la première, que Louis XIV ne désespérait pas de parvenir à réaliser la seconde. Son intention n’était pourtant pas d’employer, pour atteindre ce but, des moyens sanglants ou même violents. Son caractère n’était pas précisément cruel. Il comptait qu’une douce, mais ferme et persévérante pression suffirait pour faire rentrer tous les protestants au giron de l’église romaine. « Renfermer l’exécution de tout ce que les protestants ont obtenu de mes prédécesseurs dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance peuvent permettre… ne leur accorder aucune grâce dépendant de moi seul… attirer par récompenses ceux qui se rendront dociles ; animer les évêques pour qu’ils travaillent à leur conversion… » tel était le plan du monarque tracé de sa propre main dans ses mémoiresd.

d – Weiss, p. 63-64.

Quand on se propose si formellement de n’être que juste, on ne peut manquer de devenir inique. Le vieil adage le dit : Stricte justice, suprême injustice. Et d’ailleurs, si ces moyens de douceur (c’est ainsi qu’il les envisageait) échouaient contre la fermeté des protestants, que faire alors ? Le sentiment de la vanité blessée et de l’autorité bravée ne pousserait-il pas l’orgueilleux monarque à des mesures d’un tout autre caractère ?… Peut-être, si le roi eût connu d’avance le dénouement du drame terrible qui allait se jouer, eût-il reculé au moment d’entrer en scène.

L’oppression systématique des protestants commença proprement dès 1660. En cette année fut supprimé leur Synode national. C’était décapiter l’Eglise réformée de France ! Il y avait justement un siècle que s’était rassemblé à Paris, sous le feu de la persécution, le premier synode général, dans lequel la Réforme s’était constituée.

En 1661, le gouvernement envoya dans toutes les provinces des commissaires qui avaient pour tâche de vérifier le droit des protestants à occuper les temples dont ils avaient fait usage depuis l’édit de Nantes. On comprend que les protestants furent condamnés partout où leur droit n’était pas dix fois prouvé. Des temples dont ils se servaient depuis plus d’un siècle leur furent enlevés, la même où il n’y avait plus de population catholique pour les réclamer.

En 1662, vingt-deux temples furent rasés dans le pays de Gex, sur les frontières du canton de Vaud, sous le prétexte que ce bailliage n’avait été réuni au royaume que postérieurement à l’édit de Nantes, et que dès lors il n’était pas au bénéfice de cet édit. — La même année, défense fut faite à tous les protestants français d’enterrer leurs morts autrement qu’au point du jour ou à nuit tombante.

En 1633, un édit affranchit les protestants qui se faisaient catholiques de l’obligation de payer les dettes contractées par eux envers leurs anciens coreligionnaires.

Une autre loi accorda à l’Eglise romaine tous les enfants nés de pères catholiques et de mères protestantes.

Enfin un édit ordonna que tous ceux qui, après être rentrés dans le giron du catholicisme, retournaient aux protestants et refusaient en mourant les sacrements de la main du prêtre, au lieu d’être enterrés décemment, seraient traînés sur la claie. On revit alors ce hideux spectacle dans plusieurs villes de France. L’histoire mentionne particulièrement une demoiselle de Montalembert, dont le corps fut traîné nu à travers les rues d’Angoulême, sans égard pour son sexe, son âge et sa naissance.

En 1664, annulation de tous les brevets de maîtrise accordés à des protestants ; une lingère même ne doit être reçue dans sa corporation qu’à condition de faire profession de catholicisme ! — La même année, les protestants sont exclus de tous les emplois municipaux !

En 1665, l’entrée du domicile des malades protestants est légalement accordée au prêtre ; celui-ci, accompagné d’un magistrat, a le droit de venir catéchiser, torturer moralement et damner le patient sur son lit de mort, au milieu des siens. — La loi déclare les jeunes garçons, dès l’âge de quatorze ans, les jeunes filles, dès l’âge de douze, capables d’embrasser le catholicisme ; elle les livre ainsi à tous les moyens de séduction ou de rapt si faciles à exercer sur un âge si tendre. Une inclination de tête, un clignement d’yeux devant une image, de la part d’un enfant, peut désormais être envisagé comme un acte d’adhésion au catholicisme ; et l’enfant pourra être en conséquence traîné à la messe et juridiquement livré au prêtre. Bien plus, les parents protestants sont condamnés par le même édit à payer la pension alimentaire de ces enfants qu’on leur enlève ! On veut du même coup leur arracher leurs enfants et les ruiner ! Et après cela le clergé, non encore satisfait, déclarait au roi, par la bouche de l’évêque d’Uzès, qu’il fallait travailler avec plus d’ardeur à faire expirer entièrement le monstre de l’hérésie !

C’est jusqu’à celle époque, en 1664, qu’il faut faire remonter le commencement de l’émigration proprement dite. Un grand nombre de réformés, ne trouvant plus ni justice, ni repos sur le sol natal, prirent, alors déjà, le bâton de pèlerins et préférèrent les douleurs de l’exil aux tourments de cette persécution morale qui envahissait successivement tous les domaines de la vie publique et privée, qui franchissait le seuil de leur domicile, ne s’arrêtant pas même devant le berceau de leurs enfants, devant leur propre lit de mort ! — Heureux ceux qui prirent alors le parti énergique de l’exil volontaire ! Car pour ceux qui restèrent : tout cela n’était encore qu’un commencement de douleurs.

A la suite de cette première émigration fut rendu, en l’an 1666, le premier édit qui interdisait à tous les sujets français la sortie du royaume sans une permission royale, sous peine de confiscation de corps et de biens. Ceux qui s’étaient expatriés étaient sommés de rentrer sous la menace des mêmes peines. — Quand on prépare la grande chasse, on commence par traquer le gibier.

Les vingt années suivantes, de 1666-1685, sont marquées mois par mois, pour ainsi dire, par des arrêts et des actes de plus en plus oppressifs et vexatoires. En voici un bref résumé : Défense aux églises de s’imposer pour payer leurs ministres, et aux églises riches de collecter en faveur des églises pauvres ; interdiction aux maîtres d’école protestants d’enseigner à leurs élèves autre chose que la lecture, l’écriture et le calcul élémentaire ; défense aux protestants d’imprimer aucun livre religieux sans l’autorisation des magistrats de la communion romaine ; tout acte de prosélytisme auprès d’un catholique est interdit sous peine de mille livres d’amende. — Une foule de temples sont enlevés aux protestants, et donnés aux catholiques, là où il y en a, détruits là où la population tout entière est réformée. Dans le Béarn, le nombre des temples protestants fut ainsi réduit de 86 à 20. Peine des galères à vie pour tout catholique qui se fait protestant, d’exil et de confiscation des biens pour le pasteur et les anciens d’une église protestante qui ont laissé entrer un catholique dans leur temple, comme si un pasteur et des anciens pouvaient connaître tous ceux qui entrent dans l’église et avaient la force en main pour les en empêcher ! — Ordre de détruire tout temple dans lequel un catholique sera entré. A la suite de cet édit, les plus grandes villes protestantes se virent en peu d’années privées de leur temple, et la population réformée dut faire parfois des voyages de dix, vingt et jusqu’à cinquante lieues pour jouir des bienfaits du culte. Autre arrêt qui interdit aux protestants de tenir des écoles ailleurs que dans le pourtour des temples. Pour fréquenter l’école les enfants protestants auraient donc dû chaque jour faire de grands voyages ! — En 1681, l’âge légal d’abjuration pour les enfants protestants est abaissé de douze à sept ans, afin de faciliter au clergé catholique cet acte odieux qui à reçu le nom de prosélytisme sur les mineurs ! — De 1681 à 1685, une série d’édits suppriment toutes les académies réformées ; livrent aux jésuites une partie des bâtiments construits pour cet usage par les protestants ; interdisent dans les collèges réformés l’enseignement du grec, de l’hébreu, de la philosophie et de la théologie ! Hébéter les pasteurs semblait un bon moyen pour extirper l’Eglise ; en tout cas c’en était un, les faire descendre au niveau des prêtres ! Tout avancement dans l’armée est refusé aux militaires protestants ; les pensions de retraite sont même retirées aux vieux soldats et aux veuves de ceux qui sont morts pour la patrie, si elles ne consentent à abjurer ! Sous la pression réunie du gouvernement et du clergé, les tribunaux renient dès ce moment tout reste d’impartialité ; et quand la partie protestante injustement condamnée en appelle au texte de la loi, le juge lui répond froidement : « Vous avez le remède en mains. Convertissez-vous ! » On interdit aux réformés les professions d’avocat, de médecin, de sage-femme, d’imprimeur et de libraire, de procureur et de notaire. Le grand Colbert avait introduit dans les bureaux du ministère des finances une foule d’employés protestants parce qu’il les connaissait trop honnêtes pour frauder. C’était le seul département royal où des protestants eussent encore accès. On prononce le renvoi de tous ces employés. — Interdiction aux pasteurs de demeurer plus de trois ans dans le même lieu, crainte qu’ils n’y acquièrent trop d’influence. On leur défend même, par un édit exprès, de parler dans leurs sermons du malheur des temps ! On interdit aux malades protestants de se faire soigner dans les maisons particulières où l’on consentirait à les recevoir par bienveillance. Ils sont contraints par la loi de se faire soigner dans les hospices publics, où ils sont soumis aux obsessions des prêtres et des desservants catholiques.

C’est ainsi que n’osant plus allumer matériellement les bûchers, Louis XIV essayait de consumer la Réforme à petit feu et osait revêtir de formes légales ce long forfait, cette violation systématique de l’édit de Nantes, de la foi jurée !

Comment se faire une idée des souffrances et des angoisses de toute espèce, qu’ont dû provoquer chacun de ces édits monstrueux qui se succédèrent coup sur coup pendant vingt ans ! Et c’était une population d’un million d’hommes, pleine d’intelligence, de sensibilité et de vie morale que l’on torturait de la sorte ! L’Europe s’émut. Les souverains protestants envoyèrent à Versailles des remontrances. Louis, joignant l’hypocrisie à la cruauté, répondit : qu’il avait été très satisfait de la conduite de ses sujets protestants pendant les troubles ; qu’il leur avait voué sa royale bienveillance, et qu’il ne voulait rien faire contre les édits de tolérance donnés par ses prédécesseurs !

Cependant, tous ces moyens ne suffisant point à vaincre la fermeté des réformés, Louis se laissa persuader d’en employer de plus décisifs. D’abord on établit un bureau, doté par le gouvernement, qui payait une somme à tout réformé qui se faisait catholique. Un renégat protestant, Pélisson, dirigeait ce trafic. Il avait ses bureaux dans toute la France. Le prix courant était six livres par converti. L’on prétendait que l’éloquence dorée de l’habile administrateur était beaucoup plus efficace que celle de Bossuet lui-même. Et il n’était bruit à la cour que des miracles de Pélisson ! Il paraît néanmoins que le bruit de ces succès était très exagéré ; car il fallut bientôt chercher un autre moyen d’une nature plus énergique ; à la mission dorée succédèrent les missions bottées, autrement appelées dragonnades. Voici en quoi consistait ce moyen. On remplissait une province de soldats ; on accablait de logements militaires les familles protestantes. Par exemple : le duc de Noailles annonçait confidentiellement à Louvois, ministre de la guerre, qu’à Nîmes il y avait deux logements de cent hommes chacun, etc., au moyen de quoi il espérait que dès la fin du mois tout serait expédié. Les chefs autorisaient de la part des soldats tous les mauvais traitements imaginables, la mort exceptée. Voilà le genre de mission auquel fut soumise toute la population réformée, dans les dernières années avant la révocation. Toutes les localités de la France où se trouvaient des protestants passèrent successivement par ce régime. L’étude des soldats était de trouver des traitements qui torturassent sans tuer. Un de ces tourments, inventés par eux, était, par exemple, de priver de sommeil les malheureux que l’on voulait convertir. On ne cessait de les pincer, de les piquer, de les tirailler. On leur souillait dans le nez de la fumée de tabac. On leur mettait des charbons allumés dans les mains ; on les forçait à rester debout, quand ils tombaient accablés de sommeil ; on faisait un bruit infernal par le moyen des cris, des tambours, des meubles renversés. Quand les tapageurs étaient fatigués ils se relevaient, comme on change les sentinelles. Enfin, au bout de plusieurs jours et de plusieurs nuits ainsi passés, les malheureux habitants de la maison, à demi fous de fièvre et de fatigue, venaient-ils à faire machinalement le signe de la croix qu’on leur demandait, à l’instant on les déclarait convertis ; et si, revenus à eux, ils rétractaient ce qu’ils avaient fait ou dit dans cet état où ils n’étaient plus maîtres d’eux-mêmes, ils devenaient passibles des peines terribles prononcées contre les relaps !

« Je crois bien, » disait madame de Maintenon, dans son dévot langage, « que toutes ces conversions ne sont pas sincères ; mais Dieu se sert de toutes voies ! »

Les dragonnades étaient de plus la ruine complète des populations protestantes. Ces malheureux étaient obligés de vendre terres, maisons, mobilier, pour satisfaire les garnisaires, qui ne les quittaient que quand ils ne trouvaient plus rien à manger ou quand ils leur avaient arraché une abjuration désespérée. Aussi les terres étaient-elles à bon compte, là où les dragons avaient passé ; et les courtisans spéculateurs en profitaient ! Madame de Maintenon écrivait à son frère à l’occasion d’un pot de vin de 118 000 fr. que le roi venait de lui accorder : « Employez utilement cet argent ; les terres en Poitou se vendent pour rien ; la désolation des huguenots en fera encore vendre ; vous pouvez aisément vous établir grandement en Poitou. »

Les rapports sur les conversions ainsi opérées furent si brillants que Louis XIV jugea enfin le moment venu de frapper le dernier coup. On lui faisait accroire qu’il n’y avait plus de protestants en France. A quoi bon dès lors maintenir l’édit de Nantes ? Cet édit de tolérance n’était-il pas désormais sans objet ? Le 18 octobre 1685, jour plus fatal à la France que celui de la Saint-Barthélémy, Louis signa la révocation de cet édit rendu par son aïeul. Le vieux chancelier Letellier, après avoir apposé le grand sceau de l’Etat à l’arrêt de révocation, s’écria : « Laisse maintenant ton serviteur aller en paix, » et quitta le service de l’Etat, pensant qu’il ne pourrait jamais rien sceller qui fût à la hauteur d’un tel décret. L’arrêt prononçait la destruction de tous les temples protestants ; l’interdiction du culte réformé tant en public que dans les châteaux et les maisons particulières ; la peine des galères pour tout ministre qui n’abjurerait pas ou n’aurait pas quitté le pays dans l’espace de quinze jours ; la fermeture des écoles protestantes ; le baptême forcé dans l’église catholique de tous les enfants nés après la promulgation de l’édit ; enfin, on peut à peine le croire, la défense (sous peine des galères pour les hommes, de la confiscation de corps et de biens pour les femmes) de sortir de France !

II

Renier sa foi ou périr à la chaîne, voilà donc la seule alternative laissée aux protestants français ! L’émigration même interdite ! L’inquisition n’avait pas défendu de chercher à lui échapper ! Louis XIV, en signant ce décret, faisait de la vingtième partie de son peuple des apostats ou des galériens ! L’histoire du monde présente-t-elle rien de pareil ? Ce fut là le prix que le clergé romain mit au pardon des péchés d’un monarque dissolu. Les protestants durent payer les fautes d’un roi libertin et le réconcilier, par leur abjuration ou leur ruine, avec le Dieu qu’il avait offensée !

e – De Félice, p. 378.

En vain le décret de révocation interdisait-il aux protestants de sortir de France ; il n’en fut pas moins le signal de la grande émigration. Ce mot d’ordre que n’avait donné aucune bouche humaine, retentit d’un bout à l’autre du royaume : tout risquer, tout quitter, plutôt que renier la foi.

Louis XIV put alors juger s’il était vrai que l’édit de Nantes n’eût plus d’application en France, parce qu’il ne s’y trouvait plus de protestants ! On avait pris les mesures les plus rigoureuses pour empêcher l’émigration. Toutes les frontières et même les côtes de la mer étaient gardées. Les biens des fugitifs avaient été promis aux délateurs, et les populations des campagnes, ameutées pour poursuivre et piller tous ceux que l’on découvrirait. Néanmoins l’on compte que près de trois cent mille protestants parvinrent à déjouer ces mesures inspirées par la plus exécrable tyrannie.

Le 21 septembre 1685, les protestants du pays de Gex commencèrent à arriver en foule à Genève avec leurs meubles et leurs effets les plus précieux, emportés sur des chariots. Dans les jours suivants, les émigrants affluèrent de toutes les parties de la France. Chaque jour il en passait des centaines. Les uns restaient à Genève ; les autres allaient plus loin. Les routes dans nos cantons voisins de la France étaient encombrées de ces fugitifs. Il en arriva deux mille à Lausanne en un seul jour. Ils racontaient comment ils avaient échappé aux soldats du roi ; l’un s’était déguisé en pèlerin ; l’autre en courrier ; un troisième en portefaix ou en marchand de bétail ; un quatrième en laquais portant la livrée de quelque seigneur ; d’autres en soldats rejoignant leur garnison ; d’autres s’étaient fait conduire par des passages de montagnes impraticables aux soldats eux-mêmes. Il y en avait qui, plus hardis, avaient franchi la frontière, l’épée à la main. D’autres avaient gagné les gardes à prix d’argent et avaient donné jusqu’à six mille, huit mille livres pour prix de leur évasionf. Ils avaient voyagé la nuit, passant les jours dans les forêts ou sous des monceaux de foin dans les granges. Les femmes elles-mêmes avaient dû avoir recours à des expédients de tout genre. Déguisées en servantes, en paysannes, en nourrices, ou même en laquais, portant des hottes, poussant des brouettes, se brunissant le teint avec des pommades, se faisant des rides au moyen de sucs corrosifs, elles avaient ainsi passé la frontière, souvent après un voyage de quatre-vingts à cent lieues à travers des marais et des forêts sous la conduite de guides inconnus. Ainsi durent s’échapper de la, patrie des personnes élevées dans le bien-être et dans le luxe ; des femmes enceintes, des vieillards, des malades, des enfants. Qui peut dire les angoisses et les fatigues d’une semblable fuite ! Qui peut décrire la joie et la reconnaissance de l’arrivée sur le sol étranger ! Ce qui en d’autres temps aurait été le comble de la douleur, dire un dernier adieu à sa patrie, en y laissant tous ses biens, se trouvait changé par le sentiment de la délivrance d’un malheur plus grand et par les consolations de cette foi à laquelle on avait tout sacrifié, en un sujet d’actions de grâces.

f – De Félice, p. 114.

Beaucoup s’échappèrent aussi par mer. On se cachait, on s’entassait par familles entières dans une caverne près des côtes. Là un bâtiment venait vous prendre de nuit ; on se plaçait derrière des ballots de marchandises ou dans des tas de charbon ; on s’enfermait pour de longues semaines dans des tonneaux vides, placés au milieu d’un chargement de vin ou d’huile. Des enfants passèrent des semaines dans ces insupportables cachettes sans pousser un cri, de peur de se trahir eux et leurs parents. Quelquefois on se hasardait sur de simples barques, comme le comte de Marancé, qui passa la Manche en hiver avec sa femme et quarante personnes, sur un léger bateau, sans provisions de bouche. Jetés çà et là par la tempête, n’ayant pour apaiser la soif et la faim des enfants, et pour se soutenir eux-mêmes, que de la neige fondue, ils arrivèrent à demi morts sur les côtes de l’Angleterre. Et encore heureux ceux qui arrivaient ! Plusieurs de ces embarcations tombèrent entre les mains des corsaires, et les malheureux fugitifs furent vendus en esclavage à Alger. D’autres, ayant été jetés sur les côtes d’Espagne et de Portugal, furent livrés à l’inquisition ! Combien d’entre eux enfin ne furent pas engloutis dans les flots de l’Océan !

Et ce n’étaient pas encore là peut-être les plus malheureux. Le sort le plus affreux attendait ceux qui étaient surpris et saisis avant d’avoir pu quitter le sol de la France. L’édit de révocation, nous l’avons dit, les condamnait aux galères. « On les voyait, dit Benoît, marcher en longues troupes, portant à leur cou de pesantes chaînes, et faire ainsi de longues traites ; quand ils tombaient de lassitude, on les relevait à coups de bâton. » L’avarice de leurs conducteurs ne leur accordait qu’une partie de ce qui était alloué pour leur entretien. Enfin ils arrivaient au bagne. Là ils étaient accouplés avec tous les voleurs et les malfaiteurs de la France ; puis on les plaçait sur les bancs des galères ; il fallait faire mouvoir de longues et lourdes rames, et quand ils ne ramaient pas avec assez de force, le comes (c’était le titre du surveillant), armé de son nerf de bœuf, frappait sur les épaules de ces malheureux. On ne quittait jamais ces bancs ; on y passait les jours et les nuits, protégé par une simple toile, et l’on ne pouvait changer de place sur la galère qu’autant que le permettait la longueur de la chaîne.

Au mois de juin 1686, on comptait déjà plus de six cents réformés au bagne de Marseille ; à peu près autant à celui de Toulon ; parmi eux des hommes, tels que David de Caumont, de l’une des plus illustres familles de France, vieillard de 65 ans, et Louis de Marolles, ancien conseiller du roi, qui fit le voyage depuis Paris avec la chaîne des galériens ; il écrivait à sa femme depuis le bagne des lettres pleines de courage, presque de gaîté. Nous en donnons en note un exemple :

« Je vis à présent tout seul ; on m’apporte à manger du dehors, viande et pain, moyennant neuf sous par jour…… Je fais faire aujourd’hui un matelas ; j’achèterai des draps et je vais travailler à me mettre à mon aise. Tu diras peut-être que je suis un mauvais ménager, mais c’est assez coucher sur la terre depuis mardi dernier jusqu’à cette heure. Si tu me voyais avec mes beaux habits de forçat, tu serais ravie. J’ai une belle chemisette rouge, faite tout de même que les sarraux des charretiers des Ardennes. Elle se met comme une chemise, car elle n’est ouverte que par devant. J’ai de plus un beau bonnet rouge, deux hauts-de-chausses et deux chemises à toile grosse comme le doigt et des bas de drap. Mes habits de liberté ne sont pas perdus, et s’il plaisait au roi de me faire grâce, je les reprendrais. Le fer que je porte au pied, quoiqu’il ne pèse pas trois livres, m’a beaucoup plus incommodé dans les commencements que celui que tu m’as vu au cou à la Tournelle…… »

L’heure de la liberté ne sonna point pour celui qui écrivait ces lignes ; il mourut en 1692, après six ans de cette horrible captivité, à l’hôpital des forçats de Marseille, et fut enseveli au cimetière des Turcs ! C’est ainsi que l’on brisait les plus nobles cœurs qui aient battu sur le sol de France. On a calculé que dans la seule province du Languedoc périrent, par ces tentatives d’émigration qui échouèrent, cent mille personnes, sous la seule intendance de Lamoignon-Baville. M. de Sismondi pense qu’il à péri tout autant de personnes qu’il en a émigré. Cela en ferait monter le nombre à trois cent mille ! Mais au moins ils avaient été fidèles ; ils avaient la paix ! Il y en avait de plus misérables encore. C’étaient ceux qui, dans un moment de faiblesse, s’étaient laissés aller à abjurer ! Bientôt leur conscience se réveillait. Bourrelés de remords, ils ne cherchaient plus qu’à émigrer à leur tour pour aller obtenir leur pardon de Dieu et des hommes sur la terre étrangère. Ainsi à Londres les consistoires des églises n’étaient occupés qu’à recevoir de tels désaveux. Pendant le seul mois de mai 1687, un de ces consistoires reçut la contre-abjuration de quatre cent quatre-vingt-dix-sept de ces malheureuxg.

g – Weiss, p. 273.

Tous les pays protestants étaient remplis de ces Français fugitifs qui avaient abandonné pour leur foi, à travers de si grands périls, tous les biens terrestres. Il y en avait trois mille à Zurich, six mille à Berne, un mois après la révocation. Vingt mille paraissent s’être définitivement établis en Suisse. Soixante-quinze mille trouvèrent un refuge en Hollande, avec deux cent cinquante pasteurs. On appelait ce pays la grande arche des fugitifs. Vingt mille au moins allèrent s’établir dans les Etats prussiens, à l’appel du Grand-Electeur, qui, dès le 29 octobre (ancien style), dans un édit daté de Potsdam, avait offert à tous ces exilés un asile dans ses Etats. — On dit qu’un jour que son ministre lui représentait l’épuisement complet de la caisse de l’Etat, pour l’engager à ne plus recevoir de nouveaux émigrés, il répondit : « Eh bien, que l’on vende ma vaisselle ! Je ne puis laisser la ces gens sans secours. » On peut évaluer à 50 mille le nombre des fugitifs qui s’établirent en Angleterre dans les dix années qui suivirent la révocation. Un tiers de ces réfugiés se fixa à Londres. Il y eut bientôt dans cette ville trente-et-une églises françaisesh. La Russie, la Suède, l’Amérique, l’Afrique même ouvrirent leur sein à ces réfugiés. Vingt-sept familles allèrent de Hollande s’établir dans la colonie du Cap. La vallée où elles se fixèrent se nomme encore aujourd’hui la Vallée des Français, et l’un des villages de la vallée, le Coin des Français ; un autre, la Perle ; un troisième, Charron, nom français bien connu. Cette paisible colonie existe encore maintenant ; les habitants sont au nombre de mille. On y retrouve des noms de familles françaises : les Malherbe, les Dutoît, etc. Dans chaque maison est posée cette grande Bible in-folio que les réfugiés français se transmettent de père en fils, comme un patrimoine sacré et sur laquelle sont inscrits la date de naissance et les noms de tous les membres de la famille. A côté de la Bible sont ordinairement placés les Psaumes en vers de Clément Marot. Chaque matin et soir ils se réunissent en famille pour célébrer le culte en commun. Ils prient d’abondance et lisent quelques chapitres de la Bible. Tous les dimanches, au lever du soleil, les fermiers se mettent en route dans leur voiture rustique, recouverte de peaux et de toiles grossières pour assister au service divin ; le soir ils retournent à leur paisible demeure. En 1828, quand ils apprirent par les missionnaires français que la liberté religieuse existait en France, et que l’on pouvait y exercer en paix la religion de leurs pères, ils refusèrent longtemps d’y croire, et les vieillards versèrent des larmes de joie. D’après un rapport de 1829, la vallée est dans un état de grande prospérité. C’est la partie la plus florissante de la colonie du Cap. L’on n’y connaît ni les vices de la civilisation, ni les misères qu’ils engendrent. Le jeu y est inconnu comme la disette. Ils traitent avec bonté leurs anciens esclaves et consacrent une partie du bien-être dont ils jouissent à la propagation de l’Evangile parmi les populations idolâtres qui les entourent. C’est ainsi que la bénédiction divine accompagna jadis les enfants de l’Eglise réformée de France jusque sur le sol africain, et qu’elle repose encore aujourd’hui sur leurs enfants et sur les enfants de leurs enfantsi.

h – Weiss, p. 274-275.

i – Weiss, t. II, p. 154 et suiv., et 448.

Partout les émigrés furent reçus avec amour, sympathie, dévouement. On fit pour eux dans tous les pays protestants des collectes auxquelles des catholiques eux-mêmes prirent part. Plus on donnait, plus il semblait qu’on eût encore à donner. On leur fournissait des habitations, des moyens de travail, des temples. Ils avaient sacrifié, pour l’amour du Seigneur, père, mère, frères, sœurs, champs, la vie même. Ils retrouvèrent tout cela, selon la promesse de l’Evangile, par la puissance de l’amour chrétien qui se déployait partout envers eux.

Il paraît que pendant les trois années qui suivirent la révocation de l’édit de Nantes, cinquante mille familles environ sortirent de France ; quatorze mille âmes de la Provence seulement (le cinquième de la population) ; à Lyon, la population tomba de quatre-vingt-dix mille à vingt mille âmes ; le nombre des métiers à filer, de dix-huit mille à quatre mille. En Normandie, vingt-six mille habitations restèrent bientôt désertes ; à Sedan, deux mille ouvriers étaient sans pain, parce que tous les chefs de manufacture étant protestants, toutes les fabriques étaient fermées.

Combien resta-t-il de protestants en France, et quel fut le sort de ces débris de l’ancienne Eglise réformée de France ? Selon M. de Sismondi, il resta en France environ un million de réformés. Les pasteurs qui osaient braver l’édit pour paître en secret leurs ouailles, savaient qu’ils n’avaient à attendre que la mort. Parmi ceux qui préférèrent ainsi le supplice à la liberté et à la vie, il en est deux dont nous ne pouvons nous résoudre à passer le nom et le martyre sous silence. Fulcran Rey, âgé de vingt-quatre ans, périt le 7 juillet 1686 à Beaucaire. Condamné à être pendu, après avoir été appliqué à la question, il dit : « On me traite plus doucement que mon Sauveur, en me condamnant à une mort si douce. Je m’étais préparé à être rompu ou à être brûlé. » Et levant les yeux au ciel il se rendit à l’échafaud en rendant grâces. Claude Brousson mourut sur l’échafaud le 4 novembre 1698 à Montpellier. Le roulement de dix-huit tambours étouffait sa voix. « J’ai exécuté plus de deux cents condamnés, » disait le bourreau peu de jours après ; « aucun ne m’a fait trembler comme M. Brousson… Je me serais enfui, si je l’avais « pu. Si j’osais parler, j’aurais bien des choses à dire ; certainement il est mort comme un saint. » Voilà quel fut le sort de plusieurs des pasteurs qui demeurèrent dans la patrie. Quel fut celui des troupeaux ? Le temps me manque pour vous décrire leurs douleurs. Cette expression devenue proverbiale : une patience de huguenot, résume d’un mot les souffrances de ces héros de la foi. Mais enfin cette patience elle-même se lassa sous le poids de l’oppression. Le désespoir s’empara des opprimés, surtout dans le Midi. Ces pauvres paysans, accablés de logements militaires, égorgés comme des malfaiteurs quand on les surprenait rassemblés dans quelque endroit solitaire pour chanter leurs Psaumes et célébrer leur culte, s’exaltèrent et se soulevèrent. Il s’éleva parmi eux des prophètes et des prophétesses, qui soutenaient la foi de leurs frères par des paroles remplies d’un feu divin. De 1702 à 1704, la guerre sévit dans les Cévennes. Les Camisards (c’était ainsi que l’on nommait ces protestants à cause de l’espèce de blouse dont ils étaient vêtus), conduits par deux hommes que les prophètes avaient désignés pour leurs chefs, Cavalier, simple garçon boulanger, et Roland, tinrent tête à toutes les armées du roi. Ils ne furent jamais, pour combattre, au delà de mille. En face de l’ennemi, ils mettaient un genou en terre ; ils essuyaient ainsi le premier feu en chantant le Psaume 68, puis, se relevant, ils se précipitaient sur l’armée royale avec l’acharnement du désespoir, préférant la mort du champ de bataille au supplice du bûcher, de la potence ou de la roue, qu’ils savaient leur être réservé s’ils étaient pris vivants. Pendant les années 1703 et 1704, les gibets, les échafauds, les bûchers furent en permanence dans ces malheureuses contrées. Le dimanche des Rameaux de 1703, trois cents protestants étaient réunis dans un moulin près de Nîmes, pour y célébrer leur culte. Le commandant royal l’apprend, se lève de table, court au moulin, ordonne d’enfoncer les portes et de tout égorger, et, comme cela n’allait pas assez vite au gré de sa fureur, il livre la maison aux flammes. Tous périrent !

Ce fut la dernière guerre de religion. Elle se termina par un traité entre Cavalier et le maréchal De Villars, traité dont les conditions ne sont pas parfaitement connues. Ce qui est certain, c’est que malgré ce suprême effort, la religion réformée resta interdite en France. Et cependant quelques cent mille protestants restaient là sur le sol français. Ils étaient désormais sans lien, sans culte, comme les branches d’un arbre dont la foudre à brisé le tronc !

Mais la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes, a dit saint Paul. Il suffit, qui le croirait ? d’un jeune homme de dix-sept ans, sans nom, sans pouvoir, sans fortune, pour relever cette Eglise abattue et renverser toute l’œuvre de Louis XIV, au faite de sa puissance. Ce jeune homme se nommait Antoine Court ; il était né dans le Vivarais dix ans après la révocation. La guerre des Camisards venait de finir. Quoiqu’il ne fût point encore pasteur, mais simple proposant, il commença, en 1715, à rassembler ses frères, d’abord au nombre de dix à douze, puis de quinze à trente, soixante, au plus cent personnes. C’était dans quelque caverne ou grange écartée. Le 21 août, Court et quelques-uns de ses amis réunis dans un lieu désert, élurent, à l’exemple des anciens synodes, un Modérateur, remirent en vigueur les anciens règlements ecclésiastiques et interdirent la prédication aux prophètes Cévenols, tombés dans le fanatisme. En 1718, Court rassembla un synode composé de quarante-cinq membres, ministres et anciens, pour travailler plus énergiquement encore au rétablissement de l’Eglise réformée de France. Ce synode régla toutes les questions du ministère et du culte. Pour apprécier ces actes, il faut se rappeler que dans ce temps-là chaque pasteur surpris célébrant un culte, était condamné au gibet, et qu’un diplôme de consécration au saint ministère s’appelait un brevet de potence.

Les assemblées religieuses continuèrent à se tenir dans quelque recoin sauvage, dans des carrières ou dans des ouvertures de roche, de nuit pour l’ordinaire ; de jour, seulement quand le péril n’était pas trop grand. C’est là ce qu’on a appelé les Eglises du désert.

Le culte se composait des prières liturgiques, du chant des Psaumes, de la prédication, et de l’administration de la Sainte-Cène dans les jours de fête surtout. On s’exhortait mutuellement au martyre. On ne négligeait pourtant pas les mesures de prudence. Les convocations ne se faisaient que peu d’heures à l’avance et par des hommes sûrs. Et des sentinelles, placées sur les hauteurs pendant que durait le culte, devaient signaler l’approche des soldats. Quelle sérieuse majesté que celle de ces assemblées du désert ! De pauvres paysans, d’humbles manœuvres, des enfants, des femmes même, allaient là, bravant la mort, pour s’occuper des objets de la foi et des sublimes intérêts de la vie à venir ! Quant aux pasteurs, ils étaient constamment errants d’un lieu dans un autre, sous toutes sortes de déguisements. C’est ainsi qu’Antoine Court vécut pendant vingt ans, se cachant dans les forêts les plus impénétrables des Cévennes, couchant dans les antres des rochers, comme ces anciens prophètes dont le monde n’était pas digne, et n’échappant plus d’une fois que par miracle aux soldats envoyés à sa poursuite.

Le pouvoir et le clergé eurent vent de ce qui se passait. En 1724, une loi plus oppressive que toutes les précédentes vint menacer l’œuvre d’Antoine Court. Les supplices et les massacres recommencèrent. Alexandre Roussel fut pendu à Montpellier. Ce pasteur répondit au juge qui lui demandait où il logeait : « Le ciel est ma couverture. » Son dernier mot, avant de monter l’échelle du gibet, fut une prière pour ses juges et son bourreau. — Pierre Durand, l’ami d’Antoine Court, fut aussi exécuté à Montpellier. Néanmoins Court continuait à parcourir les églises. En 1728, il tint jusqu’à trente-deux assemblées religieuses en deux mois ; il compta parfois jusqu’à trois mille auditeurs autour de sa chaire ! Et en 1744 il se trouva entouré d’une assemblée de dix mille âmes, dans ces mêmes lieux où au commencement il ne pouvait eu rassembler que dix, vingt, soixante, au plus une centaine !

En 1745, Louis XV signa deux nouvelles ordonnances plus cruelles encore : Peine de mort confirmée contre tout pasteur protestant ; galères perpétuelles contre quiconque donnerait asile à l’un d’eux ; trois mille livres d’amende contre tous les protestants du lieu où un pasteur aurait été arrêté ; confiscation des biens contre quiconque n’aurait pas dénoncé une assemblée religieuse ! A la suite de cette loi horrible, les supplices, les dragonnades et l’émigration recommencèrent. Six cents familles quittèrent la Normandie ; d’autres familles, du Midi et du Centre, parvinrent aussi à s’échapper. Mais ce furent surtout les pasteurs qui payèrent alors de leur personne. Paul Rang meurt à Crest à vingt-six ans. Il marche de la prison au supplice en chantant : La voici l’heureuse journée (Psaumes 118), s’agenouille au pied de l’échelle et la monte d’un air serein. — Jacques Roger, l’ami septuagénaire d’Antoine Court, le seul pasteur consacré qui restât en France au moment où Court avait commencé son œuvre, surpris dans le voisinage de Crest, répond au gendarme qui lui demande qui il est : « Celui que vous cherchez depuis longtemps, et il était temps que vous me trouvassiez ! » Il meurt comme le précédent. — Puis vient le tour de Matthieu Mazal, âgé de vingt-six ans, chéri de toute la contrée. Ses juges le condamnent en pleurant : « C’est avec douleur, Monsieur, que nous vous condamnons. « Mais ce sont les ordres du roi », lui dit le président. « Je le sais, Monsieur, » lui répond avec calme le pasteur du désert, et il meurt comme ses frères. – François Bénézet, âgé de vingt-six ans comme deux des précédents, père de deux petits enfants, marche au supplice en chantant le Psaume 51 — François Rochette meurt à Toulouse avec trois compagnons, les frères Grenier, qui ont commis le crime de lui témoigner quelque sympathie. Quand le bourreau, ému de pitié, lui dit au bas de l’échelle : « Mourrez catholique ! » le pasteur lui répond avec calme : « Jugez vous-même quelle est la meilleure religion : celle qui est persécutée ou celle qui persécute ? »

III

Dix-huit jours après, l’échafaud se dressait encore une fois à Toulouse. C’était pour le supplice atroce du vieux Calas. Ce fut le dernier avant ces jours terribles où, par la main des hommes de 93, fut redemandée au clergé persécuteur et à la race royale qui lui avait prêté son bras, une partie de ce sang innocent qu’ils avaient versé de concert.

Si rapide que soit cette esquisse des destinées de l’Eglise protestante de France, elle suffira pour encadrer le tableau qui doit terminer ces Conférences, celui du Refugej dans notre pays.

j – Quoique ce mot, pris dans ce sens, ne soit pas français, ainsi que le fait observer H. Weiss, nous l’employons, comme lui, sans scrupule.

L’émigration française pour cause de religion se rapporte à cinq époques principales :

  1. Au temps de la Réformation (an 1512 et suiv.) ;
  2. à l’époque de persécutions et de guerres qui précéda l’édit de Nantes (jusqu’en 1598) ;
  3. Aux années d’oppression qui précédèrent la révocation de cet édit (surtout de 1660 à 1688) ;
  4. à l’époque de la révocation et aux années qui suivirent (depuis 1685)
  5. à la recrudescence d’oppression qui signala le milieu du dix-huitième siècle.

1°) Le Refuge date du temps de la Réformation. Que furent Farel, son ami Antoine Boyve, ses collègues Christophe Fabry et Jean De Bély, sinon des réfugiés pour cause de religion ? Ils arrivèrent comme évangélistes, il est vrai ; mais n’est-ce pas la persécution qui les empêcha d’évangéliser leur patrie et qui les conduisit au milieu de nous ? — Les deux premiers reçurent la Bourgeoisie de Neuchâtel dès 1531. Farel se maria lorsqu’il était déjà vieillard. Il épousa Marie Torel, fille d’un Français réfugié. Il en eut un fils qui n’avait qu’un an à la mort de son père, et qui n’atteignit pas sa troisième annéek. La famille Boyve s’est perpétuée parmi nous ; elle à fourni à notre Eglise des pasteurs, à l’Etat des magistrats distingués. Les familles Fabry et De Bély se sont aussi conservées jusqu’à cette heure. La première a toujours consacré, de génération en génération, quelqu’un de ses enfants au service de l’Eglise qu’avait contribué à fonder son chef.

k – Andrié, p. 344.

Tels sont les monuments de la plus antique émigration.

2°) La seconde époque, immédiatement avant et après la Saint-Barthélémy, est signalée par l’arrivée de plusieurs chefs de famille dont la postérité a fleuri ou fleurit encore au milieu de nous.

En 1560, deux jeunes protestants quittèrent leur famille, encore catholique sans doute, au village de Cussy, près d’Autun ; ils n’emportaient que de l’argent et quelques marchandises, et vinrent s’établir dans notre pays. C’étaient Jean et Claude Duvernoisl. L’aîné s’établit à Saint-Sulpice ; le cadet à Môtiers. Il s’y maria avec Guillauma Barrelet, fille de Pierre Barrelet, dernier curé et premier pasteur de cette paroisse. Dieu bénit le travail de ces pieux jeunes gens et leurs descendants prirent place bientôt au nombre des familles les plus opulentes et les plus considérées de notre pays. Le nom de Duvernois ou Dyvernois a été changé au dix-huitième siècle par des lettres de noblesse accordées à cette famille en celui de d’Ivernois.

l – Une terre, Le Vernois, doit exister encore sous ce nom dans cette localité.

A peu près dans le même temps paraissent être arrivés Antoine Legoût, Jean Gaudot, et Claude Girardbille, ces deux derniers de Besançon ; ils devinrent tous trois bourgeois de Neuchâtel en 1574, 1584 et 1589. Ces dates nous ramènent uniformément aux années qui suivirent la Saint-Barthélémy. L’admission de ces familles dans la Bourgeoisie de Neuchâtel fait supposer que, malgré leur exil, elles furent bientôt dans un état prospère.

Une tradition de famille assigne à la famille Perrochet (selon l’ancienne prononciation : Perrochel) une origine française, et à son arrivée dans ce pays une cause religieuse. Comme dès 1583 l’on trouve un membre de cette famille revêtu de la magistrature de maire de la Côte, il est probable que son émigration est aussi ancienne que celle des familles précédentes.

Nous sommes parfaitement renseignés sur l’arrivée de la famille Gélieu. Bernard Gélieu, d’Issigeac, en Guyenne, quoique ayant un père catholique, vint étudier la théologie à Genève, en 1560. Il fut ensuite pasteur de plusieurs églises de France ; des certificats délivrés par les Anciens de ces églises existent encore. Ils constatent d’une manière touchante le zèle et la fidélité de ce pasteur dans ces temps difficiles. Chassé de France en 1572 par la persécution qui suivit la Saint-Barthélémy, il arriva chez nous en 1576, après un ministère dans les églises de Savoie. Pendant quarante-deux ans il exerça dans plusieurs de nos églises les fonctions pastorales ; il fut doyen de la compagnie des Pasteurs en 1599. Trois de ses fils se vouèrent au saint ministère. L’esprit sacerdotal a été dès lors héréditaire dans cette famille, qui a fourni sans interruption neuf pasteurs à nos églises ; parmi eux, six doyens.

La famille De Perrot doit aussi être arrivée à la même époque, vers 1570. Des traditions de famille la font remonter à la famille Perrot d’Ablancourt, ou bien à un émigré qui avait été régent dans la Franche-Comté. Dès 1600 un membre de cette famille était maître-bourgeois à Neuchâtel. — La famille Ravenel arriva à la même époque, comme l’attestent des registres communaux.

Dès lors nous observons dans le Refuge une interruption correspondante au repos relatif que procura pendant quelque temps à l’Eglise de France l’édit de Nantes. Mais avec la fatale résolution de Louis XIV de supprimer la liberté religieuse, l’émigration recommence.

3°) Une nombreuse liste de noms atteste la recrudescence du Refuge pendant ce siècle terrible et surtout ces dernières vingt-cinq années qui précédèrent la Révocation, mais nous n’avons aucun détail à donner sur les familles arrivées à cette époque. Voici les noms de quelques-unes, avec la date de leur admission dans la Bourgeoisie de Neuchâtel. C’est du registre de cette corporation que sont extraits ces noms :

Jean Gouhard, de la province de Bourgogne (1636) ; Didier Gigaud, de celle de Lorraine (1657) ; Jean d’Echerny, de Saintonge (1660) ; Pierre Rivière, du Languedoc (1662) ; Tite d’Aubigné, médecin (1678) ; Pierre Prudent, ministre, de Montbéliard (1680) ; Tanneguy Lefèvre, de Saumur, recteur de notre collège (1686). — Il ne serait pas impossible que les premières de ces familles fussent arrivées déjà dans l’époque précédente.

4°) Mais, l’heure de la révocation sonne, et avec elle la grande époque du Refuge. Jusqu’alors ce n’étaient que des avant-coureurs. Maintenant c’est le gros de l’armée. Auparavant c’étaient des filets d’eau ; à cette heure c’est un torrent, mais un torrent qui, loin de dévaster, couvre le sol d’une couche fertile et renouvelle le terroir. Depuis le moment surtout où l’établissement de la domination prussienne dans notre patrie l’eut mise à l’abri des menaces que la France se permettait de faire contre les cantons favorables aux réfugiés, l’émigration dans notre pays prit des dimensions très considérables. M. Weiss, dans son bel ouvrage sur les réfugiés français, a dit que les émigrés arrivèrent à Neuchâtel en moins grand nombre que dans les autres cantons. M. le pasteur Guillebert, dans deux articles remarquables, publiés en 1855 dans le Bulletin du protestantisme français, a prouvé que M. Weiss, malgré son érudition, pourrait bien en ce point s’être trompé ; et nos lecteurs accueilleront cette rectification avec une patriotique reconnaissance. Voici l’explication que donne M. Guillebert de l’erreur où est tombé M. Weiss. Elle est toute à l’avantage de l’hospitalité neuchâteloise : La facilité avec laquelle les réfugiés s’acclimatèrent chez nous et y reçurent les droits de bourgeoisie ou de commune, fit qu’ils se fondirent beaucoup plus promptement qu’ailleurs avec la masse de la population. Voilà pourquoi l’on ne trouve pas chez nous une colonie française, comme en Prusse ; des fonds français officiels comme à Genève ; une corporation française comme à Lausanne ou à Berne. Et même le produit des sachets qui, dans le premier moment, avait été appliqué aux émigrés, ne tarda pas à recouvrer sa destination ordinaire, précisément parce que la plupart des émigrés avaient reçu ou acquis la qualité de communiers dans l’endroit qu’ils habitaient. Ainsi s’effacèrent chez nous, plus promptement qu’ailleurs, les traces du Refuge.

Il est aisé de citer des faits positifs à l’appui de cette manière de voir. On constate par les registres de la Bourgeoisie de Neuchâtel, que de 1707 à 1740, soixante familles de réfugiés entrèrent dans cette corporation ; douze la reçurent en pur don. Il existe encore dans les archives publiques une liste de réfugiés français qui ont prêté le serment comme sujets de l’Etat, du 6 janvier 1710 au 28 décembre 1711. Elle contient deux cent quatre-vingt-huit noms. Nous indiquerons plus bas ceux qui sont encore connus. — Pendant deux années seulement, deux cent quatre-vingt-huit familles naturalisées ! Pour un petit pays comme le nôtre, c’est considérable. Mais hâtons-nous d’ajouter que pour son bonheur ce ne fut pas trop, mais plutôt trop peu. Nous avons entendu un vieillard vénérable qui tint longtemps dans notre patrie les rênes de l’Etat, et dont la jeunesse remonte à un temps peu éloigné de cette grande époque, dépeindre l’influence qu’exerça sur les mœurs et sur l’esprit neuchâtelois l’arrivée de cet élément si nouveau. Comme l’onde d’un fleuve se modifie à l’arrivée d’un de ses affluents, ainsi notre caractère national se transforma par le flot de population française que nous amena le Refuge. C’est de ce moment que date l’élan tout nouveau que prit notre activité commerciale et industrielle. Jusqu’alors ces branches importantes de la vie sociale n’étaient chez nous qu’à l’état le plus élémentaire. On savait à peine dans la Suisse française ce que c’était qu’un magasin. Le petit commerce ne se faisait que par colportage. Les nouveaux arrivants, actifs, entreprenants, pleins de savoir-faire, persévérants, surent, tôt après leur établissement parmi nous, se créer chacun une occupation. Tout leur réussissait à merveille, au point même d’exciter parfois, nous devons l’avouer, un sentiment de jalousie chez la population indigène. La cause de ces succès ne se trouvait pas seulement dans cette habileté et cet entrain, qualités naturelles de l’esprit français ; elle était aussi dans leurs dispositions morales et dans la bénédiction de Dieu qui reposait sur leur travail. Parmi les vertus des réfugiés, celles qui frappaient surtout nos pères, étaient leur sobriété, que relevait sans doute le triste contraste de nos habitudes nationales, et leur stricte économie que nos pères se permirent quelquefois de taxer de lésinerie, sans penser que chez des gens dont l’établissement était dû en partie à la charité de leurs hôtes, cette vertu était doublement obligatoire.

Nous devons à la vérité historique de ne pas taire ces traits de l’histoire morale du Refuge dans notre pays, tels qu’ils nous ont été racontés par l’un des derniers représentants de l’époque qui touchait presque à celle de l’émigration.

Mais nos réfugiés importaient chez nous des trésors plus précieux encore que l’aptitude aux affaires et même que les vertus domestiques. Une auréole de sainteté, un reflet de la vie supérieure, la marque des bourgeois des cieux était sur leur front.

N’avaient-ils pas fait à leur conscience, à leur foi, à leur Dieu, le sacrifice de tous les biens terrestres ? Le fait seul de leur arrivée pour de tels motifs n’était-il pas pour nos pères une prédication plus éloquente que toutes celles qu’ils pouvaient entendre du haut de la chaire ? Au milieu d’une vie commode et toute charnelle, se trouver tout à coup en face de ce spectacle d’abnégation et de fidélité jusqu’à la mort ! Qui peut dire tout ce que la vue de cet exemple héroïque dut exciter chez plusieurs, de zèle, d’émulation, de retour sur eux-mêmes, de honte, de remords même ? Chaque famille émigrée emportait avec elle, comme son plus précieux trésor, sa Bible ; recherchait en arrivant comme son plus doux plaisir et sa plus chère consolation, le temple. Nous en citerons des exemples. N’eût-il pas fallu qu’un peuple fût bien endurci, plus assurément que ne l’était le nôtre, pour n’être pas, à cette vue, saisi en sa conscience et réveillé de son apathie religieuse !

L’arrivée des réfugiés français coïncide certainement avec un grand réveil social, et même religieux et moral, au sein de notre population neuchâteloise ; ce fut le temps du ministère de notre grand Osterwald. Nous ne saurions envisager cette coïncidence comme accidentelle ; nous nous plairons plutôt à avouer que si à cette époque nous donnâmes quelque chose, nous reçûmes davantage, et que jamais hospitalité ne fut plus richement payée.

Je désire que ces réflexions donnent quelque intérêt à la nomenclature, un peu sèche sans doute, qui va suivre. Il me sera aisé de faire ressortir ensuite quelques traits propres à justifier ce que je viens d’avancer.

Du Languedoc :

Dans les jours qui suivirent la révocation de l’édit de Nantes arrivèrent les familles suivantes, dont la plupart furent naturalisées dans les premières années du dix-huitième siècle. Leurs noms me sont connus par la liste officielle dont j’ai parlé, et par quelques autres documents publics ou privésm.

m – Nous doutons que les noms de province indiqués soient tout à fait exacts. Nous les copions tels quels dans les documents.

Du Dauphiné et des deux vallées de Pragelaz et du Queyraz, dans les Htes-Alpes :

Charles-Louis Durand, capitaine de grenadiers, d’Aigues-Vives. – Jacques Claparède, de Ganges. – Etienne Bertrand, boulanger, de Saint-Genier. – Alix Lebell, d’Uzès. – Pierre Richard, ou Ricart, menuisier, de Pignan. – Louis Bourguet, marchand, de Nîmes. – Marie Latour, veuve de Jean Peyrol, pasteur à Nîmes. – Jean Sagnes, tailleur, de Faugères (Béziers). – Charles Delor, de Vans.

D’Auvergne :

Jean Aubert, teinturier, d’Embrun. – David Robert, cordonnier, de Pounet. – Jean Blanc et Jacques Matthieu, de Corbs. – Joseph Matthieu, Augustin Marron, marchand, et Bartholomi Bonnet, marchand, de Molines. – Henri Bertrand, de Nyons. – Jean Borel, de la Mûre. – Jacques Perrin, peigneur de laine, de Vals. – Daniel Monard, cardeur de laine, de Charrin. – Suzanne Bouvier, de Valence. – André Delachaux, de Saint-Auban. – Anne Blanc, de Fénestrelle. – Etienne Guyot, marchand, des Granges. – Jean Joly, de la Ruaz. – Pierre Boyer, de Saint-Veran. – David Borel, marchand, de Serre-Chabrand. – Jean Garcin, marchand gantier, de Molines. – Jacques Gros-Jean, de Gap ( ?).

Du Vivarais :

Claude Matthieu, de Mariergues. – Jacques Martin, de Maletaverne.

De Champagne :

Isaac Boyer, de Dugua. – Jacques Moula, tailleur, de Fillastre.

De Sainte-Marie-aux-Mines :

Gédéon Guillebert, fondeur, de Roussi. – Jean Jaquet, taillandier et mercier, de Triancourt. – Daniel Dubois, marchand, et Antoine, son frère, perruquier, de Vitry-le-Français.

De Paris :

Pierre Grand-Pierre.Isaac Panserot, cordonnier.

La plupart de nos réfugiés venaient donc du Midi. Ceux des contrées plus septentrionales se sauvèrent en d’autres pays.

Nous trouvons mentionné par M. Weissn, un Maillé, à Anduze. Nous croyons savoir que les Salquin, les Brossin, les Peytieux appartiennent à l’émigration. Nous ne connaissons rien de leur origine.

n – T. II, p. 229

Nous pouvons donner un peu plus de détails sur cinq autres familles arrivées à la même époque :

Michel Faure, natif de Valdrôme (Dauphiné), sortit de France avec sa femme, en 1687. Il était accompagné de trois enfants ; l’aîné était âgé de huit ans. La Bible qu’il emporta dans l’exil existe encore aujourd’huio. Etabli d’abord à Neuchâtel, puis à la Chaux-du-Milieu, il y fut incendié et réduit à rien. Il mourut aux Eplatures en 1700. Son fils Pierre recueillit la bénédiction préparée à sa famille par les prières et les souffrances de son père. Il eut de son épouse, Suzanne Perret-Gentil, douze enfants qui tous, après avoir travaillé avec sagesse et vécu avec économie, moururent riches. Ce Pierre Faure est la souche de la famille actuelle.

o – Elle est entre les mains de la famille Courvoisier, au Locle.

Jacques Sauvin était de Mizoy en Dauphiné. Agriculteur de profession, il se joignit à ces courageux camisards qui tinrent tête aux armées de Louis XIV, et combattit sous Cavalier. Il quitta la France, sans doute après la conclusion de la paix. « Il n’emportait pour toute richesse, » dit l’un de ses descendants, « que ce qu’il avait sur le corps et son bon courage. » Son carnet de poche, couvert en parchemin, existe encore. Une note indique qu’il a été acheté à Paris, où Jacques Sauvin avait peut-être accompagné à l’issue de la guerre son chef Cavalier. Une autre note, dans ce même carnet, nous le montre, au bout de vingt ans de séjour dans ce pays, épousant Suzanne Besson, d’Engollon. Un de ses descendants voulut, il y a quelque temps, aller visiter le berceau de sa famille. En entrant dans le village de Mizoy, le premier objet qu’il y aperçut fut une enseigne portant ces mots : Sauvin, charpentier et menuisier. La branche qui s’est établie parmi nous à reçu bien des gages, même terrestres, de la bénédiction divine. Peut-être retrouverait-on chez elle quelque chose du feu camisard.

Pierre Reynier habitait la petite ville de Dieu-le-Fit, en Dauphiné. Il était fabricant de laine. Aussitôt après la révocation il se décida à émigrer, en abandonnant sa manufacture et sa fortune. Mais il s’agissait d’emporter quelques effets, un peu d’argent, et, avant tout, son enfant encore au berceau. Les femmes portaient alors, comme aujourd’hui (rien de nouveau sous le soleil, en fait de mode surtout) des jupons fort amples. Mais dans ce siècle moins civilisé que le nôtre, des paniers d’osier, en forme de cage à poulet, tenaient lieu de l’étoffe que nous savons. La femme de Pierre Reynier substitua pour cette fois aux paniers de jonc deux cassettes dans lesquelles elle avait renfermé son argenterie et ses objets les plus précieux. L’enfant fut placé dans un panier à bras et recouvert d’une épaisse couche de citrons. La mère, portant ainsi sur sa personne tous ses trésors, passa la frontière avec son mari. Ils se rendirent à Genève, de là un peu plus tard à Neuchâtel. C’est de cet enfant, sauvé, comme Moïse, dans une corbeille, qu’est descendue toute la famille Reynier établie au milieu de nous. L’une des cassettes, complices de l’évasion, et l’argenterie ainsi sauvée, sont conservées dans la famille comme de précieuses reliques. Pendant que Pierre Reynier sacrifiait ainsi sa patrie et son avoir à sa foi, le reste de sa famille demeurait en France. Cette autre branche habite encore aujourd’hui Dieu-le-Fit. Après le départ des émigrants, elle s’empara de la fabrique et de tout le reste du patrimoine. Mais cette manière d’agir ne lui réussit pas. Une faillite survint ; la manufacture se vendit, et tandis que la branche qui avait tout abandonné, a tout retrouvé chez nous et vit dans l’opulence, celle qui a marché par la vue et non par la foi, a presque tout perdu et se trouve réduite aujourd’hui à la position de chétifs cultivateurs. Jésus l’a dit : Celui qui cherche sa propre vie la perdra ; mais celui qui la donnera pour l’amour de moi, la retrouvera.

L’histoire du Refuge tout entière est une démonstration de la fidélité de Dieu dans ses promesses envers ceux qui souffrent pour la justice. En voici de nouveaux exemples :

Jacques De Luze, à la suite de la révocation, part de Chalais, en Saintonge, abandonnant ses propriétés. Arrivé dans notre pays, il y devient bourgeois de Neuchâtel dès 1691. Il fonde au Bied une fabrique de toiles peintes, la première qu’ait possédée Neuchâtel, et dote ainsi sa nouvelle patrie de l’une des industries qui ont joué le rôle le plus important dans son histoire commerciale. Cette fabrique prit immédiatement un développement considérable, et Jacques De Luze mourut possesseur d’une grande fortune. Son fils et son petit-fils remplirent les fonctions, l’un, de maître-bourgeois, l’autre, de banneret, dans la Bourgeoisie dont leur père était devenu membre.

En 1721 un autre émigré, pharmacien, de Pougeol (en Agenois), du nom de Dublé de la Gascherie, fut aussi reçu bourgeois de Neuchâtel. Son établissement prospéra comme celui de tous ses compagnons d’exil. Un de ses descendants, médecin à Neuchâtel, résolut de témoigner à Dieu et aux hommes sa reconnaissance pour la bénédiction qui avait reposé sur sa famille et sur sa personne dans cette terre de refuge. Il mourut le 29 novembre 1807, laissant un testament par lequel il léguait 51 000 livres de Neuchâtel à la Compagnie des Pasteurs, pour en employer le revenu en faveur des jeunes ministres sans cure, suffragants ou diacres. C’est là l’origine du fonds Dublé encore aujourd’hui appliqué au but que s’est proposé le pieux fondateur. C’est ainsi que les réfugiés rendaient à l’envi à leur nouvelle patrie et à son Eglise les bénédictions qu’ils en avaient reçues.

Mais, entre toutes ces familles, il en est une que nous devons citer comme le monument le plus éclatant de ce que peut faire la faveur divine pour ceux qui s’attendent à elle.

A La Salle, en Languedoc, vivait, dans le temps de la révocation, Jean Pourtalès. Ses ancêtres étaient protestants dès 1556 ; ainsi dès le commencement de la Réforme française, antérieurement même à la Saint-Barthélémy. Il resta en France malgré la révocation et y mourut en 1714. Après sa mort, son fils Jérémie se décida à émigrer. Nous le trouvons à Neuchâtel en 1720. La il entre dans la maison De Luze, au Bied. Bientôt il devient le gendre et l’associé de son patron. Il s’enrichit avec lui. Il se bâtit à Neuchâtel une demeure fort considérable pour ce temps-là ; c’est la maison qui fait face à l’hôpital bourgeois, et où habite aujourd’hui encore l’une des branches de sa famille. Ses habitudes de piété ne se démentent point au sein de la prospérité. Nos vieillards se souviennent encore d’avoir vu cet homme laborieux se rendre au temple matin et soir à la cloche de la prière, et là consacrer à Dieu deux fois chaque jour l’œuvre de ses mains. Si cette habitude, à laquelle il est resté fidèle jusqu’à la fin de sa vie, a certainement contribué au salut de son âme, il est évident qu’elle n’a pas nui non plus à ses intérêts terrestres. — L’opulence à laquelle s’éleva Jérémie Pourtalès fut surpassée encore par celle qu’obtint son fils Jacques-Louis. Chacun connaît le colossal succès des entreprises de cet homme, auquel on ne peut refuser le nom de génie commercial. M. Weiss appelle sa fortune « l’une des plus considérables de l’Europe. » Et Jacques-Louis Pourtalès ne s’enrichit pas lui seul. Ses associés et employés partagèrent le fruit de ses succès. La fabrique de toiles peintes fondée par lui à Cortaillod, et la puissante maison de commerce qu’il établit à Neuchâtel, firent affluer la richesse dans notre petite capitale. Elle se remplit de familles aisées ou opulentes qui contribuèrent à lui donner une culture, un lustre, un renom de beaucoup disproportionnés à son extension matérielle et à son importance politique. Mais deux autres traits honorent bien davantage encore cette famille. La richesse ne parvint point à glacer dans les veines de ses membres le vieux sang huguenot. D’entre les trois frères de Jacques-Louis, l’un se consacra au saint ministère ; il l’exerça à Serrières. D’entre ses trois fils il y en eut un encore qui se sentit pressé d’embrasser cette vocation sans éclat ; il la remplit avec l’humilité d’un vrai serviteur de Christ dans le petit village d’Engollon. Tandis que cette famille de réfugiés, à peine établie dans sa nouvelle patrie, consacrait ainsi au service de l’Eglise le tiers de ses forces vives, son chef, Jacques-Louis, offrait au Seigneur, dans la personne des pauvres et des malades, la dîme des biens dont Il avait daigné l’enrichir. Chacun comprend que nous voulons parler de la fondation magnifique qui porte le nom de sa famille et que dès lors ses descendants n’ont cessé de doter et d’agrandir, l’Hôpital Pourtalès.

N’ai-je pas eu raison de dire que si le Refuge nous a appelés à faire quelques sacrifices, il nous a payé à gros intérêts ce que nous lui avions prêté.

5°) Nous arrivons à la cinquième et dernière époque d’émigration. On se souvient de ces lois iniques qui, dans le cours du dix-huitième siècle, essayèrent de temps en temps de ranimer le feu de la persécution religieuse qui déjà se mourait en France à l’approche d’une nouvelle ère.

En 1732, Henri Claudon, sa femme Marie Buvelot et leurs enfants, quittèrent leur patrie, Condé en Lorraine, pour se soustraire à la persécution. Emportant sur des ânes tout ce qu’ils purent sauver, ils arrivèrent à Bâle, d’où le pasteur d’Osterwald les adressa à Neuchâtel. Ils s’établirent à Colombier. Le mari étant mort tôt après, sa veuve prospéra néanmoins et acquit les Bourgeoisies de Neuchâtel et de Boudry et la commune de Colombier. La famille possède encore une lettre datée de Condé, octobre 1737, écrite par la branche restée en Lorraine, et qui est un témoignage touchant des persécutions qu’ils avaient à subir en France et de leur résolution à persévérer dans la foi.

Dans le même temps vivait à Cornus, près de Milhau, dans le Rouergue, une famille protestante du nom de Coulon. Elle avait partagé toutes les tribulations de l’Eglise après la révocation et participé aux périlleuses bénédictions de ce hardi ministère exercé par Antoine Court et ses collègues. Les Coulon étaient des protestants des Eglises du Désert. Dans cette famille se trouvait un enfant nommé Paul. Les prêtres se plaisaient souvent, dans ce temps d’une tyrannie sans bornes, à prendre les enfants des familles protestantes pour les faire servir à la messe. Paul, dans sa vieillesse, se rappelait qu’il avait été plusieurs fois, comme enfant, astreint à cet office qui déjà répugnait à sa foi. Mais il se rappelait aussi un autre trait de sa jeunesse dont le souvenir lui était cher. C’était le moment où Paul Rabaut, le successeur de Court, cet homme qui, pendant un demi-siècle, présenta « le type le plus élevé, le plus complet du vrai serviteur de Christp, » réparait les brèches de l’Eglise réformée de France. Un dimanche, les protestants de Cornus et des environs s’étaient rassemblés au désert pour le culte. Paul Rabaut devait célébrer le culte. En attendant l’arrivée du pasteur, Paul Coulon, l’un des plus jeunes de l’assistance, fut invité à monter sur une saillie de rocher qui servait de chaire, pour lire à l’assemblée quelques chapitres de la Bible. Tout à coup furent aperçus dans le lointain les dragons royaux, conduits par an M. d’Isarn, seigneur de la localité. L’assemblée se dispersa promptement. L’on n’échappa qu’avec peine à cette troupe acharnée. De tels cultes ne s’oublient pas !

p – De Félice, p. 514.

Vers 1750, à la suite des affreuses lois de 1745, Paul Coulon émigra en compagnie de son ami Carbonnier, qui plus tard devint son beau-frère. Il vint à Genève à l’âge de vingt ans et y fit son instruction religieuse. Puis il entra dans une maison de commerce. Jacques-Louis Pourtalès, qui le rencontrait sur diverses places de commerce, fut frappé de sa loyauté et de son activité, et chercha à se l’attacher. Paul Coulon consentit à entrer dans sa maison ; c’est là ce qui l’amena à Neuchâtel. D’abord simple commis, il devint bientôt l’associé de cette puissante maison. Il participa ainsi à ses brillants succès ; plus tard il fonda lui-même une maison à Paris, qui a duré jusqu’en 1812. Sa famille possède encore de lui des lettres qui sont une preuve de sa profonde et solide piété. Fils de l’Eglise réformée de France, il n’oublia point au temps de son bien-être cette mère spirituelle dont il avait dans sa jeunesse partagé les périls et qui avait déposé dans son cœur les semences de la foi. Dès que la liberté religieuse eut été rendue à la France, il fit don à sa ville natale de Cornus d’une somme d’argent pour la construction d’un temple et d’un fonds pour l’entretien d’une école protestante. « Et c’est, » à dit récemment le régent de la localité à l’un des membres de la famille Coulon qui visitait ces lieux, « c’est à cette fondation qu’est due le maintien d’une population protestante dans cette localité, où la propagande catholique déploie les plus grands efforts. » Paul Coulon, enrichi, s’est préoccupé aussi du sort de ses compagnons de refuge moins favorisés que lui. C’est à sa générosité qu’est dû le fonds privé dit des Réfugiés français, dont les revenus se partagent encore annuellement entre tous ceux qui ont qualité pour cela dans notre patrie.

Ce que Paul Coulon a été pour ses compagnons d’exil, il a su l’être aussi pour ceux qu’il eût pu regarder comme ses ennemis. En 1793, les trois fils de M. d’Isarn, ce conducteur des soldats royaux, arrivèrent à Neuchâtel, proscrits à leur tour par la révolution française. Qui fut celui qui, dans leur exil, leur ouvrit ses bras et pourvut à leurs besoins ? Ce fut Paul Coulon. Il fit faire un apprentissage d’horlogerie à deux d’entre eux et prit le troisième dans sa maison, comme instituteur de ses deux fils, Paul et Louis. Le second de ces noms rappelle au cœur de tout Neuchâtelois de grands services rendus à la patrie et à la science par cette famille, que l’on prendrait, à son dévouement et à son zèle persévérant pour la cause publique, pour une vieille famille neuchâteloise. Ce que la discrétion ne nous permet que d’effleurer ici, ne nous autorise-t-il pas à dire que le plus précieux monument que Paul Coulon ait laissé au milieu de nous de sa piété et de sa foi, c’est sa famille, et à terminer ce tableau du Refuge dans notre pays en disant : Heureux le pays appelé à servir d’asile à de tels émigrés !

Cette bénédiction signalée qu’ont à la fois trouvée et apportée les réfugiés français dans notre pays, ne serait-elle qu’un fait exceptionnel dû à des circonstances individuelles ou locales ? Non ; partout, aussi bien que chez nous, ces nobles exilés furent bénis ; bien plus, nouvel Israël, ils semblaient porter gravée sur leur front cette promesse du Seigneur : Je bénirai ceux qui te béniront. Le tableau que j’ai tracé de leur influence dans notre pays s’est reproduit, sur une plus vaste échelle, dans toutes les contrées où des réfugiés français se sont établis. Partout ils portèrent avec eux cette heureuse facilité, cette vive intelligence, cette grâce exquise, cette laborieuse persévérance, et surtout cette austérité de mœurs et cette fermeté de foi qui, avant leur exil, faisaient d’eux l’élite de la nation française et même de la population européenne. Si d’une part s’accomplissait richement en eux cette parole : Tous ceux qui voudront vivre selon la piété seront persécutés (2 Timothée 3.12), de l’autre on reconnaît non moins distinctement dans leur histoire la preuve de cette déclaration, en apparence opposée : La piété a les promesses de la vie présente aussi bien que de celle qui est à venir (1 Timothée 4.8). M. Weiss l’a démontré d’une manière éclatante. Le Refuge s’est même changé en une espèce de mission, et la bonne odeur de Christ s’est répandue en tout pays sur les pas des émigrés. L’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne, l’Amérique, l’Afrique, en sont les témoins. M. de Reiher, dans son histoire de la Colonie française dans les Etats prussiens, a tracé un tableau qui, sauf la disproportion des dimensions, pourrait de tous points servir de pendant à celui du Refuge dans notre pays. Pour l’influence exercée, il montre comment tout changea de face dans le Brandenbourg à l’arrivée des réfugiés. Pour la moralité et la piété : cette seule déclaration, c’est un réfugié ! équivalait, dit-il, au plus beau certificat. Depuis que la colonie existe en Prusse, c’est-a-dire depuis un siècle et demi, ajoute le même écrivain, on ne connaît pas un seul exemple d’infidélité dans l’administration des riches et nombreuses caisses dont dispose cette corporation. Le peuple de Berlin raconte comment, dans la rue où s’établirent les nouveaux arrivants et qui porte le nom de Rue Française, on entendait quelquefois, dans les après-midi d’été, un de ces laborieux huguenots entonner, tout en travaillant à sa fenêtre ouverte, un de ces psaumes de David qui avaient fait leur joie dans la patrie et qui étaient encore leur consolation dans l’exil. Aussitôt, le voisin joignant sa voix à celle de son frère, et le chant se propageant de maison en maison, comme la flamme d’un incendie, l’hymne montait au ciel de la rue entière.

Pour la prospérité temporelle enfin : Soixante-et-dix pages de l’ouvrage de M. de Reiher sont consacrées à l’énumération des branches industrielles, commerciales et scientifiques, dans lesquelles se sont enrichis ou distingués en Prusse les réfugiés français. Dans le nombre des familles dont se compose la colonie de Berlin, il en est plusieurs dont l’histoire semble être la répétition de celle des familles réfugiées dans notre pays ; les Jordan par exemple, qui, parvenus à une très grande fortune, conservèrent et montrèrent longtemps, comme une relique, la balle avec laquelle leur ancêtre émigré avait commencé son commerce. La statistique prouve même, selon cet écrivain, que la vie moyenne des réfugiés est plus longue que celle des habitants du pays !

Comment voir dans une expérience si généralement et si diversement répétée l’effet du hasard ?

Comment ne pas reconnaître ici une loi, un article du code d’après lequel la Providence gouverne le monde ? Et la formule de cette loi serait-elle difficile à trouver ? Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et les autres choses vous seront données par-dessus. Ainsi a dit Jésus ; ainsi Dieu gouverne et les individus et les familles et les peuples.

L’homme n’adhère qu’avec peine à une telle maxime. Il lui semble toujours que pour posséder il doit acquérir et non pas donner. Mais l’exemple des réfugiés enseigne au monde que, selon la Parole du Seigneur, pour posséder il faut perdre, et pour voir, commencer par croire. Cette loi, si étrange en apparence, ne se reproduit-elle pas dans les différents domaines de la vie ? Le cultivateur moissonne-t-il autrement qu’à la condition de semer, c’est-à-dire de jeter, de sacrifier, de perdre, au moins pour le résultat immédiat ? Le négociant remplit-il sa caisse, s’il ne consent à la vider, en plaçant à propos ?

Français réfugiés ! vos pères ont eu le courage de semer, de semer en Dieu, donnant tout pour l’amour de Lui. Le sol s’est-il montré stérile ? Ils jetèrent d’un coup de main leur fortune dans sa banque : de beaux intérêts n’ont-ils pas couronné cet acte de foi ? On ne regrette pas d’avoir été généreux avec un si riche et si noble Seigneur ! Ecoutez le témoignage d’un de ces pères du Refuge, dont le journal rédigé pour sa petite-fille, mariée à Neuchâtel, m’a été confié par l’obligeance de l’un de ses descendants. Ce réfugié se nommait M. de Mirmant. Il était sorti de France en 1686, par la frontière espagnole, en compagnie du fameux prédicateur Saurin. Il termine et résume le récit de sa vie depuis son émigration, par ces paroles douces à lire pour tout cœur pieux, mais doublement agréables à des oreilles neuchâteloisesq :

q – M. de Mirmant écrivait ceci au temps où le grand Osterwald exerçait son ministère à Neuchâtel.

Je reste à Neuchâtel ; j’ai eu l’occasion de connaître les avantages dont on peut jouir dans cette ville, tant par rapport à la société des gens de bien qui y sont en grand nombre que par ce qui regarde la piété et le grand zèle qui s’y trouve, par les excellentes prédications qu’on y entend, par le culte public qu’on y pratique, et par les bons exemples qu’on y a devant les yeux, surtout de la part des pasteurs, qui s’acquittent de leur charge avec beaucoup d’exactitude, principalement pour ce qui regarde l’instruction de la jeunesse dont on ne saurait prendre plus de soin que dans cette ville-là ; toutes ces considérations m’obligent à y demeurer avec plaisir et à souhaiter d’y finir mes jours, préférablement à toute autre. J’y travaille à me préparer pour l’éternité, ce qui est la seule chose qui me reste à faire, et à vous inspirer, ma chère fille, des sentiments qui rendent votre vie heureuse, en vous faisant bien sentir la nécessité de chercher votre bonheur en Dieu et dans l’assurance de votre paix avec Lui. Quand une fois on a pris ce parti, on est heureux dans tous les états. J’en ai fait l’expérience d’une manière toute particulière. J’ai renoncé pour sa gloire à ma patrie, et il m’a fait la grâce de trouver une patrie parmi les étrangers, de qui j’ai reçu mille marques d’amitié. J’ai renoncé à mes biens, et il m’a fait subsister avec ma famille pendant les premières années de mon exil sans bien, et pourtant sans être à charge à personne ; et lorsque ensuite j’ai sauvé quelques débris du naufrage, le bonheur que j’ai eu de tirer un revenu considérable du peu que j’avais placé en Angleterre, m’a mis en état, non seulement de pouvoir subsister sans la pension que m’avait allouée l’Electeur de Brandenbourg, mais encore de ne rien épargner pour l’éducation de mon enfant, dont j’ai pris le même soin que si nous avions été en France. J’ai même pu, par ce moyen, demander avec une plus grande liberté pour mes prochains les grâces que l’on m’aurait accordées pour moi-même. Je compte aussi pour un grand avantage la santé qu’il a plu à Dieu de me conserver presque toujours depuis trente-quatre ans que je suis hors de France ; et principalement pendant les quinze premières années de notre exil, où j’étais souvent en voyage sans compagnie, sans valet, sans entendre la langue du pays et sans qu’il me soit jamais arrivé aucun malheur ni sur terre ni sur mer. Ce bonheur a été accompagné de celui de voir la bénédiction de Dieu sur les soins que j’ai pris pour mes prochains. Si, en m’acquittant de ce devoir il m’en a coûté parfois quelque chose, c’est un nouveau sujet de louer Dieu de ce qu’il m’en a donné le moyen. Que tout cela vous affermisse dans cette pensée que Dieu fait ressentir sa protection à ceux qui se confient en Lui ! Employons donc avec ardeur à sa gloire ce que nous avons reçu de sa bonté, jusqu’à ce qu’il nous mette l’un et l’autre en possession du bonheur éternel que nous attendons de sa grande miséricorde en Notre Seigneur Jésus-Christ. — (Daté de Neuchâtel, le vingt-deux mars mil sept cent seize.)

Noble langage ! Fidèle expression des sentiments qui animaient en général tous les protestants français réfugiés ! C’est ainsi qu’ils parlaient du Dieu qui les avait fait passer par la fournaise ! C’est ainsi qu’après une vie d’angoisse, de sacrifices, de privations, d’exil, en regardant en arrière ils ne savaient que bénir ; semblables à ce vieux martyr des premiers siècles, qui répondait à son bourreau : « Voilà quatre-vingts ans que je Le sers ! Il ne m’a fait que du bien ! Comment veux-tu que je Le maudisse ! »

Quel esclave du monde pourrait en dire autant de son maître ? Quel serviteur de la chair et de Mammon, s’il veut parler vrai, ne rendra aux dieux qu’il encense le témoignage opposé, et ne dira : « Même en me comblant de leurs faveurs, ils ne m’ont fait que du mal ! » ? Non ! L’homme ne vit pas de pain seulement ! Mais tout ce que la bouche de Dieu ordonne, s’il sait l’accepter, croire et obéir, lui devient aliment, douceur même.

En comparaison de ces héros de la foi dont les exemples viennent de passer sous nos yeux, combien ne devons-nous pas nous trouver débiles, mous, paresseux, charnels ! Nous qui nous laissons abattre par la moindre contrariété, qui succombons à la plus faible tentation, pour qui les choses saintes ont si peu d’attrait, qui nous laissons détourner du culte par le plus léger empêchement, et qui, à la plus légère égratignure que nous fait le monde pour la cause de Dieu, poussons les hauts cris !

Que la foi qui fut sur la terre la force et la joie, et qui est maintenant dans les cieux la gloire de nos réformateurs et de leurs enfants spirituels revive en nos cœurs, et reproduise en nos vies quelques-uns de ses prodiges ! Qu’elle nous rende, comme eux, vainqueurs et plus que vainqueurs en Celui qui nous à aimés !

« Et je vis, dit saint Jean, une grande multitude que personne ne pouvait compter ; ils se tenaient debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, et ils avaient des palmes dans les mains, et ils criaient à haute voix et disaient : Le salut vient de notre Dieu qui est assis sur le trône, et de l’Agneau. Alors un des vieillards prit la parole et me dit : Ceux-ci, qui sont vêtus de robes blanches, qui sont-ils ? et d’où sont-ils venus ? Et je lui dis : Seigneur, tu le sais ! Et il me dit : Ce sont ceux qui sont venus de la grande tribulation et qui ont lavé leur robe et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et ils le servent jour et nuit dans son temple ; et celui qui est assis sur le trône habitera avec eux. Ils n’auront plus faim, et ils n’auront plus soif ; et le soleil ne frappera plus sur eux, ni aucune chaleur ; car l’Agneau qui est au milieu du trône les paîtra, et les conduira aux sources d’eaux vives, et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »

Fils des réfugiés, vos pères seront dans cette, multitude pardonnée, sanctifiée, glorifiée. Leurs fils y seront-ils avec eux ?

Eglise neuchâteloise, œuvre des Farel et des Calvin, tes fondateurs et tes pères brilleront au premier rang dans cette troupe de triomphateurs. Beaucoup d’entre tes membres formeront-ils leur cortège ? à cette question comment répondre, si ce n’est par ce soupir d’humiliation, qui est aussi un cri d’espérance :

Quand Abraham ne nous reconnaîtrait plus, et que Jacob ne nous avouerait plus, Eternel, tu es notre Père et ton nom est :

NOTRE RÉDEMPTEUR DE TOUT TEMPS !

(Ésaïe 63.16.)

Dieu rédempteur, ta grâce toute-puissante est mon espoir pour nos Eglises ! Veuille ne le point confondre !

La grâce soit avec vous !

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