Pour comprendre la Révélation, il faut remonter à la notion de la création. La Révélation n’est que le développement de la relation dans laquelle Dieu est entré avec le monde en le créant. Dieu appelle le monde à l’existence par sa parole. Il lui donne la vie par son esprit : dans la création apparaissent donc déjà la parole et l’esprit, les deux grands principes de la révélation. Dieu crée successivement diverses classes d’êtres, et il ne s’arrête qu’après qu’il peut reconnaître son image dans l’homme qu’il vient de former : voilà le fondement de la révélation, car la révélation, d’une manière générale, n’est autre chose que Dieu donnant au monde des témoignages de soi, et même se communiquant au monde, pour le faire parvenir au but auquel il est destiné et qu’il n’atteindra que lorsque l’homme sera entré dans une communion parfaite avec son Dieu.
Le lien qui unissait primitivement l’homme à son créateur ayant été rompu par le péché, Dieu aurait pu se taire. Il ne le fait pas ; il parle par la nature et par l’histoire à la conscience d’un chacun ; il parle de sa puissance, de sa bonté, de sa justice ; il pousse ainsi chaque cœur à le chercher. L’A. T. fait souvent mention de ce témoignage, dont les Païens eux-mêmes ne sont pas privés. (Actes 14.17) Voyez Ésaïe 40.21-26 ; Jérémie 10.1-24 ; Psaumes 19.2 ; 94.8-10. Ces passages ne sont rien autre que le développement de ce qu’on appelle la preuve téléologique et la preuve morale de l’existence de Dieu. « N’aurez-vous jamais de connaissance ? N’écouterez-vous jamais ? Ne vous a-t-il pas été annoncé dès le commencement ? N’avez-vous pas compris comment la terre a été fondée ? C’est lui qui est assis au-dessus du globe de la terre, qui étend les cieux comme un pavillon, qui réduit les potentats à rien et qui anéantit les gouverneurs de la terre. — Elevez vos yeux en haut vers les étoiles et regardez. Qui a créé ces choses ? (Ésaïe 40.21-26) Dans Jérémie ch. 10, c’est la notion du gouvernement de l’univers par l’Éternel qui est mise en relief. On connaît le Psaumes 19 : Le Dieu qui a créé le soleil est un Dieu glorieux et un Dieu d’ordre. Quant au Psaume 94, voici le raisonnement qu’y fait le Psalmiste : « Celui qui a planté l’oreille, n’entendra-t-il point ? Celui qui a formé l’œil, ne verra-t-il point ? » c’est-à-dire le créateur des sens doit avoir des sens correspondants à ceux qu’il a donnés aux hommes. Il doit être un Dieu vivant qui sait tout, qui voit tout, qui exauce les prières. « Celui qui châtie les nations, ne reprendra-t-il point, lui qui enseigne la science aux hommes ? » C’est-à-dire : Celui qui a doué les hommes d’une conscience et d’un entendement, ne donnerait-il pas dans la manière dont il conduit les peuples, des preuves réelles de sa justice ?
Cette révélation générale se compose de témoignages extérieurs et de témoignages intérieurs, qui viennent se corroborer mutuellement. Un fait, une épreuve, un bienfait réveillent la conscience ; la conscience perçoit la signification de ces divers faits. Lisez Actes 17.27-28, et rapprochez le verset 28 du 27. C’est parce que nous sommes de race divine, et que nous avons une conscience, que nous pouvons connaître Dieu et comprendre le langage qu’il nous parle.
Cependant cette révélation générale ne suffit pas à rétablir entre Dieu et l’homme une communion telle que celle qui devrait exister entre le créateur et la créature formée à son image. L’homme naturel a beau chercher ; Dieu reste pour lui un Dieu caché (Ésaïe 45.15 ; Jérémie 23.18 ; Jean 1.18) La connaissance de la puissance éternelle et de la divinité du créateur (Romains 1.20) ne conduit pas nécessairement à celle du Dieu vivant et véritable. On peut en sa conscience se sentir dans une complète dépendance de ce Dieu, sans pour cela avoir avec lui une communion personnelle. Il y a plus : la conscience elle-même est la première à apprendre à l’homme qu’il y a une muraille de séparation qui s’élève entre son créateur et lui et qu’il n’ose pas l’appeler son Dieu. Au fond, les Gentils ont oublié Dieu (Psaumes 9.18). Pour qu’il s’établisse entre l’homme et son auteur une communion effective, il faut absolument que Dieu condescende à donner de soi-même des témoignages personnels et à se montrer d’une manière objective. Ceci est quelque chose de nouveau, c’est la Révélation spéciale qui commence.
La Théologie du juste milieu considère tout autrement la Révélation. Elle en fait un phénomène psychologique ; elle cherche à la présenter comme quelque chose qui se passe uniquement, ou du moins le plus possible, dans l’esprit de l’homme. Etre inspiré, c’est tout simplement être bien pénétré de la pensée qu’on a en soi la vie divine. On ne nie pas absolument les faits objectifs ; on accorde qu’il y a eu dans l’histoire des Israélites des événements qui ont été accompagnés de certaines communications célestes. Mais, de peur de se rapprocher d’une manière trop compromettante de la sphère des miracles, on n’accorde point que Dieu se soit montré objectivement, personnellement, ainsi que le raconte la Bible ; on parle de ces Révélations en termes fort vagues. — Et pourtant, si la Révélation se résume à une communication du divin à l’humanité par le moyen de certains enthousiastes ; si elle n’a pour but que de donner à certains esprits d’élite la certitude intime qu’ils sont participants de la vie divine, — il n’y a plus de différence spécifique entre un prophète et un sage païen. Les païens avaient aussi parfois la certitude d’être participants de la vie divine. Pour qu’il y ait une communion personnelle entre Dieu et les hommes, une communion digne de l’homme, il faut une révélation objective, une manifestation personnelle de Dieu. « Me voici, me voici ! dit l’Éternel » (Ésaïe 52.6 ; 65.1). C’est avec beaucoup de raison que Luther, dans son commentaire sur le Psaume 18, fait remarquer combien Dieu a toujours tenu à rattacher le souvenir de ses révélations à des objets extérieurs et à des lieux précis. « Par ces monuments et ces mémoriaux, dit-il, Dieu a voulu empêcher que la foi en sa personne ne dégénérât un jour en une religion purement humaine, ou plutôt en une pure idolâtrie. » En un mot la Révélation de Dieu doit être la Révélation d’un Dieu personnel, et non pas seulement de la divinité. En bon éducateur, Dieu commence par se faire connaître objectivement à l’humanité encore dans son enfance ; plus tard seulement il voudra des adorateurs qui l’adorent en esprit.
La Révélation spéciale commence au moment où Dieu fait alliance avec un peuple élu, au milieu duquel il établit son règne ; elle atteint son point culminant dans l’incarnation du Fils de Dieu ; à partir de là elle travaille à la formation d’une sainte assemblée consacrée à son Sauveur et composée de représentants de toutes nations et de toutes langues, et elle atteindra son but lors de la création des nouveaux cieux et d’une terre nouvelle, où Dieu sera tout en tous (Ésaïe 65.17 ; 66.22 ; Apocalypse 21.1 ; 1 Corinthiens 15.28).
La Révélation générale sert toujours de base à la Révélation spéciale, et celle-ci à son tour est le couronnement de la première. De même que dans la nature chaque règne a ses lois particulières et que néanmoins tous les règnes sont intimement unis entre eux, les inférieurs servant de base aux supérieurs, et les supérieurs de couronnement aux inférieurs, de même les deux genres de révélation s’harmonisent parfaitement ; ce qui du reste n’est point surprenant, puisqu’elles ont toutes deux la Parole pour médiateur. Le supranaturalisme établissait autrefois une opposition directe entre la Révélation naturelle et la Révélation spéciale, laquelle arrivait dans l’histoire sans qu’on sût bien à quel propos. Telle n’est point la manière de voir de la Bible.