Comme d’un sommet on obtient la vue d’ensemble d’un paysage, de même, avec un peu de recul, chaque croyant peut voir clairement les étapes de sa route, où la merveilleuse fidélité de Dieu est marquée comme par des bornes. Il voit si la ligne droite a été maintenue à travers les terrains difficiles, les contrées rocailleuses, Il constate que le Seigneur est fidèle à Ses promesses et qu’Il ne lâche pas la main de Son enfant. Il ne cesse jamais de veiller sur lui.
Il ne vous montrera pas d’avance le chemin, mais Il promet Sa présence et demande le libre et entier assentiment de votre cœur. Son chemin n’est pas toujours celui que vous auriez choisi ; il n’est pas non plus conforme au plan que d’autres avaient imaginé pour vous. Il est ce que Dieu a voulu avant votre appel et avant votre réponse. « Ce n’est pas vous qui M’avez choisi, mais c’est Moi qui vous ai choisis et vous ai établis, afin que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit soit permanent ; afin aussi que tout ce que vous demanderez à Mon Père en Mon Nom, Il vous le donne » (Jean 15.16). Sa volonté pour l’un de Ses enfants n’est pas nécessairement la même que pour un autre.
Le témoignage que je rends ici a pour but de Lui rendre grâces d’avoir tracé une ligne droite pour ma vie. Mon ardente prière est que ce témoignage soit en bénédiction à beaucoup de ceux qui commencent à Le servir.
Comme je l’ai dit précédemment, c’est mon pasteur qui manœuvra « l’aiguille » de la voie de ma vie, non pas dans la direction traditionnelle généralement adoptée et reçue, non pas dans la direction facile d’un avenir assuré, mais vers l’inconnu, vers une vie dont la seule garantie était les promesses divines.
« Or, quand Pharaon eut laissé aller le peuple, Dieu ne le conduisit point par le chemin du pays des Philistins, bien qu’il fût le plus proche… Mais Dieu fit faire un circuit au peuple par le chemin du désert, vers la mer Rouge. » C’est là que le peuple rencontra la colonne de nuée et de feu qui ne le quitta plus ni le jour ni la nuit (Exode 13.17-22). Et c’est quand nous sommes sur ce chemin de la foi que le Saint-Esprit nous rencontre pour prendre la direction de nos vies.
C’est ainsi qu’au moment voulu, je suivis le conseil de ne pas entrer à la Faculté de théologie, comme j’en avais eu la pensée, et que je me décidai d’entrer à l’Ecole Biblique de Glasgow. Muni de la recommandation de mon pasteur et de celle d’un de nos anciens, rédacteur d’un des grands quotidiens écossais, je fis ma demande d’entrée. La réponse ne se fit pas attendre et je fus accepté comme élève pour la session s’ouvrant en septembre 1904. Je réalisai que Dieu m’ouvrait une porte, me conduisant dans ce qui était l’inconnu pour moi, mais une pleine clarté pour Lui.
L’Ecole Biblique de Glasgow est une création de D. L. Moody lui-même. Lors d’une de ses grandes campagnes d’évangélisation, en 1892, il en eut la pensée et veilla à ce qu’elle fût fondée et dirigée selon le modèle qu’il avait créé en Amérique. Il est bon de se souvenir que Moody fut l’initiateur du principe des Ecoles Bibliques, ce riche don fait à l’Eglise de Jésus-Christ et au monde. Il choisit Glasgow comme centre pour la Grande-Bretagne lors d’un dîner qui lui fut offert par des hommes d’affaires de la grande ville industrielle. Au cours du repas, il demanda à l’un de ses hôtes, M. John Anderson, de se charger du poste de directeur de la future Ecole. Et celui-ci quitta aussitôt les affaires pour se donner à ce ministère si délicat et important. Une « Ecole Biblique », c’est vite dit ; mais il faut y avoir vécu pour en comprendre l’essence, les responsabilités, les immenses possibilités, pour en accepter les luttes, les difficultés inhérentes et en établir ailleurs les principes divins.
J’aurai l’occasion d’en parler plus loin, mais je mentionne encore le fait que c’est de Glasgow qu’est venue l’idée de fonder une Ecole Biblique en pays de langue française. Ce fut premièrement par la correspondance que j’entretins avec ma tante au début de mon stage à Glasgow. Régulièrement, chaque semaine, je lui donnais des nouvelles du réveil, de ses conséquences dans nos vies et dans notre activité ; et ces nouvelles se répandaient rapidement.
En 1905, entre les deux sessions, mon ami Mitchell et moi vînmes à Genève pour nos vacances d’été, pendant lesquelles furent organisées pour nous des réunions de salon ou autres. Nous y chantions les cantiques du réveil, les faisant ainsi connaître au public chrétien. Nous rendions témoignage à ce que Dieu avait fait pour nous à l’Ecole Biblique, et nous racontions les glorieuses expériences du réveil. Ces réunions suscitèrent un vif intérêt. Nous étions vibrants, débordants de la joie et de la puissance divines que Dieu venait de nous accorder. De plus, on avait commencé à s’intéresser à ce qui se passait au Pays de Galles, depuis que quelques chrétiens du continent étaient allés « voir le réveil » dans l’intention de « l’amener en Europe » !
L’année suivante, quand je vins en Suisse, j’attendais les directions du Seigneur quant au prochain pas. Ma tante et moi, nous commençâmes immédiatement à prier journellement que Dieu donne le réveil en Suisse et une Ecole Biblique pour la Suisse et les pays de langue française, car j’avais reçu cet appel un soir, dans ma chambre à l’Ecole Biblique de Glasgow. Mais je me borne ici à mentionner la source et l’origine des choses, l’appel et les directions qui me furent donnés, et cela avant que l’ennemi des plans de Dieu ait manifesté son opposition de diverses manières. « Les dons et la vocation de Dieu sont irrévocables » (Romains 11.29), et Il sait faire fleurir la verge d’Aaron au milieu des contestations. C’est à partir de ce moment-là qu’à plusieurs reprises ma tante me mit au courant de ses désirs concernant sa maison et la continuité du témoignage qui devait s’y rendre ; elle voulait que sa maison fût consacrée au but pour lequel, tous deux, nous nous étions consacrés à Celui qui appelle.
Un après-midi de printemps, en sortant d’une de ces réunions de prière, je me promenais avec ma tante dans la campagne. Nous parlions de l’Ecole Biblique, cette grande préoccupation de nos cœurs. Je dis à ma tante, montrant le champ touchant à sa propriété : « C’est là que notre Ecole Biblique doit être construite. » C’était en 1907. En 1927, l’Ecole Biblique de Genève était bâtie sur ce terrain, nommé « le Roc ». Elle était construite par un acte de foi et d’obéissance à Dieu, en dépit des hommes et de l’ennemi, comme un monument de la fidélité et de la puissance de Celui qui avait appelé et qui avait fait les promesses. « La pluie était tombée, les torrents étaient venus, les vents avaient soufflé et s’étaient jetés sur cette maison, mais elle n’était pas tombée, parce qu’elle était fondée sur le roc. »
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L’Ecole Biblique de Glasgow était admirablement située, au centre de l’immense ville, avec son trafic, ses docks et son commerce. Les étudiants avaient ainsi, à côté de leurs études, de nombreuses facilités d’activités de toutes sortes dans les rues, les hôpitaux, les prisons, les cliniques, les églises et les nombreuses salles de réunions.
Glasgow était connu, au dire du Dr Torrey lui-même, comme une des villes de l’Empire où se trouvaient le plus de chrétiens laïques agissants et où l’évangélisation était la mieux comprise et pratiquée. Quant à l’Ecole Biblique, elle bénéficiait encore de l’héritage spirituel de Moody, son créateur, et son inspiration remplissait son directeur.
Comme j’avais d’emblée compris et accepté l’autorité spirituelle de mon vénéré pasteur, le Dr Wilson, j’éprouvai le même sentiment à l’égard de M. Anderson, dès mon premier contact avec lui. Je compris que Dieu me l’avait donné comme conducteur spirituel, et je pris l’attitude qui convient au disciple devant le maître. Cette attitude est combien plus sûre et saine que celle qui prétend qu’on n’a rien à « apprendre de l’homme », qu’un temps à l’écart pour la prière et l’étude de la Parole Sainte est contraire aux prérogatives du Saint-Esprit. Ceux qui parlent ainsi se basent souvent sur les paroles du Seigneur Jésus : « Ce que vous aurez à dire vous sera inspiré à l’heure même… Ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Matthieu 10.19, 20). Mais le contexte nous apprend que ces paroles concernent les temps de persécutions sous Antéchrist, où tous les moyens de la grâce seront supprimés, et où les enfants de Dieu seront cités devant les tribunaux, martyrisés. On invoque aussi Jean 14.26 et 16.13 : « L’Esprit Saint vous enseignera toutes choses… Il vous conduira dans toute la vérité », promesses faites en vue du ministère apostolique d’enseignement et de rédaction des écrits sacrés. Et l’on a soin d’oublier les enseignements de l’apôtre Paul à ce sujet, qui se résument par ce passage de la première Epître à Timothée : « Jusqu’à ce que je vienne, applique-toi à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement. Ne néglige pas le don qui est en toi, et qui t’a. été donné par prophétie avec l’imposition des mains de l’assemblée des anciens. Occupe-toi de ces choses, donne-toi tout entier à elles, afin que tes progrès soient évidents pour tous. Veille sur toi-même et sur ton enseignement ; persévère dans ces choses, car, en agissant ainsi, tu te sauveras toi-même, et tu sauveras ceux qui t’écoutent » (chapitre 4, versets 13-16).
Le premier soir, je me trouvais dans ma chambre comme un jeune arbre transplanté dans un terrain tout nouveau. M. Anderson vint me voir. Je lui exprimai mon désir de mieux connaître la Parole divine. Il me répondit brièvement, fixant sur moi son regard pénétrant : « Eh bien, vous êtes ici pour cela ; apprenez à apprendre et à désapprendre. » Le souvenir de cette phrase m’a tenu fidèle compagnie et m’a été utile de même qu’à beaucoup de chrétiens, jeunes et vieux, auxquels je l’ai communiquée pour les mettre en garde contre le danger de se contenter de ce qu’on a, de s’imaginer qu’on a tout ce qu’il nous faut, au lieu de tendre à la perfection de la doctrine de Christ et à la croissance à Son image (Hébreux 6.1-3).
Notre directeur nous avertit de ce danger. Combiende serviteurs de Dieu, nous dit-il, s’ankylosent dans la pensée qu’ils n’ont rien à apprendre des autres, que leurs études leur suffisent, et qu’en dehors de ce qu’ils croient posséder, ils n’ont rien à recevoir.
Ce soir-là, un lien se forma entre mon directeur et moi-même, un lien qui devait avoir des suites importantes pendant la session et après. Quelques années plus tard, il fut obligé de changer de climat pour cause de santé ; il m’’écrivit alors pour me faire part de sa pensée que je lui succède au poste de directeur de l’Ecole Biblique de Glasgow. Son désir n’eut pas de suite à cause de diverses circonstances échappant à notre contrôle. Mais sa proposition vint au moment même où je me trouvais dans une grande perplexité au sujet de la prolongation de mon ministère en Suisse.
Pendant deux hivers successifs, j’avais donné des cours de culture biblique dans plusieurs villes du Léman. Ils avaient été en grande bénédiction à des chrétiens appartenant à divers milieux. Mais ces cours étaient devenus, en raison même de leur succès, l’objet d’intrigues et de contestations qui contristaient le Saint-Esprit. Cette opposition se manifesta sous deux formes différentes. D’une part un serviteur de Dieu maintenant auprès du Seigneur, m’écrivit qu’il n’approuvait pas cette activité qui risquait de faire concurrence à son œuvre — illusion aussi grande qu’elle était lamentable. D’autre part, certains chrétiens profitaient du caractère vraiment interecclésiastique de ces cours, où étudiaient assidûment des ressortissants de toutes les Eglises, pour s’efforcer d’y recruter des adeptes pour leurs propres congrégations. Ces agissements déplorables pouvaient être un danger pour ce mouvement d’intérêt pour la Parole divine qui s’étendait d’une façon réjouissante et dont profitaient beaucoup de chrétiens, sans qu’il soit aucunement question de fonder une nouvelle Eglise, ce que l’on prétendit alors et bien à tort.
Déjà alors, le mouvement naissant de l’Esprit de Dieu rencontra ce néfaste esprit charnel d’étroitesse, qui sait si bien se dissimuler sous des dehors évangéliques : on veut bien jouir ou profiter des fruits et de la renommée de l’œuvre que Dieu accomplit ; mais on ne veut pas remplir les conditions de la bénédiction.
Perplexe, je profitai d’un court voyage en Angleterre pour faire visite à une fidèle amie, Mrs. PennLewis, chez qui se trouvait à ce moment-là M. Evan Roberts *. Après un entretien, au cours duquel je lui exposai les difficultés rencontrées et la question que nous nous posions, ma femme et moi, quant à un éventuel retour en Ecosse, elle me dit : « Il faut savoir si le diable n’est pas derrière tout cela avec le but de vous faire quitter le continent. » Nous priâmes ensemble, puis je la quittai et me rendis à Edimbourg. J’étais seul dans le wagon, et une parole du Seigneur me vint à l’esprit avec beaucoup de clarté : « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira. » Je sus dès ce moment quelles étaient la volonté de Dieu et la voie à suivre.
* L’instrument du Réveil au Pays de Galles.
En effet, à mon retour en Suisse commencèrent les missions inoubliables de mon cher ami le Colonel Peyron de l’Armée du Salut, et simultanément les grandes séries de réunions qui me furent proposées à Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds, Lausanne, etc., réunions qui déclenchèrent le réveil qui, à travers mille luttes, devait aboutir à la création de l’Ecole Biblique en Suisse.
« Le Dieu fort n’est point un homme pour mentir, ni fils de l’homme pour Se repentir. Il a dit ; ne le fera-t-Il point ? Il a parlé ; ne ratifiera-t-Il point Sa Parole ? » (Nombres 23.19.)
Je veux diviser les souvenirs de cette étape de ma vie en trois sections : avant, pendant et après le réveil qui éclata cette année-là au Pays de Galles. Premièrement la préparation du réveil ; deuxièmement la manifestation du réveil ; troisièmement l’approbation du réveil.