Quant au Saint-Esprit, il ne sied pas de le passer-sous silence, bien qu’il ne devrait pas être nécessaire d’aborder ce sujet. Mais comme beaucoup l’ignorent, il est impossible de n’en rien dire. Et pourtant, il ne devrait pas être indispensable d’en parler, puisque si notre foi le reconnaît, c’est sous la garantie du Père et du Fils ! A mon sens, on ne devrait même pas traiter de son existence : il existe, c’est un fait, il est donné, reçu, possédé. Lié au Père et au Fils dans notre profession de foi, il ne saurait en être séparé lorsque nous reconnaissons le Père et le Fils. Car celui qui est tout, serait imparfait s’il lui manquait quelque chose.
Si quelqu’un nous demande ce que nous voulons dire par là, allons lire ensemble ces textes de l’Apôtre : « Comme preuve que vous êtes fils de Dieu, Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba ! Père ! » (Galates 4.6). Et encore : « N’attristez pas le Saint-Esprit de Dieu qui vous a marqués de son sceau » (Éphésiens 4.30). Et ailleurs : « Pour nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits (1 Corinthiens 2.12). Et aussi : « Pour vous, vous ne vivez pas dans la chair, mais dans l’Esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous. Qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas » (Romains 8.9). Et plus loin : « Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts, rendra aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous » (Romains 8.11).
Voilà qui nous le montre : l’Esprit existe, il est donné, il est possédé, il est de Dieu ! Que cessent donc les attaques des impies ! Ils nous demandent : Par qui est-il ? Pourquoi existe-t-il ? Quelle est sa nature ? Nous répondons : Il est de celui par qui tout existe, et de celui de qui tout vient[13] ; et parce qu’il est l’Esprit de Dieu, il est octroyé aux fidèles. Si notre réponse leur déplaît, les Apôtres et les Prophètes leur déplaisent aussi, eux qui ont parlé de l’Esprit exactement comme nous le faisons ! Et s’ils se scandalisent de cela, ils se scandaliseront aussi du Père, comme du Fils !
[13] Celui par qui tout existe : le Fils.
Celui de qui tout vient : le Père. Cf. 1 Corinthiens 8.6.
Or j’en ai l’impression, certains ne savent pas trop quoi penser et restent perplexes, en voyant le troisième nom, celui du Saint-Esprit, fréquemment employé pour désigner le Père et le Fils. Il n’y a pas à s’en étonner, car le Père, comme le Fils, sont Esprit et Saint.
Mais ce texte de l’Evangile : « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), doit être examiné avec soin, si l’on veut en dégager le sens et la raison d’être. Car toute parole de l’Ecriture a une cause qui la justifie et une raison d’être que l’on doit découvrir en étudiant le sens des mots. Cette réponse du Seigneur : « Dieu est Esprit », ne doit pas nous conduire à nier le nom du Saint-Esprit, le don qui nous en est fait, et le profit qu’il nous apporte.
Cette parole s’adressait à la Samaritaine : l’heure de la rédemption de toute l’humanité était venue. L’entretien avait commencé par l’annonce de l’eau vive, la révélation faite à la femme qu’elle avait eu cinq maris, et que celui qu’elle avait n’était pas son époux légitime ; celle-ci réplique : « Seigneur, je vois que tu es un prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous, vous dites que c’est Jérusalem, le lieu où il faut adorer. » Le Seigneur lui répond : « Femme, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure approche, et nous y sommes, où les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et en vérité ; ce sont de tels adorateurs que veut le Père. Car Dieu est Esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en Esprit et en Vérité, puisque Dieu est Esprit » (Jean 4.19-24).
La femme gardait donc dans sa mémoire les traditions héritées de ses pères. Il fallait adorer Dieu, pensait-elle, ou bien sur la montagne, comme en Samarie, ou bien dans le Temple, comme à Jérusalem. Car Samarie, à l’encontre de ce que demandait la Loi, avait choisi une montagne pour adorer Dieu, tandis que les Juifs pensaient que le temple construit par Salomon était le cœur de leur religion. Les préjugés de ces deux traditions enfermaient le Dieu en qui sont toutes choses et que rien ne saurait contenir, ou bien sur les hauteurs d’une colline, ou sous les voûtes d’un temple construit de mains d’hommes. Mais Dieu est invisible, incompréhensible et immense ; aussi le Seigneur annonce-t-il que le temps est venu où Dieu ne doit pas être adoré sur une montagne ou dans un temple, car « Dieu est Esprit ». Or l’Esprit ne peut être limité ni enfermé dans un endroit quelconque, car il est partout, par la puissance de sa nature ; présent en tous lieux, il déborde tout par sa plénitude. Les vrais adorateurs sont donc ceux qui l’adorent en Esprit et en Vérité.
Or, chez ceux qui adorent le Dieu Esprit dans l’Esprit, autre est ce qui leur permet de rendre ce devoir, autre est Celui qui reçoit l’hommage[14] : car l’Esprit dans lequel chacune des personnes doit être adorée, est distinct d’elles. En effet, par ces mots : « Dieu est Esprit », le Christ ne supprime pas le nom de l’Esprit-Saint et le don qui nous en est fait. Il répond à la femme qui emprisonne Dieu dans un temple ou sur une montagne, il lui suggère ceci : tout est en Dieu, et Dieu est en lui-même ; le Dieu invisible et incompréhensible doit être adoré dans ce qui est invisible et incompréhensible. Et il exprime ainsi la nature du don et celle de l’honneur rendu à Dieu, puisqu’il nous enseigne que le Dieu Esprit doit être adoré dans l’Esprit. Il nous montre que ceux qui l’adorent ainsi, l’adorent en toute liberté et consciemment, et nous révèle le caractère infini de cette adoration, étant donné que le Dieu Esprit est adoré dans l’Esprit.
[14] Ce qui permet de rendre le devoir de l’adoration est le Saint-Esprit ; celui qui reçoit l’hommage : Dieu qui est Esprit.
L’Apôtre ne nous dit pas autre chose : « Car le Seigneur est Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Corinthiens 3.17). Pour bien préciser sa pensée, il distingue Celui qui est Esprit, de Celui dont il est l’Esprit. Car « posséder » et « être possédé » n’est pas identique, et les mots : « lui » et « de lui » n’ont pas le même sens. Ainsi, par cette phrase : « Le Seigneur est Esprit », il nous montre la nature de ce Dieu infini. Lorsqu’il ajoute : « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté », il souligne que l’Esprit appartient au Seigneur : car il spécifie d’une part : « Le Seigneur est Esprit », et d’autre part : « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ». L’Apôtre apporte ces précisions, non pas pour répondre à une exigence de son argumentation, mais pour éviter que quelqu’un ne fasse fausse route, faute d’y voir bien clair. Car l’Esprit est le même partout : il illumine les patriarches, les prophètes, et tout le chœur de ceux qui ont participé à la rédaction de la Loi ; il inspire Jean lui-même dans le sein de sa mère. Et enfin, il est donné aux Apôtres et aux autres croyants, pour qu’ils reconnaissent cette vérité qui leur a été révélée.
Quant à son rôle en nos cœurs, apprenons-le de la bouche même du Seigneur. Car il nous dit : « J’ai encore beaucoup d’autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent » (Jean 16.12). « Il vous est bon que je m’en aille ; car si je m’en vais, je vous enverrai le Consolateur » (Jean 16.7)[15]. Et ailleurs : « Et moi, je prierai le Père, et il vous enverra un autre Consolateur pour être avec vous pour toujours : l’Esprit de Vérité » (Jean 14.16-17). « Il vous guidera vers la vérité toute entière, car il ne parlera pas de lui-même, mais il vous dira tout ce qu’il entendra, et vous annoncera les choses à venir. Lui, me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il prendra » (Jean 16.13-14).
[15] Citation non littérale, arrangée ici par Hilaire.
Ces textes, choisis entre beaucoup d’autres, ont pour but d’ouvrir la voie à notre intelligence ; ils expriment la volonté du donateur, le motif de ce don et en quoi il consiste : puisque notre faiblesse ne nous permet pas de saisir, ni le Père, ni le Fils, c’est au don de l’Esprit-Saint, par cette sorte de lien d’amitié qu’est son intercession, d’illuminer notre foi sur le mystère si difficile à comprendre de l’Incarnation de Dieu.
La suite normale de notre exposé demande donc que nous écoutions maintenant l’Apôtre nous expliquer, lui aussi, la vertu et le rôle de ce don.
Il nous dit en effet : « Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu l’Esprit des fils adoptifs, qui nous fait crier : Abba ! Père ! » (Romains 8.14-15). Et ailleurs : « Personne, s’il parle par l’Esprit de Dieu, ne dit : Anathème à Jésus ! ; et nul ne peut dire : Jésus est le Seigneur ! Si ce n’est par l’Esprit-Saint » (1 Corinthiens 12.3). Et il continue : « Il y a certes, diversité de dons, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun l’illumination de l’Esprit est donnée en vue du bien commun. A l’un, une parole de sagesse est accordée par l’Esprit ; à tel autre, c’est une parole de science, selon le même Esprit ; à un autre, la foi, dans ce même Esprit ; à tel autre, le don de guérir, dans cet unique Esprit ; à tel autre, la puissance d’opérer des miracles ; à tel autre, la prophétie ; à tel autre, le discernement des esprits ; à un autre, de parler en diverses langues ; à un autre, le don d’interpréter ces langues. Mais tout cela, c’est le seul et même Esprit qui l’accomplit » (1 Corinthiens 12.4-11).
Nous voyons donc ici ce qui motive un tel don, nous voyons ses effets. Je ne sais vraiment pas pourquoi nous douterions de l’existence de celui dont nous sont si manifestement indiquées l’origine, la nature et la puissance !
Servons-nous donc de ces grâces si largement distribuées, et demandons à bénéficier au maximum de ce don si nécessaire. L’Apôtre, en effet, nous le certifie, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut : « Pour nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits » (1 Corinthiens 2.12).
Ainsi, le don reçu doit avoir pour fruit la connaissance. En effet, de par la nature du corps humain, chacun de nos sens s’émousserait s’il ne jouissait plus ces conditions nécessaires à l’exercice de ses facultés. L’œil ne pourrait remplir son office sans la lumière et le jour ; l’oreille ignorerait son but, si elle ne percevait plus ni voix, ni son ; l’odorat ne saurait plus à quoi il sert, si l’odeur ne parvenait plus aux narines. Ce n’est pas du fait de leur nature que tous ces sens seraient alors déficients, mais parce qu’ils n’auraient plus de quoi s’exercer. Il en est ainsi pour notre âme : elle ne pourra puiser à ce don de l’Esprit que par la foi ; par sa nature, elle a bien la faculté de connaître Dieu, mais il lui manque cette lumière qui lui permettrait de le saisir.
Or ce Don unique qui est dans le Christ, est offert en plénitude à tous. Il y est tout entier à notre disposition, mais il est donné dans la mesure où chacun veut l’accueillir ; il demeure en nous dans la mesure où chacun veut le mériter. Restant avec nous jusqu’à la consommation des temps, il est la consolation de notre attente. Par l’action de ses dons, c’est lui le gage de notre future espérance, c’est lui la lumière des esprits, c’est lui la splendeur des âmes. Aussi nous faut-il demander cet Esprit-Saint, le mériter, et ensuite le conserver par la foi et la docilité aux préceptes divins.