Après avoir vu les sept sacrements de l’Eglise à la lumière de l’Ecriture Sainte, nous voulons conclure en insistant sur les notions de grâce et de foi qui occupent une telle place dans le Nouveau Testament dès qu’il s’agit du Salut de l’homme pécheur.
L’enseignement catholique sur la grâce paraît extrêmement compliqué puisque Mgr Bartmann en énumère vingt aspects différents :
1. La grâce incréée et la grâce créée ; 2. La grâce naturelle et la grâce surnaturelle ; 3, La grâce extérieure et la grâce intérieure ; 4. La grâce de sanctification et les charismes ; 5. La grâce actuelle et la grâce habituelle ; 6. La grâce médicinale et la grâce élevante ; 7, La grâce prévenante et la grâce concomitante ; 8. La grâce opérante et la coopérante ; 9. La grâce suffisante et la grâce efficace ! 10. La grâce du Christ et la grâce de Dieu. (PTD II. 22-26).
Ces subtiles distinctions étaient ignorées des Pères de l’Eglise, et même de la Scolastique. C’est surtout depuis le Concile de Trente que l’on a « fouillé » cette question, et les Docteurs ne sont pas encore parvenus à se mettre d’accord.
En ce qui concerne le Salut de l’Homme, il importe surtout d’étudier les notions de grâce actuelle et de grâce habituelle, telles qu’elles ressortent de l’enseignement catholique.
La grâce actuelle est une action surnaturelle de Dieu exercée sur l’intelligence et la volonté de l’homme pour qu’il puisse accomplir les bonnes œuvres prescrites dans l’ordre chrétien du Salut, (Ceci est un dogme, mais l’Eglise n’a jamais précisé la nature de cette grâce. PTD II. 28-29.) Cette grâce est nécessaire, gratuite et universelle (PTD II. 32-79). (Elle est absolument nécessaire pour toute bonne action surnaturelle, elle ne l’est pas toutefois pour les bonnes actions plus faciles de l’ordre naturel). Quant aux rapports existant entre cette grâce et la liberté de l’homme, plusieurs opinions très différentes sont présentées par les grandes Ecoles théologiques catholiques.
La grâce habituelle est appelée tantôt grâce de justification tantôt grâce sanctifiante. Elle est un acte de Dieu, mais est conditionnée chez l’adulte par la préparation morale de celui-ci. (PTD II. 92-101).
La première et principale disposition pour la justification est la foi (PTD II. 104. De foi), et cette foi n’est pas la foi fiduciale (confiance dans le Christ) qui n’est ni requise, ni suffisante, mais la foi théologale, c’est-à-dire l’adhésion aux dogmes révélés et enseignés par l’Eglise.
Le Concile de Trente a menacé d’anathème ceux qui prétendent qu’on peut être justifié par la seule foi fiduciale. D’ailleurs outre la foi théologale d’autres actes de vertu sont exigés de l’adulte pour sa justification, la foi seule ne suffit pas. (PTD II. 107).
Mgr Bartmann concède que l’on ne trouve pas chez les Pères de théorie sur la nature spécifique de la grâce de justification, c’est seulement la Scolastique qui commence à en construire une (PTD II. 114).
Après avoir examiné les effets de cette grâce, Mgr Bartmann expose les dogmes de conclusion :
L’enseignement de l’Ecriture est beaucoup plus simple que celui des théologiens catholiques, qui ont donné aux mots grâce, foi, justification et sanctification des sens très différents et beaucoup plus compliqués. Dans Actes 16.30-31, un geôlier grec demanda à Paul, au cours d’une nuit mouvementée : « Seigneur que me faut-il faire pour être sauvé ? » et Paul répond : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé, toi et les tiens ». Cette foi exigée comme seul moyen de salut nous paraît plus « fiduciale » (confiance en une personne) que « théologale » (adhésion à une doctrine) ! La justification, qui dans l’Ecriture est un acte du Dieu Souverain, devient une action partielle et comme provisoire à laquelle l’homme doit collaborer. L’enseignement catholique déplace le centre du message chrétien et l’attention est détournée de la grâce seule (attribut de Dieu) pour être dirigée sur l’homme qui doit coopérer à l’œuvre du salut. La foi devient œuvre de l’homme, et comme le dit si justement la Lettre Pastorale du Synode Général de l’Eglise Réformée des Pays-Bas :
« Dès lors, la vie d’ici-bas n’est plus qu’un incessant effort, et tout en reconnaissant l’existence de la grâce, elle (l’Eglise catholique) n’en revient pas moins pourtant à la maison de servitude de la Loi, puisqu’elle doit se passer de toute assurance de.salut » 1.
1 Catholicisme et Protestantisme. Paris, 1957, p. 45.
Les notions bibliques sont, en fait, dénaturées et l’homme ne peut plus avoir, dans cette perspective catholique, l’assurance de son salut qui fut la joie des apôtres et des premiers chrétiens. Cette assurance, nous l’avons non par orgueil, mais précisément parce que notre foi est une confiance totale en un Dieu de Miséricorde et d’Amour qui nous accorde sa grâce souveraine, en vertu de l’œuvre de son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui justifie (c’est-à-dire qui nous fait justes) et nous sanctifie (nous fait saints) parfaitement. Douter de cette œuvre de grâce serait commettre le péché de mettre l’amour ou la puissance de Dieu en doute, c’est cela qui serait de l’orgueil.
Parmi la multitude des textes bibliques enseignant cette Vérité, nous citerons (dans la version dite de Jérusalem) :
« Il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom » (Jean 1.12).
« Qui se fera les accusateurs de ceux que Dieu a élus ? C’est Dieu qui justifie ! » « … ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés, ceux qu’il a appelés il les a aussi justifiés… » (Romains 8.83 et 30).
« C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu… » (Ephésiens 2.8).
« Je vous ai écrit ces choses afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu. » (1re Ep. de Jean 5.13).
Nous insistons avec joie sur les termes de cette dernière affirmation d’un apôtre : afin que vous sachiez que vous avez… !
C’est sur l’Ecriture, c’est-à-dire sur la Parole de Dieu, que nous fondons l’assurance de notre salut.
Après avoir examiné la grâce et la foi, voyons enfin quelle valeur nous devons attacher aux œuvres du chrétien, pour son salut.
L’Eglise affirme que les œuvres du fidèle sont nécessaires pour l’expiation des péchés. Le salut n’est donc pas entièrement gratuit : l’homme doit le mériter en quelque sorte. Les docteurs catholiques s’efforcent de concilier cette idée avec l’affirmation de l’Ecriture, qu’ils ne renient tout de même pas, selon laquelle le sang de Jésus-Christ nous purifie de tous péchés. L’homme est bien justifié par la foi, mais, dit Bellarmin (Expos. de la Doctrine cath., VI et VII) :
« La vie éternelle est une récompense qui est fidèlement rendue aux bonnes œuvres de l’homme et à ses mérites, en vertu de la promesse de grâce qui est en Jésus-Christ… »
Ce sont les termes mêmes du canon XVI du Concile de Trente :
« …La vie éternelle sera accordée à ceux qui font des bonnes œuvres jusqu’à la fin et qui espèrent en Dieu… et la récompense sera fidèlement rendue aux bonnes œuvres et aux mérites des fidèles en vertu de la promesse de Dieu… »
Le Concile de Trente prend soin de jeter solennellement l’anathème contre ceux qui « prétendent que la justice reçue n’est pas conservée et même augmentée devant Dieu par les bonnes œuvres » (24).
Cette doctrine a pour conséquence de priver l’âme de toute assurance du salut.
Les plus anciens pères de l’Eglise ne croient pas à la valeur expiatoire des mérites de l’homme.
Clément de Rome (début du IIe siècle) : « Nous qui sommes appelés par la volonté de Dieu en Jésus-Christ, nous ne sommes pas justifiés par nous-mêmes, notre sagesse, notre connaissance, notre piété ou les œuvres que nous avons faites dans la sainteté de notre cœur, mais par la foi au moyen de laquelle, depuis le commencement, Dieu a justifié tous les hommes… » (1re Epître aux Corinthiens 32).
Ambroise (IVe siècle) : « Quels travaux et quelle patience pourraient amoindrir notre péché ? Ce n’est donc pas sur notre mérite, mais bien sur la seule grâce de Dieu que sont fondés les décrets célestes » (Psaume 118).
Augustin, le grand docteur, précise : « Celui qui meurt justifié conserve, non pas ce que le mérite des œuvres lui a procuré, mais ce qu’il a reçu de la grâce » (Quaest. LXXXIII, 76).
En plein moyen âge, Bernard (XIIe siècle) écrit : « Tout ton mérite, c’est de te confier tout entier en Celui qui sauve l’homme en entier. Mes mérites, c’est la grâce… » (Serm. in Pas. XCI).
C’est lentement que cette doctrine s’est établie dans l’Église catholique. Elle est l’aboutissement logique des déviations successives, donnant à l’élément humain de plus en plus de place dans l’œuvre du salut. L’idée païenne du salut accompli par l’homme lui-même (hellénisme, bouddhisme) s’est introduite et a proliféré dans l’Eglise. Malgré l’explication théologique attribuant la valeur de ces œuvres humaines à la promesse de grâce faite en Jésus-Christ, aucun fidèle ne s’y trompe, c’est lui-même qui doit agir, prier, jeûner, donner de l’argent : son salut éternel en dépend. En fait, dans la pratique, le salut ne dépend pas de l’œuvre définitive du Christ, mais de l’acte de l’homme perpétuellement précaire.
La Bible répète inlassablement que toute œuvre humaine est sans valeur rédemptrice. Luc 17.10 : « … Quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. »
Nos mérites sont sans effet sur notre salut : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Ephésiens 2.8-9).
L’œuvre bonne ne peut être que le fruit de l’Esprit. C’est Dieu qui la fait à travers l’homme. Ephésiens 2.10 : « Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. »