(Mai 1534)
Progrès de l’Évangile en France – Calvin arrive à Paris – Martyre de Pointet – Milon le paralytique – Ses ébats et sa chute – Sa conversion – Sa vie chrétienne – Le marchand de la rue Saint-Denis – Le receveur de Nantes – Jules Camille et sa machine – Jugement contraire de Sturm et de Calvin – Un savant et un maçon – La Catelle, de La Forge et Calvin – Calvin combattra les fausses doctrines
Calvin trouva Paris bien différent de ce qu’il l’avait laissé, quand huit mois auparavant il l’avait quitté en grande hâte. Les temps semblaient favorables à l’Évangile. Le roi d’Angleterre tout en restant catholique de cœur, avait résolu de s’émanciper de la domination romaine ; cet événement avait dans toute l’Europe un immense retentissement, et plusieurs se demandaient si François Ier n’allait pas imiter son bon frère ? Il n’en semblait pas très éloigné ; il s’unissait alors aux princes protestants de l’Allemagne, il rétablissait l’un d’eux dans ses Etats, et présentait au clergé français des articles de foi rédigés par l’auteur de la Confession d’Augsbourg. Calvin connaissait ces actes étranges du monarque, et c’était en partie ce qui l’avait engagé à se rendre à Paris. François Ier n’était pas seul en France à avoir de nouvelles aspirations. Il y avait dans toutes les classes quelque penchant vers une réforme. Les lettrés demandaient la liberté de la pensée et désiraient voir finir le règne des moines. Certains hommes d’État voulaient délivrer la France de l’influence assujettissante de Rome tout en maintenant la catholicité. Guillaume du Bellay, le plus actif ministre du roi, appelait le réformateur Bucer un excellent professeur de la meilleure théologiea et lui écrivait : « Tout nous commande d’avoir bonne espérance : « le roi lui-même a chaque jour plus de goût pour les meilleures lettresb, » c’est-à-dire pour les saintes Écritures. Bucer lui-même, plein d’espérances, les communiquait à ses amis : « Le règne du pape baisse beaucoup en France, leur écrivait-il, et plusieurs y soupirent après Jésus-Christc !… » Le clergé s’inquiétait et un franciscain se plaignait que « l’hérésie de Luther étant entrée en France, s’y était fait place déjà fort large, jusque à presque se dire maîtresse, mêmement de Parisd !… » Des nobles, des savants, des bourgeois, des étudiants, et beaucoup d’hommes du peuple, saluaient la Réformation comme le commencement d’un nouveau jour. « Tous ceux qui ont de l’esprit, disait-on, quel que soit leur âge et leur sexe, entendant prêcher la vérité, se retirent de la bigoterie ! »
a – Melioris theologiæ professor eximius. » (20 juin 1534.)
b – Etiam rex ipse ; cujus animus erga meliores litteras in dies magis ac magis augetur. » (Msc. de Strasbourg.)
c – « Pulchre inclinabat regnum Papæ in Gallia. Ad Christum multi adspirabant. » (Ibid.)
d – Histoire catholique de notre temps, par Fontaine. Paris. P. 188.
C’est sur ces entrefaites que Calvin descendit à Paris dans la rue Saint-Martin, à l’enseigne du Pélican, chez son ami de la Forge. Le pieux marchand et son épouse le reçurent avec la plus cordiale hospitalité, et craignant qu’il n’exposât de nouveau une vie si précieuse à l’Église, ils le conjurèrent de ne pas trop se fier à ce que l’on disait des dispositions du roi, et de se garder d’enseigner publiquement s’il ne voulait pas s’exposer à la morte. La flamme de la persécution, qui paraissait éteinte, pouvait briller de nouveau à tout moment.
e – Magnum vitæ periculum. » (Beza, Vita Calvini.)
Un martyre, dont on lui rapportait les détails, était bien propre à appuyer ces règles de prudence. Calvin ne retrouvait pas à Paris ce chrétien fort et décidé, le chirurgien Pointet, qu’il avait souvent rencontré dans les assembléesf. Les moines auxquels cet homme hardi avait fait sur leur immoralité de si vertes leçons, avaient crié contre lui ; le curé Leclerc, de Saint-André-des-Arts l’avait poursuivi ; il avait été enfermé dans la Conciergerie et condamné à être étranglé, puis brûlé ; c’était payer bien cher les préceptes de morale qu’il avait donnés aux clercs. Avant l’heure du supplice, les geôliers l’avaient conduit dans la chapelle de la prison et l’y avaient laissé avec un moine devant une image. Le confesseur se mit à l’exhorter : « Mettez vous à genoux devant cette image, lui dit-il, et demandez pardon de vos fautes. » Et voyant que son pénitent restait immobile, il le saisit par la main, pour lui faire prendre cette position. Mais Pointet, qui avait de sa nature « une grande véhémence d’esprit, » repoussa vivement le moine, et lui dit : « Satan ! retire-toi, et ne tente pas de me faire idolâtre » Le confesseur bouleversé, indigné, sortit précipitamment de la chapelle, monta dans la chambre criminelle, raconta ce qui venait de se passer au président et à deux conseillers, et les conjura de venir mettre cet homme à la raison. « C’est un forcené, il est hors de sens, » dirent les magistrats ; et ils descendirent avec le confesseur. Ces trois personnages qui venaient de condamner Pointet à être étranglé, lui ayant répété l’invitation que le moine lui avait faite, le prisonnier, que la persécution indignait, les caressa, dit le chroniqueur, comme il avait caressé le moine : « Gens sanguinaires, leur dit-il, meurtriers, brigands, qui iniquement et contre toute raison mettez à mort les enfants de Dieu !… » Les trois juges, émus et effrayés à leur tour, remontèrent dans la salle du tribunal ; et là, échauffés de colère, ils aggravèrent la sentence, ajoutant que Pointet aurait avant toute autre opération, la langue coupée ; cette langue ne les avait-elle pas appelés meurtriers ? On espérait qu’il se montrerait alors plus facile, mais on se trompait. Le ferme chrétien ne pouvait plus parler ; mais il se refusait à donner le moindre signe de rétractation et à baisser la tête devant une image. Les ennemis de la vérité, comme la chronique les appelle, voyant cela, eurent recours à une nouvelle aggravation de la sentence ; ils condamnèrent Pointet à être brûlé tout vif ; « ce qui se fit le plus cruellement dont on se put aviser. » Cette mort laissa une profonde impression dans l’âme des chrétiens évangéliques de Parisg.
f – Voir tome II de cette histoire, 2.32.
g – Crespin, Martyrol., fol. 107, verso.
Calvin, cédant aux représentations de ses amis, résolut de substituer à des prédications dans les assemblées des admonitions particulières, et commença par visiter les humbles chrétiens dont il entendait parler chez de la Forge.
Dans la rue qui était entre les deux portes du palais, se trouvait une boutique de cordonnier. En entrant on y apercevait d’abord un pauvre bossu, perclus de tous ses membres, excepté la langue et les bras. Ce paralytique était le fils du cordonnier et s’appelait Barthélemy. « Ah ! disait son père, Robert Milon, à ceux qui en le voyant exprimaient leur compassion, il n’a pas toujours été comme cela ; il était tout autre dans sa jeunesse, doué de grâces excellentes quant au corps et quant à l’esprith. » En effet, Barthélemy avait été le plus beau jeune homme du quartier, fort adroit, plein de vivacité et d’imagination. Il en avait abusé ; il avait suivi sa nature passionnée, et s’était élancé dans la vie, en se livrant à toutes les convoitises de la jeunesse, aux folles amours, ou autres façons de faire désordonnées, desquelles les jeunes gens sont volontiers entachés. Sans cesse emporté par des mouvements impétueux, il recherchait les plaisirs et les querelles ; il se jetait dans la mêlée dès qu’il y avait quelque débat, et déployait dans toutes les disputes une témérité sans égale. Il organisait des bals, des concerts, méprisait les choses de Dieu, tournait les prêtres en ridicule et se moquait des hommes pieux. Chacun dans le quartier parlait de Berthelot (c’était ainsi qu’on l’appelait) et de ses prouesses ; les uns avec admiration, les autres avec crainte. Tous les jeunes gens le reconnaissaient pour leur chef.
h – Ibid., fol. 112, verso.
Un jour qu’il se livrait étourdiment à ses ébats ordinaires, il fit une chute, se rompit les côtes, et comme il ne voulait d’aucun remède, il aggrava son mal ; les diverses parties de son corps « petit à petit défaillirent, » et il fut entièrement paralysé. Quel changement dans sa vie ! Le pauvre Barthélemy qui avait été si fier de sa beauté, maintenant débile, cassé, privé de l’usage de ses membres, hors d’état de courir avec ses amis, était obligé de garder tout le jour la boutique de son père. Il était profondément accablé non seulement par les douleurs aiguës qu’il éprouvait, mais encore par la vue de ses difformités. Assis près de la fenêtre, il n’avait d’autre récréation que de regarder les passants, et sa malice étant toujours la même, ou plutôt s’étant accrue par son malheur, il n’épargnait pas les brocards. Un jour, ayant vu passer devant la boutique un homme évangélique, il se mit aussitôt à l’insulter et à « brocarder (braver) la majesté redoutable de Dieu. — Eh ! luthérien ! » s’écriait-il, et il ajoutait toutes sortes de moqueries. Le chrétien s’arrêta ; il fut ému en voyant l’état pitoyable du malheureux qui l’insultait ; il s’approcha, et lui dit avec affection : « Pauvre homme, pourquoi te moques-tu des passants ? Ne vois-tu pas que Dieu a de cette façon courbé ton corps, pour redresser ion âmei ?… » Cette parole si simple frappa Milon ; il n’avait jamais pensé que son âme aussi fût courbée. « Oh ! dit-il, serait-il vrai que Dieu ait fait tomber sur moi ces infirmités, pour réformer sa créature égarée ? » Il prêta audience au passant, et celui-ci lui parla, lui présenta un Nouveau Testament, et lui dit : « Vois ce livre, et d’ici à quelques jours, tu me sauras dire quel il te semble. » Milon saisit l’Évangile, il l’ouvrit, et ayant commencé, dit le chroniqueur, « à goûter le fruit de cette lecture, il ne cessa nuit et jour de continuer en icelle. » Ce petit volume lui suffisait ; il n’avait besoin d’aucun docteur. L’épée de la Parole de Dieu lui entrait jusqu’au fond du cœur et sa vie passée l’épouvantait. Mais l’Évangile le consolait. Il était pour lui « comme une trompette sonnante publiant la louange de la grâce de Christ ; » Milon trouva le Sauveur. « Miséricorde m’est faite, disait il, afin que l’amour de Dieu qui pardonne au plus grand pécheur soit placé comme sur une estrade et vu de tout le monde. » Il avait maintenant une bride qui le retenait et l’empêchait de « se livrer à insultes, débats, riotes, noises et contentions. » Le loup était devenu agneau. Barthélemy communiquait les richesses qu’il trouvait dans le livre de Dieu, à son père, aux autres membres de sa famille, à tous les chalands qui arrivaient dans l’échoppe du cordonnier. Il n’y avait pas chambre dans Paris qui présentât un spectacle si intéressant et si varié. En effet, la charité chrétienne de Barthélemy devint aussi inépuisable, que l’avait été auparavant son habileté mondaine à inventer des divertissements. Il donnait entièrement à Dieu la dévorante activité qu’il avait prodiguée au monde. A certaines heures du jour, le pauvre jeune homme, « non pareil en l’art de l’écriture » « assemblait les enfants du quartier et leur dictait de son lit quelques mots de la Bible, leur montrant le plein, le délié, et les enseignant à bien former leurs lettres. En d’autres moments il pensait aux besoins des pauvres, il travaillait diligemment de ses propres mains ; et gravant avec eau sur couteaux, dagues et épées, il faisait pour les orfèvres choses non usitées. » Puis il employait le gain qui provenait de son travail, à sustenter plusieurs nécessiteux qui avaient la connaissance de l’Évangile. Il avait aussi une fort belle voix et touchait plusieurs instruments « avec grâce singulière ; » aussi le matin et le soir il consacrait à la louange du Seigneur ces dons qu’il avait auparavant consacrés au plaisir, et chantait en s’accompagnant, des psaumes et des cantiques. On accourait de toutes parts dans cette boutique, située au centre de Paris. Les uns venaient « à raison des choses exquises et rares qu’il faisait, » les autres le hantaient pour ouïr les chants de musique. » Un grand nombre étaient attirés par le changement si grand et si subit qui s’était fait en lui. Ah ! se disait le pauvre paralytique, si Dieu m’a conféré des biens, c’est afin que sa gloire soit par moi magnifiée. » Il instruisait doucement les humbles à recevoir l’Évangile, et si quelques hypocrites se présentaient, « il leur faisait compte à part, et lançait sur eux les foudres de Dieu. » « Bref, dit le chroniqueur, sa chambre était une vraie école de piété, dans laquelle, soir et matin, retentissait la gloire du Seigneur. »
i – Crespin, Martyrol., fol. 113.
Assez loin de sa demeure, mais près de la maison de de la Forge, à l’entrée de la rue Saint-Denis, au coin du boulevard, à l’enseigne du Cheval noir, était une grande boutique de draperie, appartenant à Jean du Bourg. Ce marchand, d’un caractère indépendant, qui aimait à voir, à comprendre, à juger par lui-même, n’avait ni fréquenté les écoles ni même beaucoup parlé avec les évangélistes ; mais pour cela, dit le chroniqueur, il n’avait point été débouté de la sagesse céleste. Il avait reçu de Dieu, par la sainte Écriture, qu’il lisait assidûment et où il cherchait humblement la vérité, la connaissance de cette bonne Nouvelle, à laquelle les érudits, disait-on, « ne parviennent pas par leur subtilité. » Incontinent il l’avait répandue tout autour de lui avec une incessante activité, ce qui avait fort étonné tous ses alentours. « Cette ardeur, qui est de grand montre pour le commencement, dirent quelques uns de ses parents, s’en ira bientôt en fumée, comme un feu d’étoupes, ainsi que porte le proverbe commun. » Ils se trompaient : la Parole était entrée tout outre dans son cœur, et elle y avait pris racine si avant, qu’il eût été impossible de l’en arracher. Alors les prêtres avaient intrigué, le parentage avait crié, les pratiques l’avaient déserté, mais, « ni bien ni parentage ne le surent oncques divertir de la véritéj. »
j – Crespin, Martyrol., fol. 113, verso.
Tandis que ses anciens amis s’éloignaient de lui, de nouveaux s’approchaient. On voyait souvent entrer dans la boutique un receveur de Nantes, nommé Pierre Valeton. Comme du Bourg, il était « homme d’esprit et de crédit, » mais tandis que le marchand avait été instruit dans la solitude, par le Saint-Esprit, le receveur était venu à la connaissance de l’Évangile, par le moyen « de quelques bons personnages qu’il hantaitk, » puis la lecture du Nouveau Testament l’avait affermi. Il ne s’en tint pas là. Étant à son aise, et ayant l’amour des livres, il achetait tous les écrits des réformateurs, qu’il pouvait se procurer. S’il en trouvait un dans quelque arrière-boutique de librairie, il le saisissait, en payait promptement la valeur, le mettait sous son habit, dans la crainte que le volume ne fût découvert, et se hâtait de retourner chez lui. Arrivé dans sa chambre, il le déposait au fond d’un coffre ou bahut, dont il gardait toujours la clef sur lui. Puis dès qu’il avait un moment, il fermait sa chambre, ouvrait son coffre, en tirait le livre précieux et le lisait avidement. Il écoutait si personne ne venait, car quoiqu’il fut une âme fidèle, il était encore faible en la foi et avait peur d’être brûlé.
k – Crespin, Martyrol., fol. 113.
Tous ces hommes pieux accueillaient avec joie ceux qui montraient quelque amour pour l’Évangile. On voyait quelquefois dans leurs réunions un gentilhomme picard, qui demeurait chez l’amirale de Bonnivet, veuve du fameux favori de François Ier. Jean le Comte, c’était son nom, était né à Étaples en 1500 ; il s’était attaché à Lefèvre, son compatriote ; il avait été avec lui auprès de Briçonnet, et ne l’avait quitté que pour entrer chez l’amirale, comme précepteur de ses trois fils. Assidu aux assemblées de la petite Église, il y parlait souvent et chacun appréciait sa connaissance des Écritures (il les lisait même en hébreu), sa bonne théologie et son talent pour exposer la vérité. Nous le retrouverons en Suisse.
Un autre personnage un peu étrange attirait l’attention de l’assemblée par son teint brun, son regard sombre, son air mystérieux. C’était un Italien célèbre, Jules Camille, de Forli (États de l’Église), philosophe, orateur, poète, astrologue, philologue, mythologue, très versé dans la science cabalistiquel, qui prétendait communiquer avec les êtres élémentaires et avait travaillé quarante ans à construire une machine en forme de théâtre, remplie de petites niches, où il logeait toutes nos facultés et beaucoup d’autres choses encore, et au moyen de laquelle il prétendait enseigner toutes les sciences. François Ier l’ayant fait venir à Paris, Camille lui exhiba et lui expliqua sa machine merveilleuse ; le roi en fut enchanté et lui donna cinq cents ducats. Quoique taciturne et rêveur, Camille recherchait pourtant les hommes pieux ; Paleario parle de lui dans ses lettresm, et il se lia à Paris avec Sturm qui recevait volontiers dans sa maison les docteurs de tout pays. Celui-ci fut ravi de voir un savant, appelé d’Italie par le roi et dont tout le monde s’entretenait, incliner vers l’Évangile, et un jour écrivant à Bucer, il lui dit : « Camille a non seulement une science profonde, mais encore une admirable piété… Souvent Dieu fait quelque chose par des hommes de cette espèce ; et quand ils veulent autant qu’ils peuvent, ils sont alors de grands modèlesn. » Pendant que Sturm écrivait, Camille frappa à la porte et entra ; Sturm lui ayant montré sa lettre, l’Italien écrivit au bas : « Plût à Dieu que mon esprit fût dans mes mains, ou qu’il découlât de ma plume… Si vous pouviez le voir, vous reconnaîtriez certainement que c’est le vôtre mêmeo. » Il paraît que Camille se faisait illusion. Il était un esprit original, désireux de connaître tout ce qu’il y avait de nouveau, aussi la Réforme ; mais il y avait chez lui quelque charlatanisme. Si sa fameuse machine ne fit pas avancer la science, elle fit avancer sa fortune, ce qui fut à ses yeux une compensation. Calvin fut moins ravi de lui que Sturm ; le regard d’aigle du réformateur ne le trompa pas. L’air sombre de l’Italien lui parut cacher quelque incrédulité ou quelque hérésie. Si la joie spirituelle ne règne en notre cœur, disait-il, le royaume de Dieu n’existe point en nousp. »
l – Tiraboschi, Lettere italiane, VII, p. 315.
m – Palearii op., lib. I, ep 17.
n – « Per ejusce modi homines, sæpe Deus aliquid facit, qui quum quantum possunt tantum velint, magno solent esse exemple » (Msc. de Strasbourg. — Schmidt, G. Roussel, p. 220.)
o – Utinam animus esset nunc in manibus atque in calamo. » (Ibid.)
p – Calvin, in I Epistol. ad Thessalonicenses.
Beaucoup d’autres hommes bien connus fréquentaient à Paris les amis de l’Évangile ; c’étaient : des Fosset, plus tard lieutenant général dans le Berry, Jacques Canaye, depuis avocat fameux au parlement, d’autres jurisconsultes, des nobles, des employés du roi, des industriels, des professeurs. La persécution les manifesta, et nous aurons à en nommer plusieurs parmi les exilés et les martyrsq.
Outre ces laïques adultes, un certain nombre d’écoliers ou étudiants se faisaient remarquer dans les réunions évangéliques. De leur nombre était un jeune garçon de Melun, nommé Jacques Amyot, « de fort petit lieu » dit Bèze, ramassé dans les rues de Paris par une dame qui, voulant utiliser le jeune garçon, lui faisait accompagner ses enfants au collège et porter leurs livres. Amyot, qui devait être un des plus célèbres écrivains du siècle, avait bientôt montré pour les lettres grecques un génie merveilleux ; il avait même appris à connaître quelque chose de l’Évangile. Il devait changer plus tard, prendre les ordres et oublier ce qu’il avait appris, jusqu’à devenir « très malheureux persécuteurr ; » mais on le regardait alors comme un ami de la nouvelle doctrine.
q – Voir le chapitre XI.
r – Th. de Bèze, Dictionn. Eccl. p. 11. — France protestante, art. Amyot.
Toutefois, c’étaient les gens du peuple qui étaient les plus nombreux dans les conventicules. L’un d’eux, un pauvre maçon, d’un village situé près de Meaux, Henri Poille racontait un jour à l’un de ses amis : « qu’il était venu à la vérité dans l’école de Meaux, grâce à l’évêque Briçonnet. Hélas ! ajoutait-il, il a été vaincu dès lors par l’ennemi de la croix. »
Les plus nécessiteux même, étaient actifs pour les bonnes œuvres. Une pauvre femme nommée la Catelle s’était faite maîtresse d’école par amour pour les enfants. « Ce serait, disait-elle, une chose par trop cruelle que d’exclure de la grâce de Dieu a ceux qui sont en tel âge ! »
Nul, parmi ces chrétiens évangéliques de Paris, n’avait autant de zèle que de la Forge. Oncques ne fut son bien épargné aux pauvres, dit le chroniqueurs. » Il faisait imprimer à ses dépens la sainte Écriture, et aux aumônes qu’il distribuait il savait toujours joindre une parole de bonté, souvent un Évangile ou quelque autre livre pieux.
s – Crespin, Martyrol, fol. 113.
Cependant tout ne plaisait pas également à Calvin dans Paris. Il aimait à reconnaître la plaisance (la beauté) de la ville ; mais il s’effrayait en voyant à côté de ces palais magnifiques, des abîmes extrêmes, et, disait-il, « le profond des enfers… » Il éprouvait à cette vue une véhémente tristesse. Un mouvement immense s’accomplissait alors partout dans le monde. De même que le soleil du printemps fait lever les semences déposées dans la terre, — l’ivraie comme le bon grain, — le soleil de la liberté qui commençait à luire, ranimait non seulement les germes de la vérité, mais quelquefois aussi ceux de l’erreur. A cette vue, Calvin avait l’âme profondément attristée ; mais il n’en restait pas là. Il avait reçu de Dieu la vocation de s’opposer aux fausses doctrines, et il s’apprêtait à le faire. C’est ici l’un des grands traits de son caractère. Il a combattu jusqu’à la fin l’orgueil de ceux qui veulent tout savoir, la manie des subtilités, les prétentions mystiques, l’immoralité, les doctrines unitaires, le déisme qui nie le surnaturel, et les théories panthéistes et athées. Il trouvait à Paris toutes ces sortes d’égarements. Son principal moyen pour combattre l’erreur était de mettre en avant la vérité ; cependant il jugeait utile d’avoir quelquefois des conversations, et même des conférences avec les adversaires. Nous allons en voir quelques exemples.