Chrétien à plein temps à pleine part

Chapitre 2
Le sacerdoce du service

1. L’écrivain français, Robert Brasillach, disait : « Ce n’est pas un geste de Dieu que je demande ! Si seulement je voyais les gens agir comme ils parlent, je serais vite troublé ! ». Au sacerdoce du témoignage parlé s’ajoute le sacerdoce du service incarné. Telle est non seulement l’attente d’un monde qui a les yeux fixés sur les disciples du Christ, mais l’exigence du Maître à l’égard de ses serviteurs ; du Maître qui a laissé entendre que ceux qui disent : « Seigneur, Seigneur ! » n’entreront pas tous dans le royaume… mais ceux-là seulement qui « font » la volonté du Père.

Témoignage parlé et incarné !

Comme les deux côtés d’une pièce de monnaie, la foi chrétienne voit ces deux manifestations indissolublement liées. Nous n’avons pas à jouer à « pile ou face », et ceux qui scieraient un écu dans le sens de l’épaisseur, seraient coupables à l’égal de faux-monnayeurs.

On a parfois médit des salles de réunion avec leurs tables et leurs bancs qui les faisaient ressembler à une cantine de chantier. On leur opposait la beauté de certains sanctuaires ou celle des cathédrales. L’erreur n’est pas dans les cathédrales qui invitent au recueillement, au silence, à l’adoration. Elle n’est pas non plus dans ces salles apparentées à des cantines de chantier. Elle est dans l’opposition qu’on voudrait voir à ces deux aspects du service. Le Christ les a conjoints quand il dit : « Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées ».

Lire : Luc 12.35.

On pourrait remarquer qu’il met en premier lieu les reins ceints, c’est-à-dire la disponibilité au service ; ce que d’aucuns ont traduit par : Travaille et Prie. Si l’on cherche des priorités, on pourrait alors, et de la même manière, évoquer Marthe et Marie, en se souvenant qu’à cette dernière revenait la bonne part. Le pasteur Jules Vincent a réuni l’adoration et le travail chrétiens dans un admirable poème dont nous vous citons les principaux passages :

A Rouen, bourg sacré parmi les bourgs de France,
Ils ont dressé jadis l’incomparable tour
Et, tout vibrants encore de leur belle vaillance,
Ils l’ont offerte à Dieu, comme une fleur d’amour.

Aucun ne mit son nom sur l’œuvre terminée,
Ni le frère sculpteur, ni le grand maître ès art,
Ni celui qui enchâsse en la forme plombée
Le verre translucide aux multiples couleurs.

Un seul, au nom de tous, dressa l’acte authentique,
Selon les us sacrés de l’œuvre de la foi,
Signant le parchemin de sa lourde gothique :
« Ceux qui ont fait cela sont les Maçons du Roy ».

Nous aussi, nous voulons élever notre tour,
Dresser jusques au ciel l’idéale demeure
Où communieront les affamés d’amour,

Poser, bloc après bloc, jusqu’à ce que la voûte
Etreigne de douceur les lassés de la route
Et rende au pèlerin la chaleur du foyer.

Sans un retard enfin, orner le sanctuaire
De feuillages et de fleurs taillés aux chapiteaux ;
Etendre sur le sol le tapis de lumière
Que le soleil allume au brasier des vitraux.

Faire ce qu’on doit faire, être ce qu’on doit être :
Ou l’artisan docile au seul penser du Maître,
Ou l’apprenti qui porte et le sable et la chaux.
Puis, disparaître un jour, sans plus laisser de traces,

Heureux d’avoir été des hommes au cœur droit
Qui n’ont jamais voulu, dans leur vouloir tenace
Qu’être tous, ici-bas, de bons Maçons du Roy.

Jules Vincent.

Convenons, une fois pour toutes, que le culte, l’ado- ration, la méditation, le repos, le chant, les prières sont une partie du service, et que le labeur sous toutes ses formes, accompli dans l’obéissance et avec la force de l’Esprit, est l’autre partie de ce même service.

On a, à juste titre, comparé l’église locale au corps du Christ. Dans cette optique, il est bon de noter qu’un corps n’a qu’une langue ! Or, pour cette langue unique (évocatrice du service de la parole), il est beaucoup d’autres membres du corps qui, pour ne pas parler, servent aussi, et avec quelle efficacité ! Bien plus : ces membres à l’œuvre sont l’expression de ce que déclare, affirme ou prétend la langue. Cette image nous permet de déplorer que tant de paroisses et communautés soient essentiellement « bavardes » — la langue bien pendue, certes — mais demeurent, pour le reste, des églises manchotes ou estropiées. A moins d’être gravement infirme, l’église locale ne sera donc véritablement l’Eglise que si ses membres incarnent dans les six jours et nuits de la semaine, les édifiantes manifestations du service dominical.

Lire : Romains 12.1-8 ; 1 Corinthiens 12.

Une fâcheuse appellation laisse entendre aujourd’hui encore qu’il est des chrétiens à plein temps au service du Seigneur (pasteurs, diaconesses, évangélistes, frères à l’œuvre, missionnaires), alors que d’autres chrétiens, parce qu’ils ne porteraient aucun titre particulier et seraient simplement ouvriers, ou contremaîtres, ou patrons, ou ménagères, ou instituteurs, etc, ne seraient pas, eux, en service à plein temps. En réalité, tout chrétien, jour et nuit, semaine et dimanche, dans le travail comme dans le plaisir, au culte comme à l’usine, est dans un « service à plein temps ». Et il aura à le manifester par la ponctualité, la qualité, l’intelligence, la fidélité, la bonne humeur, l’honnêteté mises à son travail. La notion d’« envoyé spécial » est liée à l’idée que l’on se fait de la presse écrite, parlée, télévisée. Il serait bon que le chrétien, employé à plein temps, redécouvre qu’il est un « envoyé spécial » de son Seigneur dans le foyer qui est le sien, dans son travail quel qu’il soit. Il est des croyants « envoyés spéciaux » dans un lit d’hôpital ou dans une cellule de prison, dans un cantonnement militaire, au dortoir de l’Ecole d’agriculture, dans une équipe de football. Par leur consécration chrétienne, ils seront en bénédiction à ceux qu’ils ont ainsi la possibilité d’approcher « du dedans ». Mais pour ces quelques êtres d’exception, combien de crypto-disciples dont jamais personne ne s’est douté qu’ils étaient chrétiens !

On a su dire parfois de certains chrétiens qu’ils étaient évangéliques parce qu’ils étaient incapables d’autre chose. Quelle caricature ! En vérité, un chrétien sert d’abord par la qualité de son travail, quel que soit ce travail.

Ceci dit, demeure pourtant le problème des vocations particulières : la pénurie grave de pasteurs, de diaconesses, de diacres, de missionnaires est le signe d’une carence de nos Eglises. Il vaut la peine que les individus et les communautés se posent cette question : combien de serviteurs et de servantes Dieu a-t-il trouvés dans ma paroisse (dans ma famille) ces dix dernières années ? Ou — autre forme de la même question — à quand remonte la dernière vocation pastorale (diaconale ou missionnaire) dans ma paroisse (ma famille) ?

Lire : 1 Corinthiens 10.31-11.1.

3. Mais ce service va plus loin que ce qu’on peut attendre d’un homme à l’œuvre. Le label du chrétien, c’est l’amour, c’est l’esprit de service qui prévient, secourt, subvient aux nécessités des autres : besoins matériels, détresses morales et spirituelles, échecs, abandon, solitude, entraide, sympathie, bienveillance, intervention pour rétablir la vérité, défendre la justice, promouvoir la charité. En fait, les occasions ne manquent pas. Ce sont les ouvriers prêts à se compromettre qui sont recherchés. Ceux-ci sont rares, tandis qu’il y a abondance de gens prêts à déverser le flot de leurs critiques. Aux portes de l’Eglise, on aimerait bien — parfois — afficher l’écriteau qui dit : « ENTRÉE INTERDITE À TOUTE PERSONNE ÉTRANGÈRE AU CHANTIER » ! et préciser comme le font les entrepreneurs : « L’ENTREPRISE DÉCLINE TOUTE RESPONSABILITÉ EN CAS D’ACCIDENT ».

Lire : Matthieu 25.31-46.

4. Dans cet ordre de préoccupations en rapport avec l’esprit de service, il est un champ particulier d’activités à retenir parce que, précisément, refusées par ceux qui ne se réclament pas du Christ :

Travaux humbles, besognes secondaires, qui nous placent à l’arrière-boutique plutôt qu’à la devanture du magasin. Métiers qui réclament du dévouement, de la consécration ; labeurs qui ignorent la « semaine anglaise » et la liberté à partir de 17 h ; qui salissent vraiment les mains, nous rendent dépendants des autres, nous obligent à nous déranger pour eux aux heures où nous aurions droit à mille choses qui nous feraient précisément oublier le prochain et nous libéreraient de l’amour que nous leur devons. Ce service-là est peut-être aujourd’hui la part que Dieu veut confier aux chrétiens puisque les païens parvenus et bien pensants n’en veulent plus. Les chrétiens authentiques en accepteront les servitudes les plus rebutantes quand ils auront discerné l’appel de Celui qui leur dit : « C’est moi qui te le demande ! ».

Lire : 1 Pierre 2.11-25.

5. La fraternité, le souci et l’amour des autres s’expriment à la Sainte-Cène. Elle a un prolongement désigné dans un service à la portée de beaucoup : l’hospitalité. Accueillir à sa table, partager le pain, la chaleur, l’affection d’un foyer : par ces simples dons, manifester de l’intérêt pour les autres, leur dire sous cette forme dépouillée, mais combien parlante, qu’ils sont aimés, considérés, accueillis, honorés, cherchés par le Christ, voilà un service à retrouver.

Jusqu’à une certaine forme d’auto-stop qui s’apparente à cette hospitalité : nous avons gardé le souvenir d’un chrétien qui, sans trop s’embarrasser des consignes chagrines des « spécialistes de la question », prenait à son bord les stoppeurs ; ce n’était pas de la « philanthropie routière ». Il tenait aussi fermement les leviers de la conversation que le volant de son véhicule et profitait de ces rencontres pour témoigner de sa foi. Au moment de déposer ses passagers au bord de la route, il leur donnait en souvenir une brochure, un tract ou une carte biblique.

Lire : Hébreux 13.1-6.

6. Au nombre des inévitables critiques dont nous avons relevé le caractère exclusivement négatif, il faut retenir, outre le « procès » des ecclésiastiques, les constatations désabusées auxquelles se livrent les gens de l’extérieur sur les insuffisances des cadres de la communauté locale. A les entendre, il s’agit non seulement d’hypocrites, mais de personnes notoirement incompétentes.

Peut-être y a-t-il quelque fondement à ces remarques plus aigres que douces. Les chrétiens les plus lucides déplorent également la fréquence de ces carences regrettables. Mais n’est-ce pas l’occasion de poser deux questions :

a) Si l’Eglise n’a pourvu que récemment à la formation de ses cadres laïcs, les laïcs eux-mêmes, appelés à telle ou telle fonction dans la communauté, admettent-ils de si bon gré l’idée d’une préparation ? De quel œil considèrent-ils la nécessité d’un cours de préparation ? Ne pensent-ils pas bien souvent qu’une élection paroissiale ou une désignation par cooptation supplée largement à toute préparation technique ?

b) Ne doit-on pas, parallèlement, déplorer que les « charges ecclésiales » soient presque systématiquement dédaignées par les personnes les plus compétentes ? La notion de « Messire Dieu premier servi » est aujourd’hui bien dépréciée. On ne consacre guère au Seigneur les « prémices » comme le demande l’Ecriture Sainte… Il doit souvent se contenter des restes, et l’on met une insolence certaine à penser que cette « utilisation des restes » doit même lui plaire !

L’église locale a grand besoin de serviteurs décidés, préparés, équipés, compétents, c’est-à-dire qui ont fait le sacrifice du temps, suivi les cours, accepté l’effort qu’exigent une formation, des exercices répétés, en vue de leur service.

Cette liste n’est que suggestive :

Lire : Matthieu 25.14-30.

7. a) Il faut être prêt à rendre service ; à prendre du service, à mettre au service des autres et à la seule gloire de Dieu les dons que nous avons reçus. Mais il faut être prêt également à se laisser aider, même secourir ; à recourir au service des autres : à accepter qu’un Samaritain nous donne à boire. ou que l’âne du Samaritain nous prenne en charge et nous conduise à l’hôtelier.

b) Il faut être prêt à donner de son argent. La pratique de la dîme est un service fructueux, à condition que nos dons en argent ne nous incitent pas dangereusement à nous décharger du service que nous devions aux autres, cette fois, en payant de nos personnes.

Lire : 1 Pierre 4.8-10.

PRATIQUEMENT

a) Vous reconnaissez-vous comme un membre du corps du Christ, en service le dimanche, en service la semaine ?

b) Considérez-vous l’opinion d’autrui sur votre travail comme une critique déplaisante ou comme un test instructif ?

c) Quelle est votre part dans le ministère de l’entraide, des visites ? Quel accueil faites-vous à l’italien, à l’Espagnol, à l’Africain qui travaille à vos côtés, à votre service ? Qui rend à votre sujet ce témoignage : « Il m’aide !» ou : « Tous m’ont méprisé ; lui m’a défendu » ?

d) Dans quelle perspective aidez-vous vos enfants à choisir un métier : celle du service ou celle du gain, des vacances, de la vie facile ? Quelles sont vos exigences à l’heure où vous cherchez du travail ou faites vos offres ?

e) Qui avez-vous reçu à votre table au cours de cette année ? de ce mois, de cette semaine ? Quel (quelle) solitaire ? Quel (s) enfant (s) sans père, sans parents, négligé (s) ? Quel vieillard ? Quel veuf ? Quelle veuve ? Quel étranger ?

f) Quel est votre ministère dans le cadre de votre communauté ou de votre paroisse ? Quel profit retire-t-elle de vos dons pratiques, artistiques, pédagogiques, musicaux ?

g) Quelles sont les œuvres moribondes de votre paroisse ? Doivent-elles être abandonnées ou périssent-elles faute d’ouvriers ? Dans quel secteur une rénovation du ministère d’entraide serait-elle nécessaire ? Les étrangers sont-ils vraiment accueillis, par exemple au culte du dimanche où dans les manifestations en semaine ?

Test :

Une personnalité d’un bourg important vient un jour trouver son pasteur. Paroissien dans la cinquantaine, il cumule un nombre important de fonctions. Ressentant la nécessité d’alléger son programme pour gagner en efficacité, il demande conseil : que garder, que supprimer ?

Tenant compte du fait qu’il a les charges suivantes, que lui conseillez-vous et selon quel critère ?

Citation :

Le Grec ne cherche pas à conquérir, mais à connaître le réel. Dans le domaine religieux, nous sommes souvent très Grecs. Il nous suffit de comprendre la vérité. Nous l’admettons plus que nous ne la vivons. Nos idées sont belles, notre connaissance précise, notre parole éloquente. Mais nos actes chrétiens restent parfois, sinon souvent, rudimentaires.

G. Charbonneau.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant