La tour Eiffel sur un seul pied ne tiendrait pas en l’air. La foi jugée sur un seul dogme ne tient pas debout. La résurrection, c’est la clef de voûte de l’édifice. Si elle n’était pas tenue par toute la poussée de toutes les autres pierres, elle s’écraserait par terre. Réfléchir sur la résurrection en détachant cette réflexion de l’ensemble du mystère chrétien, c’est non seulement se condamner à ne pas la comprendre, mais encore à ne plus rien comprendre du tout.
Pierre Talec, Les choses de la foi, p. 212.
Dans une chrétienté où l’enseignement a popularisé certains noms de la Bible, beaucoup d’interlocuteurs diraient sans doute devant la question posée :
— Lazare ? Attendez… Mais oui ! C’est cet homme mort que Jésus a ressuscité !
Vous trouverez rarement un interlocuteur ajoutant :
— Et puis. c’est aussi le nom donné par Jésus à un pauvre bougre, mort misérablement à la porte d’un mauvais riche, et réconforté dans l’au-delà.
N’est-il pas significatif que l’histoire de ce pauvre bougre soit moins connue que celle de Lazare sorti vivant du tombeau ?
Bien sûr, la scène de la résurrection à Béthanie est impressionnante. Mais elle ne l’est pas encore autant que l’ensemble des circonstances survenant chez « l’autre Lazare » après qu’il soit passé dans l’au-delà.
Serait-ce que, par penchant naturel, on aime à se souvenir de ce qui nous rassure (la résurrection) alors qu’on a hâte d’oublier ce qui pourrait contraindre à s’interroger (les conditions d’existence dans l’au-delà) ?
Un psychologue expliquerait que c’est sans doute la raison pour laquelle on retient facilement les détails de la résurrection opérée par Jésus à Béthanie, alors que l’histoire de Lazare et du mauvais riche ne s’inscrit guère dans les mémoires des gens qui l’ont lue. A supposer qu’il soit chrétien, ce psychologue ajouterait certainement : « Et cela est fort dommage ! »
Dans sa bouche, cette réflexion n’aurait rien d’une figure de rhétorique. En effet, l’oubli volontaire des nombreux détails du récit de l’Evangile selon saint Luc, au chapitre 16, ne peut être que préjudiciable. Car l’enseignement de ce texte est parmi les plus précis que donne l’Ecriture sur le sort des défunts.
Mais commençons par rafraichir toutes nos mémoires :
« Il y avait une fois un homme riche qui s’habillait des vêtements les plus fins et les plus coûteux et qui, chaque jour, vivait dans le luxe en faisant de bons repas. Un pauvre homme, appelé Lazare, couvert de plaies, se tenait couché devant la porte de la maison du riche. Il aurait bien voulu se nourrir des morceaux qui tombaient de la table du riche. De plus, même les chiens venaient lécher ses plaies. Le pauvre mourut et les anges le portèrent à côté d’Abraham, dans le ciel. Le riche mourut aussi et on l’enterra. Le riche souffrait beaucoup dans le lieu où sont les morts ; il leva les yeux et vit de loin Abraham et Lazare à côté de lui, Alors il s’écria : « Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare pour qu’il trempe le bout de son doigt dans de l’eau et rafraichisse ma langue, car je souffre beaucoup dans ce feu. » Mais Abraham dit : « Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu beaucoup de biens pendant ta vie, tandis que Lazare a eu beaucoup de malheurs. Maintenant, il reçoit ici sa consolation, tandis que toi tu souffres. De plus, il y a un profond abîme entre nous et vous ; ainsi, ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne le peuvent pas et l’on ne peut pas non plus parvenir vers nous de là où tu es. » Le riche dit : « je te prie donc, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père où j’ai cinq frères. Qu’il aille les avertir, afin qu’ils ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de souffrances. » Abraham répondit : « Tes frères ont Moïse et les prophètes pour les avertir : qu’ils les écoutent ! »
Le riche dit : « Cela ne suffit pas, père Abraham. Mais si quelqu’un revient de chez les morts et va les trouver, alors ils changeront de vie. » Mais Abraham dit : « S’ils ne veulent pas écouter Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si l’un des morts revenait à la vie. » 1
1 Luc 16.19-31.
Une véritable liberté de réflexion devant un texte comme celui-là nous oblige d’abord à répondre à la question qu’on ne manque pas de se poser :
Y a--il un rapport à établir entre le Lazare de ce récit (le riche, lui, n’a pas de nom) et le frère de Marthe et Marie que Jésus à appelé à sortir vivant du tombeau ? 2
Nous devons à la vérité de dire que nous n’en savons rien et que si ce rapprochement est possible, voire plausible, il reste discutable. Cependant, ce qui ne l’est pas, c’est que, selon l’Ecriture :
Jésus lui-même a ressuscité Lazare à Béthanie.
Jésus lui-même a raconté l’histoire de ce pauvre, abandonné de tous mais « secouru par Dieu » (ce que signifie en hébreu le mot Lazare).
Jésus lui-même a ressuscité Lazare de Béthanie et a donné le nom de cet ami au personnage dont il a raconté l’histoire extraordinaire.
Et ce qui n’est pas contestable non plus : Jésus lui-même, dans ce récit, fait parler et Abraham, et le riche, et le pauvre Lazare.
C’est pourquoi, récit ou parabole, avec ou sans rapprochement entre les deux Lazare, ce texte mérite vraiment toute notre attention.
Il y a d’abord les constatations que tout lecteur peut faire de lui-même.
Nous réapprenons ici que la mort de quelqu’un ne signifie pas son anéantissement. Il y a une suite, une autre forme d’existence, un « et après » pour tous les hommes. Ce que rappellent d’autres textes de l’Ecriture, tel celui-ci : « Tout homme est destiné à mourir une seule fois et, après cela, à être jugé par Dieu. » 3
On sait l’importance que peut prendre l’enterrement d’un riche, comparativement à l’absence de cérémonial lors de l’inhumation d’un pauvre dont personne n’aura même réclamé le corps. Le texte précise qu’il y eut ensevelissement du riche, sans donner aucun détail sur la solennité de la cérémonie, et peut-être des discours prononcés à cette occasion. Pour le pauvre, aucune mention d’aucun rite. Il n’est même pas question d’enterrement. On dirait volontiers : Ni fleurs, ni couronnes. Mais, c’est le « et après » qui réserve des surprises. En effet, le renversement des situations est total. Le riche est dans le tourment, tandis que le pauvre est dans un bonheur indicible. C’est que leurs conditions d’existence sont à l’inverse de ce que leur vie terrestre laissait supposer. Conclusion : il y a donc une appréciation des valeurs fort différente selon qu’on est mesuré à l’échelle humaine ou strictement divine. Ce que soulignent plusieurs paroles connues. Exemples : « Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers… L’orgueil mène l’homme à l’abaissement mais l’humilité d’esprit le conduit à la gloire… Il a élevé les humbles et comblé de biens les affamés… » 4
Autre constatation intéressante : la condition d’existence après le décès n’est pas la même pour tous. Littéralement, il y a deux lieux fort différents, suivant que le choix opéré durant notre vie terrestre a fait de nous un serviteur ou un exploiteur du prochain, un homme attentif ou indifférent à la misère d’autrui. Et cela aussi trouve sa confirmation bien ailleurs dans l’Ecriture, qui parle de la « route large » et du « chemin étroit », de « l’ivraie » et du « bon grain », des « boucs » et des « brebis », des « enfants de ténèbres » et des « enfants de lumière », et qui ne connait pas d’état intermédiaire sinon pour le décrier sans ménagement : « Je vomirai les tièdes de ma bouche ». 5
Mais la plus importante des remarques à retenir, c’est que, selon cette histoire, le sort éternel d’un homme se trouve arrêté à l’heure de son décès. En effet, quand le riche découvre sa douloureuse condition, il sollicite la possibilité d’y apporter un changement. La réponse est nette : Il a eu le temps et l’occasion de choisir une vie au service de Dieu et du prochain. Il les a dédaignés constamment. Son option est devenue dès lors irréversible. C’est là le sens du mot « abîme » par lequel, dans cette histoire, Jésus caractérise la nette séparation définitivement intervenue entre les deux lieux qui accueillent, l’un les perdus, l’autre les graciés.
Cet aspect de la révélation explique du reste les appels répétés des apôtres dans les évangiles et les épitres, appels adressés d’abord aux ignorants, puis aux indécis risquant peu à peu de devenir des endurcis. L’aujourd’hui de Dieu, un aujourd’hui de grâce et de liberté d’option, débouche brusquement ou progressivement sur un demain où ce pourrait être trop tard de choisir.
Ce « trop tard » est d’ailleurs le leitmotiv du dialogue qui s’engage entre le riche et Abraham, Il y a quelques raisons de s’y intéresser. En effet, si au plan de la théologie, et surtout de la prédication de ce XXe siècle, l’enfer n’est plus une menace brandie, s’il a même quasi disparu du vocabulaire et de l’enseignement de la plupart des catéchètes, serait-ce à dire qu’il n’existe pas ? Il fut une époque où l’Eglise, plus intéressée à régner qu’à servir, usait de la menace de l’enfer comme d’un moyen de contrainte. Impressionnés — à moins que ce ne soit pour plaire à cette Eglise — les peintres et les sculpteurs s’ingénièrent à représenter l’enfer, jusqu’à l’infantile et le ridicule. Leur description tenait davantage de la morbidité que de la vérité évangélique. Hélas ! La réaction contemporaine n’est pas de meilleur aloi. Nier l’enfer, ce n’est pas le supprimer. De plus, c’est en prendre à son aise avec la vérité de la parole biblique dans son ensemble et de la parole du Christ en particulier. Certes, comme souvent dans son enseignement, Jésus ne nous décrit pas la chose, il nous la rend évidente par l’histoire d’individus qui se tiennent sur le chemin de la perdition ou qui, à l’instar du riche, ont déjà franchi la porte menant à l’enfer. Dans la Bible, comme dans la réalité contemporaine, ne manquent pas les figures ou les vies d’hommes évocatrices de la damnation !
Soulignons-le en passant : ce texte de Luc ne cède pas au sensationnel quand il évoque les tourments de l’enfer. Au contraire, tout est dit avec une grande sobriété, mais aussi une implacable clarté.
« Dans le séjour des morts, il leva les yeux. »
Chez le Juif fidèle et pieux, ce regard « élevé » accompagnait ses dévotions trois fois par jour au moins. Or, dans la condition qui avait été jusqu’ici celle du riche, le rythme de son train de vie ne lui laissait guère de loisirs pour de tels gestes de piété. Et puis, il n’avait ni la pensée, ni l’intention de rendre grâces, et encore moins de recourir à la miséricorde de Dieu. Du reste, dans l’existence terrestre du commun des hommes, il est parfaite- ment réalisable de passer sa vie entière sans lever les yeux plus haut que la ligne d’horizon.
Mais là, brusquement plongé dans la réalité qu’il avait volontairement ignorée, au sens propre et tragique, il est au plus bas. « Il leva les yeux » (le moyen de faire autrement).
C’était fort bien, mais c’était trop tard.
A supposer en outre que durant sa vie, la pensée lui soit venue de prier Dieu, jamais il n’aurait ouvert la bouche pour confesser son indignité. Elle était si bien habillée, si confortablement nourrie, qu’elle était voilée à ses propres yeux.
Mais là, brusquement découvert dans sa véritable identité, il exhale un « miserere » : « Père Abraham, aie pitié de moi ».
C’est fort bien, mais c’est trop tard.
La solidarité humaine est l’abc de la vérité juive et chrétienne. D’où les exhortations d’avoir à partager, à s’entraider, à secourir. A côté de beaucoup d’heureuses possibilités qu’offre son usage, l’argent ternit les relations humaines, jusqu’à tuer le sens de la solidarité. C’est ainsi qu’un Lazare moribond a pu lentement périr à la porte de ce riche sans que celui-ci l’ait jamais remarqué.
Mais là, brusquement placé à son tour dans la misère d’une condition où l’argent n’a plus cours, il découvre que Lazare est aussi un homme, et qu’il pourrait lui rendre service : « Envoie Lazare ».
C’est très bien, le sens du prochain solidaire, mais c’est trop tard.
L’Evangile, dans notre misérable condition humaine, c’est l’écoute émerveillée de la parole salutaire : Christ vient nous donner effectivement le salut. Mais, ce salut est rarement accessible aux nantis. Car l’aisance donne des sécurités telles que l’homme apprend constamment à ne compter que sur lui-même et sur les largesses que ses propres biens lui permettent de s’octroyer. C’est pourquoi le riche en intelligence, en habileté, en santé, en moyens matériels, se rassure facilement : « Moi, dit-il, je n’ai pas besoin de l’Evangile. Que les faibles s’en réclament si ça leur fait plaisir. Au reste, pourquoi cet Evangile devrait-il retenir notre attention ? Et qui nous dit qu’il est vrai, que ce qu’il raconte n’est pas pure invention ? Ils se font passer pour témoins et missionnaires ! Allons donc ! Balivernes que tout cela !… » Et brusquement, voilà notre riche découvrant que l’Evangile dit vrai ; que la perdition et le salut sont de réelles situations entre lesquelles, pendant qu’il est temps, nous aurions à nous décider. Cette fois, il est convaincu. Plus que cela, il est saisi d’un zèle ardent : « Je te prie donc, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père : car j’ai cinq frères. C’est pour qu’il leur atteste ces choses… » Il se découvre là, soudain, une vocation missionnaire.
C’est émouvant. Mais c’est trop tard.
Trop tard ! Caractérisée par ces deux simples mots, cette évocation en dit plus, et plus utilement, que toutes les descriptions colorées de l’enfer. Ces deux mots donnent aussi un contenu à quelques-unes des autres expressions par lesquelles Jésus décrit la perdition : « porte fermée ; lieu de ténèbres… de souffrances… de pleurs… de grincements de dents… d’un feu qui ne s’éteint point… »
Certes, une telle découverte n’est pas recevable immédiatement et laisse la place à beaucoup de questions. Disons-le clairement : l’occasion de les poser, d’y réfléchir une bonne fois et un peu sérieusement est trop importante pour que nous la laissions passer. Si nos lecteurs nous ont suivis jusqu’ici, vont-ils se cabrer comme des chevaux devant un obstacle ? En effet, de vraies questions se posent qui, dans les pages suivantes, ne recevront pas réponse définitive, mais seront néanmoins éclairées d’éléments d’un savoir suffisant pour choisir en connaissance de cause. En Christ et par l’Ecriture, Dieu ne nous a pas tout révélé. Avec abondance cependant, il nous a donné ce qu’il était nécessaire que nous sachions absolument pour hériter d’une vie victorieuse de la mort et engagée sur le chemin de l’éternité.
Mais revenons à notre récit. On y entend encore et toujours la voix du riche. Il dit — et cela nous intéresse — : « J’ai cinq frères… ». A notre tour, prenons le temps de nous en préoccuper et de les imaginer comme cinq types de réactions possibles à l’annonce du sort éternel de leur « cher disparu ».
« On ira tous au paradis. » C’est le titre d’un tube de Michel Polnareff. Dans le contexte de notre réflexion, il vaut la peine de prêter l’oreille aux paroles de ce nouvel évangile :
« On ira tous au paradis
Même moi !
Qu’on soit béni
Ou qu’on soit maudit
On ira…
Toutes les bonnes sœurs,
Tous les voleurs,
Toutes les brebis,
Et tous les bandits,
On ira tous au paradis.
Avec les saints
Et les assassins,
Les femmes du monde
Et puis les putains,
On ira tous au paradis.
Ne crois pas ce que les gens disent :
C’est ton cœur qu’est le seuil de l’église.
Laisse un peu de vague à ton âme,
N’aie pas peur de la couleur des flammes
De l’enfer.
Qu’on croie en Dieu ou qu’on n’y croie pas
On ira.
Qu’on ait fait le bien ou bien le mal
On sera tous invité au bal
On ira tous au paradis.
Avec les chrétiens
Avec les païens
Et même les chiens
Et même les requins.
On ira tous au paradis ! »
Ne crions surtout pas au scandale ! Comme la peinture, la chanson est un des meilleurs reflets des pensées et de l’état d’esprit des gens. A l’enseigne de notre époque affairée, la mort est une sorte de dévaloir.
Or, dans le subconscient hérité dune chrétienté finissante, les pasteurs et les curés, comme les croque-morts, sont un peu les concierges affectés au service du dévaloir humain. Charge à eux de récupérer ce qui, religion ou superstition, pourrait être utilisable à cette extrémité. Dieu ne fera pas le difficile. S’il existe, ce ne peut être que le Bon Dieu. On dit qu’il est amour : son métier est donc de pardonner. On dit qu’il fait grâce : donc il effacera tout. Au reste, avec tout ce qu’on s’est vu subir en ce monde, il nous doit bien ça ! Mais oui ! Si Dieu existe, on ira tous au paradis. Tout ne finit-il pas par des chansons ? Mais tant qu’à parler de chansons, le talent d’un Polnareff ne peut compenser la fragilité de sa folle espérance. Elle est du reste minée par un doute significatif :
« Ne crois pas ce que les gens disent :
C’est ton cœur* qu’est le seuil de l’église. »
(* c’est nous qui soulignons)
Où l’Evangile ne va-t-il pas se loger ! Etonnant, non ? Car c’est l’Evangile ! Là où il n’y a que la tête, que le savoir, que la théorie, les belles paroles, les bonnes intentions, là où il n’y a pas le cœur, là où « le cœur n’y est pas » parce qu’il n’a connu ni repentance, ni conversion, ni régénération, ni sanctification, manque le seuil. Donc on n’entre pas. Ni dans l’église. Ni dans le paradis.
Pitié pour tous ceux qui en sont là.
« Envoie Lazare. » En soi, ce zèle missionnaire correspond à une vue intelligente de la situation. Deux mille ans plus tard, elle est celle à laquelle nous sommes encore et toujours confrontés.
A défaut d’envoyer Lazare, quelles escouades de serviteurs et de porte-parole, avant et après son Fils bien-aimé, Dieu n’a-t-il pas envoyés ? Jusqu’aux deux rédacteurs de ces pages qui ne les ont écrites que par simple obéissance. Tous ils nous supplient de ne pas laisser du « vague à notre âme » sans, pour autant, jouer systématiquement la carte de la peur ou la couleur des flammes de l’enfer. Preuve en soit ce qu’en dit Pierre Talec 6 :
6 Les choses de la foi, p. 34.
« Ce n’est pas être rabat-joie que de s’interroger sur la validité de ce grand billet collectif à destination Paradis. Polnareff philanthropique a-t-il un jour enlevé ses lunettes noires ? Se rend-il compte que, sans le vouloir, il ravale l’homme à n’être qu’un matricule heureux ? Que vous soyez « requin, chien, putain, assassin ou bonne sœur », et quoi que vous fassiez, c’est du pareil au même !
» On ira tous au paradis ! Si cela veut dire que notre vie présente n’a aucune importance, aucun sens, aucune valeur, je préfère ne pas y aller.
» Celui qui a fait cette chanson et tous ceux qui la fredonnent n’iront pas voir si loin, bien sûr. Mais si l’on veut saisir ce que signifie le jugement de Dieu, il faut peut-être rappeler tout d’abord le prix de la vie : la manière dont je prends ma vie en charge ne laisse pas Dieu indifférent.
» Croire en Dieu-Juge, c’est commencer à croire à la valeur de ses actes. Croire en Dieu-Juge, c’est croire que Dieu reconnaît chaque homme de manière unique. Croire en Dieu-Juge, c’est s’ouvrir à la Miséricorde qui nous surprendra tellement par son humour que nous chanterons en un seul chœur : « On est bien tous ensemble au paradis ! » En attendant, personne n’est dispensé d’avoir un peu de jugement. »
Les absents ont-ils vraiment tort ? C’est la question venue à l’esprit de ce deuxième frère, à l’ouïe des révélations de cette page de l’évangile de Luc (chap. 16).
— « Cette histoire ne tient pas debout, et votre chemin de perdition est décidément une avenue bien mal tracée. L’enfer, dites-vous ? Est-il admissible qu’une telle perspective soit le lot des humains, alors que la grande majorité d’entre eux, leur vie durant et sans qu’ils puissent en être tenus pour responsables, ignorent tout de l’Evangile, soit qu’ils n’aient jamais eu l’occasion de le lire ou de l’entendre, soit qu’il ne leur ait jamais été clairement annoncé ? Ne serait-ce qu’à cause de cela, si vraiment à l’enseigne de l’éternité les absents ont toujours tort et que ceux qui ont eu ce tort sont à toujours absents, il faudrait dénier à Dieu toute justice et toute bonté ! »
On aimerait bien que cette protestation soit d’abord un dard acéré pénétrant, telle la parole, jusqu’à la division de la moelle et des os 7 des chrétiens infidèles à leur première vocation. Il faut le reconnaître : une trop grande majorité de ceux qui se disent chrétiens, en effet, se taisent, n’ont ni témoignage, ni rayonnement, ni intérêt pour l’évangélisation et la mission. A croire qu’eux aussi ignorent tout du chemin de la perdition sur lequel s’avance une humanité plus ignorante qu’incrédule. Il est juste de préciser : ils en rendront compte devant Dieu 8.
7 Hébreux 4.12.
Quant à la question légitime du sort éternel de ceux qui n’ont jamais entendu la parole salutaire, elle trouve sa réponse dans deux aspects de la révélation.
Si l’œuvre de proclamation de l’Evangile incombe entièrement à la responsabilité des chrétiens, le jugement final appartient à Dieu seul. Sa justice n’a d’égal que son amour. Laissons-le donc décider du sort éternel de ceux qui n’ont jamais été réellement mis devant le salut offert en Jésus-Christ.
Par ailleurs, un texte de l’épitre aux Romains répond lui aussi à la question posée. « Certains hommes n’ont jamais eu connaissance de la loi (de Moïse). S’ils commettent le mal, ils périront sans qu’elle intervienne dans leur jugement… Les peuples païens, qui n’ont pas la foi, en observent souvent naturellement les préceptes. Ils obéissent aux impératifs de leur sens moral. Ils démontrent par leur comportement que l’essence de la loi est gravée dans leur cœur. Leur conscience et leur discernement moral en témoignent… Tout cela paraîtra en pleine lumière le jour où, conformément à l’Evangile que je prêche, Dieu lèvera le voile sur la vie secrète des hommes et la jugera. » 9
Si cette parole devait impressionner notre interlocuteur et que, pour éviter d’avoir à y réfléchir, il cherche comment la contredire, nous aimerions ajouter à son intention :
— De telles réactions sont honorables. Maintenant que nous voilà mieux éclairés, saurons-nous en tirer de justes conclusions ? C’est très bien d’argumenter sur le sort éternel des incroyants. S’ils le sont encore — la foi venant de ce qu’on entend — c’est qu’ils n’ont pas été évangélisés. Si leur avenir éternel est vraiment préoccupant, la justice et la bonté qu’on exige de Dieu ne devraient-elles pas nous atteindre, nous les tout premiers, et susciter un témoignage rayonnant, authentique, éclairant, communicatif, efficace, donc marqué du sceau de l’Esprit de vérité, de telle manière que les païens passent du chemin large qui mène à la perdition au chemin étroit qui mène au salut ? Ou alors, s’ils en refusent l’offre, qu’ils aient à en assumer, eux, l’entière responsabilité. 10
10 Ezéchiel 33.7-9.
Ce troisième interlocuteur, refermant l’Evangile ouvert au chapitre 16 de Luc, rétorquera peut-être :
— « J’ai mieux aimé le visiteur précédent ! Lui, au moins, parlait du ciel. Tenez ! Il y a encore sur ma table le tract illustré qu’il m’a laissé. Son paradis est tout en couleurs. style chalet suisse avec géraniums ! Alors, si votre enfer est de la même architecture que votre paradis, merci beaucoup. Je ne veux ni de l’un ni de l’autre. Pas sérieux s’abstenir ! »
C’est vrai qu’à entendre une certaine phraséologie, prétendument chrétienne, évoquer le ciel, on aurait facilement l’impression que ses auteurs ont en mains l’album de l’ensemblier, le prospectus du paysagiste, quand encore ils n’ont pas endossé la veste du pâtissier. A quoi ressemble leur ciel ramené « à niveau de terre » ? « A un palace doré pour riches désabusés, tuant l’éternité à défaut du temps » 11, Mais prenons garde. Il est facile de se moquer des formes que les naïfs donnent à l’enfer ou au paradis. On courrait le risque d’être, sur ce point, plus royaliste que le roi, plus spiritualiste que Dieu lui-même. Car le paradis existe, si nous entendons par là, non plus ce qu’il nous plait d’imaginer sous ce mot, mais ce que Dieu nous en dit, sous des appellations diverses, par le Christ des Ecritures.
11 Pierre Talec : Les choses de la foi. Ed. du Centurion.
Certes, « il est plus difficile de parler du ciel que de tout autre sujet. Par excellence, ce sont les choses célestes que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues et qui ne sont point montées au cœur de l’homme »12. Ainsi, ne soyons pas surpris que la Bible, pour nous décrire le ciel, soit limitée par des images et des termes de notre pauvre langue humaine, tandis que, de notre côté, nous ne puissions qu’entrevoir la gloire des réalités éternelles 13.
12 L’Au-delà, R. Pache, Ed. Emmaüs.
On dit que traduire, c’est trahir. Il y a des essais maladroits de vulgarisation de la vérité chrétienne quant au paradis. Il y a des approximations qui témoignent partiellement de la vérité. Parlant à ses disciples du royaume à venir, Jésus lui-même a choisi l’image d’une maison 14 :
14 Jean 14.2-3.
« Il y a beaucoup d’endroits où demeurer dans la maison de mon Père et je vais vous préparer une place. » Et prenant de vitesse ceux qui n’y verraient qu’une comparaison, il prend soin d’ajouter : « Je ne vous l’aurais pas dit si ce n’était pas vrai. »
Une maison ! La maison du Père…
Y a-t-il mot plus riche que celui-là ? La maison ! Dans l’ordre des choses telles que Dieu les veut, n’est-ce pas le lieu où nous sommes aimés, chéris, choyés, compris, pardonnés, soutenus, comblés de toutes manières ? N’est-ce pas le lieu où nous sommes attendus, où nous retrouvons ceux que nous aimons et qu’il nous languit de revoir ? Qu’y a-t-il de plus tenace, de plus désirable dans nos souvenirs que certaines présences et certains bruits familiers de la maison : mari, épouse, père, mère, frère, sœur, parents, famille, voisins, mobilier, et nourriture communautaire, table, lampe, vin, pain, ambiance, sentiments partagés, amour, joie, vie, tous unis, tous ensemble, tous présents, chant, musique, parfum, danse, fête. N’est-ce pas tout cela, la maison ?
Heureux celui qui prendra son repas dans le royaume de Dieu. 15
15 Luc 14.15.
« Oui à la vie… » disent aujourd’hui les contestataires de la liberté infanticide appelée aussi décriminalisation de l’avortement.
Notre intention n’est pas ici de dialoguer avec ceux qui admettent de tuer, avant sa naissance, l’homme qui a été conçu, mais, à l’autre bout du chemin, de rejoindre ceux qui veulent tuer l’homme après qu’il soit mort. Car, chose étonnante, s’ils sont fort nombreux ceux qui en veulent à l’homme d’exister et, de mille manières, s’ingénient à le détruire, fort nombreux aussi sont ceux qui, après que l’homme soit mort, lui en veulent de croire qu’il ressuscite. Et ils ne se cachent pas pour le lui dire. Au besoin, ils le lui crient publiquement. Pierre Talec 16 nous transmet la fiche de signalement de l’un d’eux :
16 Pierre Talec : Les choses de la foi. Ed. du Centurion.
« Si l’on écoute les dernières chansons du désenchanté Léo Ferré qui gueule à tue-tête « ni Dieu, ni maitre », on ne peut pas ne pas être pris par sa panique devant le « rien » d’un monde qui fait dans son « froc ». Devant la défroque de l’homme à la mort, il vocifère ce « tripal » espoir : « mourir à rien et vivre à tout ». Il a besoin de tout son coffre, de la fracasserie du micro, et de la frénésie de l’Olympia un samedi soir pour clamer un futur dérisoire dans lequel finalement on n’ose pas croire. « Dans dix mille ans, on sera tout », chante-t-il. Dix mille ans. Dix mille siècles. Ce n’est pas l’avenir, seulement un bout de temps. Croire au futur, c’est la foi de l’incroyant. »
Cette incroyance, le quatrième frère de l’homme riche ne l’affiche pas nécessairement avec un arrière-plan de panique. Ses propos peuvent au contraire avoir la lucidité tranquille d’un homme qui a fait le tour de la question et qui, en bonne logique, a conclu qu’au-delà de ce qu’on voit, il y a le vide comme dans l’infini de l’univers. Et à l’appui de sa constatation, il y a un raisonnement fondé sur une simple déduction arithmétique :
— Vous voudriez m’amener à croire, ou bien qu’on n’en a jamais fini de mourir, ou bien qu’on n’en a jamais fini de vivre ! Allons donc ! La mort, c’est la mort. Et tout ce qu’on y ajoute n’est que le fruit d’une imagination angoissée à l’idée du néant. Bien sûr, vous me direz que ma foi d’incroyant est encore et aussi une sorte de foi, et que je ne suis pas plus fondé à nier la résurrection possible que vous ne l’êtes à dire, vous, qu’elle nous attend tous. Mais à supposer que vous ayez raison, avez-vous réfléchi à ce qui arriverait ? Nous étions un milliard et demi au début de ce siècle. Nous sommes trois milliards aujourd’hui. A moins d’une catastrophe possible, nous serons six milliards en l’an 2000. Et il y a eu tous les siècles qui nous précèdent. Imaginez que tous ressuscitent. Dans votre royaume, où allez-vous les mettre tous vos morts redevenus vivants ?
Cette réflexion pourrait être tenue pour simpliste et justifier la cinglante réponse d’un Louis Evely 17 :
17 Louis Evely : C’est toi cet homme. Ed. Universitaire.
« Cessons d’imaginer le ciel comme un refuge ou un asile, un superpavillon de vacances bien isolé derrière un massif d’astres où Dieu trônerait avec tous les ex-chrétiens retirés des affaires de ce bas-monde. Dieu ne préside pas « là-haut » une assemblée de retraités canonisés, et il ne faut pas nous attendre, sitôt poussé notre dernier soupir, à n’avoir plus rien d’autre à faire que d’astiquer nos auréoles ! »
Mais la réflexion de ce quatrième frère pourrait être en soi une intéressante question, posée par un homme qui, loin de refuser le dialogue, veut au contraire nous entrainer sur le terrain où il achoppe. Sa remarque trouve en effet beaucoup d’écho, tellement même qu’en son temps l’apôtre Paul a jugé utile de répondre à une telle objection. Il y a consacré ce qu’on pourrait appeler le plus long chapitre de toutes ses épitres. Nous n’en citons ici qu’un passage 18 :
18 1 Corinthiens 15.12 et 35 à 50. Version « Lettres pour notre temps » de A. Kuen. Ed. Ligue pour la lecture de la Bible.
« Si la résurrection du Christ constitue l’essence même de notre prédication, comment quelques-uns parmi vous peuvent-ils prétendre qu’il n’existe pas de résurrection des morts ?… Mais, demandera peut-être quelqu’un, comment des morts peuvent-ils revenir à la vie ? Sous quelle forme ressusciteront-ils ? Avec quel corps reparaîtront-ils ? Sotte question ! Réfléchissez (à ce qui se passe dans la nature) : ce que vous semez ne peut s’épanouir en une vie nouvelle qu’après avoir traversé la mort. Lorsque vous faites vos semailles, vous ne mettez pas en terre la plante telle qu’elle doit en ressortir, mais une simple graine, un grain de blé par exemple ou quelque autre semence. Et Dieu fait croître cela et lui donne la forme qu’il veut, selon son plan. A chaque semence, il donne la forme qui lui est propre, selon son espèce. Il en est de même dans le règne animal. Tous les êtres vivants n’ont pas la même chair : celle des hommes diffère de celle des animaux, autre est la chair des oiseaux et autre celle des poissons. De même, nous distinguons des corps célestes (soleil, lune, étoiles) et des corps terrestres (hommes, animaux, plantes) : chacun a son aspect et sa beauté propres. L’éclat du soleil est différent de celui de la lune, et différent est encore le rayonnement des étoiles. Chaque étoile même brille d’un éclat particulier. Il en va de même pour la résurrection des morts ; lorsque le corps est porté en terre, c’est comme des semailles ; semé dans un état corruptible, il ressuscite incorruptible ; semé humble et sans apparence, dans le mépris et le déshonneur, il ressuscite rayonnant de beauté et de gloire : semé dans l’infirmité, la maladie et la faiblesse, il ressuscite sain et vigoureux. Ce qu’on enterre, c’est un corps gouverné par les facultés psychiques (pensées, sentiments, volonté), ce qui revit, c’est un corps spirituel, régi par l’Esprit de Dieu. Aussi vrai qu’il existe un corps dominé par la vie de l’âme, il existe aussi un corps animé par l’Esprit. C’est bien ce que nous lisons dans l’Ecriture : « Le premier homme (Adam) fut créé âme vivante ». Le second Adam (Christ) est « un esprit créateur de vie ». Remarquez l’ordre de succession (chronologique) : ce n’est pas le spirituel qui vient en premier lieu, c’est le psychique : l’esprit ne vient qu’ensuite. Le premier homme, forme tirée de la poussière de la terre, était par conséquent terrestre. Le « second homme » est d’origine céleste, c’est le Seigneur du ciel. Or, tous les « enfants de la terre » portent la ressemblance de celui qui fut, le premier, tiré de la poussière du sol, tous ils sont taillés sur le modèle du premier Adam — donc terrestres, De même aussi, les « enfants du ciel » portent en eux les caractères de l’Homme venu du ciel. Et comme nous avons reproduit les traits de l’homme terrestre, nous reproduirons aussi l’image du Christ céleste, Cependant, frères, je puis vous assurer d’une chose, c’est que nos corps actuels, ces corps de chair et de sang, ne sauraient accéder au Royaume de Dieu : ce qui est corruptible et passager ne peut avoir part à l’immortalité. »
Il faut souligner l’aspect essentiel de ce que Paul affirme ici et que, par souci d’être entendu et compris, il illustre au moyen de comparaisons tirées de faits observables.
L’homme ressuscité n’est pas une reconstitution matérielle de l’homme décédé, pas plus que le chêne n’est la reconstitution du gland en dissolution sous l’action conjuguée de l’humidité et de la chaleur de la terre.
Selon l’ordre du Créateur, que ce soit dans le monde végétal ou dans le monde animal, chaque semence reçoit, lié à la vie qui l’habite, un corps qui lui est propre et qui se dégage de l’enveloppe où il est momentanément enfermé, Ainsi de la résurrection de l’homme. Et la diversité de la création naturelle, minérale, végétale ou animale, sans parler de la diversité des astres ou corps célestes, n’est qu’un témoignage de cette puissance que Dieu manifeste à notre résurrection.
Loin d’être une réapparition du défunt, l’homme relevé d’entre les morts sera un homme véritablement nouveau, puisque « exempt des atteintes de la maladie », du « déclin de la mort », puisque « affranchi des infirmités journalières du corps actuel et tout rayonnant de l’éclat de la vie parfaite », puisque « doué d’une puissance d’action illimitée ». Et Frédéric Godet, que nous citons, commente ainsi l’aspect de ce nouvel homme :
« Son corps spirituel ne sera jamais ce qu’est si souvent le corps terrestre pour l’âme qui l’habite : un fardeau et une entrave. Il sera son docile instrument, accomplissant ses volontés et ses pensées avec une puissance d’action inépuisable. »
Mais il est tout aussi important de remarquer que cet homme ressuscité ne sera pas non plus une créature tellement nouvelle qu’elle serait sans rapport avec l’humanité dont elle est issue. Comme le dit encore l’exégète cité, « en ce cas, il ne faudrait plus parler de résurrection. En réalité, la mort ne serait pas vaincue : elle garderait sa proie. Dieu ferait simplement quelque chose de nouveau à côté d’elle ».
…
Citons une dernière fois Frédéric Godet, Par un exemple, il répond à l’homme justement préoccupé de ce que pourrait être la matière spiritualisée :
« Considérez l’œil de l’homme, ce vivant miroir dans lequel s’expriment d’une manière si vive et si puissante toutes les émotions de l’âme. Ce sont là de simples préludes de la gloire d’un corps ressuscité. »
C’est pourquoi, ce « oui à la vie », nous le prononçons une fois encore devant ce quatrième frère, mais pas devant lui seulement. A cause du Christ ressuscité, nous inscririons volontiers ce « oui à la vie » en lettres d’or et de feu, sur la porte d’entrée de beaucoup de maisons de chez nous, et jusque sur le porche de la dernière demeure qui nous accueille à ciel ouvert et qu’on appelle un cimetière. Il y remplacerait avantageusement le « Repose en paix » (R.I.P.) qu’une certaine chrétienté a cru devoir adopter.
L’adage est connu : Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre.
Effectivement, parler avec ce cinquième frère, mais surtout se faire entendre de lui, est une véritable gageure !
Pourquoi ? Parce qu’à l’encontre des quatre premiers, il n’est pas homme à nous contredire. Non ! Au contraire, il est d’accord. il approuve, il dit qu’il sait déjà et qu’il est pleinement rassuré. Il vit, lui, dans l’attente du ciel.
A la fois étonné de cette confession, mais aussi un peu intrigué du vocabulaire qui l’exprime, vous demandez à connaitre mieux les certitudes et l’espérance dont parle votre interlocuteur. Avec surprise, vous découvrez que cet homme ne parle pas de résurrection, mais de survie. Il n’a aucune crainte de la mort. Elle n’est qu’une étape dans l’évolution dont le terminus est « l’immortalité que nous avons déjà en partage ». Il a compris, dès longtemps, que « la vraie demeure, c’est là-haut ». C’est pourquoi, il vit ici-bas, détourné du monde, détaché de tout ce qui pourrait troubler sa paix. Bien sûr, il y a les nécessités de cette vie. Il faut bien s’y soumettre. Dans la gratitude, il savoure les bontés de Dieu. Assuré que Dieu est juste, il accepte aussi toutes les vicissitudes, il y voit un appel à ne pas s’attarder dans son voyage vers l’éternité…
Quelle lamentable confusion ! Quel effroyable malentendu, dénoncé par ces réflexions de R. de Pury 19 :
19 R de Pury : Aux sources de la liberté. Ed. Labor & Fides,
« Le tentateur soufflait à nos premiers parents : « Vous ne mourrez pas… vous serez des dieux ». Un dieu, ça ne meurt pas, en effet. C’est tentant. Pourquoi ne pas être un dieu ? un immortel ? Ainsi, pour donner prise à sa promesse et endormir sa victime, le mystificateur divise l’homme et le persuade qu’une partie de lui-même survit à la mort et qu’il est comme un dieu. »
Même s’il ne s’en rend pas compte, ce cinquième frère est un mystifié. Peut- être ne connait-il pas la philosophie ancienne et sa culture s’est-elle orientée vers des intérêts plus pragmatiques. Le fait est que sa croyance et sa tranquillité d’âme le rangent au nombre… des païens parmi les plus difficiles à atteindre. Ils professent le contraire de la vérité et ils ont l’assurance qu’ils sont dans le vrai. A la manière des auditeurs de l’apôtre Paul sur l’aréopage d’Athènes, ce frère dirait volontiers : « Vous me faites entendre des choses étranges ». C’est qu’il ne se doute pas que l’Evangile contredit absolument tout ce qu’il croit, et qu’il puise, sans le savoir, non dans la vérité biblique, mais dans la philosophie grecque et peut-être aussi un peu orientale. En effet, pour les Grecs contemporains de Paul, comme pour beaucoup de spiritualistes chrétiens d’aujourd’hui, l’enseignement de la sagesse lié à la recherche du vrai, du juste, du beau et du bien libérerait cette âme de l’emprise du monde et la préparerait aux félicités éternelles.
Or, si vous ouvrez la Bible, vous chercherez en vain une seule parole à l’appui d’une telle croyance.
D’abord, l’âme n’est pas d’essence divine. Ou alors si l’on entendait par là qu’elle fût créée par Dieu, l’esprit et le corps le seraient autant qu’elle. Ensuite, admettre que l’âme ait préexisté à sa naissance sur la terre et qu’à l’occasion de cette naissance, elle épouse un corps matériel qui lui est étranger, c’est absolument contredire l’Ecriture. Nous ne sommes nullement, par rapport à Dieu, ce qu’est un rayon de lumière par rapport au soleil. Nous sommes des créatures créées par Dieu, avec une nature humaine et non pas divine.
Outre les oppositions fondamentales relevées ici, il y aurait aussi à remarquer qu’une telle spiritualité n’est qu’un effort de l’homme et de ses œuvres pour gagner personnellement le ciel. Elle nie la réalité de la mort, salaire du péché. Elle nie la réalité de l’expiation accomplie par le Christ crucifié. Elle nie la réalité de la résurrection, signe de victoire sur Satan, le mal et la mort. Elle nie aussi la réalité d’un jugement à venir qui, selon l’Ecriture. verra le châtiment de tous ceux qui, par orgueil et incrédulité, ont refusé le salut.
Citons encore R. de Pury :
« Si l’âme est immortelle, elle n’est pas créée. Elle est une émanation de la divinité, elle « procède » de Dieu (comme il est dit du Saint-Esprit), elle est étincelle divine tombée dans la chair. La chute n’est pas la chute de l’homme, maïs la chute d’un dieu dans l’homme… Et si je ne suis pas identique à mon corps, si mon corps et mon âme peuvent être séparés, si mon corps est un costume de théâtre interchangeable et qu’il m’est donc loisible de jouer plusieurs rôles successifs, soit ! Dès l’instant que nous ignorons où tournons le dos à l’événement de Pâques, c’est-à-dire la révélation de l’identité corporelle du Crucifié et du Ressuscité, nous trahissons l’ensemble du témoignage biblique… »
En conclusion, il y aurait deux importantes questions à se poser :
La première : Ce cinquième frère n’a-t-il pas beaucoup de frères ?
Et la deuxième : N’est-ce pas à eux, entre autres, que pensait le Christ quand, dans le sermon sur la montagne, il avertit solennellement ceux qui l’écoutent :
« Ce ne sont pas tous ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux, mais seulement ceux qui font ce que veut mon Père qui est dans les cieux, Quand viendra ce jour-là, beaucoup me diront : « Seigneur, Seigneur, nous avons annoncé en ton nom des messages reçus de Dieu… » Alors je leur déclarerai : « Je ne vous ai jamais connus ; éloignez-vous de moi, vous qui commettez le mal. » ! 20
20 Matthieu 7.21-23.
Une dernière citation 21 :
21 R. de Pury : Aux sources de la liberté, p. 107. Ed. Labor & Fides.
« A l’encontre de toutes les religions, les psalmistes, les prophètes, les sages, tous les témoins de l’Ancien Testament sont unanimes : la mort ne conduit nulle part, et surtout pas à Dieu. Elle n’est pas un lieu de communion, mais de séparation. Elle n’est pas retour, mais abandon. Elle n’est pas une issue, mais une fosse. S’il existe un Dieu vivant, un Dieu qui parle, c’est avant de mourir qu’il faut le rencontrer, l’entendre et le servir. C’est ici et maintenant qu’il parle. C’est avant la mort qu’il délivre de la mort, et non après. Après, c’est terminé. La mort n’est pas la sortie d’un tunnel, à moins que les morts ne disent avec Hémey (Curriculum vitae) : « Quand je suis sorti du tunnel, il faisait nuit… »
» Le salut n’est pas la survivance d’une partie de l’homme. En ce sens, il n’y a pas de salut au-delà de la mort, mais seulement en deçà, dans la mesure où l’homme entier est arraché à la mort. C’est une marche arrière : « O toi, qui m’as fait remonter des portes de la mort », dit le psalmiste. »
Le cinquième frère saisira-t-il ?
Il est cependant écrit : « Les oreilles des sourds s’ouvriront » 22.
22 Esaïe 35.5.
Encore deux brèves remarques :
La première…
Ces cinq frères ont entre eux un dénominateur véritablement commun : ils tournent le dos à toutes préoccupations quant à leur propre mort. Ils refusent de « s’en faire ».
C’est ce qui fonde, après coup. l’inquiétude de leur aîné, maintenant qu’il sait.
Et maintenant que nous, nous savons ?
Il y a une deuxième remarque à faire :
MORTS, nous sommes sans moyens et sans défense.
MAIS ENCORE VIVANTS, qui sommes-nous ?
Des ergoteurs, agités. mal embouchés, mal léchés, refusant de nous laisser approcher ?
Ou des auditeurs attentifs à ce que Dieu dit ?
Là est le problème !
Nous sauver est, en définitive, plus difficile que nous ressusciter.
Pour nous ressusciter alors que nous sommes prisonniers de la mort, Dieu ne nous demande pas notre avis. Il n’a pas à craindre d’enfreindre notre liberté. La mort nous en a définitivement dépouillés…
Pour nous sauver, c’est une tout autre affaire, car Dieu s’est astreint à ne le faire qu’avec notre permission !