Le Professeur Jalaguier réfutait successivement les objections du Déisme et du Rationalisme : 1° contre la nécessité ; 2° la possibilité ; 3° la preuve surnaturelle de la Révélation. N’ayant retrouvé que des notes incomplètes et très confuses sur le deuxième chef d’objections, nous n’en publions rien. Sur les premier et troisième chefs, nous nous bornons à de courts fragments. Il nous a paru, d’ailleurs, que ces questions étaient suffisamment traitées dans la suite de l’ouvrage. Voir les articles. « Preuves du Supranaturalisme, » 3.3 et « Miracles » 5.2 : « Possibilité des miracles ». (Edit.).
1. Contre la nécessité de la Révélation — 2. Contre la preuve surnaturelle
L’un des arguments que les déistes et les rationalistes opposent le plus fréquemment à la nécessité de la Révélation, est le suivant :
Selon les supranaturalistes, disent-ils, le principal avantage de la Révélation est qu’elle enseigne des doctrines importantes que la raison n’aurait pu atteindre, et qu’elle ne saurait comprendre, alors même qu’elle les admet par la foi, en un mot des mystères. Or, ajoutent-ils, des doctrines de ce genre seraient pour l’homme comme si elles n’existaient pas. Quel fruit retirer de prétendues vérités dont on n’aurait nulle intelligence ? Comment même dire qu’on les croit ou qu’on les connaît ? La connaissance, la croyance impliquent la compréhension. Cet avantage si vanté de la Révélation, qui seul fonde, en dernière analyse, sa nécessité, se réduit donc à néant ; il n’est, en réalité, qu’une prétention vaine et absurde.
Il y a là un abus de langage qu’il suffit de démêler pour voir tomber l’objection. Il faut distinguer entre les choses absolument inintelligibles et celles qui dépassent à certains égards la raison. Il n’est pas nécessaire de pénétrer l’essence d’un fait, d’un principe, de le comprendre dans le sens rigoureux du mot, pour le connaître, le croire et en déduire les applications ou les conséquences pratiques auxquels il peut donner lieu. La nature de la gravitation, par exemple, nous est inconnue, mais le fait de la gravitation nous est connu, et c’est comme fait surtout qu’elle nous intéresse. Il en est de même de l’union de l’esprit et du corps, de la nutrition, de la végétation, de la vie, de la mort ; il en est de même des lois, des causes, des forces physiques ; il en est de même de tout, car en tout l’essence des choses nous échappe ; nous ne connaissons qu’en partie ; il y a partout des mystères, et l’objection, si elle était fondée, porterait contre toutes les études humaines. Notre science n’est nulle part absoluea : l’incompréhensible s’attache plus ou moins à la réalité ; il n’y a de pleinement intelligible que l’idée, parce que l’idée vient de nous, tandis que la réalité vient de Dieu. Ce que Dieu a fait ne peut être entièrement compris par l’homme, la pensée de la créature n’embrassant jamais la pensée du Créateur, ni, par conséquent, son œuvre. Dans la plupart des cas nous connaissons, nous croyons sans comprendre.
a – Excepté, bien entendu, dans la philosophie de l’Absolu, où la pensée est identique à l’être et qui se figure expliquer le monde en l’imaginant ou en le construisant.
Or, il en est du mystère de la Bible comme des mystères de la Nature. Sans doute, une doctrine dont nous ne pourrions nous former absolument aucune idée ; serait pour nous comme non-avenue et n’aurait ni action ni prise sur notre âme. Mais ce n’est pas le cas des mystères chrétiens ; ils ont tous des côtés par lesquels nous pouvons les saisir et nous les appliquer ; c’est par ces côtés qu’ils nous touchent et que nous les atteignons, c’est par ces côtés que la Bible nous les propose.
Ainsi, pour prendre ceux qui passent le plus décidément l’intelligence humaine, l’incarnation du Fils de Dieu, la rédemption par son sang, la régénération par le Saint-Esprit, ces mystères sont d’abord des faits, et nous pouvons les comprendre en tant que faits, c’est-à-dire en acquérir la certitude, en constater la réalité par le témoignage divin ; ensuite ils ont des rapports profonds avec nous, ils se lient à l’état de notre âme, ils répondent à nos besoins religieux et moraux, et nous pouvons les comprendre encore à cet égard, c’est-à-dire nous placer en contact avec eux, et nous approprier la vertu salutaire qui en sort. Je n’aperçois qu’imparfaitement les raisons et la fin de la mort expiatoire de Jésus-Christ, j’entrevois à peine pourquoi il a fallu qu’il souffrît et comment le salut se lie à sa Passion ; mais cela m’empêche-t-il de trouver dans cet acte des divines miséricordes, la paix de ma conscience et le principe et l’aliment d’une vie nouvelle ? J’ignore la nature, le mode, l’étendue des opérations de la grâce ; Mais cela m’empêche-t-il de puiser, par la prière, à cette source de lumière et de force spirituelle ? Et ne sait-on pas avec quelle puissance les mystères évangéliques se sont emparés des âmes et ce qu’ils ont produit de dévouement et de vertu ?
On se figure souvent que la conception rationnelle d’un dogme, son explication ou sa démonstration en accroissent l’influence sanctifiante. C’est, selon nous, une illusion. Sans dire que l’analyse scientifique, à travers laquelle on le fait passer, lui imprime toujours, plus ou moins, un caractère abstrait qui le rend moins impressif ; sans dire qu’elle en dénature l’action, en la dépouillant presque toujours de quelqu’un de ses éléments essentiels, et en supposant qu’il reste dans son intégrité biblique, il paraîtra, je le veux, éclairé d’une lumière qui reposera l’intelligence : avantage réel, que je ne conteste point, mais qui n’est de rien ici où la seule question est de savoir si le dogme, sous cette forme, atteindra plus sûrement et plus profondément les sources de la vie pour les renouveler. Sur la question ainsi déterminée, quelle est la réponse de l’expérience ? Les dogmes chrétiens agissent-ils avec plus de force sur le savant qui les comprend, ou pense les comprendre, que sur l’homme illettré qui les reçoit simplement comme des faits divins, et ne songe pas même à en chercher le comment et le pourquoi ? Il est manifeste que le fidèle n’a rien à envier sous ce rapport au théologien. Si vous ne devenez comme des enfants, a dit le Sauveur, vous n’entrerez point, etc… » « Je te loue, ô Père ! etc… » Le contraire devrait pourtant avoir lieu, si l’opinion qui nous occupe était fondée.
Et cette donnée de l’expérience, la réflexion l’explique et la confirme. L’impression vivifiante des faits ou des dogmes bibliques tient non à l’intelligence que nous pouvons en avoir, non à la notion métaphysique que nous pouvons nous en former, mais à l’usage que nous en faisons, à l’empire que nous leur donnons sur nous ; elle naît de la foi bien plus que de la science. Exemple : Christ est mon Sauveur, c’est-à-dire qu’il m’a obtenu le pardon et le secours dont j’avais besoin pour ne pas périr. Cette rédemption qu’il m’a acquise développera-t-elle en moi les sentiments de confiance, de gratitude, de repentir, de dévouement, etc., qui en font le principe de ma vie morale, les développera-t-elle plus sûrement et plus énergiquement si je m’en forme une notion quelconque, si je la considère, par exemple, comme une communication substantielle de la nature et de la vie divines, que si je la prends simplement comme un fait dont je ne saurais me rendre compte, mais que me garantit la parole de Dieu qui fonde mon salut.
La seule chose qui importe, c’est évidemment que je tienne ce grand dogme en contact avec mon âme et que j’en vive par la foi. Or, ce qu’il faut pour cela, c’est moins la pénétration de l’esprit qui le sonde que la docilité du cœur qui le contemple et adore. Ne sait-on pas combien le mystère lui-même accroît dans nos âmes l’impression de la vérité ?…
A.) Plusieurs religions se donnant pour révélées, il ne reste d’autre moyen à l’homme qui ne veut pas se décider aveuglément et arbitrairement entre elles, que de comparer leurs doctrines avec les idées que la droite raison nous fournit relativement à Dieu ; et dès lors, ce sont ces idées seules qu’on admet et qui restent, car elles forment à elles seules les fondements de la foi ; elles jugent la révélation et ne sont point jugées par elle ; si elle est reçue, c’est uniquement à leur considération ; elle n’a donc d’autre autorité que celle qu’elle leur emprunte, et sous le nom de supranaturalisme, qu’on peut conserver encore, on n’a, en fait, que le rationalisme.
Cet argument est spécieux, mais il n’est que cela.
1° L’examen comparatif des religions qui se donnent pour révélées peut se faire et se fait généralement par un autre moyen. Outre la méthode indirecte ou interne qui est ici représentée comme la seule valide, ou même comme la seule praticable, il y a la méthode directe ou externe qui consiste dans l’étude des faits sur lesquels les auteurs de la révélation ont fondé leur mission divine. Cette méthode est la plus courte, la plus sûre, la plus suivie.
Nous disons que c’est la méthode directe, d’abord parce que c’est elle qui s’adresse à tous les esprits et qui est à la portée de tous, ensuite parce que lorsqu’un homme se donne pour envoyé divin, nous nous attendons naturellement à le voir légitimer cette haute prétention par des caractères qui y correspondent en quoique manière ; nous nous attendons à lui voir produire ses titres, ses lettres de créance ; nous nous attendons à voir la Divinité, dont il se déclare le représentant ou l’interprète, l’autoriser par des signes d’un ordre supérieur. Nous pensons, avant toute réflexion, que Dieu aura accrédité son ambassadeur auprès de nous par des indices certains, tels que des faits miraculeux et prophétiques et nous cherchons spontanément ces caractères de l’intervention divine.
La grande question qui se pose d’entrée est donc celle-ci : les religions qui se donnent pour révélées sont-elles fondées sur des caractères et des faits de ce genre ? Si elles n’en produisent pas, leur prétention manque de base et, par conséquent, de validité ; si elles en produisent, il reste à examiner la crédibilité de ces faits, leur réalité et leur certitude. Par là, les diverses religions sont aisément, promptement et sûrement jugées.
A entendre certaines personnes, il semblerait qu’on voit tous les jours des exemples de religions établies sur des miracles, tandis que toute l’histoire dépose contre cette idée. Connaît-on parmi les chrétiens quelque fondateur de secte qui ait prétendu opérer des miracles et qui ait réussi dans sa prétention ? Le pouvoir miraculeux a-t-il été réclamé ou exercé par les chefs des Vaudois ou des Albigeois ? Wiclef, J. Huss, Jérôme de Prague, Luther, Zwingle, Calvin, ou quelque autre des Réformateurs, se le sont-ils attribué ? On vit, au commencement du xviiie siècle, les Jansénistes ruiner leur cause par la témérité qu’ils eurent d’en appeler à cette preuve, et nous avons vu de nos jours, les Irvingiens, et autres, tomber de la même manière. Et quelle est, en dehors du Christianisme et du Mosaïsme, la religion qui allègue des miracles positifs antérieurs à son établissement ? Car il faut distinguer avec soin entre les miracles qu’on dit s’être opérés en faveur d’une croyance au milieu de ses partisans, et les miracles qui donnent naissance à un nouveau culte au sein de populations incrédules et hostiles. Mahomet n’osa pas donner cet appui à son caractère prophétique. Il s’attache en plusieurs endroits du Koran à repousser la demande qui lui était faite, ou qui pouvait lui être faite, de signes surnaturels. Il répond que le Koran est un miracle suffisant. Il fait dire à Dieu : qu’il aurait pu l’envoyer avec des miracles, mais que les hommes les ont enveloppés d’imposture. Ceux qui lui sont attribués par ses historiens ne méritent évidemment aucune foi ; ils doivent être placés à côté de ceux que l’Eglise romaine attribue aux saints qu’elle canonise.
2° La méthode interne, en accordant qu’elle fut la seule applicable, pourrait encore conduire (en certains cas) à reconnaître une révélation dans le sens supranaturaliste. On conçoit, en effet, que la supériorité d’une doctrine religieuse, rapprochée des circonstances où se trouvaient les hommes qui l’ont proclamée, soit tellement inexplicable par des causes naturelles qu’elle constitue un vrai miracle intellectuel ou moral. Dès lors, la preuve interne ou rationnelle va se confondre avec la preuve externe ou historique, et produit le même genre de foi. C’est justement le cas pour l’Evangile. Un grand nombre de personnes ont été et sont tous les jours amenées au supranaturalisme par cette route, tandis que d’après l’argument que nous discutons, cette voie ne conduirait qu’au rationalisme. Sous une certaine face, cet argument est fondé, il faut le reconnaître. Il l’est quand, rejetant la preuve historique, ou, pour mieux dire, les garanties extranaturelles, les attestations célestes, on ne veut établir la vérité générale de la Révélation, et celle de ses doctrines particulières, que par des considérations rationnelles, c’est-à-dire par les rapports du dogme avec les données de la conscience et de l’intelligence, ou avec les idées de la philosophie ; car, alors, ce sont ces idées qui restent seules en dernière analyse, les croyances positives ne sont admises qu’autant qu’elles y rentrent et s’y absorbent, et le caractère surnaturel de la Révélation s’en va. Pour que le supranaturalisme naisse ou se maintienne, il faut des faits qui garantissent l’intervention immédiate de Dieu.
B.) Une religion qui, en tant qu’historique, s’appuie sur des témoignages étrangers, ne peut revêtir pour nous un aussi haut degré d’évidence et de certitude que celle qui nous vient de la raison et dont les enseignements nous sont notifiés par la conscience. En dernière analyse, c’est, toujours dans les données de l’entendement ou du sentiment qu’il faut que nous allions chercher le principe et le fondement de notre foi.
Pour juger cette objection, ou, pour mieux dire, cette difficulté, — car la religion révélée pourrait avoir moins d’évidence propre que la religion naturelle sans perdre, à cause de cela, sa vérité et sa valeur, — pour juger cette difficulté, rappelons les diverses espèces de certitudes. On en compte ordinairement quatre : 1° Certitude psychologique, certitude de conscience, de sentiment, se rapportant aux idées ou vérités premières ; 2° Certitude physique fondée sur la déposition des sens ; 3° Certitude métaphysique ou logique, produit du raisonnement ; 4° Certitude morale qui a pour base le témoignage. (Nous pourrions y joindre la certitude analogique, jugement positif ou négatif reposant sur des considérations de ressemblance ou de dissemblance : ainsi, par exemple, nous sommes portés à croire que les autres mondes sont habités d’après la plénitude de vie que nous voyons partout dans le nôtre. Le raisonnement par analogie ne donne généralement que des probabilités plus ou moins fortes ; il va cependant bien des fois jusqu’à la certitude ; on pourrait citer mille cas où il est notre unique guide et où nous ne doutons nullement).
Maintenant, est-il vrai que la certitude métaphysique, ou psychologique, ne puisse être égalée par aucune autre ? On accordera probablement qu’elle l’est par la certitude physique. Malgré les arguments de l’idéalisme, est-il chez l’homme une croyance plus ferme que celle de la réalité du monde et des êtres qu’il contient ? La certitude métaphysique ne peut-elle pas être égalée aussi, en certains cas du moins, par la certitude morale ? Ne peut-il pas arriver que le témoignage obtienne et mérite une foi aussi pleine que la démonstration logique ? Nous recevons, sans nul doute, par le témoignage, la plupart de nos connaissances et de nos croyances, et plusieurs d’entre elles sont tout aussi certaines pour nous que celles que nous avons acquises par l’observation directe, le sens intime ou le raisonnement. La niasse d’idées que l’enfant admet sur la parole de ses parents ou de ses maîtres, ne dépasse pas celle des notions et des faits que l’homme admet sur la parole d’autrui dans tout le champ de la science ; la société met devant lui, en histoire, en géographie, en physique, etc., l’immense résultat des travaux antérieurs, et il se l’approprie sans avoir, le plus souvent, ni le temps ni les moyens de le vérifier. S’il voulait mettre tout cela de côté pour ne croire qu’à ce qu’il aurait constaté par lui-même, il descendrait au niveau, si ce n’est au-dessous, de l’état sauvage.
La vie sociale repose presque en entier sur la certitude morale, sur la foi au témoignage, sur la parole reçue ou donnée : on ne s’en fait pas d’idée quand on n’y a pas réfléchi. Cela a lieu pour les choses communes comme pour celles de l’ordre le plus élevé, pour la nourriture, le vêtement, les voyages comme pour le commerce, le gouvernement, etc. Nous vivons de notre confiance aux autres, de notre foi au témoignage, comme de l’air et de la lumière des cieux.
Et cette confiance et cette foi sont absolues. Je n’ai jamais vu Londres, Rome, Constantinople, Pékin, etc., je suis pourtant bien aussi sûr de l’existence de ces villes que si je les avais visitées où que si la connaissance que j’en ai me venait par un syllogisme. Je ne crois aux vérités astronomiques que sur parole ; je n’ai fait ni les observations ni les calculs qui les démontrent, cependant, aucune théorie métaphysique ne saurait m’inspirer une foi, une conviction plus entière.
[Que si l’on allègue les difficultés et les incertitudes que la critique historique soulève à l’égard des faits anciens et des faits évangéliques en particulier ; si l’on met en contraste ce qu’on nomme la lumière naturelle, l’évidence intrinsèque des principes ; nous ferons remarquer que la critique philosophique n’a pas moins répandu de doutes sur les principes que la critique historique sur les faits. Ecoutez ce que dit l’empirisme des principes de l’idéalisme et l’idéalisme de ceux de l’empirisme : « Vous prenez des chimères pour des réalités » dit l’un ; « Vous vous arrêtez à la surface des choses et ne vous élevez pas à la vraie science », répond l’autre. Il n’est pas un seul principe qui n’ait été mis en question, non seulement par le scepticisme, mais par les dogmatismes contraires : le principe de contradiction lui-même, qui avait été universellement admis comme irréfragable dans les écoles les plus diverses, est déclaré illusoire par la philosophie nouvelle, etc., etc. D’ailleurs, la foi au témoignage n’est-elle pas aussi un principe naturel ?]
La certitude morale peut donc égaler les autres genres de certitude ; elle le fait incontestablement et fréquemment dans la sphère de la science comme dans celle de la vie : n’est-il pas possible qu’il en soit de même dans la sphère religieuse ? On sait combien la religion est ordinairement douteuse, incomplète, inefficace, lorsqu’elle repose uniquement sur des données rationnelles et ne se compose que d’abstractions. Or, n’est-il pas possible qu’une révélation historique ait de tels caractères d’évidence, de tels titres de crédibilité, une telle force de preuves, qu’elle fournisse de nouvelles bases à notre foi, en même temps qu’elle nous ouvre une source plus abondante de lumières ? « Si nous recevons le témoignage des hommes, celui de Dieu est d’un plus grand poids » (1 Jean 5.9). — Cette déclaration de saint Jean est un principe de bon sens comme un principe de foi. — En réalité, l’avantage est tout à fait ici du côté du supranaturalisme, car, pour les doctrines qui lui sont communes avec le déisme et le rationalisme, il a aussi bien qu’eux l’autorité de la raison, et il a de plus celle de la révélation avec le degré de certitude qui lui est propre. Et quant à ses doctrines particulières, il n’y a pas de comparaison, à établir : ici, tout repose sur les preuves de l’intervention divine. Et ces preuves peuvent être telles qu’elles légitiment pour l’intelligence comme pour le cœur, la foi la plus entière. Quand le prophète entendait la parole de Dieu, pouvait-il douter ? Quand le peuple entendait la parole du prophète et voyait ses miracles, pouvait-il douter ? Et puis-je douter moi-même, quand j’ai la démonstration historique que cette parole, à laquelle le ciel a rendu témoignage, est arrivée pure jusqu’à moi ? Ce qu’il faut, en religion, c’est l’assurance intérieure que la doctrine et les promesses sur lesquelles on appuie ses espérances, auxquelles on livre son âme et sa vie, sont la vérité de Dieu et non une imagination de l’homme. Eh bien ! je demande ce qui donnera au plus haut degré cette assurance, d’une philosophie ou d’une révélation ? Que l’histoire réponde.
C.) L’argument le plus spécieux des défenseurs d’une révélation immédiate, renferme Une pétition de principe. Ils prouvent la divinité du livre sacré par les histoires et les doctrines qu’il contient ; et ils veulent ensuite qu’on croie ces doctrines et ces histoires, parce que le livre où elles se trouvent est divin. Ils posent donc pour démontré ce qui doit l’être.
Mais c’est travestir le raisonnement des supranaturalistes : ce n’est point ainsi qu’ils établissent soit la preuve interne soit la preuve externe de la Révélation. Ils commencent par démontrer la vérité historique du livre sacré, d’après les mêmes procédés qu’on emploie à l’égard de tout autre livre ; et de la nature des faits ou des enseignements qu’il renferme, ils infèrent l’intervention divine qui seule peut les expliquer il n’y a pas là de cercle vicieux. Quand je me suis une fois convaincu de l’authenticité, de l’intégrité, de la crédibilité du Nouveau Testament par l’examen historique et critique (pour appliquer nos observations à la Révélation chrétienne) quand j’ai reconnu dans les doctrines et les œuvres des fondateurs du Christianisme, des caractères extranaturels, des signes miraculeux et prophétiques qui manifestent en eux des envoyés divins, je crois alors à leur parole, parce que je crois à leur mission céleste. Les prémisses bien établies, tout est parfaitement logique dans l’argumentation et l’induction.
Nous aurions pu, sans entrer dans les détails, juger en bloc les objections déistes et rationalistes, et ne nous attacher qu’à leur caractère général. Il est à remarquer qu’elles ont toutes plus ou moins une base spéculative. Par l’opinion que l’on se forme de Dieu, de l’homme et du monde, par un raisonnement a priori sur l’idée de la Révélation, sur sa possibilité, son utilité. sa preuve, on prétend déterminer d’avance que le supranaturalisme est sans fondement réel. Mais cette marche, appelée rationnelle, l’est fort peu au fond. La question de l’existence d’une révélation est une simple question de fait, et les faits ne se déterminent pas ainsi par des considérations logiques ou analogiques. Je ne veux pas dire que des considérations de ce genre ne s’y appliquent on aucune manière ni en aucun cas, mais je dis qu’en général elles donnent seulement des vraisemblances et non des conclusions positives et certaines ; on n’obtient par la que des présomptions qui ont toujours besoin du contrôle des faits. A mesure que l’esprit humain avance dans l’étude des êtres et des phénomènes, à mesure qu’il acquiert la vraie connaissance des choses, l’expérience dément sans cesse les anticipations logiques ; ce qu’il jugeait improbable, impossible, se réalise à chaque pas devant lui, tandis que ses conjectures les mieux fondées en apparence sont mille fois convaincues de fausseté. En philosophie, de même qu’en poésie, le vrai n’est pas toujours vraisemblable, ni le vraisemblable toujours vrai : le réel ne répond que rarement à l’idéal. Les sciences naturelles sont là pour le prouver ; la plupart de leurs découvertes ont eu d’abord contre elles la raison a priori. Décidément le monde physique, en s’ouvrant aux investigations humaines, se montre tout autre que la spéculation ne le supposait. Quelle garantie avons-nous qu’il en est autrement du monde moral ou métaphysique ? Dans les deux mondes, en vain les plus beaux raisonnements établissent-ils qu’une chose ne peut pas être, si l’observation montre qu’elle est, ou que telle autre doit être, si l’expérience constate qu’elle n’est pas. En d’autres termes, dans les questions de faits, c’est la preuve de fait qui est la preuve dirimante et par cela même la preuve vraiment rationnelle.
Ici trouvent place quelques paroles d’un théologien qui ne doit point être suspect aux partisans du Rationalismeb : « Prenez garde de confondre votre raison individuelle (et imparfaite) avec celle du genre humain tout entier ou même avec celle de Dieu !… prenez garde d’abandonner la parole éternelle par une orgueilleuse confiance en une philosophie adaptée à l’esprit de notre temps, — et de convertir la voie du salut par Christ en une simple législation morale. »
b – Ammon. Summa Théol., etc. »
Les arguments que nous avons discutés sont ceux de l’ancien rationalisme. Je n’ai vu exposés nulle part ceux du nouveau rationalisme non plus que ses idées sur la Révélation. Autant que j’en puis juger, ses vues à cet égard sont peu déterminées et par cela même très diverses. Chaque auteur semble avoir sa théorie ou sa notion propre. Cependant les opinions peuvent se ranger en deux, ou trois groupes. Les uns ne voient dans l’inspiration qu’un pressentiment du monde invisible (de Wette), ou que le sentiment religieux que les apôtres avaient puisé dans leurs relations avec Jésus-Christ (Schleiermacher), ou que l’épanouissement des idées divines dans la conscience humaine (Bruch). Les autres admettent une notion supérieure chez les écrivains sacrés, mais ils la considèrent comme différant moins en nature qu’en degré de celle que le Saint Esprit exerce sur les fidèles (dans cette classe se trouvent bien des théologiens de l’école orthodoxe, Néander, Twesten, etc.). Pour d’autres la Révélation est la manifestation de Dieu dans l’homme (école panthéiste).
En général, le nouveau rationalisme annule, ou à peu près, la doctrine d’une révélation surnaturelle proprement dite, non en la niant, comme faisait l’ancien rationalisme, mais en l’étendant outre mesure. Tandis que l’ancien rationalisme, dominé par un déisme tout extérieur, mettait Dieu hors du monde à force de l’élever au-dessus, le nouveau, dominé par un panthéisme idéaliste, mêle l’homme et le monde avec Dieu au point de les identifier ; la révélation étant alors partout n’est par cela même nulle part. Inspiration, création, rédemption, régénération ; l’amour divin explique tous ces mystères. L’autorité des Ecritures, leur divinité au sens propre, cette base fondamentale du Christianisme et du protestantisme, ne se relève pas, là même où l’on revient plus ou moins aux doctrines évangéliques. La Bible est vénérée dans la nouvelle école, mais la croyance, ou la base qui la porte, paraît incertaine et chancelante. Il y a là une lacune grave qui tient on péril l’édifice entier de la foi. Aussi demande-t-on une apologétique nouvelle, en rapport avec cette direction des esprits. L’apologétique du xviiie siècle, qu’on l’envisage dans ses preuves internes ou externes, est déclarée sinon absolument vaine, du moins tout à fait insuffisante ; on affirme qu’il en faut créer une autre, celle du xixo siècle, qui, présentant le Christianisme sous des formes rajeunies, le replacera, comme à toutes les grandes époques, à la tête de l’humanité pensante. Mais l’on n’indique pas même de loin les principes de cette apologétique que l’on prophétise. On se contente d’affirmer que pour démontrer l’Evangile, la seule vraie méthode est de le montrer, que sa vertu intrinsèque constitue sa puissance et sa preuve, qu’il ne peut être réellement prouvé qu’à celui qui l’a éprouvé, que la révélation extérieure ne se réalise que par la révélation intérieure, etc., etc., c’est-à-dire qu’on substitue l’intuition au raisonnement, l’idée ou l’impression morale au fait.
Nous le voulons bien, si l’on réussit par là à rattacher le Christianisme au mouvement scientifique et à lui donner prise sur notre siècle. Pourvu qu’on arrive et qu’on conduise à la foi, peu importe, à nos yeux, la route qu’on aura suivie. Mais nous croyons fort peu à la sûreté de la marche qu’on propose. Nous doutons, d’un côté, qu’elle puisse soutenir l’examen, et de l’autre, qu’elle aboutisse au Christianisme réel, celui de la Bible et de l’Eglise. Ce qu’elle donnera, il est aisé de le prévoir, ce sera uniquement une sorte d’idéalisme gnostique ou mystique, fondé sur les idées philosophiques du moment, plus ou moins empreint des couleurs de l’Evangile. Et ce qui nous inspire d’ailleurs à bon droit des défiances, c’est que nous voyons-la une prétention bien connue de la philosophie, prétention introduite par Schelling et surtout par Hegel au sein de la théologie elle-même. Hegel a dit et répété qu’il apportait la démonstration rationnelle de la doctrine révélée, que les miracles, les prophéties, tous les faits externes et internes sont absolument insuffisants à notre âge, que s’ils valent encore, c’est seulement pour les hommes charnels, et qu’il est intéressant de les voir réduits à ce minimum, que l’esprit seul rend témoignage de l’esprit, que l’idée pure, écartant les images et les hypothèses, doit faire sortir la vérité chrétienne de son propre sein.
Si vous admettez cette philosophie, qui n’a rien trouvé de mieux pour expliquer et connaître le monde que de le créer de toutes pièces, vous pouvez certes construire de même le Christianisme et affirmer que ce n’est qu’alors que vous le possédez par la science. Seulement, qu’on nous permette une observation : cette haute philosophie fait à la philosophie expérimentale les mêmes propositions qu’à la théologie chrétienne. Elle dit aussi au physicien, à l’astronome, au chimiste, etc., quoique à voix tant soit peu plus basse, parce qu’elle redoute le rire de l’évidence et de la force, elle leur dit : laissez vos vieilles méthodes qui ne vous mènent qu’à des faits isolés et toujours incertains ; aussi longtemps qu’on ne possède pas le principe suprême qui est la clef de la science et qui fournit l’explication universelle, on n’a rien encore de digne de l’esprit, de satisfaisant pour la raison spéculative ; venez à nous, et nous vous communiquerons ce principe générateur au moyen duquel vous pénétrerez l’intérieur des choses, et acquerrez en un instant l’intelligence absolue de l’homme, du monde et de Dieu lui-même. Eh bien ! nous attendrons que les savants positifs, physiciens, chimistes, géologues, astronomes, aient passé dans le camp de la spéculation ou de la raison pure, pour y passer à notre tour. Car il y a parité entre leur situation et la nôtre. Pour eux comme pour nous et pour nous comme pour eux, il s’agit de savoir si nous pouvons pénétrer les réalités, c’est-à-dire les œuvres et les voies de Dieu, par une sorte de vision intellectuelle, ou si nous devons les constater par l’observation, par le témoignage, par ces moyens, en un mot, que l’esprit humain a jugés seuls valides dans tous les temps. Quant à la Révélation, en particulier, si elle ne se légitime que par son évidence intrinsèque ou par la rationalité de ses doctrines, elle cesse d’être par cela même : la philosophie l’absorbe en l’expliquant. Il existe sous ce rapport des illusions et des espérances étranges, qui jettent dans des voies impossibles. Et ce qu’il y a de pire, c’est que le crédit dont jouissent de plus en plus les fausses méthodes, rend la seule vraie méthode à peu près inapplicable. Appelez-en aux faits, auprès de ces hommes si nombreux pour lesquels les faits ne sont rien, autant vaudrait prêcher au désert. Mais nous ne pouvons ni renier ni taire nos convictions. Aussi longtemps que nous croyons qu’on se repaît de chimères, c’est notre obligation de le dire, dût notre parole avoir le sort de celle de Cassandre.