Ce qui nous frappe, en outre, dans la perfection unique du caractère de Jésus, c’est l’union admirable de la vertu et de la piété, de la moralité et de l’esprit religieux, ou mieux, de l’amour de Dieu et, de l’amour des hommes. Il est plus que moral et plus que pieux ; il est saint au sens propre et complet du mot. On voit briller dans son caractère une beauté divine et une perfection dont la simple contemplation communique à l’âme la pureté et la clarté, la paix et le bonheur.
La piété était le ressort de sa moralité ; elle l’élevait bien au-dessus de la sphère de la simple légalité. Toute action morale tirait chez lui son origine de son parfait amour pour Dieu, et son but, comme sa fin, était le bonheur temporel et éternel des hommes. Son caractère était fondé sur la communion la plus intime et sa société continuelle avec son Père céleste ; il tirait tout de lui, et lui rapportait tout. A l’âge de douze ans, il trouvait déjà l’élément de sa vie et son plaisir dans tout ce qui était de son Père (Luc 2.49). Sa nourriture de chaque jour était de faire la volonté de celui qui l’avait envoyé et d’accomplir son œuvre (Jean 4.34 ; 5.30). C’est vers lui qu’il élevait son regard suppliant avant toute action importante, et c’est cette prière qu’il enseigna à ses disciples, modèle éternel de toutes les prières par sa simplicité, par sa brièveté, par sa richesse infinie, et par sa parfaite convenance. Il se retirait souvent sur une montagne ou dans quelque lieu solitaire pour prier, et passait des jours et des nuits dans la pratique de ce doux privilège. Son habitude de converser avec le Dieu tout-puissant était si forte et si régulière, qu’il priait au milieu même des foules, transformant ainsi la ville et ses flots humains en un lieu de retraite religieuse. Sa conscience personnelle était, à chaque moment de sa vie, dominée, vivifiée et remplie par la conscience de Dieu. Alors même que dans l’indescriptible angoisse de son corps et de son âme, et dans sa sympathie intime pour les misères du genre humain, il s’écria : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné1 ? » le lien de l’unité n’était ni déchiré, ni même relâché, mais simplement obscurci d’une manière passagère, comme le soleil devant lequel passe un nuage : c’est la jouissance et non la possession de cette unité qui lui fut un instant ravie, car, immédiatement après il s’écria triomphant : « Tout est accompli, » et il remit son esprit aux mains de son Père. Cette union morale du Christ avec Dieu, à chaque instant de sa vie, était si ferme et si parfaite, qu’il a réalisé l’idée religieuse dont le but est précisément d’établir cette communion, et qu’il est le représentant personnel et la vivante incarnation du christianisme, de la religion véritable et absolue.
1 – Matthieu 27.46. Il ne faut pas oublier qu’ici Jésus parle avec les paroles prophétiques et typiques de David, Psaumes 22.2, tandis que partout ailleurs où il parle en sa propre langue, il s’adresse à Dieu en lui disant : Mon Père. Voyez les instructives remarques de Lange, dans son Commentaire, sur ce passage.
Remarquons enfin que la piété du Christ ne consistait ni dans une oisive contemplation, ni dans un mysticisme ennemi du monde, ni enfin dans une jouissance égoïste : elle était tout à fait pratique, toujours féconde en œuvres d’amour, et se proposait la régénération du monde et sa transformation en royaume de Dieu. « Il passait en faisant le bien. » Sa vie est une chaîne non interrompue de bonnes œuvres ; tout, en lui, découle de son unité avec Dieu, s’inspire du même amour, et poursuit le même but : la gloire de Dieu et le bonheur des hommes.