Mélanchthon, sa vie, son œuvre

3.
Seconde édition

Le péché originel, dit Mélanchthon, est non seulement une imputation ou une faute commise, mais encore la corruption de la nature humaine ; cette corruption nous empêche d’obéir à la loi de Dieu, de vivre sans péchésa. Par corruption, Mélanchthon entend une maladie continuelleb ; les signes de celle maladie sont l’ignorance, l’absence de crainte, de confiance et d’amour à l’égard de Dieu. Ces defectusc sont d’horribles vices. Nous avons perdu la justice originelle et avec elle l’intégrité des forces de l’âme et du corps, la connaissance parfaite de Dieu, l’obéissance, la crainte, la confiance et l’amour de Dieu. A cette connaissance a succédé le doute, l’ignorance, le mépris du jugement de Dieu. Adam, dépouillé de ses premiers ornements, dut engendrer des fils qui lui fussent semblablesd ; ses descendants naissent donc portant en eux le péché originel : ils sont coupables, ils ont une nature vicieusee (Psaumes 50.7) : Voilà, j’ai été formé dans l’iniquité et mon péché est continuellement devant moi. David déplore le péché de sa mère et non le sien. J’ai été conçu, dit-il, de telle sorte que le péché se trouve dans mon corps (in mea massa), c’est-à-dire en moi-même (Éphésiens 2.3 ; Romains 5.15 ; Jean 3.3 ; Genèse 8.21 ; Romains ch. 7 et 8). Les péchés sont les fruits de celle nature vicieuse (Romains 14.23) ; ce qui n’est pas de la foi est un péché : or la foi, ajoute Mélanchthon, est la confiance en la miséricorde de Dieu. Cette foi doit être la source de nos œuvres. Mélanchthon ne va cependant plus aussi loin que dans la première édition. Il admet que Solon, Thémistocle, Fabius, Pomponius Atticus sont des hommes illustres, qu’ils ont fait d’honnêtes actions, et tout en taxant d’impure la source d’où elles proviennent, il n’est plus assez stoïcien pour prétendre que tous les péchés sont égaux. Il ne craint pas de proclamer Néron plus coupable que Pomponius Atticus. Dieu exige, dit-il, ces œuvres de la loi, ces actions honnêtes extérieures ; du reste, ces vertus héroïques de Xénophon, Thémistocle, Fabius, Scipion sont des dons de Dieu, des œuvres de Dieu ; elles ne peuvent donc être mauvaises. La justice de la chair mérite des éloges, et il faut absolument enseigner aux hommes que Dieu la demande et la récompense. Il est de la dernière importance de relever ce point capital ; car Dieu n’est pas la cause du péché et ne veut pas le péchéf. Le péché vient de l’homme, du diable. « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voilà, c’était très bon » (Genèse 1.31). « Le père dont vous êtes issus, c’est le diable, et vous voulez faire les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il n’a point persévéré dans la vérité ; car la vérité n’est point en lui. Toutes les fois qu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge » (Jean 8.44). Le diable et l’homme sont donc la cause du péché, et il n’y a pas là de contradiction ; la puissance de Dieu n’est pas limitée pour cela. Expliquer le rapport entre liberté et prescience est tout aussi impossible qu’expliquer la création.

a – « Peccatum originis non tantum esse imputationem seu reatum, sed etiam naturæ hominis corruptionem, qua fit ne possimus vere obedire legi Dei et sine peccato esse. » P. 310, C. R.

b – « Voco autem corruptionem non actum aliquem, sed perpetuum morbum, atque illud ipsum quod alii vocant nunc defectus, nunc concupiscentiam nunc inordinationem appetitus quæ nunc in natura reliqua est. » P. 380.

c – « Defectus enim sunt ignoratio Dei, vacare metu, fiducia, amore Dei ; — horribiles pestes ac vitia. » P. 380.

d – « Tales, qualis jam erat ipsius natura. » P. 380.

e – « ita postea propagatione contrahunt vitium originis, hoc est, rei sunt et habent vitiosam naturam. » P. 380, C. R.

f – « Autem hæc pia at vera sententia, utroque manu ac verius toto pectore tenenda, quod Deus non sit causa peccati, quod Deus non velit peccatum. » P. 374, C. R.

Quoi qu’il en soit, cette liberté existe, elle est la source de toutes les actions contingentes et elle donne à l’homme la force de faire jusqu’à un certain point, sans régénération aucune, les œuvres extérieures de la loi. Cela ne veut pas dire que nous puissions satisfaire à la loi ; non, du tout. Notre corruption est trop grande, sans le Saint-Esprit nous ne saurions y arriver (Romains 8.14) ; or tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu (Romains 8.9). Si quelqu’un n’a point l’esprit du Christ, celui-là n’est point en lui (1 Corinthiens 2.14). L’homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu (Jean 3.3 ; Jean 6.44).

Sans le Saint-Esprit nous ne pouvons être sauvés ; mais remarquons bien que c’est à nous à ne pas repousser la parole de Dieu, c’est à nous à nous efforcer d’obéir et à nous soumettre aux promesses de l’Évangile, qui sont universelles. Dans nos luttes surtoutg, alors que nous sommes en peine au sujet de la rémission de nos péchés, nous devons nous relever avec courage et tourner nos regards vers l’Évangile. Dieu nous devance, il est vrai ; il nous appelle, nous attire, nous aide ; mais gardons-nous bien de résister. Faisons un bon usage de notre liberté. Christ donne le Saint-Esprit (Luc 11.33) à ceux qui le demandent, mais non aux paresseux ou à ceux qui le repoussent et le méprisent. Avec de telles prémisses, il est impossible de parler encore de prédestination absolue.

g – « Perro in veris certaminibus hæc clarius judicari possunt, quam in otiosis disputationibus. Nam in vero agone, ubi angimur de remissione peccatorum, erigere nos debemus et intueri in promissionem, p. 376, C. R.

Ὁ δὲ ἕλκων, τὸν βουλόμενον ἕλκειh ; cette parole de Chrysostome placée à côté de celle de Basile : μόνον θέλησον, καὶ ὁ Θεὸς προαπαντᾷi (p. 376), le prouve surabondamment. La grâce est offerte à tous, mais ceux-là seuls sont élus qui croient à cette miséricorde de Dieu et ne la rejettent pointj. Romains 3.22 : La justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ s’étend à tous et sur tous ceux qui croient. Jean 3.16 : Afin que quiconque croit en lui, ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Romains 3.22 : Parce qu’il n’y a point de différence du Juif et du Grec ; car il y a un même Seigneur de tous, qui est riche envers tous ceux qui l’invoquent. 1 Timothée 2.4 : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité. Romains 2.11 : Dieu n’a point égard à l’apparence des personnes. Prenons donc garde, ajoute Mélanchthon, de nous abandonner à notre défiance naturelle ; ne repoussons pas ces promesses de Dieu et n’allons pas chercher les causés de l’élection ailleurs que dans les Saintes-Écritures (p. 452).

h – (Dieu) attire celui qui veut être attiré. (Chrysostome, Homélie III sur les changements de noms, ThéoTEX)

i – Il suffit de vouloir, et Dieu vient à notre rencontre (ou l’accomplit). (Référence de cette citation de Basile de Césarée introuvable)

j – « Electi sunt ii, qui misericordiam fide apprehendunt, nec abjiciunt eam fidociam in extremum. » P. 456, C. R.

Les passages Jean 6.44 : Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne le tire, et Romains 9.16 : Ce n’est donc point de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, ne l’embarrassent plus ; il les explique d’une autre manière et il le peut en admettant la grâce prévenante. Paul parle ainsi, non pour troubler, mais pour consoler les âmes, pour nous empêcher de voir l’Église de Dieu dans cette multitude qui s’appuie sur la justice de la loi et en attendant persécute l’Évangile.

On le voit, le changement est assez notable ; qu’on compare ces opinions avec celles de 1522 et l’on ne s’étonnera pas de voir Mélanchthon décorer Augustin de l’épithète de « durusk. »

k – P. 452. C. R.

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