Il faut donc examiner les temps prédits et marqués pour la naissance de Jésus-Christ, pour sa passion et pour la dissipation, c’est-à-dire pour la ruine de Jérusalem. Daniel dit en effet : « La cité sainte et le Saint des saints seront dissipés par le chef qui doit venir, et le temple sera renversé jusque dans ses fondements. » Cherchons donc quels sont les temps où devait apparaître Jésus-Christ, notre chef. Nous les trouverons consignés dans Daniel. Après les avoir calculés, nous prouverons que Jésus-Christ est venu, non-seulement d’après les temps marqués, mais d’après les signes qui devaient l’accompagner, et les miracles qu’il a opérés. Nous établissons cette démonstration par les événements qui devaient suivre sa venue, ainsi que le déclare la prophétie, afin que nous croyions tout à la fois à la certitude de la prédiction, comme à l’accomplissement de la prédiction. Telle est donc la nature de la prophétie de Daniel sur Jésus-Christ, qu’il annonça dans quel temps et à quelle époque il devait délivrer les nations, ajoutant de plus que la cité déicide serait ruinée après la passion du Seigneur. En effet, voici en quels termes il s’exprime : « En la première année de Darius, fils d’Assuérus, de la race des Mèdes, qui régna sur le royaume des Chaldéens, moi, Daniel, j’ai compris dans les livres le nombre des années. Et pendant que je parlais encore en ma prière, voilà que Gabriel, que j’avais vu en une vision au commencement, vola soudain, et me toucha au temps du sacrifice du soir. Et il m’enseigna, et il me parla, et il me dit : Daniel, maintenant je suis venu afin de t’enseigner et que tu comprennes. La parole est sortie dès le commencement de tes prières ; mais je suis venu pour te dire que tu es l’homme de désirs : toi donc, médite la parole, et comprends la vision. Les soixante-dix semaines sont abrégées sur ton peuple et sur la sainte cité, afin que la prévarication soit consommée, et que le péché prenne fin, et que l’iniquité soit effacée, et que la justice éternelle paraisse, et que la vision soit accomplie, ainsi que la prophétie, et que le Saint des saints reçoive l’onction. Sache donc et comprends : Depuis la fin de la parole où Jérusalem sera de nouveau réédifiée, jusqu’au Christ roi, il y aura sept semaines et demie et soixante-deux semaines et demie ; et de nouveau seront édifiées la place publique et les murailles au milieu de la joie ; et, les temps seront renouvelés. Et après ces soixante-douze semaines, le Christ sera mis à mort ; ce peuple ne sera plus son peuple ; et avec un chef qui doit venir, il dissipera la cité et le sanctuaire ! et ils seront égorgés comme dans une inondation jusqu’à la fin de la guerre, qui ne finira que par une ruine complète. Et il confirmera l’alliance pour plusieurs. Dans une semaine et la moitié d’une semaine, mon oblation et mon sacrifice cesseront, et l’abomination de la désolation sera dans le temple, et persévérera jusqu’à la consommation et la fin. » Remarquons donc le terme fixé par le prophète, et avec quelle justesse il a prédit que soixante-dix semaines s’écouleraient, après lesquelles, « ils seraient édifiés en largeur et en longueur, et les temps seraient renouvelés, » s’ils recevaient Jésus-Christ. Mais Dieu qui lisait dans l’avenir, et qui savait bien qu’après l’avoir reçu, ils le persécuteraient et le mettraient à mort, se résuma et dit : Dans soixante-deux semaines il naîtra, et le Saint des saints recevra l’onction. Mais, quand sept semaines et demie se seront accomplies, il souffrira, et après une semaine et demie, la ville sera détruite, » c’est-à-dire au temps où les sept semaines et demie auront été révolues. Il ajoute en effet : « La cité et le sanctuaire seront dissipés par un chef qui doit venir, et ils seront immolés comme dans une inondation, et il détruira le temple jusque dans ses fondements. » Mais comment prouvons-nous que Jésus-Christ est venu au bout de soixante-deux semaines et demie ? Nous commencerons à compter de la première année de Darius qui est le temps où la vision se montre aux yeux de Daniel. Car il dit : « Comprends et retiens bien ces paroles dont je te suis garant. » Voilà pourquoi nous devons partir de la première époque de Darius, époque où Daniel eut cette vision. Maintenant, comment les années sont-elles remplies jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ ? Darius régna dix-neuf ans. Artaxerce en régna quarante. Ensuite vint Ochus, le même que Cyrus, qui en régna vingt-trois. Argus ne fut sur le trône qu’un an. Un autre Darius, du nom de Mélas, l’occupa pendant vingt-deux ans ; Alexandre le Macédonien pendant douze. Ensuite, après Alexandre, qui avait régné sur les Perses et les Mèdes qu’il avait vaincus, et qui avait établi son trône à Alexandrie, puisqu’il lui donna son nom, Soter régna trente-cinq ans dans cette même Alexandrie. Ptolémée-Philadelphe, son successeur, en régna trente-neuf. Il fut remplacé par Evergète, dont le règne fut de vingt-cinq ans. Puis vint Philopator qui en régna dix-sept. Epiphane, après lui, en régna vingt-quatre ; un autre Evergète, vingt-neuf ; un autre Soter, trente-huit ; Ptolémée, encore trente-huit ; Cléopâtre, vingt ans et six mois. Cléopâtre régna concurremment avec Auguste pendant treize ans. Après Cléopâtre, Auguste en régna encore quarante-trois ; car le nombre de toutes les années de l’empire d’Auguste fut de cinquante-six. Or, nous voyons que Jésus-Christ naît, après la mort de Cléopâtre, la quarante-unième année de l’empire d’Auguste. Le même Auguste vécut encore quinze ans, après la naissance de Jésus-Christ. De Cléopâtre à la naissance de Jésus-Christ, il ne restera donc plus que quarante-un ans, ce qui fait quatre cent trente-sept ans six mois.
Par-là sont complétées les soixante-douze semaines et demie qui équivalent à quatre cent trente-huit ans et demi, jusqu’à la naissance de Jésus-Christ, époque où « la justice éternelle a paru, où le Saint des saints, c’est-à-dire le Christ, a reçu l’onction, où la vision et la prophétie ont été scellées, et où ont été remis les péchés » qui sont pardonnes par la foi au nom de Jésus-Christ à tous ceux qui croient en lui.
Mais que signifient ces mots : « La vision et la prophétie ont été scellées ? » comme tous les prophètes annonçaient de Jésus-Christ qu’il devait venir et souffrir, la prophétie ayant eu son accomplissement par son avènement, le prophète disait que la vision et la prophétie étaient scellées, parce que Jésus-Christ, en accomplissant tout ce que les prophètes avaient autrefois prédit sur sa personne, est comme le sceau et la consommation de tous les prophètes. En effet, depuis son avènement et sa passion, il n’y a plus ni vision ni prophète qui l’annoncent comme devant venir. Si cela n’est pas vrai, que les Juifs nous montrent donc quelques volumes écrits par les prophètes depuis Jésus-Christ ou les miracles visibles de quelques anges, tels que les prophètes en avaient vus jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ qui est descendu parmi nous, ce qui a été le sceau ou la consommation de la vision et de la prophétie.
C’est avec raison que l’évangéliste a dit : « La loi et les prophètes vont jusqu’à Jean-Baptiste. » Car une fois que le Christ eut été baptisé, c’est-à-dire qu’il eut sanctifié les eaux dans son baptême, la plénitude des grâces spirituelles de la loi ancienne se concentra dans le Christ, qui scellait la vision et toutes les prophéties, qu’il accomplit par son avènement. Voilà pourquoi Daniel dit avec une grande exactitude que son avènement « était le sceau de la vision et de la prophétie. »
Après avoir montré que le nombre des années et le temps des soixante-deux semaines et demie étant révolu, Jésus-Christ vint au monde, voyons comment sont remplies les sept semaines et demie que nous avons retranchées des premières semaines. Auguste vit encore quinze ans après la naissance de Jésus-Christ. Il a pour successeur Tibère qui gouverne l’empire pendant vingt-deux ans, sept mois, vingt jours. Jésus-Christ endura sa passion la quinzième année de cet empire, à l’âge d’environ trente ans. Après Tibère vient Caïus César, le même que Caligula, il règne trois ans, sept mois et treize jours ; Néron, neuf ans, neuf mois, treize jours ; Galba, sept mois, six jours ; Othon, trois mois, cinq jours ; Vitellius, huit mois, dix jours. Vespasien triompha des Juifs dans la première année de son règne, ce qui fait cinquante-deux ans, six mois, car il régna neuf ans. Ainsi se complètent pour les Juifs les soixante-dix semaines prédites par Daniel jusqu’au jour de leur ruine. Avec l’accomplissement de ces années et la ruine des Juifs, cessèrent dans cette contrée les oblations et les sacrifices qui ne purent jamais depuis ce moment y être célébrés. Car toute onction y est anéantie depuis la passion de Jésus-Christ. Il était annoncé que l’onction « serait détruite, » ainsi qu’il est prédit dans les Psaumes : « Ils ont percé mes mains et mes pieds. » La sanglante immolation s’accomplit vers la fin des soixante-dix semaines, pendant le règne de Tibère, sous le consulat de Rubellius Géminus et de Fufius Géminus, au mois de mars, dans les temps de Pâque, le huitième jour des calendes d’avril, premier jour des azymes, où Moïse avait recommandé de manger l’agneau vers le soir. Toute la synagogue des enfants d’Israël l’immola donc en disant à Pilate qui voulait le délivrer : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ; » et encore : « Si vous le délivrez, vous n’êtes pas l’ami de César, » afin que tout ce qui était écrit sur sa personne pût avoir son accomplissement.