Un homme dans la tour

SAUVÉS !

Etienne et Jean-Paul sont épuisés par la terrible attente. Leur situation devient intenable ; la faim les tiraille. Sortiront-ils vivants de leur immense prison ? Viendra-t-on à leur secours ? Trouvera-t-on l’entrée de la grotte ? Comprendra-t-on la signification de la lampe ? Arrivera-t-on à temps ? Mille questions se posent à leur esprit. Par moment, il leur paraît impossible qu’on les sorte de là.

Depuis longtemps ils ne parlent plus, car ils sont trop épuisés. Parfois, en songeant à leurs parents qui se morfondent, à leur maison si douce, à la lumière, les larmes viennent remplir leurs yeux.

— Je crains que nous ne soyons perdus ! dit tout à coup Etienne dans un accès de désespoir. Il y a trop longtemps que nous attendons. Certainement, ils n’ont pas compris chez nous !

Popol sanglote, la tête dans les mains.

— Ton Dieu ne nous a pas entendus, gémit-il. Ah ! je m’en doutais. Je savais bien qu’il n’existe pas car il nous aurait répondu d’une manière ou d’une autre.

Que dire à cela ? Qu’opposer à cette incrédulité ? Il est des silences qui sont plus convaincants que de bons arguments. D’ailleurs, on ne démontre pas Dieu.

Toutefois les paroles de Jean-Paul sont allées droit au cœur d’Etienne. Serait-il, lui, un naïf de croire en Dieu et de le prier ? Sa foi serait-elle vaine ? Serait-elle une folie ? Non, le Créateur existe, je le croirai jusqu’au bout. Et dans le secret de son cœur, il prie : Seigneur, montre-nous que tu existes, même si nous devons mourir ici.

Cette courte mais fervente requête lui redonne confiance.

— Non ! dit-il à haute voix, il y a encore de l’espoir, parce que je sais que Dieu existe. Tu peux le nier, quant à moi j’en suis certain.

Jean-Paul ne répond rien. En réalité, il n’est pas tellement sûr de ce qu’il a déclaré tout à l’heure. La preuve, c’est qu’il craint de mourir, c’est qu’il a peur de rencontrer ce Dieu en qui il dit ne pas croire.

Les heures passent, longues et épuisantes.

— Il faut se préparer à partir, dit gravement Etienne au bout d’un moment. Sans doute le Seigneur veut-Il que nous le rencontrions bientôt.

— J’ai peur, affreusement peur, répond Jean-Paul. Voudra-t-Il de moi ?

— Je le pense ! Qu’il aie pitié de nous !

— Bien sûr, toi tu es pieux et ça ira tout seul… mais moi !

— Je ne suis pas tranquille non plus, tu sais ! Comme je regrette d’avoir négligé ces choses quand tout allait bien. Comme je suis coupable de ne pas avoir écouté ce qu’on me disait sur Dieu, sur Jésus, sur la Bible, sur le ciel !

Vois-tu, je suis plus coupable que toi, en tous les cas plus responsable.

— Tu dis ça pour me consoler.

— C’est sérieux, au contraire, Un jeudi, au catéchisme, le pasteur s’est adressé à moi avec gravité. Il m’a dit : Etienne, fais la paix avec ton Dieu car tu es loin de Lui. Il t’aime et tu le méprises. Viens à Jésus !… et je ne sais plus quoi encore ! Pour toute réponse je lui ai ri au nez.

— Malheureux !

— Maintenant, je le regrette, mais c’est trop tard. Je suis un ignorant et c’est ma faute. Oui, que Dieu aie pitié de moi !


♦   ♦

Soudain Etienne sursaute ! Il a entendu un bruit léger. Les deux enfants tendent l’oreille…

— J’entends le grelot de Fallot !

— Oui, c’est bien Fallot. Hourra !

Tout à coup ils aperçoivent une faible lueur, vacillante, qui disparaît par moment.

— Sauvés ! hurle Etienne.

— Sauvés ! répond Jean-Paul.

— Dieu est bon pour nous ! Sauvés !

En quelques bonds Fallot est à leurs pieds. Il s’agite et secoue son grelot avec énergie, tandis que la lampe, affreusement malmenée, projette son faisceau lumineux dans toutes les directions. On dirait que la lumière veut balayer les épaisses ténèbres de la grotte.

Etienne embrasse son chien avec effusion. Jean-Paul, oubliant sa répugnance naturelle, saute au cou de l’animal.

Etienne décroche la lampe, puis contemple une dernière fois les merveilles de cette grotte qui allait devenir leur tombeau pour jamais. Il frémit en y pensant.

— Il faut partir ! Avec précaution les deux enfants quittent le rocher qui les retenait prisonniers, traversent la grande salle en sautant d’un bloc à l’autre pour arriver à l’autre extrémité de l’immense gouffre où ils retrouvent sans peine leur rouleau de ficelle. Il n’y a plus qu’à la suivre.

Les voilà de nouveau dans la petite galerie humide et glissante qu’ils reconnaissent bien. Ils sont exténués, mais la joie qui les remplit les porte littéralement, Plus loin, les deux garçons redescendent prudemment la paroi calcaire qu’ils avaient escaladée à l’aller. Ils se trouvent dans une deuxième galerie, plus étroite, qu’ils suivent sur cinquante mètres et qui débouche dans la première salle. Il ne reste plus qu’à se glisser dans l’étroit boyau qui conduit à l’air libre.

Etienne, avant de s’y engager, éclaire ce long couloir… et il entend très assourdies, des exclamations qui semblent venir du dehors. Il distingue quelques mots : Les voilà ! Ils arrivent ! Popol ! Etienne… !

Le grand gaillard a compris qu’on l’attend au bout, et il répond :

— On est là, tous les deux.

La dernière étape est longue à franchir. Elle semble durer des siècles, à chacun, car tout le monde est impatient de voir la fin de cette équipée dramatique. Popol donne des signes de fatigue qui n’échappent pas à son compagnon. Celui-ci, volontairement, ralentit sa marche. Il doit même l’attendre plusieurs fois et l’encourager à poursuivre : Tiens bon ! On arrive bientôt ! Plus que cinq mètres ! Avance encore !…

A l’autre bout, les voix se font plus distinctes. Etienne reconnaît maintenant la voix chérie de son père, la voix plus aiguë de Francine.

— C’est toi Etienne !

— Oui, ça va !

Dehors, des cris de joie, des trépignements se font entendre. Derrière, le petit gars souffle et gémit. Il a beaucoup de peine à avancer. Arrivera-t-il jusqu’au bout ?

— Encore un mètre !

Enfin, Etienne sort la tête, ébloui par trois phares qu’on lui met sous le nez. Puis il se sent tiré et soulevé par un nombre incalculable de bras. Son père le serre bien fort sur son cœur en disant : « Mon Etienne ! Mon Etienne ! Je ne pensais plus te revoir. » — Des larmes coulent sur son visage. Il ne songe pas un instant à lui faire les reproches promis. Il est trop heureux de retrouver son enfant chéri.

Popol s’approche aussi du terme de son aventure, mais très lentement. Il peine beaucoup ; il est à bout de force. Arrivera-t-il ? On pourrait se le demander car on a l’impression qu’il n’avance plus. Enfin, le voilà ! Péniblement, il sort la tête et se soulève… puis il s’écroule le visage convulsé, vaincu par la fatigue. Il ne sent pas les mains qui le saisissent, les bras qui l’entourent, les baisers qui le couvrent. Il n’entend pas les voix de maman qui l’appelle : Popol ! Popol !

Rapidement, l’enfant revient à lui et voit des têtes penchées sur lui, des têtes curieusement éclairées par des lumières vacillantes.

— Popol chéri, comme nous sommes heureux de te revoir !

Il n’a pas la force de répondre, mais il sourit faiblement comme pour dire : Moi aussi, je suis heureux de vous revoir.

Grand-père en homme sage, conseille de songer à la dernière étape.

— Les gosses. sont épuisés, dit-il. Il faut regagner la maison au plus vite.

Papa a chargé son fils sur le dos, tandis que maman et Francine derrière veillent sur le précieux fardeau.

Etienne, encore fort, s’est accroché au bras de son père qui le soutient aux endroits difficiles. Et lentement, la petite troupe grossie de deux unités, redescend la montagne.

Etienne reste silencieux. Il respire à pleins poumons l’air si pur, si parfumé qui le grise. L’atmosphère lui paraît chaude, malgré la fraîcheur de la nuit.

En songeant à sa merveilleuse délivrance qu’il n’escomptait plus, il pense à Celui qui l’a entendu. « Merci ! » murmure-t-il dans son bonheur.

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