Dans les années cinquante, je me trouvais en Angleterre pour quelques jours de retraite qui se terminaient un dimanche. Ce jour-là – innocemment, je le confesse – quelques collègues et moi décidâmes de jouer au volley-ball, afin de nous détendre entre deux réunions, le programme de ces journées étant copieusement chargé. Nous éprouvions le be- soin de dégourdir nos muscles. Pas davantage.
A peine commencée, la partie fut interrompue par un vieux frère aux cheveux blancs qui nous demanda instamment de vouloir bien cesser notre jeu, nous faisant clairement remarquer que nous transgressions le jour du repos. Cet homme, au demeurant sympathique et fort estimé de ses amis, un gagneur d’âmes chevronné, venait certainement d’un milieu strict comme on en voit encore en Angleterre. Plus tard, je devais comprendre cette réaction en apprenant la réflexion d’un ami anglais qui, un dimanche, se baignait en compagnie des miens, quelque part dans le midi de la France :
— Si j’étais en Angleterre, déclara-t-il, je n’aurais pas la liberté d’enfiler mon costume de bain pour aller plonger dans la rivière.
Naturellement, cet excès-là est préférable à l’excès contraire. Reconnaissons que le jour du Seigneur est singulièrement profané dans notre pays de France où l’on voit, ce jour-là, les étalages encombrer les rues et le marché battre son plein sur les places de nos cités.
Après l’intervention de ce chrétien, nous acceptâmes de bonne grâce de cesser nos ébats et nous regagnâmes nos chaises sans nous plaindre car nous n’aurions pas voulu peiner ce frère scrupuleux. Pourtant, il se trompait. D’abord parce qu’il nous imposait sa façon de voir et ensuite, parce qu’il oubliait les déclarations de l’Ecriture : « Tel fait une distinction entre les jours, tel autre les estime tous égaux. Que chacun ait en son esprit une pleine conviction ». (1)
(1) Romains 14.5.
Ce vieux frère paraissait aussi ignorer que ce jour de fête hebdomadaire était destiné à la détente et à la joie. Or, cette accumulation de réunions (le programme était des plus chargé), d’exposés plus ou moins indigestes (la traduction n’arrangeait pas les choses) ne représentait-elle par une réelle activité pour les évangélistes que nous étions ?
D’après notre Seigneur, le sabbat « est fait pour l’homme » (2), c’est-à-dire pour son bien physique aussi bien que moral et spirituel. Il n’est pas un jour de restriction mais un jour de fête pour l’homme « tout entier ». Ainsi, il renouvelle ses forces par la détente et le repos et, il vit ce jour devant Dieu dans la louange, la prière et la méditation des Ecritures en compagnie des siens et de ses frères en la foi. Hélas ! Nombre d’églises chargent à tel point le programme du dimanche qu’il n’y a plus de place pour le repos et les joies du foyer.
(2) Marc 2.27.
On sait que les juifs de jadis – et d’aujourd’hui – observaient avec rigueur le repos hebdomadaire, s’abstenant durant vingt quatre heures, non seulement de toute œuvre servile, mais encore de toute promenade (3) et ce qui est pire, de tout acte de miséricorde. Si bien que certains allaient jusqu’à reprocher à Jésus de guérir des malades ce jour-là et aux disciples de froisser des épis pour apaiser leur faim. (4) De tels excès faisaient du sabbat un vrai carcan et ce légalisme paralysant conduisait les croyants à juger sévèrement ceux qui prenaient la liberté de porter secours à leur semblable.
(3) D’après les usages des juifs, il ne leur était pas permis de dépasser la distance d’un chemin de sabbat (Actes 1.12), soit environ un kilomètre.
(4) Matthieu 12.1-2.
Je revois encore le visage courroucé d’un payeur des allocations familiales venant tout droit d’une maison voisine. Cet homme passait régulièrement dans les foyers au début de chaque mois pour y régler le montant des prestations mensuelles… moyennant une carte de présence dûment remplie et signée. Ce jour-là – un samedi – un père israélite avait chargé la concierge d’encaisser à sa place la somme qui lui était allouée. Comme il avait omis de signer sa carte, le payeur se rendit à son domicile pour lui réclamer une signature. Pas plus. Le père refusa catégoriquement malgré l’insistance du fonctionnaire. Motif : l’observation du sabbat. D’où la surprise et la colère du payeur qui allait être tenu de se présenter une deuxième fois. Certes, ce refus obstiné avait quelque chose de beau et d’émouvant : il témoignait du désir de plaire à Dieu quitte à passer pour un être stupide. Mais peut-on appeler « œuvre servile » le fait d’apposer une signature ? Et ce père avait-il raison, pour avoir bonne conscience devant l’Eternel, d’encombrer sa concierge et d’obliger un fonctionnaire à revenir frapper à sa porte ? N’était-ce pas pur égoïsme de sa part ? Le légalisme dessèche les cœurs et fabrique des gens égocentriques et sévères à l’égard des autres. Toutefois, gardons-nous de juger cet homme mais considérons plutôt la manière dont nous vivons le jour du repos.
Nous proclamons que nous sommes libres d’observer à notre façon, le samedi ou le dimanche ou… tous les jours. (5) Après tout, ce qui correspond au sabbat de l’Ancienne Alliance (6) ne serait-ce pas : « AUJOURD’HUI » (7) plutôt que le dimanche ? Pour le chrétien, chaque journée que Dieu lui accorde de vivre est un jour de sabbat. Il vit continuellement dans « le repos de ses œuvres ». (8) C’est par commodité et pour fêter le jour de la résurrection que les enfants de Dieu ont choisi de se rencontrer le dimanche pour adorer Celui qui les a tant aimés. En toute liberté.
(5) Romains 14.56.
(6) Colossiens 2.17.
(7) Hébreux 4.7.
(8) Hébreux 4.10.
Et la dîme ?
Grave question ! Le pharisien donnait fidèlement – et avec quels scrupules et quelle exactitude – la dîme de ses produits et de ses revenus (9) ce qui n’empêchait pas l’Evangile de le taxer d’avarice. (10)
(9) Matthieu 23.23.
(10) Luc 16.14.
Que dire alors de la plupart des chrétiens qui, sous prétexte de liberté, se bornent à déposer quelques pièces – une maigre offrande – dans les troncs à l’entrée des temples ou des chapelles ? Il y a certainement plus d’avares qui s’ignorent parmi les gens de la Nouvelle Alliance que chez les membres de la synagogue.
Oui ou non, le chrétien est-il tenu d’apporter la dîme à l’Eglise ?
Nous affirmons catégoriquement que le croyant est libre de donner la dîme et libre de ne rien donner du tout. Pierre ne déclarait-il pas à Ananias qu’il pouvait légitimement garder pour lui son champ ou la totalité de son prix ? En d’autre terme, il n’était nullement obligé de verser quoi que ce soit à la communauté. Dieu ne veut pas d’une générosité imposée. Toutefois, qui ne donne rien au Seigneur démontre qu’il est loin d’être libre. « Esclave de ses sous », il se révèle sans cœur devant la misère et indifférent à l’égard de l’œuvre de Dieu et de ceux qui « vivent de l’Evangile ».
L’offrande – car il s’agit d’une offrande – est un acte de reconnaissance envers « Celui qui s’est fait pauvre afin que nous soyons enrichis ». (11) Elle a sa place dans le culte et doit procéder du cœur et s’accomplir dans la joie. En effet, Dieu s’attend à ce que nous donnions librement, par amour, « sans tristesse ni contrainte » (12), ce qui n’exclut pas des comptes bien tenus et de la discipline dans ce domaine : « Que chacun de vous, le premier jour de la semaine, mette à part chez lui ce qu’il pourra. selon sa prospérité. ». (13)
(11) 2 Corinthiens 8.9.
(12) 2 Corinthiens 9.7.
(13) 1 Corinthiens 16.2.
Au sujet de la dîme, on peut évoquer le sermon sur la montagne où Jésus déclare : « Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui ». (14) Les autorités romaines, soldats et fonctionnaires, avaient semble-t-il, le droit d’obliger un passant quelconque à se charger d’un fardeau ou à servir de guide sur une distance d’un kilomètre et demi environ. Jésus, loin d’encourager la rébellion, se refuse toutefois de servir sous la contrainte. Il veut rester libre aussi conseille-t-il à ses auditeurs de ne pas s’en tenir à ce qui est exigé. « Soyez des hommes affranchis dit-il en d’autres termes à la foule et, plutôt que de vous révolter, faites ce qu’on ne vous demande pas. Allez au-delà de ce qui est prescrit, dépassez la distance réclamée. Ne vous bornez pas à faire un mille – vous seriez sous la loi – mais faites-en deux ou plus. »
(14) Matthieu 5.41.
— Un mille ? Mais pensez donc. Pour vous être agréable, j’en ferai deux volontiers, librement.
Citons ici le cas de Paul. Obligation lui est faite d’annoncer l’Evangile et « malheur à lui ! » (15) s’il n’obtempère pas. Bien qu’il brûle de répandre la Bonne Nouvelle, l’apôtre se refuse lui aussi d’agir sous la contrainte, même sous la contrainte de Dieu. C’est pourquoi, et pour être sûr de servir en toute liberté, ce fondateur d’église décide de faire les… « deux milles ». Autrement dit, il ira au-delà de ce qui lui est demandé. Certes, il évangélisera avec zèle mais. à ses propres frais, gratuitement alors qu’il est en droit de s’attendre à un juste salaire selon le principe même de Dieu que « tout évangéliste vivra de l’Evangile ». (16)
(15) 1 Corinthiens 9.16.
(16) 1 Corinthiens 9.14.
La meilleure façon d’échapper à la loi, c’est de la dépasser. D’aller au-delà de ce qu’elle exige :
— Ah, la loi me demande d’apporter la dîme au trésor de Dieu. (17) Parce que je suis un homme libre qui aime son Seigneur… je la donnerai deux fois… ou plus.
(17) Malachie 3.10.
En vérité, est libre celui qui a la loi « inscrite dans son cœur ». (18) L’accomplir n’est plus un devoir pour lui mais une joie car il veut être agréable à Celui qui l’a tant aimé.
(18) Hébreux 10.16.
Une fillette ployait sous le poids de son « petit » frère, un gros poupon remuant qu’elle serrait avec peine dans ses bras.
— Tu as là un lourd fardeau, trop lourd pour toi… lui fit remarquer un passant.
— C’est pas un fardeau, s’indigna-t-elle ! C’est mon frère.
Le joug du Seigneur est aisé et ses commandements ne sont pas pénibles. pourvu que nous l’aimions. Pourvu que sa loi soit inscrite dans nos cœurs par le Saint-Esprit. Alors plus de contrainte, plus d’obligation pénible mais une offrande joyeuse. Pour la gloire de Dieu d’abord. Pour le bonheur des autres par contre-coup.
Librement, soyons des chrétiens « deux milles » à la gloire du Seigneur.