Propos sur le temps

LE TEMPS ENCOMBRÉ

Nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre.

Luc 5.5

Notre fils – alors âgé de quatre à cinq ans – observait avec intérêt sa tante occupée à frictionner au papier de verre de vieilles chaises héritées d’une grand-mère ; elles avaient besoin d’une sérieuse cure de rajeunissement. Le coup de pinceau final fit merveille. Le vernis transparent, soigneusement appliqué sur les montants et les barreaux, rendit vie et nouvelle jeunesse à ce bois centenaire. Cette métamorphose inspira soudain l’enfant émerveillé. Sur-le-champ, il chaparda une feuille de ce papier magique, grimpa en hâte à l’étage où nous habitions et se mit diligemment à l’œuvre en s’attaquant à notre mobilier.

Et vas-y que je te frotte !

Certes, son intention était louable, car il tenait à faire plaisir à sa maman en lui réservant une bonne surprise. Hélas pour lui… comme pour nous ! Nos chaises étaient quasiment neuves, achetées depuis quelques semaines seulement. Je vous laisse deviner la suite.

Cette évocation parle d’elle-même. Une « action bonne » accomplie avec les meilleures intentions du monde n’est pas nécessairement une « bonne œuvre », utile et sujet de joie pour les autres. Après tout, notre temps peut être encombré de choses excellentes qui n’ont pas pour autant l’approbation d’En haut. Peut-être parce qu’elles nous empêchent d’accomplir les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions (Éphésiens 2.10).

Une vie survoltée, bourrée d’actions fébriles, procède sans aucun doute d’un esprit d’indépendance. « L’activisme » tient le croyant loin du Seigneur, use inutilement ses forces et le conduit un jour ou l’autre au découragement, voire à la dépression. Contrairement aux apparences, il constitue une perte de temps, aussi l’Écriture nous invite-t-elle avec instance à entrer dans le repos de nos œuvres propres (Hébreux 4.10-11), bien qu’il nous soit ordonné de travailler sans relâche pour le Seigneur (1 Corinthiens 15.58). Mais alors, pourquoi les chrétiens sont-ils si souvent tentés de tomber dans un activisme stérile ? Il y a plusieurs raisons à cela :

Premier motif : LA FAIBLESSE DE CARACTÈRE. Serais-je de cette espèce qui ne sait pas dire « non » lorsqu’on me propose de m’atteler à une tâche qui ne me concerne pas ? (1). C’est connu. Les personnes douées et compétentes sont particulièrement sollicitées et les amis usent d’un argument irrésistible pour obtenir leur accord : « Il n’y a que vous qui pouvez ou savez le faire. »

(1) Nous rencontrerons, surtout dans l’église, des personnes qui « savent ce que nous devons faire », et parce qu’elles se croient inspirées, elles s’étonneront et nous jugeront peu spirituels si nous n’adoptons pas leur point de vue. L’essentiel est que nous restions soumis aux directives de notre Seigneur.

Tel artisan, outre son activité professionnelle, se révèle expert en mécanique. Nul ne l’ignore dans la résidence. S’il ne veillait, il deviendrait le dépanneur bénévole du quartier et passerait ses congés à visser des boulons ou à roder des soupapes : « Venez donc voir ma voiture, vous qui vous y connaissez… Y a comme un bruit… » Qu’il est difficile de dire « non » à bon escient lorsqu’on nous demande certains services. Le chrétien n’est-il pas tenu de faire le bien sans se lasser (Galates 6.9) ? Certes, mais sans pour autant frustrer de son temps le Seigneur, sa propre famille et son église. La sagesse de Dieu n’est pas de trop pour discerner les appels qu’il est juste de décliner.

Deuxième motif : LA PRÉCIPITATION et le manque de réflexion. Des expériences plutôt négatives me permettent d’affirmer qu’il est sage de résister à ceux qui exigent de nous une réponse rapide, surtout au téléphone. Prenons le temps… d’avoir le temps pour réfléchir avant de prendre une décision qui nous engage. « Je n’ai pas le temps d’être pressé », confiait Wesley à ses amis. Invité à se rendre d’urgence à Béthanie où se meurt son ami Lazare, loin de se hâter, Jésus reste deux jours encore au-delà du Jourdain avant de se mettre en route. Même les êtres chers – ici Marthe et Marie – ne lui tracent pas son programme (Jean 11.6). Il tient à « posséder le temps ». « Plus les choses vont vite, plus il faut s’arrêter souvent », me confiait un ami. De son côté, Lyautey était sage qui déclarait : « Si nous sommes pressés, allons doucement. »

Troisième motif : UN MANQUE D’ORGANISATION ET DE CONFIANCE À L’ÉGARD DES AUTRES. S’associer des collaborateurs et se décharger sur eux d’un certain nombre de tâches ne nous est pas naturel : il est tellement plus facile, plus rapide et plus sûr d’agir soi-même. C’est vrai, surtout si nous sommes impatients et si nous oublions que nos aides doivent d’abord apprendre, s’adapter, entrer dans notre action, avant de nous fournir le travail souhaité. Former des collaborateurs prend des forces, du temps et de l’argent. Toutefois ne faisons pas de cette constatation un prétexte pour y renoncer. Il faut savoir perdre un peu de temps pour en gagner ensuite beaucoup. Qui prétend vouloir tout faire se surmène, épuise l’entourage et se tue à la tâche.

Moïse, homme débordé, littéralement « sucé » par un peuple toujours plus exigeant, ne tarde pas à tomber dans le domaine public, négligeant certainement sa propre famille. Jéthro, son beau-père, discerne cet excès – il a pu entendre les plaintes de sa fille – et conseille à son gendre de choisir des collaborateurs dignes de confiance, afin de se décharger sur eux des tâches accessoires. Le beau-père de Moïse lui dit : Ce que tu fais n’est pas bien. Tu t’épuiseras toi-même, ainsi que ce peuple qui est avec toi, car la tâche est trop lourde pour toi ; tu ne pourras pas l’exécuter toi seul… Discerne parmi tout le peuple des hommes de valeur… Qu’ils jugent le peuple en tout temps : qu’ils portent devant toi une affaire importante, et qu’ils jugent eux-mêmes les affaires secondaires. Allège ta charge, et qu’ils la portent avec toi. Si tu fais cela, et que Dieu te donne des ordres, tu pourras tenir bon, et tout ce peuple parviendra en paix à destination (Exode 18.17-23).

Jéthro avait raison. Il n’est pas légitime de se surmener. Je dois « durer » le plus possible pour le Seigneur, la famille, l’église et ceux que je côtoie. Autant que cela dépend de moi. Qui veut tout faire par lui-même prouve sa méfiance à l’égard des autres, soupçonnés d’ incompétence chronique. Il faut une bonne dose de prétention pour se croire seul capable de faire vite et bien.

Il convient d’évoquer ici les décisions des apôtres devenus « bonnes à tout faire » dans l’église de Jérusalem (Actes 6). Ces hommes dévoués à l’excès se sont adonnés à de multiples tâches, même matérielles. Résultats : un service imparfaitement accompli – le mécontentement au sein de la communauté –, la négligence des choses prioritaires, à savoir la prière et la prédication (v. 4). Pierre et ses amis sont sages de reconnaître leur erreur et d’y parer sans délai en confiant le service des tables à des hommes de valeur, remplis de l’Esprit et de sagesse (v. 3). Après tout – et ce récit en est la preuve – les gens compétents ne manquent pas (dans l’Église en particulier, 1 Pierre 4.10), pourvu qu’on veuille bien les découvrir et les utiliser. Trop de serviteurs de Dieu débordés avouent ne plus avoir de temps pour chercher Dieu afin de recevoir l’indispensable « manne » à distribuer. Personne ne gagne dans le tourbillon et la fièvre.

Quatrième motif : L’ORGUEIL, le désir de prouver aux autres que l’on est actif. N’y a-t-il pas une secrète satisfaction à montrer un agenda bien rempli ? A expédier des circulaires pleines des travaux que nous avons pu mener à bien ? Et puis, n’éprouve-t-on pas quelque complexe à côtoyer des personnes actives et efficaces ? Pourquoi certains pasteurs hésitent-ils à se reposer le lundi, leur jour de détente ? C’est qu’ils sont gênés de se promener alors qu’on travaille et s’agite autour d’eux. Ils redoutent le « Monsieur le pasteur se promène ? », réflexion ironique qu’ils estiment fort désagréable. Si c’est votre cas, pensez au prophète Élie qui acceptait de se laisser héberger, servir.et nourrir par une veuve démunie. Les gens de Sarepta pouvaient lui reprocher avec indignation de vivre aux crochets d’une femme sans ressources ; il ne s’en inquiétait guère, puisque telle était la volonté de l’Éternel (1 Rois 17.9-13). Que la peur du « qu’en dira-t-on ? » n’influence pas notre conduite.

Le cinquième motif sera abordé dans le chapitre suivant.

QUESTIONS

  1. Êtes-vous de ceux qui chargent indûment leur programme ? Seriez-vous tombé dans l’activisme ?
  2. Êtes-vous certain de consacrer assez de temps à votre famille ? A l’Église ? A votre entourage ?
  3. Mettez-vous du temps à part pour méditer les Écritures et vous entretenir sans hâte avec le Seigneur ?

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