11 C’est pourquoi souvenez-vous que vous, autrefois les Gentils dans la chair, appelés incirconcision par ce qui est appelé circoncision, faite de main dans la chair, 12 vous étiez en ce temps-là hors de Christ, séparés de la république1 d’Israël et étrangers aux alliances de la promesse, n’ayant point d’espérance et sans Dieu dans le monde. 13 Mais maintenant en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois loin avez été rapprochés par le sang de Christ. 14 Car lui-même est notre paix, qui des deux choses en a fait une, et a renversé le mur mitoyen de la clôture. 15 Ayant aboli, en sa chair, l’inimitié, la loi des commandements en ordonnances, afin qu’il créât les deux en lui-même pour être un seul homme nouveau, en faisant la paix ; 16 et qu’il réconciliât les uns et les autres en un seul corps avec Dieu, par la croix, ayant tué en elle l’inimitié. 17 Et étant venu, il a évangélisé la paix à vous qui étiez loin, et à ceux qui étaient près ; 18 car par lui, nous avons accès les uns et les autres, en un seul Esprit, auprès du Père. 19 Ainsi donc, vous n’êtes plus étrangers ni forains, mais concitoyens des saints et gens de la maison de Dieu ; 20 ayant été édifiés sur le fondement des apôtres et prophètes, la première pierre de l’angle étant Jésus-Christ lui-même ; 21 en qui tout l’édifice bien coordonné croît pour être un temple saint au Seigneur. 22 En qui vous aussi êtes édifiés, pour être une habitation de Dieu en esprit.
1 – Ou communauté.
Souvenez-vous. Il est écrit : « Soyez reconnaissants ; » ce qui signifie avant tout, soyez reconnaissants envers Dieu (Colossiens 3.15). Il faut que les Gentils qui ont cru se rappellent quelle a été leur condition première (11, 12), comment « Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » les en a retirés (13-18), et les a placés dans la condition toute contraire dont ils jouissent aujourd’hui (19-22). Ceci nous intéresse directement. Les Éphésiens sont ici les représentants des Gentils en général ; ainsi s’explique l’emploi singulier de l’article dans ces mots : « Vous, autrefois les Gentils, » au lieu de « vous, autrefois Gentils, » nous sommes les enfants des Gentils, et, s’il y a avait une différence à faire entre Gentils et Gentils, nos pères devraient être rangés dans la classe la plus ténébreuse, étant de ceux qui ont été tout à la fois les plus éloignés de toute communication avec le peuple d’Israël, et les plus dépourvus des lumières même de la philosophie. Mais ce dernier point est de peu d’importance en comparaison du premier, et l’Apôtre met tous les Gentils sur la même ligne, quelles qu’aient pu être leurs lumières naturelles. Si l’Évangile n’eût pas été apporté à nos pères, nous serions encore aujourd’hui dans l’état où avaient été les Éphésiens avant leur conversion, et que saint Paul décrit par les traits suivants :
Les Gentils dans la chair, etc. Ces mots « dans la chair » doivent avoir la même signification ici, et dans la fin de notre verset. Les Éphésiens étaient Gentils dans la chair, comme les Juifs étaient circoncis dans la chair. Il manquait aux premiers le signe extérieur et visible de l’alliance avec Dieu, la circoncision. Mais, avec ce signe, il leur manquait encore la grâce intérieure et invisible dont il est le sceau (Romains 4.11), cette autre « circoncision qui ne se fait point avec la main » (Colossiens 2.11), « la circoncision du cœur, en esprit » (Romains 2.28). Cette seconde pensée est celle sur laquelle l’Apôtre s’arrête, et qu’il développe dans le verset 12. Ce n’est pas ainsi que l’entendaient les Juifs, qui, pour être « d’Israël, » n’étaient pourtant pas « Israël » (Romains 9.6). A leurs yeux, « la circoncision (extérieure) faite de main dans la chair » était le point essentiel ; leur privilège était de la posséder, et ils l’appelaient fièrement « la circoncision ; » en être privés était le malheur des Gentils, qu’ils appelaient avec dédain « l’incirconcision. » Dans les derniers mots de notre verset, l’Apôtre jette en passant un blâme indirect sur cette tendance charnelle ; car, outre qu’il ne manque aucune occasion de la combattre (Romains 2.25-29 ; Colossiens 2.11, etc.), il lui importait de faire comprendre en cet endroit, où il allait rabaisser la condition des Gentils au-dessous de celle d’Israël, qu’il le faisait dans un autre esprit que ses compatriotes, et que le malheur des Gentils était moins encore l’absence du signe que l’absence de la grâce signifiée, sans laquelle le signe devenait inutile aux Juifs eux-mêmes. Au reste, on voit ici à la fois l’importance du signe extérieur de l’alliance, et son insuffisance. On pouvait avoir le signe sans avoir la grâce signifiée, mais on ne pouvait avoir la grâce signifiée sans avoir le signe ; on ne le pouvait du moins dans l’ordre général des dispensations divines, bien que la chose ne fût pas impossible en soi ni sans exemple (Romains 4.10, 11). Rapprochez de ce passage la manière dont notre Seigneur s’exprime au sujet du baptême, qui devait remplacer la circoncision comme signe de la nouvelle alliance (Marc 16.16) : « Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé ; mais celui qui n’aura pas cru (baptisé ou non) sera condamné. » C’est dans le même esprit que le Seigneur, ayant déclaré nécessaire la double naissance et « d’eau et d’Esprit » au verset 5 de Jean 3, ne parle plus que de « l’Esprit » au verset 6.
Par ce qui est appelé circoncision, faite de main en la chair. Locution elliptique, pour : ce qui est appelé circoncision (à cause de la circoncision), faite de main dans la chair. On peut traduire également « qui s’appelle circoncision. » L’Apôtre indiquerait alors que c’est le nom que les Juifs se donnent à eux-mêmes, tandis que la version reçue, que nous avons suivie, indique en même temps que c’est le nom que leur donnent les Gentils. Nous nous décidons pour cette dernière version, parce qu’elle ajoute aux pensées que nous avons exposées ci-dessus une nuance importante, et qui doit être reprise plus bas, versets 14 et 15, celle de l’antagonisme qui existait entre les Gentils et les Juifs, qui se jetaient les uns aux autres, avec un égal dédain, les épithètes d’incirconcis et de circoncis.
Hors de Christ. Après avoir montré les Gentils dans le verset 11 privés de la circoncision extérieure, et avoir donné à entendre qu’ils l’étaient par conséquent aussi de la circoncision spirituelle, l’Apôtre développe cette seconde pensée, et décrit dans le verset 12 la condition religieuse des Gentils, privés de toute lumière divine, et complètement livrés à la nature aveugle et pervertie. Rapprochez de ce tableau celui qu’il en fait encore 4.17-19 : « Hors de Christ, » trait général, que l’Apôtre subdivise ensuite en plusieurs autres. Mais celui-là les contient tous en germe. « Nul ne va au Père que par le Fils ; » et Christ renferme en lui seul toutes les espérances religieuses de l’humanité dans tous les temps.
Jésus-Christ, c’est-à-dire le Christ, manifesté dans l’homme Jésus, n’a paru qu’avec la nouvelle alliance ; aussi remarquez que l’Apôtre dit ici « hors de Christ, » mais au verset suivant « en Jésus-Christ. » Mais Christ a toujours été dans le monde (Jean 1.10) ; toute l’ancienne économie n’est fondée que sur lui ; et longtemps avant de se montrer en chair, il s’est révélé en esprit et par la prophétie, mais au seul peuple d’Israël. Il est vrai que la plupart des Israélites « rendaient inutile le conseil de Dieu à leur égard » par leur incrédulité ; mais Christ n’en était pas moins au milieu d’eux, à leur portée, et ils n’avaient, pour le saisir, qu’à avancer la main de la foi. Les Gentils n’avaient rien de semblable, ils étaient hors de Christ, et dès lors privés de toutes les bénédictions spirituelles dont il est le centre unique ; Christ était pour eux comme s’il n’était pas. Tels qu’étaient les Gentils d’autrefois, tels sont ceux d’aujourd’hui. Des hommes pieux se sont plu quelquefois à supposer que les païens participent aux bienfaits de Jésus-Christ, d’une certaine manière vague et impossible à bien définir. Notre cœur nous fait concevoir sans peine comment on arrive à ces hypothèses ; mais ce sont des hypothèses, rien de plus, et c’est assez pour nous en défier. Serait-ce trop presser les expressions de notre texte que d’ajouter que ces hypothèses sont contraires à la doctrine de notre Apôtre ? N’allons pas plus loin que l’Écriture, sans doute, en parlant des païens, et laissons le soin de les juger à celui à qui tout jugement appartient ; mais craignons aussi d’aller moins loin qu’elle, de peur que nous ne paraissions vouloir nous faire plus charitables que Dieu et sa parole, et que l’Église ne se relâche pour porter l’Évangile aux nations qui en sont privées.
Des quatre traits qui développent la pensée générale « hors de Christ, » et qui achèvent la peinture des Éphésiens avant leur conversion, les deux premiers d’une part, les deux derniers de l’autre, ont entre eux un lien étroit indiqué par la conjonction et, qui les unit.
Les deux premiers marquent la position de ces Gentils à l’égard d’Israël, qui est le peuple de Christ, et les deux derniers, leur position à l’égard de Dieu, qui est le Dieu de Christ.
Séparés de la république d’Israël, et étrangers aux alliances de la promesse. Israël avait deux privilèges, dont le Gentil était également exclu, et dont le premier était au second à peu près ce que le corps est à l’âme. Le premier, c’est cette constitution politico-religieuse, désignée à bon droit sous le nom de théocratie, parce que le caractère qui la distingue est d’avoir pour chef Dieu lui-même, représenté par ses ministres et plus spécialement par le Souverain Sacrificateur (1 Samuel 8.7). A cette constitution se rattache tout cet ordre visible qui distingue les Israélites comme peuple : la possession de Canaan, la loi de Moïse, le régime lévitique et sacerdotal, le Souverain Sacrificateur à la fois prophète et juge, le partage des terres et le Jubilé, les fêtes solennelles et les sabbats, l’holocauste continuel et les sacrifices, etc.
De tout cela, les Gentils étaient séparés, ou, selon l’énergie de l’expression originale qui marque une intention du fondateur, ils en étaient exclus. De là, par une suite nécessaire, ils étaient privés de cet autre privilège, dont le premier n’était que l’enveloppe et la garde extérieure : ils étaient « étrangers aux alliances de la promesse ; » à cette alliance que Dieu avait traitée avec Abraham, et renouvelée plusieurs fois avec ses descendants, ce qui fait que l’Apôtre la désigne par un mot mis au pluriel (comme dans Romains 9.4-5, où il met également au même nombre le mot promesse). On sait que cette alliance était faite en vertu de la promesse, et que cette promesse avait pour objet la venue du Christ dans la famille d’Abraham et sur la terre donnée à Abraham. Les Gentils, bien que compris pour l’avenir dans la promesse, n’étaient point entrés dans l’alliance et n’y devaient pas entrer avant l’avènement du Christ. Jusque-là, la promesse était déposée dans le sein d’Israël, et, par cette constitution dont nous parlions tantôt, tout à la fois garantie à ce peuple et mise hors de la portée de tous les autres.
N’ayant point d’espérance et sans Dieu dans le monde. Ainsi séparés du peuple de Christ, les Gentils l’étaient aussi du Dieu de Christ ; et ils ne pouvaient entrer en communion avec Dieu sans entrer avec rapport avec Israël. Je ne connais rien dans l’Écriture qui donne une plus haute idée des privilèges d’Israël, et, par analogie, des privilèges du peuple de Dieu et de son Église dans tous les temps. Nous pouvons dire de l’alliance visible de Dieu ce que nous disions tantôt du signe visible de cette alliance : avoir part à l’alliance visible est insuffisant, mais nécessaire, du moins dans l’ordre général des dispensations divines ; et, dans ce sens, il y a de la vérité dans cette maxime si justement décriée pour l’abus qu’on en a fait : « Hors de l’Église point de salut. » Seulement, il ne faut pas se tromper sur ce qu’est l’Église. Dieu a un peuple sur la terre, et il faut, quand on veut jouir de la grâce, se rattacher à ce peuple de Dieu, dépositaire de ses promesses et de sa parole. Apprenons encore de cet endroit l’estime que nous devons faire d’Israël, nous qui n’avons pu venir à Dieu qu’en devenant en Jésus-Christ un avec Israël, si bien que nous sommes appelés nous-mêmes « l’Israël de Dieu » (Galates 6.16).
Les Gentils donc sont sans espérance. L’espérance dont il est ici question est celle qui se rapporte à la promesse ci-dessus rappelée ; c’est l’espérance d’un Sauveur, et par conséquent du salut ; puis, par extension, l’espérance de la vie éternelle et de toute vraie félicité. Cette espérance se trouvait chez le Juif croyant, et, pour se justifier devant Agrippa, il suffit à saint Paul de lui prouver qu’il n’est coupable que d’en avoir attendu l’accomplissement : « Et maintenant, je comparais en jugement pour l’espérance de la promesse que Dieu a faite à nos pères, à laquelle nos douze tribus, qui servent Dieu continuellement nuit et jour, espèrent de parvenir ; et c’est pour cette espérance, ô roi Agrippa, que je suis accusé par les Juifs » (Actes 26.6-7). Mais le Gentil n’avait rien de semblable. Autre est l’attente d’une vie future, qui existait dans le paganisme, mais superstitieuse et ridicule chez le peuple, vague et incertaine chez les philosophes, autre est l’espérance du salut et d’un Sauveur, telle que l’avaient les Juifs, mais auquel les Gentils étaient si loin de s’attendre, qu’ils n’en sentaient pas même le besoin déterminé, n’ayant pas connu la vraie nature ni la coulpe du péché. Je dis le besoin déterminé : car le sentiment obscur de ce besoin a toujours existé chez les païens, tant anciens que contemporains ; et il a paru, tantôt par les aberrations étranges de la justice propre en recherche d’une expiation, tantôt par la paix à la fin trouvée dans la doctrine de la croix.
Le Gentil est en même temps sans Dieu (littéralement athée) dans le monde. Non que les païens n’aient rien connu de Dieu (Romains 1.19-20), ni que les philosophes ne se soient élevés même à l’idée d’un Dieu unique, spirituel et Créateur, bien que tout cela ait été très confus dans l’esprit même des plus sages. Mais, eussent-ils eu les notions plus nettes de nos déistes modernes, ce dont il s’en faut beaucoup, ils n’en seraient pas moins sans Dieu, ou athées, au sens de l’Apôtre. Car leur Dieu, n’étant pas le Dieu de Jésus-Christ, n’est pas non plus le Dieu, de l’homme, « le Dieu vivant et vrai, » qui se communique à l’homme, qui vit dans l’homme, qui sauve, sanctifie et console l’homme. « Le déisme ne trouve Dieu que dans le ciel ; le panthéisme ne le trouve que sur la terre ; le christianisme seul le trouve à la fois dans le ciel et sur la terre2. » Ajoutons que le déisme et le panthéisme n’ont pas même ce qu’ils paraissent avoir ; car le Dieu qu’on ne trouve que dans le ciel n’est pas même le Dieu du ciel, et le Dieu qu’on ne trouve que sur la terre n’est pas même le Dieu de la terre. Les mots « dans, le monde » sont un dernier coup de pinceau qui relève l’horreur du tableau. Être « sans Dieu » est toujours affreux ; mais combien affreux surtout « dans le monde, » dans ce pauvre monde qui a tant besoin de Dieu, étant si criminel et si misérable. C’est sur la face de ce monde que le Gentil est jeté sans Dieu3. Au reste, « sans Dieu dans le monde » répond à « séparés de la république d’Israël, » comme « n’ayant point d’espérance, » répond à « étrangers aux alliances de la promesse. »
2 – Harless.
3 – « The wide, vain world, wherein ye wandered up and down, unholy and unhappy. » (Wesley, Explanatory notes upon the New Testament.)
Voilà la condition des païens, telle que Dieu la voit. Qui veut travailler à les en retirer ? qu’il entre activement et de toute sa puissance dans l’œuvre des Missions, qui n’a pas d’autre objet, et qu’il se dise : Tel serait mon état, si Jésus-Christ n’avait été annoncé à nos pères par les missionnaires d’autrefois ! Car l’unique moyen par lequel des Gentils puissent être délivrés de cette affreuse misère, c’est « Jésus-Christ et lui crucifié. » C’est ce que l’Apôtre fait voir pour les Éphésiens dans les versets 13-18.
Mais maintenant, en Jésus-Christ, c’est-à-dire, maintenant que vous êtes en Jésus-Christ. Être « hors de Christ, » voilà le titre et le résumé de leur misère précédente, et tout le verset 12 n’a été qu’un développement de ce commencement. Être « en Jésus-Christ » (l’Apôtre ajoute cette fois au nom de Christ celui de Jésus, qui ne pouvait lui être donné dans le verset 12, où il s’agit du Messie annoncé par les prophètes, mais non encore manifesté dans l’homme Jésus, être « en Jésus-Christ, » c’est le titre et le résumé de leur condition nouvelle, et tout ce qui suit n’est que le développement de ces deux mots.
Vous qui étiez autrefois loin avez été rapprochés (littéralement : êtes devenus près). Ces expressions, loin et près, empruntées à Ésaïe 49.1 et 57.19, désignent, dans le langage du Nouveau Testament, et aussi dans celui de la théologie judaïque, la position respective des Gentils et des Juifs (Actes 2.39). Les Gentils, autrefois exclus d’Israël et étrangers à l’alliance (verset 12), ont été rapprochés depuis qu’ils sont en Jésus-Christ. Rapprochés, de qui ? d’Israël, ou du Dieu d’Israël ? Les versets 14 et suivants sont parmi les plus difficiles de notre épître ; et cette difficulté tient en grande partie à la question qui vient d’être indiquée, et qui se représente à chaque pas, pour les mots paix, inimitié, etc. De là une assez grande divergence entre les commentateurs, suivant le parti qu’ils prennent sur ce point. Nous pensons que l’espèce de confusion dont on se plaint ne peut être complètement éclaircie, parce qu’elle est dans la pensée de l’Apôtre et dans la nature des choses. Le Gentil, également éloigné d’Israël et du Dieu d’Israël, ne pouvait se rapprocher de l’un sans se rapprocher de l’autre ; et ces deux rapprochements se touchent et se pénètrent dans les versets 13-18, comme le font les deux éloignements correspondants dans le verset 12. Mais, bien que l’une et l’autre idée soient présentes à la fois à l’esprit de l’Apôtre, chacune des deux prédomine tour à tour dans son développement. Celle des deux qui y occupe la première et la principale place, c’est la réunion des Gentils avec Israël. Cela nous paraît résulter, et des versets qui vont nous occuper, et de la description de l’ancienne condition du Gentil (verset 12), et de celle de sa nouvelle condition (versets 19-22), et aussi du commencement du chapitre suivant, notamment du verset 6. Dans tout cela, la réunion avec Israël apparaît sur le premier plan, et la réunion avec Dieu sur le second ; bien entendu que le plan dont nous parlons est celui du développement de l’Apôtre en cet endroit, non celui des choses en soi ; car, à ce dernier point de vue, la réunion avec Dieu précède et domine tout le reste. Aussi, dans les trois premiers versets de ce développement (13-15), c’est de la réunion avec Israël qu’il s’agit essentiellement, nous ne disons pas exclusivement ; et puis, l’Apôtre passant insensiblement, et dans le courant d’une période, à l’autre face de son sujet, il s’agit, au contraire, non exclusivement, mais essentiellement, de la réunion avec Dieu dans les derniers versets (16-18).
Par le sang de Christ.. C’est par le sang de Jésus-Christ que les Gentils sont réunis avec Israël, comme c’est par ce sang que les uns et les autres sont réconciliés avec Dieu. Comment ? L’Apôtre nous l’expliquera dans les versets suivants, où les mots « vous avez été rapprochés » sont développés par le verset 14, et les mots « par le sang de Christ, » par la première moitié du verset 15.
Lui-même est notre paix. Ce n’est pas assez qu’il « nous annonce la paix » (verset 17), ni même qu’il « fasse la paix » (verset 15) ; « il est lui-même notre paix. » Tout dans notre épître attire nos regards sur la personne même de Christ. C’est dans cette personne vivante que nous avons part à tous les dons de Dieu ; le vrai christianisme n’est pas une doctrine, mais une vie, la vie de Christ en nous et de nous en lui, spirituellement, mais réellement. – Il y a ici une allusion au titre de « Prince de paix » qui est donné au Messie dans Ésaïe 9.6, et à son nom de Siloh, qui signifie pacificateur (Genèse 49.10). – On a coutume de citer ces mots, « il est notre paix, » pour prouver que Jésus-Christ nous réconcilie avec Dieu. Cette pensée y est bien renfermée implicitement ; mais ce n’en est pas le sens propre et principal. L’Apôtre entend par là que Jésus-Christ est la paix du Gentil avec Israël, ainsi qu’il le montre aussitôt après.
Qui des deux choses en a fait une, et a renversé le mur mitoyen de la clôture. L’Apôtre nous montre d’abord Jésus-Christ agissant sur les positions, qu’il confond en renversant le mur qui sépare le Gentil du Juif ; et ensuite il le montre (verset 15) agissant sur les personnes qu’il rassemble en créant de nouveau tant Gentils que Juifs en lui-même. D’abord, le côté négatif de la réunion, la barrière enlevée ; ensuite, le côté positif, les esprits transformés. Cette nuance intéressante, indiquée dans l’original par l’emploi du neutre au verset 14 et du masculin au verset 15, est perdue dans nos versions reçues. Nous avons tenu à la rendre dans notre traduction, quoique nous n’ayons pas réussi à le faire d’une manière qui nous satisfasse. L’expression originale annonce la figure qui va suivre, et signifie que Jésus-Christ a mis en un les deux côtés que séparait jusqu’à lui un mur de séparation.
C’est la loi, ainsi que saint Paul l’explique au verset 15, qui est ce mur de séparation qu’il appelle « le mur mitoyen de la clôture, » non par un vain pléonasme, mais pour distinguer deux points de vue de la loi. A ne regarder que le peuple juif, la loi est une barrière élevée autour de lui, semblable à ces clôtures qui entourent une vigne, et qui lui servent tout ensemble de limite et de défense. Le mot que nous rendons par clôture, et qui descend d’un verbe qui signifie enfermer une chose pour la protéger, est celui dont Jésus-Christ s’est servi, (Matthieu 21.33) dans la parabole des vignerons, en parlant de la barrière (la loi) que le Père de Famille (Dieu) élève autour de sa vigne (l’Église de l’Ancien Testament). Il correspond au mot hébreu dont Ésaïe s’est servi dans la même parabole, que Jésus-Christ lui a empruntée (5.2), où les Septante l’ont traduit par le mot grec employé par saint Paul dans notre texte (nos versions ont traduit haie dans les deux cas4). Mais, à regarder la position respective des Juifs et des Gentils, cette même loi est un mur mitoyen qui les sépare, et qui ne laisse aucun espoir d’union entre eux tant qu’il subsiste.
4 – Les rabbins donnent aussi à la loi le nom de haie ou clôture.
Ayant aboli en sa chair l’inimitié, la loi des commandements en ordonnances.
En sa chair : c’est-à-dire par sa mort ; même pensée que l’Apôtre a exprimée au verset 13 en ces mots « par le sang de Christ, » et qu’il exprime au verset 16 en ceux-ci : « par sa croix. » Voyez l’endroit correspondant de l’épître aux Colossiens 1.22 : « Nous a maintenant réconciliés par le corps de sa chair, par sa mort ; » et encore (2.14) : « Ayant effacé l’obligation qui était contre nous, laquelle consistait dans les ordonnances, et nous était contraire ; et il l’a entièrement annulée en l’attachant à la croix. » C’est en mourant, c’est dans sa chair que Jésus-Christ reçoit à notre place le coup que la loi nous destinait, et c’est « par la mort » qu’il « détruit celui qui a le pouvoir de la mort » (Hébreux 2.14). Merveilleux paradoxe ! Rapprochez de notre texte Jean 6.51 ; Romains 8.3. N’oublions pas quel est « le chemin nouveau et vivant » que Jésus nous a ouvert pour « entrer dans les lieux saints » (Hébreux 10.19-20), et « soyons reconnaissants ! » Les mots l’inimitié sont placés de telle sorte que l’on peut, avec une égale facilité, ou avec une égale difficulté, les rattacher à ce qui précède, et traduire : « Ayant renversé le mur mitoyen de la clôture, l’inimitié, » ou à ce qui suit, et traduire ainsi que nous l’avons fait ci-dessus. Dans l’un et l’autre cas, l’inimitié est une expression abrégée pour la cause de l’inimitié ; mais dans le premier, c’est le mur de séparation figurant la loi qui est appelé de ce nom ; dans le second, c’est la loi elle-même. Nous devons avouer que les meilleurs commentateurs modernes se sont décidés pour la première interprétation (Harless, Olshausen, Gerlach, etc.) ; malgré cela, nous nous rangeons parmi ceux qui préfèrent la seconde parce que la construction de la phrase, toujours embarrassée quoi qu’on fasse, nous laisse le choix libre, et qu’il nous paraît dès lors plus naturel de partager la période de telle sorte que la figure se trouve toute d’un côté, et l’explication toute de l’autre. « Ayant renversé le mur mitoyen de la clôture, » voilà la figure ; et en voici l’explication : « Ayant aboli, dans sa chair, l’inimitié, » etc. Ajoutez que cet ordre d’idées correspond exactement à celui de la fin du verset 16 : « Ayant tué l’inimitié en elle » (c’est-à-dire en sa croix), qui confirme ainsi notre explication. Quoi qu’il en soit, cette différence n’affecte pas le fond de la pensée. Dans la figure ou dans l’explication, c’est toujours la loi qui est, selon l’Apôtre, la cause de l’inimitié qui existe entre le Gentil et le Juif. Cela se conçoit, et l’histoire le confirme. En constituant Israël comme un peuple à part, et en le séparant de tous les autres, non seulement par une doctrine et une mission toute spéciale, mais encore par des formes extérieures et visibles, qui avaient le double caractère d’un privilège et d’une barrière, telles que le culte réservé à un seul temple, les règles de la pureté légale, l’observation du sabbat, et par-dessus tout la circoncision, la loi mosaïque créait entre le peuple élu et tous les autres une haine naturelle, inévitable, et dont on trouve des preuves constantes dans toute l’histoire des guerres des Israélites avec leurs voisins, et enfin avec les Romains. Ces guerres ont un caractère particulier qui tient à l’isolement national et religieux du Juif, source de hauteur et d’éloignement de son côté, de jalousie et de haine du côté de ses adversaires. Comment s’aimer quand les Gentils étaient pour les Juifs des profanes avec lesquels il ne leur était pas permis de manger, et les Juifs pour les Gentils des fanatiques dont l’orgueil n’était égalé que par leur superstition ? On voit, en lisant les auteurs païens, que les Gentils méprisaient autant les Juifs pour être circoncis, que les Juifs méprisaient les Gentils pour ne l’être pas. Point de réconciliation possible, tant que la loi subsistait telle quelle, et c’est en la détruisant que Jésus-Christ a fait la paix. Mais il faut bien s’entendre sur cette loi qui engendre l’inimitié et que Jésus-Christ a détruite. Ce n’est pas la loi dans toute son étendue, ni dans toutes ses applications. Dans un sens, l’Évangile « établit la loi » (Romains 3.31), et Jésus-Christ a déclaré qu’il « n’est pas venu l’abolir, mais l’accomplir » (Matthieu 5.17-18). Aussi l’Apôtre prend-il soin de bien caractériser la loi dont il entend parler.
La loi des commandements en ordonnances. Ces deux compléments, des commandements et en ordonnances, servent à marquer avec précision la partie, ou le côté de la loi que Jésus-Christ a détruit par sa mort. D’abord, c’est la loi « des commandements. » Ce n’est pas la loi servant de fondement à l’alliance de Dieu avec son peuple (Exode 24.7-8), et préparant l’économie de la grâce par la promesse (Éphésiens 2.12), par la prophétie (Romains 3.21), et par les types (Galates 4.21 ; Hébreux 10.1, etc.) ; mais c’est la loi qui impose des obligations, sanctionnées par des récompenses et des peines (Romains 10.5), et que saint Paul fait contraster si souvent avec la grâce dans ses épîtres (Romains 3.20-23 etc.). Peut-être le pluriel employé par l’Apôtre (les commandements) doit-il servir en même temps à faire contraster la multiplicité des prescriptions légales avec l’unité de l’esprit évangélique. La loi dit : Fais ceci ou fais cela, évite ceci ou évite cela ; mais l’Évangile réduit tout au seul commandement de l’amour, et ce commandement même il l’impose moins par un précepte qu’il ne l’écrit dans le cœur par le Saint-Esprit. Cette première restriction ne suffit pas à notre Apôtre pour éclaircir sa pensée. Le mot commandement a encore un sens trop étendu ; non seulement il peut s’appliquer au fond même de la loi morale proclamée dans l’Ancien Testament et en particulier sur le mont Sinaï, mais il s’emploie même des obligations de la morale évangélique (1 Jean 2.3), y compris l’obligation de croire (1 Jean 3.23-24). De là le second complément, qui restreint le mot commandements, comme ce mot restreignait celui de loi : « en ordonnances. » La plupart des commentateurs entendent par là les prescriptions cérémonielles de la loi ; mais ce n’est pas exactement la pensée de l’original. Le mot rendu par ordonnances ne se trouve nulle part avec l’acception bien déterminée de prescriptions cérémonielles, pas même dans Colossiens 2.14, où il ne peut être question de la loi cérémonielle seulement, puisqu’il s’agit en cet endroit du pardon des péchés en général, et plus spécialement du pardon accordé aux Gentils, qui n’avaient rien à faire avec la loi cérémonielle. Dans notre texte, il ne peut pas être question non plus de la loi cérémonielle toute seule ; car ce n’est pas la seule partie de la loi à la condamnation de laquelle Jésus-Christ nous a soustraits, soit Juifs, soit Gentils ; et ce n’est pas la seule non plus qui séparait les deux peuples. La restriction ici indiquée ne porte pas tant sur l’objet des commandements (allemand : Inhalt) que sur leur esprit ou leur forme. « Les commandements en ordonnances, » ce sont les commandements dans leur forme la plus impérieuse, la plus menaçante, et tels qu’ils apparaissent à notre Apôtre lorsqu’il les appelle ailleurs « la lettre qui tue, » par opposition à « l’esprit qui vivifie5. »
5 – La lettre signifie la loi qui est écrite, soit dans le livre, soit sur la pierre, et que l’Apôtre met en contraste avec la loi d’amour écrite dans le cœur par l’Esprit. Ce passage est cité souvent dans un sens qui n’a aucun rapport avec la pensée de l’auteur sacré. Voyez encore Romains 7.6.
Ainsi l’Apôtre développe lui-même le mot ordonnances, ou plutôt le verbe qui lui correspond et qui n’a pas d’équivalent exact en français (Colossiens 2.20), en ces mots : « Ne prends point, ne goûte point, ne touche point. » Au reste, ces dernières paroles (voyez encore le verset 16), font voir que si « les commandements en ordonnances » ne sont pas exactement les prescriptions cérémonielles de la loi, c’est pourtant plus spécialement cette partie de la loi que l’Apôtre a en vue ; et que les commentateurs que nous venons de combattre se sont plus mépris sur le sens des mots de l’Apôtre que sur sa pensée. Aussi bien, c’est principalement, bien que, ce ne soit pas exclusivement, le côté cérémoniel de la loi qui mettait inimitié entre les Gentils et les Juifs. Jésus-Christ détruit, par sa mort, cette inimitié, en détruisant la loi mosaïque, en tant qu’elle imposait des obligations multipliées, avec le ton du commandement et sous des sanctions terribles.
Telle, nous paraît être l’interprétation véritable de ce passage, l’un des plus difficiles de notre épître, et l’un de ceux aussi sur le sens desquels les esprits sont le plus partagés. Nous ne croyons pas nécessaire d’indiquer, toutes les autres interprétations qu’on en a données. Nous ne pouvons cependant passer, entièrement sous silence celle de Harless, qui a été autrefois celle de Chrysostome, et d’autres commentateurs considérables6. Selon eux, l’inimitié mentionnée par saint Paul n’est pas celle qui existe entre les Gentils et les Juifs, mais celle qui existe entre les hommes, Juifs ou Gentils, et Dieu ; le mur mitoyen n’est pas celui qui sépare l’un de l’autre les deux peuples, mais celui qui sépare l’un et l’autre de Dieu ; et la loi des commandements (que Jésus-Christ a abolie quant aux ordonnances, ainsi traduit Harless), est, par une suite nécessaire, une loi commune aux Juifs et aux Gentils. Mais nous ne saurions admettre ni que l’inimitié nommée au verset 15 puisse être autre chose que l’opposé de la paix, nommée au verset 14, et qui, de l’aveu de Harless : est la paix entre le Gentil et le Juif ; ni que ces deux membres de phrase « qui des deux choses en a fait une, et a renversé le mur mitoyen de la clôture » au lieu de tenir ensemble comme les deux parties d’une même image, doivent être séparés l’un de l’autre, et appliqués à deux objets tout à fait distincts, le premier à la réconciliation des Gentils avec les Juifs, le second à celle des uns et des autres avec Dieu ; ni enfin que la loi des commandements en ordonnances, ou même seulement, la loi des commandements puisse désigner autre chose que la loi donnée à Israël. L’interprétation que nous avons suivie, est, avec quelques différences légères celle d’Olshausen, dont le commentaire est postérieur à celui de Harless ; et qui pense que le rapprochement opéré par Jésus-Christ entre les Gentils et les Juifs fait l’objet de tout ce passage de notre épître (11-22) même des versets 16 à 18. Nous sommes d’accord avec lui, ainsi que nous l’avons expliqué plus haut, avec cette restriction que, selon nous, l’Apôtre n’a pu traiter cette matière sans s’occuper en même temps du rapprochement opéré par Jésus-Christ entre les Gentils et Dieu, et que ce dernier sujet prédomine même dans les trois versets que nous venons de citer, sans toutefois que le premier y soit abandonné.
6 – Elle a été suivie également par Gerlach, avec cette nuance qu’il entend par inimitié, non l’inimitié des hommes contre Dieu, mais la sainte colère de Dieu contre les hommes (Éphésiens 2.3 ; Romains 5.10, etc.).
Afin qu’il créât, etc., et qu’il réconciliât, etc. La destruction de la loi, telle que saint Paul l’a définie, par la mort de Jésus-Christ, a eu un double but et un double résultat : premièrement, de faire du Gentil et du Juif en lui-même un seul homme ; secondement, de réconcilier l’un et l’autre avec Dieu ; deux choses qui devaient concourir également à cette paix qu’il venait établir entre eux. Le même rapport est indiqué entre la mort de Jésus-Christ et la création nouvelle du croyant (Romains 8.4, 6 ; 1 Pierre 2.24, etc.) ; et entre la mort de Jésus-Christ et la réconciliation du croyant avec Dieu, en cent endroits. Au reste, les deux intentions ici marquées paraissent se rapporter plus spécialement, chacune à l’une des deux choses qui ont été dites ci-dessus de Jésus-Christ, l’une en style figuré (verset 14), l’autre en style propre (première moitié du verset 15), de telle sorte que ces mots : « Afin qu’il créât les deux en lui-même pour être un seul homme nouveau, faisant la paix, » correspondent à ceux-ci : « Il est notre paix, qui des deux choses en a fait une, et a renversé le mur mitoyen de la clôture ; » et les mots : « afin qu’il réconciliât les uns et les autres en un seul corps avec Dieu, par la croix, ayant tué en elle l’inimitié, » à ceux-ci : « Ayant détruit l’inimitié en sa chair, la loi des commandements en ordonnances. »
Afin qu’il créât les deux, en lui-même, pour être un seul homme nouveau, faisant la paix7. Le peuple juif d’une part, le peuple gentil de l’autre sont personnifiés chacun en un seul homme. Jésus-Christ prend l’un et l’autre de ces deux hommes, et, l’ayant associé d’abord à sa mort, l’associe ensuite à sa résurrection (Romains 6.4-5), et le crée de nouveau, dans sa personne ; de telle sorte que de deux qu’ils étaient, ils deviennent en Christ un seul homme nouveau. Que faut-il entendre par ce seul homme nouveau ? Est-ce l’Église, dans laquelle ce Gentil et ce Juif sont désormais unis, et dont tous les membres composent sous Christ qui en est la tête, un seul corps (Éphésiens 4.16), qu’on pourrait appeler un seul homme nouveau ? Ou bien est-ce la vie nouvelle, qui a été formée dans l’un et dans l’autre, qui est nommée ailleurs l’homme nouveau (Éphésiens 4.24 ; Colossiens 3.10), et qui serait nommée ici un seul homme nouveau, comme étant dans le Gentil converti et dans le Juif converti une seule et même vie ? Ou enfin, est-ce Christ lui-même, vivant dans l’un et dans l’autre, et formant en eux l’homme nouveau, qui dès lors est nécessairement le même dans tous deux ? Le premier de ces trois sentiments est celui de plusieurs commentateurs ; le second celui de Harless, et le troisième celui d’Olshausen, qui s’exprime en ces termes : « Paul représente Christ lui-même comme, le type, véritable et unique de l’humanité, le représentant de la race, en qui les deux peuples séparés sont ramenés à une parfaite unité. Comme Adam seul est le vieil homme, en qui et par qui le vieil homme se transmet à tous les individus de la famille humaine, ainsi Christ est seul l’homme nouveau, en qui et par qui tous reçoivent l’homme nouveau, créé selon Dieu en justice et en sainteté. » De ces trois interprétations, la première nous paraît devoir être rejetée, parce qu’elle ne sort pas naturellement du texte et que l’Église ne peut guère être appelée un homme. Nous balançons entre les deux autres ; nous penchons cependant pour la dernière. Elle nous paraît seule entrer pleinement dans l’intention de l’Apôtre, qui veut évidemment tout expliquer par la personnalité vivante de Christ, et par l’union du croyant avec lui. Seule aussi elle laisse au mot un son sens propre, qu’il doit conserver étant opposé au mot deux : à l’idée d’unité, l’interprétation d’Harless substitue celle de conformité. Christ, créant de nouveau, en soi-même, le Juif et le Gentil, les transforme l’un et l’autre en sa propre personne ; dans le Gentil converti on ne voit plus rien de gentil ; dans le Juif converti on ne voit plus rien de juif, mais on voit dans l’un et dans l’autre Christ seul ; et c’est ainsi que de deux qu’ils étaient, ils sont devenus un seul homme, en lui. N’est-ce pas la pensée exprimée dans Galates 3.28, et surtout dans Colossiens 3.10-11 : « Ayant revêtu le nouvel homme ? »
7 – Ou : « Afin que des deux il créât en soi-même un seul homme nouveau. »
Faisant la paix : il est assez facile de voir que ces mots se rapportent à Jésus-Christ, pour que nous ayons cru pouvoir nous dispenser d’ajouter, avec Martin et la version de Lausanne, devant le participe faisant la particule en, qui ôte toute équivoque à cet égard, mais qui altère légèrement le sens. Faire la paix, n’est pas un moyen que Jésus-Christ emploie, c’est l’œuvre même qu’il accomplit. Le participe présent marque très bien que Jésus-Christ accomplit cette œuvre par sa présence personnelle, et il y a dans cette courte phrase incidente, faisant la paix, quelque chose de plein et de tranquille qui peint à l’esprit la réconciliation qu’il opère entre les deux peuples. Au reste, remarquez bien comment il les réconcilie. Ce n’est pas en faisant passer le Juif à la condition du Gentil, ni même en faisant passer le Gentil à la condition du Juif, mais en les faisant passer l’un et l’autre à une condition nouvelle, en soi-même, et en les unissant d’abord à soi pour les unir ensuite entre eux. Voilà le secret de toute union véritable, tant entre les corps qu’entre les individus : il ne s’agit pas pour les autres de venir à nous, ni pour nous d’aller à eux ; mais il s’agit pour eux et pour nous d’aller à Christ, dans lequel seul nous pouvons être efficacement et réellement unis. Saint Paul dit cela, il est vrai, d’hommes irrégénérés, qui ont à subir un changement radical ; mais cette remarque s’applique, en se modifiant suivant les cas, à toute union, même entre chrétiens. Sous ce point de vue, le grand moyen de procurer l’union entre les frères, c’est de s’attacher au Seigneur ; et chaque progrès dans sa communion est un pas fait, en ce qui nous concerne, vers cette union tant désirée. C’est par là qu’un chrétien, qui soupire après elle, fût-il seul à en sentir le besoin, peut y travailler dans son cabinet, seul à seul avec son Dieu.
Et qu’il réconciliât les uns et les autres, en un seul corps avec Dieu, par la croix, ayant tué en elle l’inimitié. Nous avons déjà fait remarquer que cette seconde raison donnée de l’œuvre de Christ répond plus spécialement à la seconde partie de cette œuvre, telle qu’elle a été décrite dans les versets 14 et 15, comme la première raison correspondait à la première partie de cette même œuvre. Il suit de là que notre verset et le commencement du verset 15, que nous avons déjà expliqué servent à s’éclaircir mutuellement. Nouveau motif pour nous de croire que nous ne nous sommes pas trompés en faisant dépendre l’inimitié au verset 15 de ce qui suit et non de ce qui précède ; en même temps que cela nous porte à croire que l’inimitié au verset 16 est la même dont il a été parlé au verset 15, savoir celle qui existe entre le Gentil et le Juif, plutôt que celle qui existe entre les hommes et Dieu. Nous avouons cependant qu’ici, et dans les deux versets qui suivent, les deux réconciliations, celle du Gentil avec le Juif, et celle de tous les deux avec Dieu, se touchent et se pénètrent de telle sorte qu’il faut renoncer à en faire un discernement exact. C’est l’une ou c’est l’autre qui ressort dans notre verset, suivant que l’on appuie sur la pensée de réconcilier avec Dieu ou sur celle-ci : l’un et l’autre dans un même corps. L’inimitié, mentionnée à la fin du verset 16, peut bien être aussi celle qui sépare les hommes de Dieu ; la paix, mentionnée au verset 17, et évangélisée tant au Gentil qu’au Juif (et non entre le Gentil et le Juif), doit bien être au moins autant la paix de l’un et de l’autre avec Dieu que leur paix réciproque ; et au verset 18 l’une et l’autre pensées tiennent une égale place. Cette espèce de confusion ne nous surprend pas. Plus l’Apôtre avançait dans son développement et pénétrait dans l’intérieur de son sujet, plus les deux réconciliations devaient s’unir et se confondre par leur racine commune, en Dieu.
En un seul corps. Ce corps, est-ce l’Église (Éphésiens 1.23), dans laquelle le Gentil et le Juif sont désormais réunis par la foi en Jésus-Christ ? Ou bien est-ce le corps de Jésus-Christ lui-même, auquel l’un et l’autre ont été unis par une création nouvelle, et dans lequel l’un et l’autre sont réconciliés avec Dieu sur la croix ? L’une et l’autre interprétations peuvent se justifier par le contexte et par des parallèles, notamment par des parallèles de l’épître aux Colossiens qui sont ici d’un grand poids, la première par Colossiens 3.15 ; 1Corinthiens 10.17, etc. ; la seconde, par Colossiens 1.22 ; Romains 7.4, etc. Elles sont d’ailleurs étroitement unies, et l’on pourrait les adopter toutes deux à la fois : le Gentil et le Juif sont réconciliés ensemble avec Dieu, d’abord dans le corps propre de Jésus-Christ, et ensuite dans cet autre corps de Jésus-Christ qui est l’Église ; d’autant plus qu’aux parallèles que nous venons de citer en faveur des deux sens proposés, on en peut ajouter d’autres qui les rassemblent tous les deux, tels que Romains 12.5 : « Nous sommes un seul corps – en Christ. » Cependant la même raison qui nous a fait pencher pour l’interprétation qui voit Christ dans le « seul homme nouveau » du verset 15, nous porte à voir aussi le corps de Christ dans le « seul corps » du verset 16 : la personne même de Christ, et la réconciliation du Gentil et du Juif entre eux et avec Dieu par cette personne et dans cette personne, voilà ce que l’Apôtre a constamment ici devant les yeux. Ajoutons que cette interprétation s’accorde mieux avec les mots réconcilier et par la croix dont elle est précédée et suivie, et que le parallèle qu’on cite en sa faveur (Colossiens 1.22), tire une grande force de l’analogie frappante que présente son contexte avec celui de notre verset.
Toutefois, surpris de voir qu’Olshausen se soit décidé pour la première interprétation, et Harless pour la seconde, on aurait attendu le contraire d’après l’opinion de chacun d’eux sur « le seul homme nouveau » du verset 15 ; il semble que les rôles soient intervertis.
Ayant tué l’inimitié : expression remarquable, dont on peut rapprocher Osée 13.14 : « J’aurais été ta peste, ô mort ! et ta destruction, ô sépulcre ! »
Et étant venu, il a évangélisé la paix à vous qui étiez loin et à ceux qui étaient près ; ou, d’après une leçon qui paraît préférable, et la paix à ceux qui étaient près. Ceux même qui étaient « près » ont eu besoin que Jésus-Christ leur « évangélisât la paix ; » l’Évangile est une chose nouvelle, quoique dans un sens différent, pour le Juif comme pour le Gentil. L’Apôtre, qui nous a montré plus haut Jésus-Christ « étant la paix, » puis Jésus-Christ « faisant la paix, » nous montre maintenant Jésus-Christ « évangélisant » ou « annonçant la paix. » Dans son essence, dans son œuvre, dans sa parole, partout se retrouve ce caractère de « Prince de paix, » par lequel la prophétie l’avait défini, et dont il se plaît lui-même à marquer sa mission, soit avant sa mort (Jean 14.27), soit surtout après sa résurrection (Jean 20.21, 26) ; le même esprit distingue la prédication de ses apôtres, comme le fait voir le commencement ou la fin de presque toutes leurs épîtres. Il faut bien reconnaître que la paix dont il est question dans ce verset est essentiellement la paix avec Dieu ; la construction de la phrase et le mot évangéliser l’indiquent assez clairement ; la paix rétablie entre le Gentil et le Juif n’est pas sortie de la pensée de l’Apôtre, mais elle y apparaît sur le second plan. On ne s’étonnera pas d’entendre dire à l’Apôtre que Jésus-Christ a évangélisé la paix aux Gentils en même temps qu’aux Juifs, bien qu’il n’ait pas proprement et personnellement porté la parole chez les Gentils (Matthieu 15.24, etc.). Mais il suffît qu’il ait annoncé la paix pour le Gentil comme pour le Juif ; sans compter que le datif « à vous qui étiez loin, à ceux qui étaient près, » dépend moins du verbe évangéliser que du substantif la paix, surtout avec cette autre leçon qui lit ce substantif deux fois. Le mot étant venu est important à cette place : il marque la présence et l’action personnelle de Jésus-Christ. Il a « évangélisé la paix » par lui-même, comme il « fait la paix » en lui-même, et comme « il est la paix » lui-même. C’est toujours le même point de vue, et ce point de vue est fondamental. Comparez à ceci le sens du mot venir appliqué au Seigneur dans l’Évangile de saint Jean. (1.9, 11 ; 3.19 ; 6.14 ; 9.39 ; 11. 27 ; 12.46 ; 16.28. Dans 1.9, venant se rapporte à la lumière et non à l’homme). On a trouvé étrange que l’Apôtre parle ici de Christ venant, après avoir, dans les versets qui précèdent, décrit son œuvre de réconciliation qu’il n’a pu faire qu’après être venu. Mais cette difficulté ne nous paraît pas sérieuse : l’Apôtre n’avait pas de raison pour se tenir à l’ordre des temps ; c’est l’ordre des pensées qui lui importe, et l’on comprend qu’il ait voulu attirer notre attention sur la personne et l’œuvre de Christ, avant de la fixer sur sa prédication. Si cette réponse ne paraît pas suffisante, on peut rattacher le commencement du verset 17, pour le développement de la pensée, au commencement du verset 14, au lieu de le rattacher à la fin du verset 16 ; cela est d’autant plus facile que les versets 14 à 16 ne forment qu’une seule phrase, « Christ est notre paix, qui » etc. « Et étant venu, il a évangélisé la paix. » Olshausen, cependant, a vu là une difficulté réelle ; et ne pouvant s’expliquer d’ailleurs qu’il soit question de la prédication de l’Évangile par Jésus-Christ et avant sa mort, par laquelle seule il est devenu notre paix, il entend la venue de Jésus-Christ dans notre verset de sa venue en Esprit (Jean 14.18), c’est-à-dire de l’effusion du Saint-Esprit, et sa prédication de celle qu’il a faite dans tout le monde par l’organe de ses apôtres. Cette explication nous paraît forcée ; et les raisons qui l’ont fait adopter à Olshausen nous semblent provenir d’un respect scrupuleux pour l’ordre des temps, qui n’était pas dans la pensée de notre Apôtre.
Car par lui nous avons accès, les uns et les autres, en un seul esprit, auprès du Père. Ce verset est un de ceux qui présentent, avec le plus de clarté et d’exactitude la doctrine de la Trinité. L’œuvre des trois personnes y est exactement marquée. Le Père, est le terme auquel nous devons aboutir ; le Fils, la porte par laquelle nous devons passer pour arriver au Père ; l’Esprit, le guide qui doit nous faire franchir cette porte. Suit le tableau de la condition nouvelle des Éphésiens. Le commencement en est la contre-partie du verset 12.
Vous n’êtes plus étrangers ni forains. Nous traduisons ainsi un mot grec que nous ne savons comment rendre exactement en français. Il marque un état intermédiaire entre celui d’étranger et celui de citoyen, et s’emploie d’un homme qui a obtenu droit de domicile dans un pays étranger sans y obtenir droit de bourgeoisie. On le trouve dans 1 Pierre 2.11, et dans Actes 7.6, 29, où il est appliqué à Israël séjournant en Egypte, et à Moïse séjournant en Madian8. Les Gentils ne sont plus des étrangers ; ils ne sont pas non plus des forains, associés à Israël par une faveur passagère ; ils sont citoyens, avec tous les droits des natifs.
8 – C’est aussi le terme employé par les Septante dans la traduction du mot hébreu, qui est rendu dans nos versions par forains dans Lévitique 22.10, 11 ; et peut-être saint Paul a-t-il eu ce passage en vue en écrivant ce verset. Remarquez que le forain (verset 10) est opposé à celui qui est né dans la maison (verset 11).
Concitoyens des saints. Le nom de saint est donné quelquefois aux croyants de l’ancienne alliance ; mais il l’est plus spécialement, surtout dans saint Paul, à ceux de la nouvelle. En appelant les Gentils convertis « concitoyens des saints, » saint Paul dit plus encore qu’il ne ferait en les appelant concitoyens d’Israël ; sans compter que cette dernière expression ne serait plus à sa place. Les temps ont marché ; les Israélites croyants ont avancé de leur côté, tandis que les Gentils avançaient du leur, et de « vrais Israélites, » ils sont devenus « saints en Jésus-Christ. » Ainsi, les Éphésiens ont trouvé plus « en Jésus-Christ » que ce qui leur manquait autrefois « hors de Christ. » Cette dernière remarque s’applique plus justement encore au trait suivant : Gens de la maison de Dieu, ou, selon une traduction que nous préférerions si le mot n’eût vieilli dans cette signification, domestiques de Dieu. Non seulement vous n’êtes plus « sans Dieu, » mais vous avez été admis même dans la maison et dans la famille de Dieu (3.15) ; vous êtes devenus « gens de sa maison ; » que dis-je ? ses enfants. Expressions étonnantes et qui seraient vraiment téméraires si nous ne les avions apprises de la Parole de Dieu même ! Que c’est bien le cas de s’écrier avec saint Jean : « Voyez quel amour le Père nous a témoigné ! » (littéralement donné, 1 Jean 3.1). C’est une chose bien douce que de pouvoir se dire qu’on fait partie de cette famille de Dieu et de cette société des saints sur la terre. On éprouve particulièrement ce sentiment en étudiant l’histoire de l’Église et la prophétie, et nous nous souvenons de l’avoir vivement éprouvé en lisant l’excellent livre de Guers : Histoire abrégée de l’Église de Jésus-Christ. Souvent le petit nombre des enfants de Dieu nous cause une impression pénible d’isolement. Mais, à la lumière de l’histoire et de la prophétie, on voit derrière soi une longue chaîne de témoins de Jésus-Christ qui remonte jusqu’aux jours de son premier avènement, et devant soi une autre chaîne de témoins qui doit descendre jusqu’au temps de son retour ; et les saints vivants, donnant une main aux saints endormis dans le Seigneur, et l’autre aux saints qui sont encore à naître, se sentent unis à tout ce qu’il y a, à tout ce qu’il y a eu, et à tout ce qu’il y aura de plus excellent sur la terre. C’est là que l’on comprend toute la portée de l’expression de l’Apôtre : « Concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu, » autant du moins qu’on peut le comprendre sur la terre.
Étant édifiés. Après avoir appelé les nouveaux chrétiens « gens de la maison de Dieu, » l’Apôtre les compare aux pierres de l’édifice fondé sur Jésus-Christ. Ces deux images, bien que différentes, sont liées l’une à l’autre. L’une et l’autre tiennent à la comparaison de l’Église avec une maison ; mais, dans l’une, c’est la maison intérieure, la famille, qu’on a devant les yeux ; et dans l’autre, c’est la maison extérieure, l’édifice. Le substantif français maison est susceptible de ces deux sens, aussi bien que le substantif grec qui lui correspond ; mais il y a ceci de plus en grec que le verbe édifier se rapporte au mot maison à peu près comme il se rapporte au mot édifice dans notre langue. Rapprochez de notre verset 1 Pierre 2.4-6, où la même figure est suivie avec un plus grand développement ; là, Christ « la première pierre de l’angle, une pierre vivante, élue, précieuse, » les chrétiens sont « édifiés (sur lui) comme des pierres vivantes, » et l’édifice qu’ils forment est « une maison spirituelle. » Le temple, ou le tabernacle, construit d’après un type céleste que Dieu a montré à Moïse sur la montagne (Exode 25.9-10) a servi de base à cette image. On la retrouve dans 1 Timothée 3.15 ; mais dans Hébreux 3.6, le mot maison doit être pris, non dans l’acception d’édifice, mais dans celle de famille, comme dans notre verset 19, avec cette nuance que saint Paul désigne les chrétiens, là, comme étant la maison, et ici, comme étant de la maison ; c’est qu’ils sont l’un et l’autre à la fois. Ils appartiennent à la maison de Dieu, et tout ensemble, ce sont eux qui la constituent.
Sur le fondement des apôtres et prophètes. Par les prophètes, il faut entendre, non les prophètes de l’Ancien Testament, mais ceux du Nouveau, comme dans 3.5, où il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. On comprendrait difficilement d’ailleurs que les prophètes de l’Ancien Testament fussent appelés le fondement de l’Église chrétienne ; on aurait peine à expliquer aussi pourquoi ils ne seraient nommés qu’après les apôtres, et surtout pourquoi leur nom ne serait pas précédé de l’article. Saint Paul aurait dit sans doute « des apôtres et des prophètes, » s’il eût voulu parler des prophètes de l’Ancien Testament ; nous pensons même qu’il l’aurait dit s’il eût voulu désigner les prophètes du Nouveau Testament comme distincts des apôtres, ainsi qu’il le fait dans 1 Corinthiens 12.29 ; Éphésiens 4.11, etc. Il nous paraît qu’ici et dans le verset 5 du chapitre suivant, apôtres et prophètes sont deux noms donnés aux mêmes hommes. Ils sont appelés apôtres, en tant que chargés de rendre témoignage de Jésus-Christ (Actes 1.22) ; et ils sont appelés probablement prophètes pour montrer qu’ils ne sont en rien inférieurs aux ministres inspirés de l’Ancien Testament, et qu’ils apportent les promesses de la nouvelle alliance comme les prophètes d’autrefois apportaient ceux de l’ancienne. Tel est le sentiment de Harless. Si on ne l’adopte pas, il faudra voir ici, avec Olshausen, les prophètes du Nouveau Testament, qui ont travaillé de concert avec les apôtres à la fondation de l’Église.
Sur le fondement des apôtres, c’est-à-dire sur les apôtres eux-mêmes, qui sont appelés le fondement de l’Église comme ils le sont encore (Apocalypse 21.14), et comme l’est saint Pierre en particulier (Matthieu 16.18), parce que la parole qu’ils ont annoncée, et puis écrite par le Saint-Esprit, sert d’appui à notre foi. Mais l’Église ne repose sur eux que parce qu’ils reposent eux-mêmes sur Jésus-Christ, qui est la première pierre de l’angle servant de lien aux coins du fondement et portant ainsi, en dernière analyse, l’effort de l’édifice, tout entier. Aussi n’est-il plus question que de lui dans les deux versets qui suivent. Ce nom de « pierre de l’angle » lui est encore donné dans Ésaïe 28.16, cité par 1 Pierre 2.4, et dans Psaumes 118.22, cité par le Seigneur, Matthieu 21.42. Ainsi expliquée, l’image de l’Apôtre marque avec une égale exactitude les rapports et les différences de la situation des chrétiens, des docteurs inspirés, et du Seigneur dans l’Église ; nous sommes les pierres de l’édifice, eux le fondement, et lui, le fondement du fondement.
En qui, c’est-à-dire en Jésus-Christ ; et c’est encore à Jésus-Christ et non au temple que ces mots se rapportent au commencement du verset suivant. Au verset 20, l’Apôtre nous a montré le temple spirituel édifié sur Jésus-Christ, ainsi qu’il le fait 1 Corinthiens 3.12. Ici, il nous le montre coordonné en Jésus-Christ et croissant en Jésus-Christ. L’Église n’est pas seulement appuyée sur Jésus-Christ ; mais c’est en lui qu’elle prend son unité et l’accroissement. En même temps qu’il est le fondement de l’édifice, il en est aussi le lien. C’est s’écarter quelque peu de l’image pour nous mieux faire entrer dans la réalité des choses. L’Apôtre revient par là à cette grande vérité, sur laquelle nous l’avons vu tant insister dans tout le commencement de notre épître : c’est que c’est en Jésus-Christ que nous avons la vie de l’âme, comme c’est dans le Dieu créateur que « nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17.28). Voyez les notes sur 1.3, 13 ; 2.6, etc. Même remarque sur Colossiens 2.6-7 : « Comme donc vous avez reçu le Seigneur Jésus-Christ, marchez en lui, étant enracinés et édifiés en lui ; » littéralement surédifiés en lui, de telle sorte que les deux idées qui se rattachent aux deux prépositions sont réunies avec une concision que notre langue ne peut reproduire. Au reste, en cet endroit, deux images sont rassemblées dont chacune répond à l’une de ces idées : enracinés en Jésus-Christ comme un arbre dans la terre, fondés sur Jésus-Christ comme une maison sur le sol.
Saint au Seigneur, littéralement dans le Seigneur. Le temple de Jérusalem était saint ; mais le temple spirituel dont parle ici l’Apôtre est « saint dans le Seigneur, » parce que les pierres en sont « des pierres vivantes, » et vivantes « dans le Seigneur : » nouvelle invasion du réel dans le figuré.
En qui vous êtes aussi édifiés : vous aussi, Gentils, édifiés en Jésus-Christ avec les saints, vous entrez dans la structure du temple spirituel. Nous rapportons en qui à Jésus-Christ, comme au commencement du verset 21 ; bien qu’on pût aussi traduire dans lequel, et le rapporter au temple.
Pour être une habitation de Dieu en esprit. C’est sans raison que nos versions ont traduit tabernacle ; le mot grec ne renferme pas cette allusion particulière. Si l’on veut suivre l’image, il vaut mieux entendre par le mot traduit par habitation un compartiment du temple, qui serait à l’ensemble à peu près ce qu’une chapelle est à une église. Mais le temple n’étant pas ainsi divisé, il est plus simple de donner au mot qui nous occupe le sens général d’habitation, sans figure.
L’Église entière, composée des Israélites et des Gentils, forme « un temple saint au Seigneur ; » les Gentils, cette portion de l’Église, forment « une habitation de Dieu en esprit ; » et ailleurs, chaque fidèle est appelé « un temple du Saint-Esprit » (1 Corinthiens 6.19 ; 1 Corinthiens 3.16). Les derniers mots de notre verset, qui répondent à ces mots du verset précédent : « un temple saint dans le Seigneur, » signifient qu’il s’agit ici d’une habitation spirituelle de Dieu dans cette « maison spirituelle » (1 Pierre 2.5 ; voyez 2 Corinthiens 6.16). C’est par son Esprit que Dieu habite ainsi dans son peuple (Romains 8.11 ; 1 Corinthiens 3.16). On peut même traduire : « une habitation de Dieu par l’Esprit, » et Harless se décide pour cette traduction. Mais celle que nous avons suivie nous paraît plus naturelle, et présente au fond la même pensée ; les œuvres spirituelles sont les œuvres du Saint-Esprit. Seulement, l’expression en esprit, moins précise et aussi plus étendue que l’autre, marque à la fois ces deux choses que l’habitation de Dieu dans le Gentil converti se fait par l’Esprit de Dieu et qu’elle se fait dans l’esprit de l’homme ; aussi l’une et l’autre sont indiquées dans 3.16 (par son Esprit, dans l’homme intérieur), où l’Apôtre reprend et développe la dernière pensée de notre verset. Peut-être aussi les mots en esprit doivent-ils contraster avec les mots dans la chair (littéralement en chair) du verset 11, pour marquer par un dernier trait le changement qui s’est accompli dans les Gentils. L’Esprit a succédé à la chair.