Ce fait, quelque extraordinaire qu’il nous paraisse, loin d’être surnaturel, est au contraire, dès que nous le considérons au point de vue chrétien, c’est-à-dire au point de vue absolu, le seul fait de son espèce qui soit réellement naturel, régulier et normal.
Le fait de la naissance de Jésus de Nazareth d’une vierge, s’il n’est pas à la source de la foi du chrétien, est cependant nécessairement lié à la présence de cette foi, ainsi que le prouve l’assertion (sous des formes diverses) de naissances analogues dans la plupart des mythologies. aussitôt qu’il s’agit d’y faire apparaître une personnalité humaine qui soit essentiellement supérieure à celle du commun des mortels.
La foi chrétienne étant basée sur la réalité, en Jésus-Christ, d’une personnalité semblable, doit nécessairement pouvoir justifier la réalité de la circonstance spéciale que la présence de ce fait entraîne toujours avec elle. La logique des faits ne saurait être moins sévère que celle des images de la fantaisie : elle doit l’être au contraire davantage, car ces images, bien qu’elles soient, elles aussi, des faits de l’esprit de l’homme, demeurent cependant soumises aux influences perturbatrices et aux caprices de l’imagination qui les poursuit ; tandis qu’on ne saurait en dire autant de la réalité, dont ces images ne peuvent être, après tout, que le confus pressentiment.
C’est même parce que la foi chrétienne suppose nécessairement ce fait, qu’après avoir été, à diverses reprises, l’objet des prophéties dans l’Ancien Testament, et celui du récit historique le plus précis dans le Nouveau, il ne reparaît plus dans les enseignements du Sauveur lui-même, et n’est qu’à peine indiqué dans telle ou telle parole de ses apôtres. — Ce n’était d’ailleurs pas au nom de sa naissance, et en invoquant l’autorité d’un fait passé (fait dont le caractère lui interdisait du reste la mention publique), que Jésus pouvait vouloir se faire écouter ; ce ne pouvait être qu’en s’appuyant sur des faits présents, sur des faits tels que la conscience de ses auditeurs et que la « plénitude de grâce et de vérité » qui caractérisait sa personnalité tout entière (Jean 1.14). La même chose doit se dire du témoignage que les apôtres lui rendirent devant le monde.
Une fois cependant que le fidèle avait reçu la parole de Jésus et des apôtres, il devenait indispensable, comme nous venons de le faire remarquer, qu’il pût trouver dans les faits historiques du passé, la justification de cette vérité qu’il avait connue par une expérience présente, « que Jésus était le Fils du Dieu vivant » (Matthieu 16.16).
Ces quelques mots sont destinés, en mettant en lumière l’importance spéciale du fait dont il s’agit, à justifier les remarques qui vont suivre. Tout en évitant de soumettre ce fait à une analyse indiscrète, nous nous efforcerons de concilier le respect que commande un tel sujet, avec la nécessité d’indiquer, tout au moins, à la méditation pieuse de nos frères, quelques considérations qui nous ont semblé propres à raffermir la foi de tel ou tel d’entre eux. — On ne le sait que trop, l’esprit profane continue de siècle en siècle le martyre révoltant du « Crucifié. » Nous sommes appelés, il est vrai, à ne répondre, comme lui, que par le silence de la douleur à la plupart de ces indignes attaques ; mais parler à ceux de ses disciples que nous verrions tentés « de l’abandonner et de s’enfuir, » ce n’est pas s’adresser à ses bourreaux. Pour ceux-ci, nous n’avons rien à ajouter à sa sainte intercession. Puisse-t-elle les toucher à salut avec autant de force qu’elle les condamne !
Déjà l’histoire de la création de l’homme suffit a montré que la naissance de la chair n’était pas dans la volonté première du Créateur. Si c’est Dieu qui conduit Eve à Adam pour être sa compagne, ce n’est plus lui qui, après le péché, mène Adam vers Eve. — La naissance « de la chair, » fruit de la « volonté de l’homme, » est une autre naissance que la naissance « de Dieu » (Jean 1.13). Sans doute Adam, même dans le cas où il n’eût pas péché, ne fût pas demeuré seul, puisque ce fut bien déjà dans le paradis que cette parole divine fut adressée a nos premiers parents : « Croissez, multipliez, et remplissez la terre ! » Mais alors il eût été, dans ses rapports avec Eve, le libre intermédiaire de l’action directe de Dieu, de cette action divine qui nous est représentée dans l’Ecriture comme étant l’action spéciale du Saint-Esprit : l’homme demeuré spirituel, eût eu des enfants par une génération spirituelle ; ses enfants eussent été des fils de l’Esprit, des fils de Dieu, comme leur père l’avait été à son premier jour.
Et ce que nous disons là n’est pas une supposition gratuite ; c’est bien ce qui ressort, soit de l’action divine, telle que l’Ecriture la révèle à notre conscience, soit de la nature physiologique de l’homme, du moment où nous ne la considérons plus en matérialistes, mais en chrétiens.
Cette vérité que Dieu est esprit, entraîne avec elle la nécessité que ceux qui portent l’image de Dieu dans leur nature soient des fils de l’esprit et non des enfants de la chair ; en d’autres termes que leur vie, dès son premier moment, soit une vie avant tout spirituelle.
Quant au fait physiologique, la génération, considérée comme étant le fait de la transmission de la vie de l’espèce, de la part d’un individu plus âgé à un individu plus jeune, n’a rien que de naturel, disons plus, que de nécessaire, dès que nous admettons la création par Dieu du premier fait du temps, premier fait qui demande celui de la succession des individus.
Cette succession, cependant, n’entraîne pas nécessairement avec elle la destruction des parents ; elle ne nécessite que leur disparition hors de l’horizon restreint de l’espace. La mort, conséquence naturelle de la naissance « de la chair, » n’est donc pas un postulat de la présence du temps, de la création dans le temps.
Mais que signifie donc une naissance « de l’esprit, » en tant que ce terme s’applique à l’apparition du corps sensible ?
Remarquons d’abord que qui dit naissance, dit commencement de vie dans le temps. — Or il y a, dans le temps, déjà sous nos yeux et à cette heure, plusieurs espèces de vies individuelles. Autre est la vie de la plante, ou même déjà celle du cristal, autre celle de l’animal, autre celle de l’homme. Ces différents faits de vie sont même si distincts, qu’ils portent des noms différents : on les désigne sous le nom de vie plastique, de vie végétative, de vie animale et de vie consciente ou spirituelle. — Dans le cristal, le fait vital est un phénomène purement mécanique ou physique ; dans la plante, il s’y ajoute un phénomène chimique ; dans l’animal, les phénomènes physiques et chimiques sont déjà dominés par une action de l’individu, par l’action nerveuse. Quant à la vie de l’homme, elle nous présente ce caractère spécial et distinctif, que les phénomènes physiques et chimiques, aussi bien que l’action nerveuse, nous y apparaissent comme devant être soumis à la volonté libre et consciente de l’esprit, à l’action spirituelle.
Si tels sont les caractères présents de ces diverses formes de vie, ces caractères doivent se retrouver tout entiers à leurs origines premières, au moment de leur première apparition dans le temps. — Aussi bien trouvons-nous que pour la génération du cristal, il suffit d’une juxtaposition des molécules qui en forment l’agrégat ; que dans la genèse de la plante, il vient s’y joindre la rencontre de deux éléments propres à se combiner, un élément actif et un élément réceptif, pendant que, dans l’animal, il faut qu’il s’ajoute encore à ces deux premiers faits, l’action de la vie de la chair, ou l’action nerveuse.
Arrivés à l’homme, cependant, nous voyons cette progression s’arrêter. Tandis que dans le fait qui détermine l’origine des êtres vivants que nous venons d’énumérer, nous trouvons déjà mis en œuvre tous les éléments qui, plus tard, caractériseront la forme spéciale de leur vie, il n’en est plus ainsi à l’origine de l’homme. Il fait sous ce rapport une exception flagrante ; il est, sous ce rapport, évidemment inférieur aux créatures qui l’entourent. — L’action libre, consciente, volontaire, de l’esprit, qui est celle qui plus tard devra commander à sa vie, n’y commande pas dans ses origines. Le caractère de ces origines est purement animal ; l’homme nous y apparaît ramené au niveau de l’animal ; la chute de sa nature actuelle y est évidente. Loin d’être un fait digne de l’homme, un fait normal et qui ait le droit de nous sembler naturel, nulle part ailleurs le caractère sous-naturel auquel l’homme est réduit, nulle part la déchéance de sa position actuelle n’éclate avec plus de force.
Mais, si la naissance « de la chair » nous apparaît ainsi comme un fait de déchéance, comme un fait évidemment indigne de l’idée de l’homme, comment la naissance « de l’esprit » est-elle possible, et quelle idée pouvons-nous nous en faire ? — La réponse que Jésus lui-même fit à une question semblable (Jean ch. 3), ne saurait nous suffire ici. Il s’agissait là en effet, dans son entretien avec le « docteur en Israël, » de la régénération de l’homme déchu. Ici nous parlons, non pas de cette régénération (dont les commencements, tout spirituels aussi, doivent ne s’étendre que plus tard jusque sur l’être sensible et corporel), mais de cette génération qui eût dû être celle de l’homme demeuré pur, de cette génération vraiment humaine qui a été celle du Fils de l’homme lui-même.
Nous le savons, la possibilité absolue d’un phénomène quelconque ne peut s’expliquer à notre esprit créé ; la génération du cristal lui-même demeure pour nous un mystère impénétrable ; mais la vue de la nécessité positive d’un fait est suffisante pour que notre esprit laisse tomber les doutes par lesquels il eût pu accueillir le premier énoncé de ce fait.
Pour arriver à établir la nécessité pour l’homme d’une génération autre que celle qui est actuellement la sienne, il nous suffira de rappeler que le fait physiologique matériel n’est que l’occasion de ce qu’il produit, et que personne, à moins d’être un matérialiste avoué, ne saurait voir dans ce seul fait une cause première et absolue, dans ce sens, que l’existence nouvelle dont ce fait accompagne l’origine ne fût due qu’à son seul concours. — Le véritable élément déterminant, la cause prochaine ou seconde, y demeure, bien que d’une façon détournée et inconsciente, « la volonté de l’homme » (Jean 1.13). Mais la volonté de l’homme, dès que l’homme est séparé de Dieu, est tout autre chose que ce qu’eût été cette même volonté si l’homme fût demeuré librement uni avec son Créateur. Elle transmet encore la vie, sans doute ; mais c’est une vie dans la mort, puisque c’est une vie séparée de la source de toute vie véritable. Unie avec la volonté divine, cette volonté eût transmis la véritable vie humaine, la vie spirituelle, qui alors eût été consciente et libre ; c’eût été, déjà alors, cette vie dont le caractère spécial est que l’élément spirituel et libre en domine l’activité. Elle n’eût donc pas transmis, comme à cette heure la vie charnelle, la vie de cet organisme dont la chair est l’élément déterminant. Cette action spéciale eût donc été, elle aussi pour l’homme demeuré pur et normal, ce qu’eût été son action tout entière, un acte libre d’adoration active, ainsi que l’on peut dire à l’égard de la naissance de Jésus, que l’action de Marie y a été l’acte libre d’une adoration passive.
Ce n’eût donc point été, comme après la chute, un acte exclusivement charnel, dans ce sens que Dieu et la liberté de l’âme en sont exclus (Psaumes 16.7). L’intention du Créateur, notre conscience nous le dit, ne peut avoir été que l’âme, que la volonté libre et consciente de l’homme, abdiquât jamais entre les mains du seul appétit du corps. Ce caractère spécial est évidemment un symptôme de déchéance, et il résulte de ce que l’homme, que Dieu voulait qui demeurât spirituel, est devenu charnel. — Dans la pensée éternelle de Dieu, le corps était « pour le Seigneur » (1 Corinthiens 6.13) ; donc tout acte du corps eût été un acte « pour le Seigneur, » un service du Seigneur. A cette heure, tout ce que l’on peut dire, c’est que « le Seigneur » demeure « pour le corps, » parce que le corps, objet de sa miséricorde, est destiné à être glorifié et uni au Seigneur,
Aussi l’Ecriture nous dit-elle qu’il y a un corps animal, et qu’il y a un corps spirituel. Le corps animal et sa vie tout entière doivent être détruits, soit à cause du péché, soit afin que nous puissions être revêtus de notre corps spirituel, lorsque nous serons faits semblables au Fils de l’homme. Et la volonté actuelle du Seigneur est que « l’homme entier, l’esprit, l’âme et le corps, » soient présentés sans tache à la journée de Jésus-Christ, Il ne veut pas que nous péchions contre notre corps, parce que pour lui notre corps c’est notre corps spirituel. Pour cela il veut que nous possédions nos membres, au lieu de demeurer sous l’empire du corps de péché. Or nous ne possédons plus notre corps du moment où notre volonté abdique entre ses mains. Bien au contraire, le résultat de ce fait anormal (inévitable dans notre état actuel) est la surexcitation et la destruction finale de la chair.
Ne confondons jamais notre corps avec notre corps de péché. Leurs destinées sont l’opposé l’une de l’autre : celui-ci est voué à la mort, à la corruption ; celui-là est appelé à la gloire. Leurs origines aussi ne sont pas identiques. Or Jésus, dont la mort a été une action libre, volontaire et temporaire, n’a pas connu le corps de péché. Ce caractère de sa mort, sur lequel repose l’espérance du chrétien, suffit seul à démontrer que sa naissance n’a pu être semblable à celle de l’homme déchu, lequel entre dans l’existence par et avec le corps de péché. — Résumons ces remarques en les appliquant au fait spécial de la naissance dé Jésus-Christ.
Dieu, seul auteur de tout phénomène, agit dans le temps par des moyens. Cependant, s’il les institue, il ne demeure lié à eux que pour autant que ces moyens continuent à le servir suivant la loi qu’il leur avait imposée d’abord ; dès que cela n’est plus, il peut, il doit même vouloir les révoquer.
C’est ce que nous voyons, en particulier, dans ceux de ces moyens qui sont des agents libres. Par le fait même de la liberté qui leur a été attribuée, ces agents peuvent se rendre incapables de continuer à être les organes de l’action divine qui leur avait été confiée. Lorsque ce cas se présente, nous devons admettre que Dieu, à moins de renoncer à son œuvre, fera intervenir une nouvelle disposition soit à l’égard de l’agent devenu infidèle, soit à l’endroit de l’activité qui avait dû demeurer la sienne. — A l’égard de l’agent, si celui-ci a perdu sa dignité par une faute remédiable, il le laisse subsister dans son activité faussée, tout en faisant en sorte de le ramener à l’action primitive de sa nature, et de réparer les maux qu’a entraînés son infidélité. A l’égard de l’activité qui avait été commise à cet agent et dont celui-ci s’est rendu incapable, Dieu se passe de ce ministre infidèle, et poursuit son œuvre, soit par une action directe, soit plutôt par un autre agent. — Ce sont là des vérités qui résultent de la pensée du prophète lui-même, lequel n’hésitait pas à dire à ceux qui croyaient Dieu irrévocablement lié à ses agents : « De ces pierres même Dieu peut faire naître des enfants à Abraham. » (Matthieu 3.9 ; comparez Luc 19.40.) — Ce sont donc là des principes vrais : faisons-en l’application au fait de la naissance de Jésus d’une vierge.
L’homme devait naître « de l’esprit, » car il devait être fils de Dieu, lequel est esprit. Mais, agent libre, le premier homme, abandonnant la volonté de Dieu, la loi de l’esprit, est devenu charnel. Son action, en particulier celle dont nous parlons ici, est donc, elle aussi, devenue charnelle. Elle ne peut par conséquent plus être l’instrument de l’Esprit divin. L’appétit dominateur du corps, dont la présence en nous révolte si profondément notre être spirituel, est le symptôme de cet état de l’esclavage de la chair auquel l’homme s’est réduit.
Un renouvellement de la vie de l’humanité de la part de Dieu (lequel, comme étant l’œuvre du Dieu vivant, ne saurait avoir lieu d’une façon violente et magique, mais qui devra procéder d’une manière organique et naturelle) nécessite donc une naissance humaine autre que celle dont l’homme déchu peut actuellement être l’instrument.
L’Esprit de Dieu, l’agent suprême de toute création, ne trouvant plus, dans l’agent actif de l’humanité, son organe, se passe de cet agent, et le remplace lui-même auprès de l’être qui renferme l’élément réceptif dans cette humanité.
La naissance spirituelle de Jésus est donc non seulement un fait dont le caractère de sa vie, telle qu’elle a été, rend l’admission nécessaire, mais c’est bien là un fait humain, en rapport direct et nécessaire avec la véritable nature de l’homme, — disons plus, loin d’être un fait surnaturel, c’est là la seule naissance d’une femme qui doive nous apparaître comme ayant été normale et naturelle, du moment où nous nous sommes élevés au point de vue chrétien, c’est-à-dire au point de vue réel et absolu.