Le Christ avait conscience de l’union pure de sa personne avec Dieu, et sa présence produisait sur les âmes sympathiques l’effet d’une personnalité en qui habitait la plénitude de l’esprit et de l’être divins. Il ne peut y avoir de doute à cet égard. Les apôtres, il est vrai, nous le dépeignent sous des formes diverses : Jean, comme le verbe divin et éternel qui se fit chair ; Paul, comme l’image parfaite, l’expression pure et la splendeur de Dieu ; d’autres, comme le Fils de Dieu, vivant avec son Père dans une communion immédiate. Mais s’ils diffèrent de forme, ils s’accordent si bien à proclamer au fond l’unité complète du Christ avec Dieu, que nous devons la regarder comme le point central et vivant de la foi chrétienne. Quand donc des hommes de genres d’esprit si divers reçoivent la même impression, impression si riche, si profonde, si particulière et si nouvelle, force nous est d’y voir un résultat, non pas fortuit et accidentel, mais intime et nécessaire, dû à l’action puissante qu’exerçaient sur les âmes la parole, l’esprit et la vie du Christ, et que confirmait admirablement l’harmonie de son apparition historique avec cette image primitive du divin en nous dont elle réveillait la conscience. Il n’y a pas de milieu : ou bien Jésus s’est fanatiquement déifié lui-même, et que devient alors sa pureté et sa grandeur ! ou bien il faut admettre et croire que son sentiment intime a dit vrai, lorsque doux et humble il se déclarait Fils de Dieu, dans ses discours et par ses faits. Et c’est bien là ce que confirment les transformations universelles qu’il a fait subir au monde, et qu’une fiction pieuse ne suffira jamais à expliquer. Il n’y a qu’une puissance réelle de vie qui puisse produire de tels effets.
Ce qui n’est pas moins clair, c’est la ferme volonté qu’avait le Christ de communiquer aux siens son esprit, de se continuer en eux, et d’agrandir par eux sa vie individuelle en la vie de l’humanité. C’est là l’idée suprême du christianisme dans le quatrième évangile. Le Christ, glorifié par son Père, veut se glorifier aussi dans ses disciples, qu’il appelle à manger sa chair, à boire son sang, à vivre de sa vie. Mis à mort, il ressuscitera, comme un grain jeté en terre, dans les frais rejetons des fidèles, et se perpétuera en eux. Il les attirera au Père et les unira à Lui « afin que tous ne soient qu’un, dit-il, comme toi, ô mon Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’eux aussi soient un en nous ; » et il ajoute : « Je suis en eux et tu es en moi, afin qu’ils soient perfectionnés dans l’unité, et que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les aimes comme tu m’aimes. » Tout ce qui est à Dieu est à Christ, et c’est avec cette plénitude de Dieu qu’il aspire à se communiquer aux siens, pour habiter en eux et les sanctifier.
Elle est donc trouvée, la base essentielle de la foi chrétienne, la raison de ses destinées et la source de sa vie : c’est l’unité du Christ avec Dieu, unité qui, nous en avons la certitude, loin de rester individuelle et passagère, est appelée à s’incarner progressivement, avec l’esprit et la vie du Christ, dans les fidèles et dans l’humanité ; car si le Christ est unique, il ne veut pas être isolé, solitaire. Sa manière d’être doit devenir, selon le degré de réceptivité de chacun, l’apanage de la race à laquelle il s’est incorporé, lui le membre excellemment vivant et vivifiant. La tête ne peut se passer du corps ; et s’il n’y a pas de rachetés sans rédempteur, à quoi bon aussi un rédempteur sans rachetés ! L’un implique l’autre. N’oublions pas cependant que l’union des rachetés avec Dieu n’est qu’un état dérivé, qui dépend du degré de mort au péché et de participation à la vie du Christ auquel ils sont parvenus, tandis que cette union est absolument parfaite dans le rédempteur. C’est ce que l’Écriture nous enseigne quand elle nomme le Christ le Fils unique du Père, et les croyants, enfants de Dieu, signalant par ces mots divers une différence qui, à quelque degré de développement spirituel que les fidèles puissent arriver, ne disparaîtra jamais.
Si tels sont la pensée mère et le fait capital du christianisme, nous croyons dès lors être arrivés à ce qu’il y a de plus intime, de plus profond, et de plus élevé dans le domaine de la vie religieuse, et nous en déduisons ces trois conséquences naturelles :
Une religion qui renferme un tel foyer vivant et vivifiant,
1° Nous fournit en cela même le cachet particulier qui la caractérise et la distingue de toutes les autres ;
2° Nous démontre par le fait qu’elle est la religion parfaite, absolue, la foi de l’humanité ;
3° Place enfin dans leur véritable jour et organise à merveille, du point de vue de ce foyer central, tous les éléments qui la composent.
Etablissons ces trois conclusions.