Académie de Berlin. — Louis Ancillon. — Castillon fils. — Erman. — Burja. — Chamisso. — Dubois Reymond. — Henry. — Frédéric Ancillon. — Savigny. — Ecole historique. — Constitution de 1847. — La Mothe-Fouqué. — Michelet. — Adolphe Erman. — Théremin. — Gaillard. — Peintres. — Réfugiés distingués, dans la diplomatie et la haute administration. — Lombard. — Dans l’état militaire. — Dans l’industrie et le commerce.
Dans l’intervalle de soixante ans qui s’est écoulé depuis la mort de Frédéric II jusqu’à nos jours, une foule d’hommes remarquables sortis du refuge contribuèrent à maintenir la Prusse au rang élevé où le génie de ce prince l’avait placée. L’Académie de Berlin continua à recruter parmi eux ses membres les plus éminents. Dès la première année du règne de Frédéric-Guillaume II, trois Français, Louis Ancillon, Castillon fils et Erman furent reçus dans cette société célèbre. Louis Ancillon, petit-neveu de Charles Ancillon, l’ami de Leibnitz et l’un des fondateurs de l’Académie, était né a Berlin en 1740. C’était alors le dernier rejeton de cette famille accueillie jadis avec un empressement si vif par le grand électeur, entourée depuis de la vénération publique, et qui, pendant cent cinquante ans, n’a pas cessé de briller dans la magistrature, dans le sacerdoce et dans les lettres. Déjà désigné au choix de l’Académie par les trois couronnes académiques qu’il avait obtenues à Rome, à Dijon, à Berlin, Louis Ancillon fut élu peu de temps après la mort de Frédéric II, dont il prononça l’éloge funèbre dans le temple de Potsdam où reposent les restes de ce grand homme. Pendant vingt-six ans il fut une des lumières de la classe de philosophie, un métaphysicien de premier ordre, un penseur plein d’élévation, de sens et de sagacitéd. Frédéric de Castillon, né à Berne en 1747, mais rallié depuis longtemps à la colonie de Berlin, fut reçu à l’Académie en 1800, et illustra son nom par ses remarquables travaux sur la logique, la psychologie et l’idéologie. Erman, son contemporain et son ami, est l’auteur des mémoires sur l’établissement des réfugiés dans le Brandebourg.
d – V. le jugement de M. Mignet dans sa belle notice sur Frédéric Ancillon. Paris 1847.
A ces trois académiciens choisis parmi les descendants des réfugiés vinrent s’ajouter successivement des hommes nouveaux distingués, soit dans les sciences, soit dans les lettres, et dont plusieurs sont encore vivants.
Abel Burja, né à Berlin en 1752, appartenait à la colonie. Il se rendit célèbre comme prédicateur, comme géographe et comme géomètre. Ses travaux en mathématiques lui ouvrirent les portes de l’Académie en 1789. Adalbert Chamisso, né en 1781, dans le château de Beaucourt en Champagne, émigré à Berlin pendant la révolution française, se rattacha entièrement à la colonie, et montra une singulière intelligence de la poésie et de la philosophie allemandes. Il publia en 1813 le singulier ouvrage intitulé : Pierre Schlemihl, ou l’Homme qui vend son ombre. Ce conte, écrit en allemand, fut traduit aussitôt en français, en anglais, en hollandais, en espagnol, et donna naissance à un genre nouveau que les Allemands appellent le genre fantastique. Le célèbre Hoffmann, qui excella dans cette branche bizarre de la littérature moderne, se reconnaît lui-même le disciple et l’imitateur de Chamisso. Voué depuis à l’étude de l’histoire naturelle et des sciences exactes, Chamisso accompagna Othon de Kotzebue dans son voyage autour du monde entrepris aux frais du chancelier comte Roumantsof. Parti de Kronstadt en 1815, il y fut de retour en 1818, et publia à Berlin le résultat de ses découvertes. L’université de cette ville lui accorda le diplôme de docteur, et l’Académie l’admit comme membre de la classe des sciences physiques et mathématiques. Le professeur Paul Erman, fils du pasteur, également membre de l’Académie des sciences, est âgé aujourd’hui de plus de quatre-vingts ans, et s’occupe encore de savantes recherches. Le docteur Émile Dubois Reymond, issu par sa mère d’une famille nîmoise, excite en ce moment l’attention du monde savant par son bel ouvrage sur la loi du courant musculaire, qui semble destiné à ouvrir à la science moderne une carrière inexplorée jusqu’ici. Son système exposé à l’Académie des sciences de Paris, en présence de laquelle il a renouvelé ses expériences, n’a pas encore reçu l’assentiment général ; mais déjà l’Académie des sciences de Berlin a témoigné son estime à l’illustre descendant des réfugiés, en l’admettant dans son sein à l’âge de trente-deux ans. Le pasteur Henry, auteur d’un travail justement estimé sur Calvin, fait également partie de la société. Mais les deux académiciens sortis du refuge dont les noms ont eu de nos jours le retentissement le plus grand sont Frédéric Ancillon et Savigny.
Un éminent écrivain a déjà raconté la vie et jugé la carrière politique et littéraire de Frédéric Ancillon, avec une hauteur de vues et une sûreté d’appréciation qu’il serait difficile d’égalere. Rappelons-en seulement les traits les plus saillants. Frédéric était fils et élève de Louis Ancillon. Né à Berlin en 1766, d’abord prédicateur, puis professeur d’histoire à l’école militaire et historiographe du Brandebourg, il fut reçu à l’Académie en 1803. Ses Mélanges de littérature et de philosophie, qui révélèrent un jugement net et sûr et une connaissance approfondie des principaux problèmes débattus par les plus grands penseurs de la France et de l’Allemagne, son Tableau des révolutions du système politique de l’Europe depuis le quinzième siècle, ouvrage malheureusement inachevé, plein d’aperçus brillants et dont le style ne serait pas désavoué par les meilleurs écrivains français de notre époque, appelèrent sur lui l’attention du roi Frédéric-Guillaume III qui le nomma précepteur du prince royal et de son frère, le prince de Prusse actuel. Après avoir préparé ses deux illustres élèves au rôle qu’ils accomplissent aujourd’hui, il fut nommé successivement conseiller au département des affaires étrangères, directeur de la section politique, enfin, en 1831, il succéda au comte de Bernstorff comme secrétaire d’État des affaires étrangères. Lorsqu’il mourut en 1837, il était ministre dirigeant du cabinet de Berlin, et l’un des soutiens de la paix européenne qu’il avait eu le bonheur de maintenir avec le concours des habiles hommes d’État qui dirigeaient alors la politique française.
e – Notice de M. Mignet sur Frédéric Ancillon.
A côté du dernier des Ancillon vient se placer un des plus beaux génies qui soient sortis du refuge, un homme encore vivant, tour à tour érudit, administrateur, professeur et jurisconsulte, et qui s’est associé avec éclat, pendant les quarante dernières années, au mouvement moderne de l’Allemagne contre l’influence et la domination des armes et des idées de la France : Frédéric-Charles de Savigny.
La famille dont il descend émigra dès la première moitié du dix-septième siècle. Paul de Savigny, né à Metz, en 1622, servit dans l’armée suédoise jusqu’en 1650, et après avoir été gouverneur de la petite forteresse du vieux Linange, il mourut à Kirchheim en 1685. Son fils, Louis-Jean de Savigny, né en 1659, fut conseiller privé du prince de Nassau et président à Weilbourg, où il mourut en 1701. On lui attribue un des livres les plus violents que les réfugiés publièrent alors à Cologne pour dénoncer à l’Europe la politique envahissante de Louis XIV.
[Ce pamphlet est intitulé : La dissolution de la réunion, où il est prouvé par les maximes de droit que les seigneurs et sujets de la réunion ne sont plus tenus aux hommages ni aux serments qu’ils ont rendus aux rois de France, à la chambre royale de Metz, et aux conseils souverains d’Alsace et de Besançon, avec des discours de l’alliance du roi de France avec les Turcs. Cologne, 1692.]
Quelques pages extraites de cet écrit furent rééditées en 1813 avec un certain succès d’à-propos, au moment même où l’arrière-petit-fils de Louis-Jean, Frédéric-Charles de Savigny, organisait avec Eichhorn la landwehr et le landsturm prussiens contre la France. Louis, fils de Louis-Jean, fut directeur de la régence de Deux-Ponts, de 1684 à 1740. Le fils de Louis, Chrétien-Charles-Louis, membre de l’assemblée du cercle du Haut-Rhin comme député de plusieurs princes de l’empire, fut le père de Frédéric-Charles de Savigny, né à Francfort en 1779. Après avoir terminé ses études à Marbourg, Savigny voyagea en Allemagne, en France et dans le nord de l’Italie, recueillant partout les monuments encore inédits de l’histoire du droit romain. Appelé en 1810 à l’université de Berlin, il fut nommé successivement membre de l’Académie des sciences, du conseil d’État réorganisé en 1807, et de la cour de révision instituée pour les provinces rhénanes. Depuis il fut appelé à partager avec Muhler la direction du ministère de la justice, et chargé spécialement du département de la révision des lois.
Savigny est avec Niebuhr un des restaurateurs de la science historique moderne du droit romain. La clarté, la méthode, l’érudition, la rare sagacité avec laquelle il sait combiner les textes et en déduire des conclusions à la fois sûres et précises, une pureté de style et une élégance peu communes en Allemagne, telles sont les qualités qui distinguent cet auteur français par son origine et par la tradition cujacienne dont il dérive, allemand par la langue dans laquelle il écrit.
Dans ses travaux d’érudition qui presque tous concernent le droit romain, Savigny se rattache directement à l’école de Cujas. Il prend plus à tâche de rétablir le droit romain dans sa sincérité originale et dans sa vérité historique, que de le modifier suivant les convenances d’une application plus ou moins immédiate au temps présent. Outre de nombreux opuscules, Savigny a donné deux grands ouvrages sur le droit romain : le Traité de la possession dans lequel il a reconstruit la constitution fort originale de la propriété et de la possession romaines, et l’Histoire du droit romain au moyen âge. Dans ce second ouvrage qui est capital, Savigny a prouvé d’abord que les lois germaniques étaient personnelles, en ce sens qu’elles étaient propres à chaque Germain d’après son origine nationale. On croyait généralement avant lui que chaque Germain était libre de déclarer et, partant, d’adopter la loi qu’il lui convenait de suivre. La personnalité des coutumes et des lois pendant la période germanique est un fait aujourd’hui reconnu. Savigny a démontré en second lieu la permanence du droit romain pendant le moyen âge en tant que coutume et objet d’étude. On croyait avant lui que le droit romain n’avait pas survécu à la ruine de l’empire d’Occident, qu’il s’était effacé dans les premiers temps de la conquête par le mélange des peuples, par l’abandon même des Romains qui auraient adopté les lois des Germains pour se confondre avec les vainqueurs, et que ce droit était en quelque sorte tout d’un coup sorti de sa tombe pour régner une seconde fois sur le monde, lorsqu’au onzième siècle un soldat découvrit un manuscrit des Pandectes dans la ville d’Amalfi. Cette opinion reposait sur des fables et sur des faits mal compris. La permanence du droit romain au moyen âge est une vérité historique que quelques esprits avaient entrevue, mais que Savigny seul a rétablie d’une manière désormais incontestable et incontestée.
Mais l’ouvrage le plus original de Savigny, celui par lequel il s’est marqué une place à part, et par lequel il a influé directement sur la constitution politique de la Prusse, c’est l’opuscule intitulé : De la vocation de notre siècle pour l’étude de la jurisprudence. Dans ce traité célèbre, qui l’a fait chef d’école, Savigny s’élève souvent jusqu’à l’éloquence, et laisse éclater alors le sentiment de l’indépendance avec l’énergie fière et forte d’un Germain de Tacite transporté tout à coup au milieu de la société moderne et parlant le langage philosophique du droit. Au moment où fut publié cet écrit, il s’agissait de décider si la Prusse, affranchie du joug de la France, conserverait les codes français dans les provinces rhénanes où la conquête les avait importés, et si elle les imiterait par une codification analogue dans quelques parties du royaume où on ne les avait pas encore appliqués. Savigny protesta contre cette tendance qui se rattachait aux promesses de la coalition en 1813, et publia son fameux traité. Il y prouve, comme on prouve en théorie, par des affirmations réitérées plutôt que par des faits, que de nouveaux codes ne sont ni nécessaires ni même possibles, que les lois de la France, pas plus que celles de la Prusse ou de l’Autriche, ne sauraient être adoptées en tout pays, que chaque peuple a une loi qui lui est propre et qu’il tire d’une manifestation instinctive de sa nationalité. Cette manifestation devient la base du droit coutumier, droit essentiellement progressif, qui se développe, se perfectionne et se modifie par l’action de la même cause qui le produit, c’est-à-dire par le progrès de la nationalité sous l’influence des faits nouveaux et des circonstances nouvelles qui se présentent dans la vie des peuples. La coutume et ses progrès, telle est, selon Savigny, la seule législation possible. Chercher la législation d’un peuple en dehors de sa coutume et de la végétation naturelle qui en dérive, c’est lui faire violence, c’est interrompre son autonomie, c’est étouffer sa vie, c’est substituer à un progrès naturel une sorte de locomotion artificielle et mécanique. Les législateurs de la révolution française, avec leurs codes improvisés, sont des tyrans qui tuent la liberté. Leur droit rationnel est une lettre morte. Les grands principes inscrits aux frontispices de leurs constitutions ne sont pas historiquement appréciables. La liberté, l’égalité, la fraternité qu’ils invoquent pour imposer une loi nouvelle et absolue qui n’est pas sortie des entrailles du peuple français, sont des déclarations pompeuses et inutiles sous lesquelles ils s’efforcent en vain de dissimuler l’énormité d’un attentat de lèze-nation.
Savigny soutient que toutes les législations qui ont duré n’ont été que le développement progressif de la coutume. Il cite, dans l’antiquité, le droit romain, œuvre des jurisconsultes et des préteurs, et nullement des législateurs ; dans les temps modernes, le droit anglais qui, dans sa partie civile comme dans sa partie politique, n’est que le développement continu des coutumes primitives de la nation.
L’Allemagne aussi, selon Savigny, a sa grande loi virtuellement sortie de sa puissante et féconde nationalité. Pourquoi renoncerait-elle à cette loi pour adopter un ensemble de règles écrites, immuables, importées de l’étranger, devant mettre un terme à son autonomie naturelle, et substituer à cette autonomie la volonté de quelques hommes spéciaux ? La France a renoncé à sa coutume. Elle a déraciné l’arbre de vie, pour lui substituer la volonté législative du pouvoir. A cette abdication souveraine elle a donné le nom de règne de la philosophie, d’avènement de la raison. Aussi le peuple français ne sait-il plus ce qui est la vraie liberté. Il la cherche, et il ne peut la trouver. Il ne s’appartient plus à lui-même ; il appartient à des systèmes, à des idées, ou plutôt à quelques hommes intelligents et habiles qui se jouent de ses destinées à travers les événements qui se précipitent, et dont la Providence se joue à son tour. Allemands ! ne renoncez donc pas à votre autonomie naturelle, pour imiter la France, pour adopter ses codes, pour n’être plus une nation indépendante, pour substituer à la liberté un nom sonore.
C’est à ce point de vue que se place Savigny pour donner cours à sa violente polémique en faveur de la coutume contre la législation, en faveur du droit coutumier contre le droit écrit et idéal. Ce point de vue profondément conforme au génie germanique, génie d’indépendance, d’isolement, de morcellement politique et religieux, contre lequel échouent depuis deux mille ans, toutes les tentatives de concentration et d’unité, a trouvé en Allemagne des sympathies ardentes. Il a produit l’école historique et jeté le gant à l’école philosophique. Les universités allemandes sont restées partagées entre ces deux écoles. Mais la première l’emporte presque partout, et exerce, depuis trente ans, une influence immense sur la politique de la confédération germanique. Le système de Savigny, entrevu par Joseph de Maistre dans son Essai sur le principe générateur des institutions politiques, combattu par Rossi qui lui reproche de rechercher le relatif et le contingent, et de ne pas tenir compte de l’absolu, a été embrassé avec chaleur par le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, disciple de Savigny autant que d’Ancillon, et dans l’esprit duquel les leçons de droit données en 1814 par le grand jurisconsulte paraissent avoir laissé une impression profonde. Le mépris singulier que ce prince professait pour la charte de 1830, la manière dont il organisa la diète prussienne en 1847, la politique suivie jusqu’aux journées de mars 1848, et à laquelle il semble vouloir revenir aujourd’hui, attestent son entière adhésion aux principes de l’école historique. Hâtons-nous de dire que jusqu’ici l’application n’en a pas été toujours heureuse, et que, si la France poursuit encore, à travers la poussière des révolutions et des ruines, un idéal qui semble reculer sans cesse comme un mirage lointain, l’expérience des dernières années n’a pas prononcé davantage en faveur du système opposé.
Appelé par la reconnaissance et l’admiration de son royal élève aux plus hautes fonctions de l’État, Savigny a senti le besoin de se retirer des querelles de l’école, pour ne pas ajouter aux embarras réels du pouvoir l’aigreur des polémiques de la théorie. Il semble décliner aujourd’hui l’honneur d’avoir fondé un système et créé une école. Il cherche à s’abriter derrière l’histoire et l’érudition. Mais, quoique le chef ait disparu, le nom, le drapeau, l’armée sont restés ; et, sans la révolution de 1848, l’Allemagne historique et l’Allemagne philosophique continueraient sans doute encore la lutte ardente provoquée par le livre de Savigny.
D’autres descendants des réfugiés devant lesquels les portes de l’Académie ne se sont pas ouvertes n’en ont pas moins exercé une heureuse influence sur le progrès des lettres en Allemagne.
La Mothe-Fouqué, petit-fils du héros de Landshut, après avoir fait les campagnes de 1793, 1794 et 1795, comme lieutenant de cavalerie dans un régiment prussien, se voua entièrement aux lettres, lorsque le traité de Bâle eut rendu la paix à sa patrie. Il reprit les armes en 1813 et combattit vaillamment à Lutzen, à Kulm et à Leipzick. Dans l’intervalle entre ces deux périodes de sa vie militaire, et pendant la longue paix qui suivit, il publia divers ouvrages, dont le plus justement célèbre est le roman d’Ondine, une des créations les plus gracieuses de la littérature allemande. C’est le seul de ses écrits qui ait été traduits en français.
Charles-Frédéric Michelet, un des principaux disciples de Hegel et l’un des éditeurs des œuvres complètes de ce philosophe, professeur au collège français et à l’université de Berlin, s’est fait remarquer par son bel ouvrage sur la métaphysique d’Aristote, couronné par l’Académie des sciences morales, et par une histoire de la philosophie allemande moderne.
Adolphe Erman, fils de Paul Erman et petit-fils de l’auteur des mémoires sur les réfugiés, s’est rendu célèbre par son voyage autour du monde, que M. de Humboldt, qui lui-même appartient à la colonie par sa mère, a cité souvent dans son Cosmos.
François Théremin, mort il y a quelques années, avait succédé à Frédéric Ancillon dans le poste de pasteur du Werder. Plus tard, il fut nommé prédicateur de la cour. Il reste de lui plusieurs volumes de sermons justement estimés.
Le poète Charles Gaillard, négociant à Berlin, a composé en langue allemande des poésies lyriques et dramatiques qui ne sont pas dépourvues d’inspiration. Les Berlinois vantent surtout ses chants des Tcherkess.
Ajoutons que dans la période contemporaine les réfugiés ont continué de se distinguer dans les arts, dans la diplomatie, dans les armes, dans le commerce et l’industrie. Les peintres Rodolphe Jordan et Barthélemy Pascal, dont les tableaux sont recherchés dans toute l’Allemagne, appartiennent au refuge. Les peintres Bardou et Louis Blanc sont également d’origine française.
Dans la diplomatie et la haute administration, il faut citer Lombard, né à Berlin en 1766 d’une famille dauphinoise, secrétaire du cabinet sous Frédéric II, et principal conseiller de Frédéric-Guillaume II et de Frédéric-Guillaume III. Lorsqu’en 1795 la Prusse se sépara militairement de l’Autriche par le traité de Bâle, et se rapprocha de la république française, ce fut de Berlin que partit le conseil adressé au directoire de porter une armée en Italie, afin d’annuler ainsi l’influence de l’Autriche en Allemagne et d’établir la prépondérance de la Prusse dans le Nord. Tout l’entourage de Frédéric-Guillaume II et de son successeur était composé, à cette époque, de fils de réfugiés empressés d’agrandir leur patrie adoptive à la faveur de la lutte entre la France et l’Autriche. On peut mentionner encore Gustave de Le Coq, naguère ambassadeur à Constantinople, aujourd’hui sous-secrétaire d’État au département des affaires étrangères ; Balan, conseiller de légation, naguère ambassadeur à Francfort ; Guillaume Théremin, autrefois consul général à Rio-Janeiro, maintenant chargé d’affaires de Hambourg et de plusieurs autres États de l’Allemagne ; Théremin, son fils, ancien vice-consul à Rio-Janeiro, aujourd’hui secrétaire de chancellerie à Bucharest ; les comtes de Perponcher fils, l’un secrétaire d’ambassade à Londres, l’autre à Constantinople, où le comte Albert de Pourtalès, Neufchâtelois issu d’une famille réfugiée, remplit les fonctions d’ambassadeur ; Le Prêtre, récemment encore conseiller de régence à Magdebourg, issu de la famille de Vauban, qui s’est éteinte en France et conservée jusqu’à nous en Allemagne. Enfin, dans les deux chambres du parlement aujourd’hui réuni, on compte un grand nombre de représentants d’origine française, élus à Berlin et dans les provincesf.
f – Tout ce passage qui se rapporte à la Prusse contemporaine a été écrit en 1850.
Dans l’état militaire, on peut citer le comte de Perponcher, lieutenant général, les colonels Jordan et Valette, Baudenant, officier du génie, d’un rare mérite, dont l’amitié consola l’exil de Carnot pendant son séjour à Magdebourg, et qui fut chargé de la reconstruction de plusieurs forteresses des provinces rhénanes.
Dans l’industrie, le commerce et l’agriculture : la maison Humbert et Gaertner, fabricants renommés de soieries ; les Fonrobert qui se distinguent par leur fabrication d’objets en gomme élastique et en gutta-percha ; les frères Baudoin, les Asche, les Plantier, manufacturiers et négociants ; les Moreau-Valette, une des plus grandes maisons de commerce de Berlin ; Jaquier, banquier de premier ordre, Godet et Humbert, bijoutiers de la cour ; les libraires Logier et Sauvage, les frères Mathieu, jardiniers renommés, issus d’une famille qui, dès l’époque du refuge, comptait des jardiniers parmi ses membres, et n’a cessé depuis de perfectionner l’art du jardinage.
De toutes les industries dont les réfugiés ont enrichi le royaume de Prusse, celle des soies et des velours s’est le mieux maintenue et développée. En 1837, elle occupait dans ce pays 14 111 métiers, dont 1575 à Berlin, 390 à Potsdam, 350 à Francfort-sur-l’Oder, 310 à Cologne, 11 137 à Elberfeld et à Créfeld. Il est vrai que ces deux dernières villes devaient surtout l’état florissant de leurs manufactures au déclin de celles que les émigrés avaient établies en Hollandeg.
g – Berg, Les Réfugiés dans les Pays-Bas, p. 299. Amsterdam, 1845. En hollandais. Berg, Les Réfugiés dans les Pays-Bas, p. 299. Amsterdam, 1845. En hollandais.