Le repos de Jean Hus fut de courte durée : le 20 décembre 1409, Alexandre V publia une bulle contre ses doctrines sans le désigner particulièrement. Défense était faite par cette bulle d’officier dans les chapelles particulières qu’elle mit en interdit, et d’enseigner en aucun lieu la doctrine de Wycliffe ; elle invitait l’archevêque à poursuivre les contrevenants comme des hérétiques, avec l’assistance du bras séculier, et à supprimer par toutes sortes de voie les livres de Wycliffe. Hus répondit : « J’en appelle, d’Alexandre mal informé, à Alexandre mieux informé. »
Cependant l’archevêque obéissait, suivant d’ailleurs en cela son inclination personnelle. Déjà, l’année précédente, il avait exigé que tous les détenteurs des livres de Wycliffe les apportassent au palais épiscopal ; enhardi par la bulle du pontife, il fit brûler, sans autre information, plus de deux cents volumes nettement écrits et richement ornés, et cet acte provoqua des ressentiments redoutables. Le prix des livres, tous manuscrits, était élevé, avant l’imprimerie, en raison de leur rareté, et leur destruction apportait presque toujours un sensible dommage à leurs possesseurs. Un grand nombre des livres brûlés appartenaient à des membres de l’Université de Prague. L’archevêque avait ainsi violé leurs privilèges ; Jean Hus les défendit, doublement blessé par cet acte de despotisme épiscopal, et dans son autorité de recteur et dans son estime pour Wycliffe. Il protesta contre l’iniquité de la sentence, et la question fut soumise à l’Université de Bologne.
L’archevêque alla plus loin, il cita Jean Hus à son tribunal pour y répondre de sa doctrine. Là, entre autres griefs, il lui reprocha d’avoir nié la vertu des sépultures en terre bénite et consacrée, d’avoir dit que les dépouilles des morts pouvaient reposer dans les champs et dans les forêts tout aussi bien que dans les cimetières. « Et pourtant, mon cher fils, ajoutait l’archevêque, vous n’ignorez pas de combien de fléaux le Ciel a jadis frappé la Bohême à cause des sépultures profanes. — S’il m’est échappé quelque chose, par erreur ou par oubli, contre la foi chrétienne, répondit Jean Hus, je me rétracterai. » L’archevêque, dans l’esprit duquel les ordres du pape et l’influence de la cour agissaient en sens contraire, n’osa poursuivre, et il congédia Jean Hus. Mais le dimanche suivant celui-ci monte en chaire et dit : « C’est chose étrange, mes chers Bohémiens, qu’on défende d’enseigner des vérités manifestes, et surtout celles qui brillent en Angleterre et autres lieux. Ces sépultures particulières, ces cierges et ces cloches ne servent à rien qu’à remplir les bourses des prêtres avares, et ce qu’ils appellent ordre n’est autre chose que confusion. Croyez-moi, ils veulent vous enchaîner par de tels commandements ; mais vous romprez vos chaînes. »
L’Université de Bologne se prononça contre les violences de l’archevêque : Jean Hus, fort de ce jugement, en appela au pape de la sentence de laquelle les livres de Wycliffe avaient été brûlés et des rigueurs de l’archevêque à son égard. Peut-être aurait-il obtenu quelque trêve d’Alexandre V ; mais Alexandre n’avait fait que passer sur le trône pontifical. Attiré, retenu à Bologne par le cardinal Balthazar Cossa, son légat dans cette ville, il y mourut presque subitement, au commencement de l’année 1410, et sa mort fut imputée au cardinal, parce qu’il était jugé capable de l’avoir hâtée, et surtout parce qu’elle lui profita. Balthazar lui succéda ; il fut pape sous le nom de Jean XXIII, et jamais la tiare ne s’était égarée sur un front plus indigne.
Les historiens contemporains, très opposés d’ailleurs, s’accordent à dire beaucoup de mal de ce pontife. Thierry de Niem, qui fut son secrétaire et qui a écrit sa vie, le représente comme un monstre d’avarice, d’ambition, d’impudicité et de cruauté ; il lui reproche dans les termes les plus amers son élection simoniaque. « Vous n’êtes pas entré par la porte, dit-il, mais par la fenêtre ; on a dit de vous avec raison que vous avez rompu le seuil avec une hache d’or, et que vous avez fait taire les dogues avec force pâture, de peur qu’ils n’aboyassent contre vous. »
Ce pontife avait à peine pris possession de son siège qu’il reçut de Jean Hus un nouvel appel (contra combustionem librorum Joannis Vinglef et contra alia). Il commit l’affaire pour être examinée à quatre cardinaux : ceux-ci, après avoir pris l’avis des docteurs de Bologne, furent d’avis que l’archevêque de Prague, en brûlant les livres de Wycliffe, avait outre-passé ses pouvoirs, et ils donnèrent sur ce point gain de cause à Jean Hus. La cour romaine cependant s’était émue de ses doctrines, et Jean Hus fut sommé de comparaître à Bologne devant le cardinal Othon de Calonne pour rendre témoignage de sa foi.
Hus hasardait sa vie en risquant ce voyage, et l’on vit alors quelle influence prodigieuse il avait su conquérir. Le roi, la reine, l’Université, un grand nombre des principaux barons de Bohême et de Moravie envoyèrent, de concert, une ambassade au pape pour le supplier de dispenser Jean Hus du voyage, de recevoir ses procureurs, et d’envoyer à Prague des légats aux frais de la couronne. L’archevêque lui-même écrivit en faveur de Hus, déclarant qu’ils étaient réconciliés, et qu’il n’y avait point d’hérésie en Bohême. Tout fut inutile, soit que le pape eût compris que la situation de l’archevêque donnait peu de poids à ses paroles, soit qu’au dire de quelques auteurs il n’ait point reçu sa lettre, ou bien que Shinko ait démenti en secret ce qu’il affirmait en public. Jean XXIII fit poursuivre avec vigueur, devant de nouveaux commissaires, la procédure commencée : les procureurs de Hus ne furent point écoutés et subirent d’indignes traitements ; lui-même ne comparaissant pas fut excommunié. Le pape confirma la sentence et mit Prague en interdit ; défense fut faite, aussi longtemps que Hus y séjournerait, d’y célébrer la messe, de donner le baptême aux enfants et la sépulture aux morts. Cette sentence foudroyante mit la ville en feu et provoqua des séditions et des massacres.
Alors se montra dans son vrai jour le caractère de Jean Hus, et l’on vit combien son opposition était dégagée de tout intérêt d’ambition personnelle. La cour le protège, le peuple est pour lui, l’indignation contre le clergé est générale ; il se voit opprimé, accablé par un pontife devenu l’objet d’un mépris presque universel, et il ne profite pas de tant d’avantages pour rompre sans retour avec l’autorité qu’il respecte encore, même en l’attaquant. Là se révèle encore toute l’indécision de sa pensée : il ne conteste point, en principe, l’autorité qu’il rejette en réalité ; il voit encore, dans le pape, le successeur de saint Pierre, quoique indigne et dépouillé de tout pouvoir spirituel ; il s’adresse aux cardinaux, en termes humbles et soumis ; il proteste de son innocence, il est prêt à la prouver par le martyre, il prie Dieu enfin d’éclairer le pontife, son persécuteur. Ce chrétien, si ardent et si fort lorsqu’il éclate et tonne contre les scandales et les abus de l’Église, n’est plus qu’un homme simple, faible et humble, lorsqu’il s’agit de substituer l’autorité de sa raison à celle de ses oppresseurs, et, après en avoir inutilement appelé aux hommes, il en appelle à Dieu. « Notre-Seigneur Jésus-Christ, dit-il, vrai Dieu et vrai homme, environné des pontifes, des scribes, des pharisiens et des sacrificateurs, ses juges et parties, a donné à ses disciples le bel exemple de soumettre leur cause au jugement de Dieu, qui sait tout et qui peut tout ; en suivant ce saint exemple j’en appelle à Dieu, me voyant opprimé par une sentence inique et par la prétendue excommunication des pontifes, des scribes, des pharisiens et des juges assis dans la chaire de Moïse. Moi, Jean Hus, je présente cet appel à Jésus-Christ, mon maître et mon juge, qui connaît et protège la juste cause du plus humble des hommes. »
Cependant, entouré d’ennemis et de périls, il hésite, partagé entre une double crainte, dont aucune n’a son propre danger pour objet ; il consulte, et, dans quelques lettres touchantes écrites à ses amis, il expose ainsi ses hésitations et ses combats : « Le Sauveur a dit : Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais si vous persévérez dans le bien, qui pourra vous nuire ? Je brûle d’un zèle ardent pour l’Évangile et mon âme est triste, car je ne sais que résoudre. J’ai médité cette parole évangélique du Sauveur : Le bon pasteur donnera son sang pour son troupeau ; mais le mercenaire, voyant le loup venir, laisse là ses brebis et s’enfuit : le loup vient, qui les enlève et les disperse. J’ai médité aussi cette autre parole (Matthieu ch. 10) : Lorsqu’ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre. Entre ces deux préceptes si différents, lequel suivre ? auquel obéir ? Je ne sais. »
Hus prit enfin le dernier parti ; il quitta sa chère chapelle et chercha un refuge dans son village, à Hussinetz, sous la protection du seigneur du lieu. Ce fut là qu’il écrivit un petit traité où il prouve, par l’autorité des Pères, des papes, des canons, et par la raison, qu’il faut lire les livres des hérétiques et non les brûler. C’est de là aussi qu’il écrivit à ses disciples pour leur exposer la cause de sa retraite. « Sachez, dit-il, mes bien-aimés, que c’est par l’exemple et l’avertissement du Christ que je me suis retiré du milieu de vous, de peur d’être aux méchants une occasion de condamnation éternelle et aux bons un sujet de tristesse et de deuil. J’ai fui pour que des prêtres impies ne défendissent point la prédication de la parole de Dieu et pour que vous ne soyez point privés à cause de moi de la vérité divine pour laquelle, avec la grâce de Dieu, je désire mourir. »
Selon l’exemple du Sauveur, il s’en allait prêchant dans les villes et dans les villages, suivi d’une foule innombrable qui l’écoutait avec avidité, s’émerveillant que cet homme si modeste, si grave, et en même temps si doux, fût désigné comme un démon par les prêtres et fût rejeté par l’Église, lorsque, sans se révolter contre son autorité spirituelle ou contre les principes d’où elle tirait sa force, il n’attaquait que les abus qui la mettaient en péril.
Ses doctrines cependant avaient une signification plus haute que celle qu’il s’avouait à lui-même. Il protestait de son attachement à l’Église catholique et de son respect pour elle, il ne voulait pas s’en séparer, et il en ébranlait les bases à son insu en maintenant pour les fidèles le droit d’examiner ses décrets avant de s’y soumettre. Qui ne voit que d’une part l’obéissance à une Église qui se dit immuable, et d’autre part l’examen, l’appel au critérium intérieur, à la conscience, sont deux choses contraires et qui s’excluent ? Jean Hus crut-il pouvoir les accorder ? pensa-t-il avoir réussi ? Il serait difficile de le dire ; nous ne pouvons même comprendre comment il serait parvenu, sur ce point, à se faire illusion à lui-même ; mais il est certain qu’il tenta de concilier ces deux principes ennemis, et qu’il porta ainsi, dans son sein, le germe d’une lutte violente sans trêve et sans terme. Ce fut là le problème redoutable et insoluble qui agita sa vie et qui précipita sa fin. Ses combats intérieurs, la réaction d’un cœur droit et ferme contre la force de l’idée préconçue et de l’habitude, se révèlent ingénument dans une lettre qu’il écrivit de sa retraite à son ami Jean Barbat.
« Pour me raffermir dans la douce paix de mon esprit, dit-il, j’ai rappelé en moi-même la vie et la parole du Christ et celle de ses disciples (Actes ch. 4 et 5). J’ai rappelé de quelle manière Anne, grand-prêtre, et Caïphe, et Jean, et Alexandre, et toute la race des prêtres, en s’adressant aux apôtres, leur défendaient de parler et d’enseigner au nom de Jésus. Mais Pierre et Jean, répondant, leur dirent : Jugez vous-mêmes s’il est juste, en présence du Seigneur, que nous vous écoutions plutôt que Dieu… Et ces mêmes prêtres leur ayant encore une fois défendu de prêcher, ils répondirent : Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes… Saint Jérôme a dit : Si le maître ou l’évêque prescrit des choses qui ne sont point contraires à la foi ou aux Écritures, le serviteur est tenu d’obéir ; mais s’il commande ce qui leur est contraire, il faut obéir plutôt au maître de l’esprit qu’à celui du corps. Saint Augustin dit même dans son sermon sur ces paroles du Seigneur : Si une puissance terrestre vous commande ce que vous ne devez pas faire, méprisez cette puissance et craignez une puissance plus haute… Nous devons donc résister au diable et aux hommes lorsqu’ils nous suggèrent quelque chose contre Dieu, et en cela nous ne résistons pas, mais nous obtempérons à l’ordre de Dieu lui-même. Grégoire dit aussi dans son dernier traité sur la morale : Sachez qu’il ne faut jamais faire le mal par obéissance, et saint Bernard écrit dans une de ses lettres : Faire le mal d’après l’ordre de qui que ce soit, ce n’est pas obéir, mais désobéir. » Voilà ce que Jean Hus rappelle pour s’affermir, pour s’encourager lui-même dans la prédication de la parole malgré la défense des prêtres. Cependant il trahit aussi dans cette lettre l’inquiétude de ses pensées. « Il est vrai, dit-il, que les païens, les Juifs, les hérétiques se fondent tous sur ce même précepte de l’obéissance qui est due à Dieu. Hélas ! il aveugle ceux qui ne sont pas chrétiens, mais non les apôtres et les vrais disciples du Christ. »
Qui ne reconnaît dans cette parole un vœu ardent plutôt qu’une conviction sérieuse ? Qui ne voit là le cri d’un cœur droit et sûr de lui-même plutôt que l’argument d’une raison lumineuse et forte ?
Jean Hus s’appuie plus loin dans cette même lettre de cette parole de saint Paul : « Si un ange même descendait du ciel et s’il prêchait un Évangile différent de celui que nous prêchons, qu’il soit anathème ! » A plus forte raison, pensait-il, doit-il être ainsi à l’égard de ceux qui ne sont pas des anges, mais des hommes charnels, prêtres, évêques ou papes, et qui enseignent non seulement un Évangile diffèrent de celui de Jésus, mais qui défendent même d’enseigner et de prêcher celui-ci.
L’opposition si grande entre la vie de tant de papes, de cardinaux et de prêtres, et l’exemple de Jésus et de ses apôtres, est pour Jean Hus la source d’une poignante douleur. L’indignation qu’il éprouve arme sa parole de traits mordants et acérés ; souvent alors, trop vivement subjugué par son émotion impétueuse, il montre dans son langage moins de mesure que de fougue, et l’on y reconnaît plutôt l’emportement téméraire d’un sectaire que la sagesse d’un apôtre. Mais ces fautes mêmes étaient produites par une cause honorable ; ces imperfections, tribut qu’il payait à la faiblesse humaine, étaient l’abus d’un zèle trop ardent, trop oublieux de sa propre sûreté, des passions du monde, des intérêts du siècle ; et chaque fois qu’un retour de sa pensée le rendait au calme, chaque fois qu’il était question de montrer la voie du salut et de s’y affermir lui-même, il retrouvait des paroles vraiment évangéliques, et tirait à grands flots de son cœur des expressions brûlantes de charité, de piété, de dévouement pour Dieu et les hommes, comme d’un ardent et inépuisable foyer de foi et d’amour. Les humiliations, les souffrances volontaires et les douces paroles du Sauveur sont toujours présentes à sa pensée, et il y trouve des consolations et des forces.
« Mes bien-aimés, dit-il dans une de ses plus admirables lettresc, ne vous laissez point abattre par la terreur, ne vous épouvantez point si le Seigneur tente quelques-uns d’entre vous. Dieu lui-même a dit à son serviteur (Proverbes ch. 3) : Ne crains pas lorsque la puissance des impies fondra sur toi, car je serai à ton côté ; et il a dit par la bouche du prophète David : Je serai avec lui dans son épreuve, je le délivrerai, je le glorifierai…… Le Créateur, le Roi, le souverain maître du monde, sans y être forcé par sa nature divine, s’est humilié, malgré sa perfection, dans notre humanité. Il est venu en aide à nous pauvres pécheurs, supportant la faim, la soif, le froid, le chaud, l’insomnie, la fatigue ; il a souffert, en nous instruisant, des douleurs et de graves opprobres de la part des prêtres et des scribes, à ce point qu’ils l’ont appelé démoniaque et blasphémateur, disant qu’il n’est pas Dieu celui qu’ils ont excommunié comme hérétique, qu’ils ont chassé de leur ville et crucifié comme un maudit. Si donc le Christ a supporté de telles choses de la part des prêtres, lui qui a guéri toutes les langueurs par sa seule parole, sans aucune récompense terrestre, lui qui a chassé les démons, ressuscité les morts et enseigné la loi de Dieu, lui qui n’a fait de tort à personne, qui n’a commis aucun péché et qui a tout souffert des prêtres, seulement parce qu’il a mis à découvert leur méchanceté, pourquoi nous étonner si aujourd’hui les ministres de l’Antechrist, qui sont plus avares, plus débauchés, plus cruels, plus rusés que les pharisiens, persécutent les serviteurs de Dieu, les accablent d’opprobres, les maudissent, les excommunient, les emprisonnent et les tuent ? … Il leur arrive ce qui est arrivé aux prêtres des juifs… : ils pensaient pouvoir étouffer et vaincre la vérité qui est toujours victorieuse, ignorant que le propre et l’essence même de la vérité est que, plus on tente de l’obscurcir, plus elle brille, et plus on veut la comprimer, plus elle croît et s’élève. Le pontife, les prêtres, les scribes et les pharisiens, Hérode et Pilate, et les habitants de Jérusalem ont jadis condamné la vérité, ils l’ont ensevelie ; mais elle, sortant du tombeau, les a vaincus tous. »
c – Lettres de Jean Hus, 1re série, lettre VI.
Jean Hus, dans plusieurs autres lettres écrites à la même époque, laisse percer un vague pressentiment du martyre. C’est ainsi qu’écrivant au nouveau recteur de l’Université de Prague il dit : « Je m’attache aux paroles de l’Écriture, et je me dis que, si je suis juste, aucun mal, quel qu’il soit ne pourra me contrister jusqu’à me détourner du chemin de la vérité. Si je vis et veux vivre saintement en Christ, il est nécessaire que je souffre en son nom… Que sont pour moi les richesses du siècle ! qu’est-ce que l’infamie, qui, humblement soufferte, éprouve, purifie, illumine les enfants de Dieu ! Qu’est-ce enfin que la mort si l’on m’arrache cette misérable vie ! Celui qui la perd ici-bas triomphe de la mort même et trouve la vie véritable … Pour moi, j’affronterai la mort (je l’espère avec le secours de Notre-Seigneur Jésus) si sa miséricorde me vient en aide, car je ne désire point vivre dans ce siècle corrompu. » Hus fait ensuite une énergique peinture de la licence du clergé, dans lequel il voit l’Antechrist ; puis, laissant éclater sa douleur, il s’écrie : « Malheur donc à moi si je ne prêche contre une semblable abomination ! Malheur à moi si je ne pleure, si je n’écris ! … Déjà le grand aigle prend son vol et nous crie : Malheur ! malheur aux habitants de la terre ! (Apocalypse 8.13) »
Ce cri fut en quelque sorte prophétique pour la contrée malheureuse où Jean Hus le laissait échapper, et durant de longues années la Bohême fut un théâtre de meurtre et de carnage. La retraite de Hus n’avait point calmé les esprits, et il arriva ce qui arrive toujours : lorsque la persécution ne peut étouffer une doctrine dans son berceau, elle lui donne des ailes et des forces. La multitude rappela son prédicateur avec le langage qui lui est propre, avec des cris furieux ; le sang coula dans Prague ; les prêtres insultés furent en péril, et Shinko, incertain et sans force entre un monarque abruti et un peuple exaspéré, quitta la ville pour implorer l’appui du nouvel empereur Sigismond, frère de Wenceslas et roi de Hongrie. Shinko était devenu l’adversaire déclaré des partisans de Jean Hus ; son départ fut pour eux un triomphe. Mais bientôt se répandit un bruit sinistre ; l’archevêque avait succombé en chemin, il était mort empoisonné. Les Hussitesd furent à tort accusés de ce crime ; ce soupçon grandit rapidement, quoiqu’il fût injuste, et peut-être aussi parce qu’il l’était. Le tragique événement qui délivrait Hus d’un puissant ennemi lui en fit de nouveaux non moins acharnés, et rendit les haines de tous plus ardentes et plus implacables.
d – On nommait ainsi les disciples de Jean Hus.